22 mars 2007

Un coup de blues


Dans les moments de découragement et d'affliction, il est doux de pouvoir se tourner vers quelque chose de réconfortant. En d'autres termes, empruntés pour la circonstance à Charles Baudelaire :

« Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins... »

Il se trouve que le Blues agit sur moi comme un puissant cordial qui me requinque et m'aide à supporter les vicissitudes d'un quotidien parfois déprimant.
Et les « champs lumineux et sereins », ce sont dans mon imagination, les grandes étendues du Sud, ivres de soleil, au dessus desquelles s'est élevée comme par magie une musique ensorcelante, capable de réchauffer les coeurs en peine et en déréliction.
Par un curieux paradoxe, cette plainte écorchée scandant douloureusement la cueillette du coton, issue de la souffrance d'un peuple martyr, s'est enrichie et vivifiée à mesure qu'elle passait de bouches à oreilles le long du Mississipi. Les larmes et la sueur l'ont magnifiée. Fortifiée sans doute par d'indicibles et confuses espérances, elle s'est muée en un vrai chant de vie et d'amour, et celui-ci s'est saoulé de liberté en remontant avec les esclaves affranchis, du delta jusqu'aux grands lacs du Michigan de l'Indiana et de l'Illinois.
De cette route enchantée ont surgi quantité de chemins de traverses, débouchant sur la quasi totalité des courants musicaux du XXè siècle. Pour reprendre l'expression de Miles Jordan, du Chico News and Review, le Blues c'est toute la condition humaine dans douze mesures !

A tout seigneur tout honneur, Robert Johnson restera au Blues ce que Jean-Sébastien Bach est à la musique dite classique : une source intarissable. Ses rustiques compositions n'ont pas pris une ride et continuent d'inspirer jusqu'aux stars de la Pop music et du Rock and Roll. Même si certains surgeons ont été quelque peu galvaudés par le mercantilisme et la vulgarisation du genre, c'est un océan de passions, d'émotions, de tendresse, qui a déferlé sur le monde. Il n'est que d'écouter Eric Clapton ou Peter Green pour se convaincre de l'éternelle vigueur de cette musique.


Les artistes qui au terme de leurs pérégrinations, ont fait souche au Nord des Etats-Unis sont la sève d'une des branches les plus vivaces de cette musique : le Chicago Blues. C'est un des styles les plus élaborés, qui a su parfaitement exploiter à son profit les possibilités des instruments traditionnels occidentaux : piano, cuivres, violon, guitares. Grâce à l'électrification de ces dernières et à l'addition d'une solide base rythmique, cette musique a gagné en puissance, et tout en gardant l'authenticité de l'émotion, elle a développé une merveilleuse richesse mélodique.
Pour celles et ceux qui se sentent une affinité pour cette tendre simplicité, faite de chaleur et de douce exaltation, il existe encore de nos jours, de nombreux apôtres de cette religion du bonheur simple, qui n'ont rien perdu de la sincérité et de l'humilité originelles mais qui hélas sont bien méconnus dans nos chaumières.
J'en ai découvert deux récemment de manière fortuite :
Magic Slim, de son vrai nom Morris Holt, qui rappelle un peu par sa tranquille bonhomie le style de B.B. King. Avec ses amis réunis sous l'enseigne des Teardrops (Jon McDonald guitare, Christopher Biedron basse, Vernal Taylor batterie) il continue de sillonner inlassablement les routes américaines, à près de 70 ans. Sa débordante gentillesse n'est en rien entamée par un sourire quelque peu édenté, et une peau burinée, crevassée, parcheminée. Sa voix grasse et chaude accompagne à merveille un jeu de guitare affûté. C'est pur et beau comme l'eau claire qui coule en rivière.

Ou encore Jimmy Burns, plus jeune de 6 ans, accompagné par une formation du même type, simple et sans fioriture : Tony Palmer superbe guitariste, et une belle ligne de soutien composée de Greg McDaniel à la basse, et James Carter à la batterie. L'ensemble tourne merveilleusement et sur un shuffle impeccable, balance quelques riffs taillés comme des pierres précieuses.

Comme la musique de Bach, le Blues en définitive n'est jamais vraiment triste, même lorsque ses accents sont poignants. C'est une sorte de perpétuelle jubilation, ça déchire gaiement...

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Et j'ajoute à la collection Eddie "the Chief" Clearwater. Pour les afficionados du Chicago Blues. Un -déjà- vieux Monsieur qui joue presque tous les jours depuis 40 ans dans tous les bars de la ville...
http://www.eddyclearwater.com/