29 juin 2009

Un printemps américain (13)



Vendredi 17 Avril. Tout a une fin, notre petite odyssée américaine n'échappe hélas pas à la règle. Aujourd'hui est déjà le jour du retour...
Avant de regagner pour la dernière fois Washington, nos amis nous ont préparé un détour très prometteur à travers la campagne.
Comme pour nous laisser le plus beau des souvenirs, le temps est absolument magnifique. On se croirait cette fois en été pour de bon. Le ciel est entièrement dégagé et l'air a une douceur idéale.
Après avoir rassemblé tous nos bagages, avoir englouti un solide breakfast, et dit adieu à la maison qui nous a si agréablement logés durant ces quinze jours, nous nous entassons tous les six dans la Mercury, et en route !

Avant de quitter Baltimore, nos hôtes voudraient nous faire passer devant la statue érigée à la mémoire de Billie Holiday, native de la ville. Délicate attention, car ils se souviennent qu'elle est pour moi la déesse incomparable du Jazz, et que je suis sous le charme dès que j'entends le son si troublant de sa voix.
Malheureusement nous tournons et retournons dans le quartier de Lafayette Street sans rien voir qui ressemble de près ou de loin à Lady Day. « Ça ne fait rien ! » leur dis-je, puis en paraphrasant le titre d'une de ses chansons : « Don't worry 'bout me »...

Nous sortons de Baltimore par les quartiers ouest. Nous pouvons une fois encore mesurer l'étendue de cette cité d'environ 650.000 âmes. Une fois passées les dernières maisons de l'agglomération, façon de plaisanter, Jeff nous dit que sur notre lancée, nous pourrions désormais rouler sans pratiquement changer de chemin, sur la Route 40, pendant près de 3000 miles (environ 5000 kilomètres), jusqu'à San Francisco !
Ça serait bien volontiers mais malheureusement les impératifs horaires nous interdisent un tel crochet...

A la place ce sera une charmante déambulation bucolique dans une Amérique humble et simple. Nous sommes en effet tout à coup bien loin des grandes mégalopoles, des fastes du showbiz ou du progrès technique. On se croirait au contraire revenu au temps d'Emily Dickinson, entre poésie et traditions, dans un univers serein et comme détaché des trépidations du monde moderne. La route est bordée de maisons rustiques, rénovées à l'ancienne, souvent en bois, parfois associé à des briques. Toutes arborent des fenêtres a petits carreaux, ouvrant à la mode « guillotine », composant tantôt des bow-windows, tantôt des vérandas et s'ouvrant sur des coursives extérieures ou même parfois sur des péristyles à colonnes.


La première étape est le petit village de New Market. Il compte à peine plus de 500 habitants, mais a une superbe allure. Le long de la rue principale, les maisons et échoppes alignent sagement et proprement leurs bardages en bois peint et leurs toits de tôle, égayés par des drapeaux et des fanions colorés. Comme une plaque en bronze le rappelle, la ville a célébré le bicentenaire de sa création en 1993.
L'endroit vit aujourd'hui probablement en grande partie du tourisme, mais il conserve beaucoup de charme et d'authenticité. Les magasins vendent surtout des antiquités ou des objets d'artisanat rustique.
Nous entrons dans une belle boutique logée dans une vaste villa de style néo-colonial, tenue par un sympathique Latino qui nous accueille chaleureusement. Il se targue de descendre des Indiens Zuni du Nouveau Mexique. Le gars est plutôt volubile. Il nous raconte l'histoire de cette tribu étonnante, qui descend probablement des premiers indiens autochtones d'Amérique du Nord, les Anasazis, dont on retrouve des traces sur le continent, remontant à plus de 20.000 ans.
Il nous dit non sans fierté comment ses aïeux parvinrent à résister à toutes les invasions notamment à celle des conquistadores Espagnols. Aujourd'hui encore affirme-t-il, les Zunis continuent de revendiquer leur farouche personnalité, du côté de Santa-Fe, et ont conservé nombre de leurs us et coutumes. En tout cas son magasin est plein de leur production, très originale et gaie, et nous nous laissons tenter par deux ou trois bijoux et colifichets « faits main »...

Au fil de notre balade, nous passons devant la caserne des pompiers. A l'intérieur, attendent sagement quelques véhicules rutilants, dont un splendide camion arborant des chromes qui n'ont rien à envier à ceux du New York Fire Departement...
Nous rendons ensuite visite à un magasin étonnant. Un genre de drugstore rural qu'on croirait sorti d'une reconstitution du XIXè siècle. Sur des étagères en bois, sont disposés quantité de bocaux en verre, de toutes tailles, remplis de denrées diverses : herbes, épices, bonbons... Mais aussi d'appétissantes sauces, des confitures en veux-tu en voilà.
On trouve également des objets artisanaux les plus variés, des faïences, des poteries, et des instruments de cuisine ou de jardinage en tous genres, mais toujours d'inspiration traditionnelle.
Dans le fond, sur un tableau noir et à la craie, on peut lire la pensée du jour « Do not let kindness and truth leave you... ». Enfin, sur le comptoir, pour faire la pesée une antique balance chromée, et pour gérer le commerce, tout de même un petit ordinateur portable...


Nous quittons à regret cette petite bourgade pleine de nostalgie et continuons notre route vers Frederick, située à une petite vingtaine de kilomètres, plus grande mais vouée semble-t-il au même culte de douce intemporalité. Les rues sont plus larges et les maisons plus cossues mais on baigne dans la même ambiance un peu rétro. Située non loin de Gettysburg, elle reste particulièrement marquée par le souvenir de la guerre de sécession et possède d'ailleurs un musée dédié spécialement à l'art médical de l'époque.
Frederick est également associée au nom d'un habitant éminent mais controversé, à savoir
Roger Brooke Taney. Ce dernier fut nommé en 1836 Chief of Justice à la Court Suprême par le Président Jackson. A ce titre, il fut l'auteur en 1857 d'une décision assez désastreuse restée dans les mémoires sous le nom de Scott vs Sandford.
Celle-ci, s'appuyant pourtant « à la lettre » sur les textes de la Constitution et de la Déclaration d'Indépendance, refusa aux esclaves la qualité de citoyens des Etats-Unis. Elle ajoutait au surplus que le fait de posséder des esclaves relevait de la décision des Etats et non du Pouvoir Fédéral, et qu'en tout état de cause elle s'inscrivait dans le droit à la propriété privée !
Entérinée au moment où les tensions allaient crescendo entre états du Sud et ceux du Nord, elle fit l'effet d'une provocation et joua selon les historiens un rôle significatif dans la survenue de la terrible guerre civile.

Raney qui était le beau frère de Francis Scott Key (l'auteur de Star Spangled Banner), qui fut toujours unioniste et dévoué au gouvernement fédéral, et qui à titre personnel avait émancipé les esclaves dont il avait hérité, ne comprit jamais vraiment l'hostilité accueillant cette décision qu'il estimait fondée sur des arguments objectifs. L'esclavage qu'il jugeait comme un mal, ne pouvait selon son opinion être défait que progressivement et par les seuls états où il subsistait à l'époque. Comme quoi l'esprit des lois vaut souvent mieux que la lettre et comme quoi de bonnes et honnêtes intentions peuvent parfois conduire à d'horribles conséquences...

Après avoir flâné, et beaucoup photographié les rues de la ville, ses églises et bâtiments historiques, nous nous arrêtons pour déjeuner dans un petit restaurant de spécialités Tex Mex. Nous apprécions particulièrement ce dernier et délicieux repas, pris en plein air dans le jardin, sous un soleil juste doux et chaud comme il faut.
En pensant à ce voyage merveilleux qui s'achève par cette promenade si intemporelle, si décalée par rapport aux idées reçues souvent véhiculées au sujet des Etats-Unis, les mots de Thoreau me reviennent à l'esprit, comme particulièrement propices : « En tuant le temps on blesse l'éternité... »

Après Frederick, il ne nous reste plus qu'à gagner sans hâte mais avec certitude l'aéroport. Nous traversons le Potomac, ce fleuve aux consonances si évocatrices, en empruntant le petit pont métallique de Point of Rocks. L'endroit se situe pratiquement à la jonction entre le Maryland et la Virginie. Son atmosphère champêtre tranquille appelle à une promenade que nous ne pouvons hélas plus envisager...
Ensuite c'est Leesburg, et enfin les abords de l'aéroport de Washington Dulles.
Nous arrivons en avance mais les derniers moments passent très vite à s'affranchir des incontournables formalités administratives. Après un dernier pot pris ensemble, les adieux à nos amis sont brefs mais intenses. Il y a une grande tristesse à devoir déjà se séparer mais une immense gratitude pour l'accueil qu'ils nous ont réservé et pour leur dévouement à nous montrer tant de lieux et de curiosités. Grâce à eux, nous repartons riches de souvenirs et certainement un peu initiés aux particularités les plus attachantes de la vie américaine. Il nous reste encore beaucoup à découvrir mais toute la famille est heureuse de cette aventure.

Pour ma part je suis comblé. L'Amérique que j'ai vu concorde bien avec l'idée que j'en avais. Ce que j'en ai relaté au long de ces billets quotidiens reste sans doute assez médiocre et lacunaire, mais les écrire a prolongé mon plaisir et a été comme une sorte d'accomplissement...

2 commentaires:

namaki a dit…

J'ai eu le plaisir de vivre aus USA pendant une année... j'étais étudiante d'échange dans une école Quaker ... c'était à la fin des années 60, et je retrouve das ce billet l'atmosphère d'alors ...
PS avez-vous acheté des Kachinas dans la boutique Zuni ?

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Non. Juste deux ou trois sympathiques petits bijoux pour notre fille. C'est vrai que beaucoup des petits objets sa vitrine étaient tentants ...