30 avril 2008

C'est Kant qu'Onfray assassine


Michel Onfray a encore frappé. Après avoir tenté d'innocenter Nietzsche, son philosophe fétiche, de toute collusion spirituelle avec le nazisme qui s'en recommandait pourtant, il essaie aujourd'hui dans un essai théâtral, de style pompier néo-sartrien (Le Songe d'Eichmann), de faire porter le chapeau à Emmanuel Kant ! Au motif qu'Eichmann durant son procès, révéla (selon le témoignage d'Hannah Arendt) qu'il fut un lecteur attentif de l'auteur de la "Critique de la Raison Pratique" !
A la base, le fait est que Mr Onfray tolère à l'évidence difficilement qu'on puisse mettre en cause son maître en « athéologie » et en « gai savoir ». Il commence donc par flétrir sans nuance ceux qui colportent cette idée : « Du grand public dit cultivé aux philosophes postmodernes pourfendeurs de Mai 68, compagnons de route du libéralisme et des valeurs du catholicisme, en passant par quelques faux avertis mais vrais fourvoyés, l'auteur de Par-delà le bien et le mal fournirait la svastika, l'incendie du Reichstag, la nuit des longs couteaux, la moustache du Führer, les camps de la mort, les chambres à gaz et l'incendie de toute l'Europe. »
Certes, il paraît très excessif de faire de Nietzsche le responsable désigné de l'infamie qui se réclama de lui, et l'honnêteté exige qu'on ne confonde pas sa vision philosophique avec les monstrueux avatars qui en découlèrent et qui dénaturèrent notamment la notion emblématique de « surhomme ». Il y a infiniment plus de distance entre Nietzsche et Hitler qu'entre Marx et Lénine et Staline.
Mais à lire l'interprétation qu'en donne Onfray lui-même, il est impossible de ne pas s'interroger sur la responsabilité du Philosophe, et sur le pouvoir des mots et des idées. Dans un précédent ouvrage (« La sagesse tragique »), il dépeignait en effet le fameux surhomme de manière plutôt inquiétante, le faisant
évoluer dans un monde « dans lequel les oppositions entre bien-mal, vérité-erreur, responsable-irresponsable n'ont plus de sens », n'éprouvant « ni amour, ni amitié, ni tendresse, ni compassion », et n'étant en définitive, qu'une « bête de proie qui masque sous de multiples figures l'impérialisme de l'énergie brutale et aveugle qui le conduit ».
Passe encore l'indulgence et les faiblesses qu'Onfray manifeste pour son Grand Homme. Ce qui s'avère en revanche intolérable, ce sont les manoeuvres perverses qu'il emploie pour tenter de décrédibiliser et vouer aux gémonies un autre, totalement étranger à l'affaire.
En l'occurrence, vouloir “nazifier” le Kantisme, relève d’un indicible contre-sens (le seul fait de parler de “kantisme” doit d’ailleurs faire se retourner le cher homme dans sa tombe). Quoi de plus éloigné du nazisme que cette magnifique exclamation du sage de Königsberg: « Deux choses emplissent mon esprit d’un émerveillement sans cesse croissant à chaque fois que je les considère : la voûte étoilée au dessus de moi et la loi morale au dedans de moi »
Assimiler Kant, qui fut par toutes ses fibres l’être le plus moral qu’on puisse imaginer, à cette sorte d’amoralité absolue que fut le National-Socialisme, c’est sidérant. Jusqu’où peut se nicher la mauvaise foi…
Il n'est pas besoin d'être grand clerc ni exégète pour affirmer que jamais au grand jamais, Kant ne pensa que quiconque puisse se sentir autorisé à donner à ses actes une portée universelle et à prendre ses désirs pour le souverain bien. Il a recommandé au contraire, qu’avant toute action, on vérifie qu'elle puisse s’inscrire dans le contexte de la loi morale, qu'elle se soumette au célèbre « Impératif Catégorique ». Autrement dit qu’elle soit irréprochable !
Au surplus, Kant fut plus que tout autre, un homme attaché viscéralement à la paix et ses propositions dans le domaine sont à mille lieues de toutes les horreurs dont usèrent les impérialismes païens qui ont ravagé le monde au XXè siècle. S’agissant de son essai sur la Paix Perpétuelle, dont le titre dit assez le dessein, je me permets d’en extraire un passage qui me persuade pour ma part de la nécessité du fédéralisme démocratique (et donc de l’intérêt du modèle américain…) : « Si par bonheur un peuple puissant et éclairé en vient à former une république (qui par nature doit tendre vers la paix perpétuelle), alors celle-ci constituera le centre d’une association fédérale pour d’autres états, les invitant à se rallier à lui afin d’assurer de la sorte l’état de liberté des Etats conforme à l’idée du droit des gens. » Une Europe construite sur ce modèle n’aurait vraiment rien à voir avec le monstrueux empire que l’esprit dérangé d’Hitler voulait forger dans le feu et le sang.
En définitive, Michel Onfray, qui demeure en matière politique, crispé sur des schémas quasi staliniens (il appelle régulièrement à voter pour les candidats de la Ligue Communiste Révolutionnaire), fait une fois encore fausse route en philosophie. Son raisonnement cache derrière un style clinquant, les plus vains sophismes, les plus malhonnêtes assimilations et la plus fallacieuse logique....

28 avril 2008

Let There Be Blues

Moisson de blues pour se donner un peu de vigueur en ce printemps maussade. Du pur jus du Sud tout d'abord avec Smokin' Joe Kubek et Bnois King. A première vue on pourrait se demander ce qui peut bien faire point commun entre ce gros jojo tatoué, à casquette et barbichette blanches et ce petit piaf noir, chapeau et veste de cuir. Eh bien le Texas Blues bien sûr ! Et pas des moindres.
Dès les premiers accords de guitare on est dans le bain. Impossible de résister aux moelleuses cadences qui démarrent au quart de tour, acidulées juste ce qu'il faut par les riffs étincelants de Joe et le chant chaud et stridulant de Bnois. Pas de doute, ces deux là sont nés sous la même étoile.

La ligne rythmique est impeccable, soutenue par Paul Jenkins à la basse et Ralph Powers à la batterie, la prise de son quasi parfaite, et l'ambiance détendue en ce 31 décembre 2005, dans un petit club où le public s'enivre de cette musique en dansant, c'est le bonheur... Le titre ne ment pas : my heart's in Texas ! A ne pas louper enfin sur le DVD, en bonus, un excellent morceau en pur « acoustique » : tired of cryin' over you.


Même ambiance chaude et simple dans un club de Chicago en juillet 2005 cette fois, le Rosa's lounge, pour servir de toile de fond aux prouesses de Pierre Lacocque entouré de sa formation très « roots » dénommée Mississipi Heat avec la chanteuse Inetta Visor. Curieux itinéraire que celui de cet harmoniciste, né en Belgique, passé par Israël, la France et l'Allemagne et finalement converti à l'âge de 17 ans et des poussières, au Chicago Blues, et marchant depuis résolument sur les pas de Sonny Boy Williamson. Le moins qu'on puisse dire est qu'il en a parfaitement assimilé l'esprit. Bel exemple des bienfaits du melting pot. Et en l'occurrence belle prestation, magnifiée par la présence de l'excellent guitariste Lurrie Bell.

Le même Lurrie qu'on retrouve en 2006 toujours chez Rosa, à l'occasion de joutes musicales réunissant plus qu'opposant les Bell père et fils. Le premier, Carey, à peine remis d'une fracture du col du fémur, semble porter sur ses épaules quelque peu décaties toute l'histoire du blues, des ténèbres jusqu'à la lumière. Son visage émacié, édenté, meurtri par les années est illuminé par la douce et humble lumière de son regard un peu voilé. Quand il chante et joue de l'harmonica, c'est toute son âme qu'il met à nu. Quant au fiston Lurrie, qui lui donne la réplique à la guitare et au chant, il prend son rôle d'héritier très à coeur. L'ensemble est d'une rusticité de bonne aloi, chaleureuse et authentique.
Le même DVD permet de retrouver les mêmes musiciens, toujours empreints de la même verve et de la même spontanéité, dans le cadre du Buddy Guy's Legends (mention spéciale pour le pianiste très "boogie" Roosevelt Purifoy), et pour finir deux ou trois chansons chantées en duo, dans la maison familiale, devant les enfants mi étonnés, mi émerveillés. Let there be blues, vous dis-je...


25 avril 2008

Let the good times roll


Il y a une semaine à peine, par le plus grand des hasards, je tombai en me baladant dans cette bonne ville de Saintes, sur un disquaire, chez qui j'entrai afin de papillonner quelques instants. Et là je trouvai dans un rayon DVD plutôt modeste, au milieu de quelques banalités, l'enregistrement d'un concert donné en 2004 par le groupe Poco à Nashville Tennessee.
Je décidai d'en faire l'acquisition, un peu dubitatif compte tenu de son prix des plus modérés et de la quasi certitude que j'avais que cette formation avait disparu il y a belle lurette.

Malgré une notoriété assez confidentielle en France, Poco était dans mon souvenir un magnifique groupe, glorieux précurseur en 1968 du genre country rock sur la scène californienne, éclipsé par d'autres comme Eagles, mais de niveau comparable.
Douce et heureuse surprise quelques jours plus tard de voir à l'écran, réunis sur scène, quatre piliers de cette formation légendaire, quelque peu blanchis, mais toujours au meilleur de leur forme : Richie Furay, ancien de Buffalo Springfield, pétillant d'invention, Rusty Young délicat joueur de steel guitar, George Grantham indéfectible batteur, et Paul Cotton, guitariste talentueux et compositeur de subtiles ballades (inoubliable "Ride the country"...) Ne manque que le bassiste Timothy B. Schmit qui officie depuis la fin des seventies avec les Eagles (remplacé sans démérite par Jack Sundrud).

En définitive, ce DVD quasi introuvable en France est une perle. La qualité de l'image, quoique correcte, n'est pas d'une qualité irréprochable en format 4/3, mais la caméra suit les musiciens de manière très intelligente et la prise de son est équilibrée et fort agréable (surtout en version PCM stéréo). Quant au programme, il fait se succéder quelques uns des plus grands standards du groupe à l'écoute desquels on ne peut que se pâmer d'aise (plus une sublime version du "Magnolia" de JJ Cale). Absolument superbe, et trop méconnu hélas.

Il paraît que quelques mois après ce concert, le batteur George Grantham était victime en public d'un accident vasculaire cérébral dont il a encore aujourd'hui bien du mal à se remettre. Mon Dieu que le destin est cruel...

11 avril 2008

Au secours, encore un rapport !


Ça y est, le voilà le Rapport Larcher sur les "Missions de l'Hôpital" ! Un nouveau pavé de plus de 100 pages reprenant de fond en comble l'écheveau infernal du système de gestion des hôpitaux français. Mais que peut-on attendre d'une telle somme, venant après tant de réformes ? J'avoue qu'il m'est tombé des mains dès l'introduction, à la lecture de lieux communs et de voeux pieux tels que : "Favoriser l’adéquation des prises en charge", "Assurer la continuité du parcours de soins", "intégrer la dimension sociale et médico-sociale de l’hospitalisation", "Développer les formes d’exercice pluridisciplinaire","Améliorer l’organisation des soins non programmés"...

Les Pouvoirs Publics ont dépensé depuis quelques années, des milliards d'euros pour simplifier paraît-il la gestion administrative des établissements de santé et leur concéder une plus grand autonomie. Ils ont longtemps prêché la « déconcentration » et la décentralisation en vantant les progrès des techniques et les prouesses de la télémédecine. A l'intérieur même des établissements, ils ont promis une nébuleuse « contractualisation interne » puis une « nouvelle gouvernance » censées libérer l'esprit d'initiative.

Malheureusement, à force de vouloir trop bien faire et de réformer à tout crin, le système est devenu d'une complexité telle que plus personne ne s'y retrouve dans ce qui est devenu une impénétrable jungle réglementaire. Summum de l'absurdité, les emblématiques Agences Régionales de l'Hospitalisation du Plan Juppé sont régulièrement épinglées par l'Inspection Générale des Affaires Sociales et par la Cour des Comptes pour leur gestion à la fois approximative, rigide et hasardeuse. Or non seulement ces avertissements semblent négligés par les gouvernements successifs, mais ils ont semble-t-il décidé de renforcer encore ces inopérantes structures administratives en les rebaptisant pour la circonstance, Agences Régionales de Santé...

Quant aux hôpitaux eux-mêmes, ils doivent affronter un torrent ininterrompu de directives plus ou moins contradictoires, souvent irréalisables, et aussi changeantes que le climat breton. A coup de « seuils » minimum d'activité d'un côté et d'objectifs quantifiés, de plans quinquennaux de l'autre, ils sont littéralement pris en tenaille. Au surplus, ils s'épuisent depuis quelque mois à mettre en place une hallucinante Tarification à l'Activité dont les règles semblent improvisées au jour le jour et qui, sans alléger aucunement la lourdeur des anciens systèmes de gestion, pousse à l'inflation des dépenses en même temps qu'elle étrangle les budgets. Déjà pénalisés par une architecture interne extraordinairement compliquée, faisant coexister des « unités fonctionnelles », des « centres de responsabilité », des « services », des « départements », des « fédérations », ils sont tenus depuis quelques mois d'y ajouter la notion de « pôle » dont la définition et les objectifs sont aussi transparents que le brouillard londonien.

Enfin avec de dantesques « projets de territoires », d'abstruses « conférences sanitaires de secteurs », et de rigides « filières de santé » soi-disant « restructurantes », tout se passe comme si les Pouvoirs Publics s'étaient mis en tête, dans la plus grande confusion, de planifier à la manière soviétique la santé. Au surplus, on attend toujours quelque bénéfice palpable des myriades de gadgets et d'inventions tordues, sorties ces dernières années de l'imagination technocratique (accréditation, parcours de soins coordonné, carte vitale avec photo d'identité, dossier médical « personnel », tarification à l'activité, franchises...).

Bref, plus on simplifie plus ça s'obscurcit, plus on maîtrise les dépenses plus les déficits se creusent, et plus on déconcentre plus la centralisation progresse, c'est à se taper la tête contre les murs !

03 avril 2008

Le dilemme afghan

Le débat actuel sur l'envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan permet de pointer l'étrange attitude de l'Opposition et de bon nombre de ceux qui invoquent si souvent les droits de l'homme. D'un côté ils exigent une grande fermeté, vis à vis de la Chine par exemple, eu égard à ce qui se passe au Tibet, de l'autre ils accumulent les arguties pour éviter un engagement plus conséquent de la France en Afghanistan.
Alors que, plus ou moins conscients de leur impuissance face au géant chinois, ils ne trouvent rien de mieux à proposer que le boycott de la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques, ils sont prêts à tirer un trait sur les succès chèrement acquis et encore fragiles pour libérer Kaboul.

La rengaine fataliste est bien rodée mais plutôt pitoyable tant elle est marquée par la mauvaise foi : La production d'opium n'aurait jamais été aussi importante que depuis l'intervention internationale, « l'occupation » étrangère ne ferait que renforcer les extrémismes, les soldats risqueraient d'être exposés aux combats, ce serait s'aligner servilement sur la position américaine, et pis que tout, ce serait le signe que la France envisage d'intégrer le commandement de l'OTAN....
Manifestement les fulminations vertueuses contre le régime taliban qui asservissait les femmes et démolissait l'éducation et la culture, sont bien loin ! Quant à la menace permanente que fait peser Al-Qaïda, elle est quasi niée...
Pourtant, si les choses restent problématiques en Afghanistan, ne serait-ce pas comme souvent, par manque de détermination et d'unité de la Communauté Internationale ? Et les bonnes âmes si promptes à militer pour un monde meilleur, ne pourraient elles pas profiter de cette occasion à la mesure de nos moyens, pour accepter le principe d'actions concrètes ? L'engagement actuel de notre pays dépasse à peine 1500 hommes alors que le Royaume Uni en aligne près de 5000 et l'Allemagne plus de 2000. L'heure ne serait-elle pas, après avoir rendu l'hommage qu'ils méritent, aux hommes déjà présents sur place, de leur apporter des renforts qui sans nul doute faciliteraient leur tâche ?