19 janvier 2010

Détresse et fatalité


A chaque fois que se produit un tremblement de terre quelque part sur la planète, me reviennent en mémoire les vers de Voltaire, composés après la survenue de celui de Lisbonne, en 1755.
A l'époque, ce qui insupportait l'écrivain, c'était qu'on puisse voir dans ces catastrophes, la main de Dieu. Soit pour signer une mortelle vengeance, du genre de celle qui ravagea Sodome et Gomorrhe. Soit qu'elle œuvra pour le bien et l'harmonie du monde, tout ici bas devant être périodiquement détruit et reconstruit.
On sait de nos jours qu'en fait de main, elle n'obéit à aucune volonté divine, et ne connaît ni le bien ni le mal. C'est une simple fatalité physique absolument inévitable, celle erratique des plaques tectoniques situées dans les profondeurs de la croûte terrestre. La seule chose qu'on puisse espérer est d'en mieux connaître la mécanique afin de prévoir les séismes.
Pourtant, après les ouragans, après la pauvreté, après les vicissitudes de régimes corrompus, les terribles secousses qui viennent de ravager la région de Port au Prince ne peuvent qu'interpeller, sur la raison des nombreuses infortunes endurées par le peuple haïtien. Établi dans la région idyllique des Antilles, sur la grande île d'Hispaniola, qu'il partage avec le paradis touristique de Saint-Domingue, on dirait vraiment qu'il est poursuivi par une étrange malédiction. Comment un si petit pays peut-il en effet réunir par le seul fait du hasard, autant de calamités ?
Pour l'heure, le monde est saisi de stupeur, et l'émotion est très vive. Mais au delà du nouveau drame qui vient de se jouer, comment embrasser dans une même compassion, la somme de malheurs qui s'abattent régulièrement sur cette terre ? Comment apporter une aide plus durable que celle qui consiste à panser les plaies à vif ? Comment, après avoir aidé à réparer le plus gros des dégâts, réussir enfin à en anticiper la survenue pour les minimiser autant que possible ?
Aujourd'hui on assiste à une surenchère dans la générosité. Les stars du showbiz se pressent pour donner dans un grand tintamarre doré, qui un million de dollars, qui un clip musical pour faire sortir de chacun "un euro symbolique", qui un nouveau téléthon pour amplifier la vague des dons. Pour un peu, on se sentirait tous Haïtiens...
Mais demain ? Tout sera oublié. Haïti retombera dans l'indifférence polie et sera de nouveau livrée à ses vieux démons.
L'impuissance de la communauté internationale est hélas flagrante. L'histoire de l'ex président Aristide est de ce point de vue édifiante. Cette crapule qui se réclamait de Dieu et de la «Théorie de la Libération» (mais fut exclu par le Vatican de la congrégation salésienne en 1988) affirmait en arrivant au pouvoir en 1991, vouloir tirer un trait sur le sombre passé dictatorial des Duvalier, et apporter le bonheur à « la plus ancienne république noire » du monde.
Résultat, il contribua au moins aussi largement que ses prédécesseurs au maintien de son peuple dans le dénuement, la corruption, la violence et la désorganisation.
La France et les Etats-Unis croyant bien faire, s'étaient pourtant impliqués sans ménagement et de concert, pour le soutenir, et notamment le remettre au Pouvoir en 1994 après un premier coup d'Etat, qui l'avait contraint à l'exil quelques mois à peine après sa prise de fonctions.
Après un second mandat aussi calamiteux que le premier, ils durent organiser sa fuite vers l'Afrique du Sud en 2004, alors que le pays était au bord d'un bain de sang.
Non seulement Aristide ne sut pas exploiter les soutiens qui lui furent apportés à plusieurs reprises, mais il accusa les pays Occidentaux d'avoir fomenté les coups d'état et provoqué la misère économique de son pays. Il accusa carrément les Etats-Unis de l'avoir enlevé en 2004 ! Aujourd'hui, il verse des larmes de crocodile sur son pays et annonce son intention de rentrer au pays "pour venir en aide aux victimes". Sinistre comédie...
Depuis 2004, une mission permanente de l'ONU, la MINUSTAH, et nombre d'ONG œuvrent sur place. Pourtant aucun pays, aucun organisme international n'est parvenu à sortir les Haïtiens de leur détresse et à les aider à mettre en place un gouvernement digne de ce nom.
Les palais écroulés témoignent affreusement de la vaine boursouflure du Pouvoir dans un pays où rien ne fonctionne véritablement, et où les calamités naturelles prennent chaque fois des allures de désastres. En 2006, la Banque Mondiale déplorait «l'extrême vulnérabilité face à ces événements, résultant de niveaux de pauvreté élevés, d’une infrastructure inadaptée, d’un environnement dégradé et d’une série de gouvernements inefficaces confrontés à de graves problèmes fiscaux»..
Le constat fait par Bernard Kouchner en mars 2003, rapporté par le site Haïti-Info, était encore plus édifiant : «Haïti, ce fut la première des missions que nous avons menées avec Médecins sans frontières. Déjà, à l’époque, sous Duvalier, c’était dur, très dur. On nous a accusés de n’importe quoi. Des collègues ont été emprisonnés. C’était la belle époque des «tontons macoutes». Je dis belle époque presque sans ironie, par rapport à ce qui se passe maintenant avec le président Aristide. Ce noble ecclésiastique, ancien «curé des pauvres», que, comme tout le monde, j’ai soutenu fortement et que j e connais bien, nous a obligés à avaler tellement d’horreurs en quelques années! Haïti, à ma grande honte, c’est le contre-exemple vivant du droit d’ingérence. Nous y sommes intervenus militairement, en 1994, avec le soutien de l’armée américaine et au nom de l’Onu. Pour la première fois dans l’Histoire, nous avons rétabli un président civil légalement élu dans ses droits, alors qu’il avait été chassé du pouvoir par une junte militaire. Le rêve a tourné au cauchemar, puisque, aujourd’hui, c’est encore pire qu’avant. Si l’on ne se souvient pas de cela, on ne peut pas aider Haïti - et encore moins résoudre le problème de ses enfants esclaves , parce que les Haïtiens sont aujourd’hui dégoûtés de tout. Les tontons macoutes, ces bandes de tueurs à la solde du pouvoir des Duvalier, c’était finalement un peu comme la mafia: on peut composer avec, on sait qui l’on a en face de soi. Mais, désormais, on ne peut plus circuler de l’aéroport de Port-au-Prince à son hôtel sans une garde blindée. Les immigrés n’osent plus revenir et investir parce qu’ils savent qu’ils vont être dévalisés. Par qui? Par tout le monde, y compris par le gouvernement d’Aristide. Haïti détient, avec le Burkina Faso, le record du monde du nombre d’ONG travaillant sur son sol. On y a dépensé beaucoup d’argent. Pour rien. C’est pire qu’avant. Économiquement et, surtout, moralement.»
A cause, en grande partie, de cette incurie chronique, la moindre tempête tropicale fait des centaines de morts et des dizaines de milliers de sans-abri. Le tremblement de terre du 12 janvier, qui dans une ville préparée, devrait ne faire qu'un nombre limité de victimes, risque d'en causer plusieurs centaine de milliers...
Si au moins cette catastrophe pouvait conduire la communauté internationale à offrir une vraie tutelle à ce pays dévasté, si au moins les nations développées pouvaient prendre conscience de l'importance qu'il y a de l'accompagner durablement, et avec détermination pour l'amener sur la voie du vrai progrès. Et pour faire mentir le terrible constat fait récemment par l'économiste d'origine zambienne Dambisa Moyo, pointant sévèrement les lacunes de l'aide internationale et l'accusant in fine de faire plus de mal que de bien.
Mesurant l'ampleur de la tâche, les Etats-Unis semblent décidés à s'installer pour coordonner d'une main ferme cette reconstruction, mais déjà on entend les voix s'élever contre l'impérialisme, contre une nouvelle « occupation »... La misère est-elle donc une fatalité ? Ou bien l'enfer serait-il donc comme on le dit, pavé de bonnes intentions ?
*****
O malheureux mortels! ô terre déplorable!
O de tous les mortels assemblage effroyable!
D'inutiles douleurs éternel entretien!
Philosophes trompés qui criez: "Tout est bien"
Accourez, contemplez ces ruines affreuses
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,
Ces femmes, ces enfants l'un sur l'autre entassés,
Sous ces marbres rompus ces membres dispersés;
Cent mille infortunés que la terre dévore,
Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,
Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours
Dans l'horreur des tourments leurs lamentables jours!
Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,
Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous: "C'est l'effet des éternelles lois
Qui d'un Dieu libre et bon nécessitent le choix"?
Direz-vous, en voyant cet amas de victimes:
"Dieu s'est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes"?
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et sanglants?
Lisbonne, qui n'est plus, eut-elle plus de vices
Que Londres, que Paris, plongés dans les délices?
Lisbonne est abîmée, et l'on danse à Paris.
Tranquilles spectateurs, intrépides esprits,
De vos frères mourants contemplant les naufrages,
Vous recherchez en paix les causes des orages:
Mais du sort ennemi quand vous sentez les coups,
Devenus plus humains, vous pleurez comme nous.

Aucun commentaire: