28 juin 2010

A chaque jour son scandale

Foin des scandales générés par l'équipe de football. Même s'ils altèrent quelque peu le prestige de la France ils ne sont le fait que d'un jeu après tout (encore qu'il y aurait beaucoup à dire sur la consternante versatilité des commentaires que madame Bachelot se crut obligée de faire  à cette occasion).
Ils semblent de toute façon bien dérisoires comparés à ceux qui remuent le pays jour après jour. Et qui commencent à peser singulièrement sur une République déjà bien mal en point.
Après les tempêtes dans un verre d'eau liées aux logements de fonction de quelques ministres, sont venues les affaires concernant certains salaires et cumul d'émoluments extravagants, en vigueur dans le gratin de la Fonction Publique. Le problème ne vient d'ailleurs pas tant de leur montant, que de la légèreté apparente avec laquelle ils sont attribués.
A propos de la HALDE par exemple (Haute Autorité de Lutte Contre les Discriminations et pour l'Egalité !).
On pouvait s'interroger sur l'utilité de cette très pompeuse agence d'état, qui poussa le zéle anti-discrimination jusqu'à remettre en cause les poèmes de Ronsard. Mais il y a vraiment de quoi hurler lorsqu'on prend connaissance des prébendes dont bénéficie sa présidente Jeannette Bougrab, et probablement un certain nombre de dignitaires qui gravitent dans l'ombre.
Peut-on vraiment parler à propos de ces machins administratifs d'inspiration soviétoïde, qui peu à peu sont devenus légions, d'organismes indépendants et sans but lucratif ? Combien de temps continuera-t-on d'entretenir ces armées mexicaines, aussi dispendieuses qu'inefficaces, aussi chamarrées que vaines ? Combien de temps faudra-t-il pour que l'Etat se sépare enfin de ces innombrables pseudopodes qui lui pompent tant de sève, en pure perte ?



La cerise sur le gâteau c'est toutefois assurément l'imbroglio liant les époux Woerth à la richissime famille Bettencourt. ll témoigne d'une telle imprévoyance, d'une telle inconséquence, qu'on croit presque rêver. Monsieur Woerth qui annonçait il y a quelques mois une chasse sans merci à l'évasion fiscale, qui se targuait d'avoir mis la main sur une liste de 3000 contribuables ayant des comptes en Suisse, monsieur Woerth, alors ministre du budget, qui jetait un doute teinté d'opprobre sur des citoyens, au seul motif qu'ils avaient déposé de l'argent hors de France, monsieur Woerth n'avait oublié qu'un détail : son épouse ! Qui gérait benoîtement le patrimoine d'une de ces contribuables particulièrement nantie, et qui ne pouvait raisonnablement pas ignorer qu'une partie non négligeable de la fortune de sa cliente était placée sur des comptes helvétiques non déclarés au fisc...
Cette histoire n'est pas sans rappeler le précédent tragique de M. Beregovoy au cours des années 90. Ce dernier avait pris ses fonctions de premier ministre en se faisant le chantre de la lutte contre la corruption affairiste et politique. Comme M. Woerth, il avait cru bon pour donner du poids à son propos, d'affirmer qu'il détenait une liste de personnalités douteuses. Hélas, il s'était sans doute trop avancé et avait négligé quelques détails discutables concernant sa vie privée. Il chuta quelques mois plus tard sur une stupide embrouille de prêt « sans intérêt », contracté auprès d'un homme d'affaire de réputation plutôt sulfureuse...

Dans l'affaire présente, rien désormais n'y fera. Aucune dénégation n'enlèvera le doute mortel qui s'est insinué dans les esprits. Monsieur Woerth est-il innocent de toute combine ? Peut-être, mais au fond qu'importe. Le moins que l'on puisse dire est que celui qui se présentait comme le gardien intraitable de la rigueur fiscale, fut peu regardant sur ce qu'il faut bien considérer comme un fâcheux mélange des genres. Et c'est suffisant pour empester tout ce qu'il touchera maintenant. Très ennuyeux vu l'enjeu de la réforme qu'il est chargé de mener sur les retraites.

Comment se fait-il que les Politiques dans notre pays n'aient toujours pas compris qu'ils se doivent d'être exemplaires, et si possible, au moins cohérents avec eux-mêmes. Lorsque M. Woerth se dit « très serein dans la tourmente », qu'il affirme pour sa défense n'avoir «jamais déclenché ni empêché de contrôle fiscal», se rend-t-il compte qu'il est complètement à côté de la plaque ?
Il ne suffit pas de respecter à la lettre la loi, pour éviter d'en violer l'esprit (le pire étant d'ailleurs dans ce contexte fuligineux, l'annonce toute récente par M. Baroin, le successeur de M. Woerth, que madame Bettencourt, comme par hasard, ferait prochainement l'objet d'un contrôle fiscal !)
Pour ma part, j'avoue que je ferais facilement mon deuil de ce genre de ministre si raide et surtout peu si peu inspiré (il avait entre autres bévues, défendu « avec conviction », le projet piteux de taxe carbone...).
En somme, il y a des jours où l'on se prend à penser que l'équipe gouvernementale ne vaut guère mieux que celle de foot...

21 juin 2010

La France coupée du monde

Le spectacle navrant donné en ce moment par l'équipe de football censée représenter la France en Afrique du Sud, est à bien des égards révélateur du niveau où est arrivé notre pays. 
Arrogance, inconséquence, refus des règles et des réalités, inefficacité, infantilisme, cabotinage, la liste serait longue des tares étalées avec une satisfaction morbide aux yeux du monde par notre équipe, et à travers elle par l'Hexagone.
Non seulement les résultats sont dans l'ensemble mauvais, mais on trouve le moyen d'aggraver le ridicule en révélant les conflits internes qui minent la cohésion du groupe et qui plus est, en usant de manières de voyous frimeurs ou d'idiots indisciplinés.
C'est avec une infinie tristesse que toute personne attachée à « une certaine idée de la France », célébrée au même moment de manière un peu dérisoire, voit ainsi se déliter les derniers vestiges de ce que l'esprit français avait de meilleur à savoir, élégance, distinction, raison et ambition. Même le rire qui était une marque de cette spiritualité, s'est avili au point de se transformer en méchant ricanement.
Au point où nous en sommes rendus, il vaudrait assurément mieux ne pas jouer le dernier match. Avec une Fédération inexistante, un sélectionneur hébété à force d'être désavoué, réduit à lire la déclaration de mutinerie des joueurs en rébellion, la coupe est pleine, et on commence à souhaiter que cette sinistre mascarade se termine au plus vite.
Aujourd'hui plus que jamais on a la tragique impression que la France est dans un bocal. Autour, le monde se fait, tourne et évolue, tandis que sourds à tout, nous nous épuisons en querelles vaines, polémiques stériles, et combats sans issue. Jusqu'où ce tourbillon nous entrainera-t-il ?

19 juin 2010

Une légende bien entretenue

Le barouf médiatique autour de l'appel du 18 juin amène à se reposer quelques questions sur l'importance historique d'un homme qui semble aujourd'hui être l'objet d'une idolâtrie béate.
Sur l'appel lui-même, le moins que l'on puisse dire est qu'il fut très habilement exploité au plan médiatique, alors qu'il ne mérite tout bien considéré, qu'une place assez dérisoire dans le contexte de l'époque.
De Gaulle propulsé comme instigateur de la résistance et héraut de la France libre, celle « qui ne se rend pas », par la seule vertu d'une déclaration qu'il enregistra tranquillement carapaté à Londres, au moment le plus tragique de la défaite, cela pourrait prêter à sourire, si les conséquences n'avaient pas été si terribles et durables.
De là naquit en effet une légende tenace qui transforma de manière manichéenne les uns en sauveurs de la patrie, les autres en traîtres, en divisant profondément la France, et en infectant la plaie causée par la reddition puis par l'occupation.

Sans chercher à rouvrir un débat qui n'en finit pas de meurtrir le pays, il devrait être possible de dire que De Gaulle, qui avait paraît-il « une certaine idée de la France », ne chercha guère à en panser les blessures. L'affreuse épuration qui suivit la fin de la guerre et qui fut peu ou prou avalisée par lui et son entourage, reste comme une tache indélébile sur son uniforme. Parmi les innombrables victimes qui payèrent au prix fort des crimes souvent imaginaires ou largement exagérés, il faut citer Louis Renault, dont le sort atroce est rarement évoqué, alors qu'il constitue un des épisodes les plus honteux de cet époque. Non seulement De Gaulle pilota les tribunaux d'exception qui déchainèrent une foudre haineuse et inique sur un homme innocent et malade, mais il nationalisa sans vergogne ses usines d'automobiles 4 mois après sa mort !
En réalité, à aucun moment depuis la Libération et jusqu'à sa disparition, il n'essaya vraiment de mettre en oeuvre une vraie politique de réconciliation. Aujourd'hui encore le fossé reste béant et les divisions profondes.

D'une manière générale, qu'en est-il de l'héritage soi disant prestigieux du Général ?
Certes il réussit à remettre en ordre une France détruite, corrompue et déchirée par l'occupation, mais ce fut au prix du retour en force des Communistes qui instillèrent leur influence désastreuse sur le pays et en politisèrent durablement toutes les infrastructures.
Certes il fut l'artisan avec le chancelier Adenauer d'un début de réconciliation avec l'Allemagne, mais à aucun moment la France ne parvint à imprimer une dynamique à la construction de l'Europe. La vision du chef de l'Etat français en la matière était d'ailleurs à la fois bornée et inconséquente. Il en voyait les contours « de l'Atlantique à l'Oural », alors que toute la partie Est du continent était plongée dans les ténèbres soviétiques. De l'autre côté, il s'ingénia à empêcher l'entrée de l'Angleterre dans le club, tout en ruinant l'espoir de voir surgir une grande et forte union militaire avec les Etats-Unis, lorsqu'il claqua la porte de l'OTAN.
In fine, son attachement chauvin à la nation lui faisait de toute évidence mépriser l'idée même de l'Europe surtout dans sa conception fédérale (on se rappelle l'anecdote des cabris).

La grandeur de la France Gaullienne est un vain mot. Il abandonna une bonne partie de l'empire colonial, non sans raison, mais d'une manière indigne. Il devrait de ce point de vue apparaître comme un destructeur aux yeux des nostalgiques de la France impériale (qui  manifestent pourtant une curieuse fascination pour sa stature balourde). Il y a peu de chances en tout cas qu'il passe un jour pour un bienfaiteur aux yeux des peuples brutalement livrés à l'indépendance, c'est à dire souvent abandonnés à des régimes sanguinaires et rétrogrades.
De ce point de vue, la politique africaine de la France ne fut pas très admirable, charriant dans son sillage quantité de lâchetés, de magouilles, de compromissions et de protections douteuses.
En matière de politique intérieure, il restaura plus que jamais la centralisation et la bureaucratie. Peu d'imagination caractérisa sa politique crispée sur les prérogatives de l'administration et la tutelle omniprésente de l'Etat. Même les grandes réalisations furent souvent des échecs ruineux ou bien des symboles grandiloquents mais peu efficaces : du paquebot France au Concorde, en passant par la bombe atomique...
La même tendance sévit au plan culturel, dont le rayonnement ne fut pas un des points forts de ce régime en dépit des fameuses maisons créées par Malraux à cet effet. Qu'on se souvienne  que la France durant de nombreuses années, dut se contenter d'une télévision entièrement étatisée via l'ORTF, pendant que l'information elle-même, avait son ministère !

En définitive, il me paraît opportun de terminer cette analyse un tantinet anticonformiste par la formule assassine mais assez jolie de Pierre Assouline sur son blog : « le génie politique de De Gaulle a été d’offrir aux Français des mensonges qui les élèvent plutôt que des vérités qui les abaissent. » Ne souffrons-nous pas toujours de cette délicieuse perversion ?

Sur le sujet, il serait également judicieux de ressortir l'essai décapant et insolent mais parfaitement ajusté de Jean-François Revel : Le Style Du Général.
On pourrait aussi relire le très oublié Coup d'Etat Permanent d'un certain François Mitterrand (qui hélas ne s'inspira guère de ses bonnes idées lorsqu'il accéda lui-même à la fonction...)

14 juin 2010

Un été dans les caves de l'Eden

Ça s'est passé à une époque ou les grosses fortunes et les stars accouraient en France pour échapper aux rigueurs du fisc de leur pays !
Deux effets bénéfiques de ce genre d'exil doré ont été démontrés à l'occasion du débarquement en fanfare des Rolling Stones sur la Côte d'Azur lors de l'été 1971 : de belles rentrées financières pour les commerçants du coin, et surtout, une aventure musicale inouie dans les caves de la villa Nellcôte.
Autrefois propriété paraît-il de la célèbre famille Bordes, qui arma bon nombre des cap-horniers du temps de la marine à voile, ce splendide édifice d'architecture néo-héllénique, qui surplombe la rade de Villefranche est en soi un paradis terrestre. Les bandes enregistrées dans ses entrailles pour l'album Exile on Main Street, qui ressortent en CD après un complet relooking technique, témoignent qu'il s'agit aussi d'une puissante source d'inspiration artistique.
Après la réédition des disques des Beatles, après le revival de Jimi Hendrix, les aficionados des sixties peuvent retrouver dans cette compilation rénovée et enrichie, les mélodies ensorcelantes portées par des riffs mordants, et le parfum vénéneux qui sont la marque du fameux spleen stonien.

Au fond des caves chaudes et humides de la superbe villa patricienne, plongée au coeur de l'été méditerranéen, au sein des fumées délétères et des vapeurs alcooliques, dans une sorte de vertige lascif, s'établit une alchimie improbable mais parfaite entre la plainte suave du blues et les divagations hallucinées du rock'n roll.
Ça démarre en vrombissant sur la basse térébrante de Rocks Off, vite rejointe par la scansion nerveuse de Jagger, sur une rythmique d'enfer et un tonnerre étincelant de cuivres. Tout de suite le trip est engagé, impossible de renverser la vapeur.
On décolle franchement avec Rip That Joint. Crénom, c'est certain, ça ne redescendra plus. Pulsation qui nait de l'échine et parcourt en les déchirant délicieusement, les chairs jusqu'en bas des reins...
Le beat enjôleur de Shake Your Hips, emprunté à Slim Harpo fait se lever les dernières réticences.
Puis c'est dans une pâmoison continue, que s'enchainent une nuée de titres, liés par une force harmonique et une logique apodictiques : Casino Boogie, Tumbling Dice, Sweet Virginia, Loving Cup, Happy, Shine A Light... ça coule de source dans les oreilles éblouies et ça se fait parfois doux comme le miel (Let It Loose, ou le capiteux Following The River, inédit et totalement retravaillé pour la circonstance).
A certains moments, on croirait presque entendre les cigales dans l'arrière plan (Sweet Black Angel) ou le rythme régulier et lent des pales d'un ventilo géant, remuant nonchalamment l'air de ces sessions torrides (ventilator blues). Puis ça repart de plus belle en tournoyant, en éructant, en jappant, en feulant, en criant à perdre haleine.
Indicible distorsion du temps dans ce torrent idéal de musique, montée extatique de pulsions amoureuses, moiteur rubescente des nuits azuréennes, Tout se conjugue pour donner à cet ensemble le goût de plaisirs séraphiques, où l'incandescence du rêve agit comme un baume souverain, qui sublime et prolonge les sensations éphémères tirées du réel...

Illustrations : visions personnelles des nuits de Nellcôte... 

10 juin 2010

Qui fabrique le consentement ?


Noam Chomsky est un penseur comblé : coqueluche des médias et intellectuel paraît-il, « le plus connu au monde », il est au pinacle de l'adulation médiatique. Et peu importe que son travail de linguiste reste totalement abscons au commun des mortels, puisque ses engagements politiques suffisent largement à asseoir sa notoriété.
Sa défense intransigeante de la justice et de la liberté d'expression, qui l'a souvent poussé à flétrir de manière retentissante les agissements de son propre pays, n'a pas peu contribué à son succès, surtout en Europe où l'on raffole de tout ce qui renforce le sentiment anti-américain. Et où, de manière plus générale, on se plaît à cultiver avec une délectation morbide, la mauvaise conscience anti-occidentale, dont il fait figure, bon gré, mal gré, de fer de lance.

On ne saurait trop lui reprocher d'avoir défendu le droit de s'exprimer de gens comme Robert Faurisson. Car cela ne peut paraître choquant qu'à des gens ayant une assez profonde méconnaissance de ce qu'est la liberté d'expression. Force hélas est de constater que la France est dans ce cas de figure, comme le fait souvent remarquer avec raison Chomsky. Il n'est que de rappeler que notre pays jusqu'à une date assez récente (1974) ne trouvait pas anormal d'avoir un ministère de l'information ! Ou bien de mentionner qu'à l'initiative d'un député communiste (!), les parlementaires acceptèrent de voter il y a quelques années, une loi réprimant l'expression d'idées jugées non politiquement correctes, c'est à dire déviantes, ou encore négationnistes...

Le vrai problème de Noam Chomsky n'est donc pas qu'il défende la liberté, mais qu'il pousse ses prises de positions si loin, que cela l'amène de manière paradoxale, à soutenir implicitement la cause de vrais ennemis de la liberté, et dans le même temps, à miner les fondations d'un système dont il est partie prenante.
Il s'entoure bien de quelques précautions oratoires, pour tenter de se démarquer des gens peu recommandables qu'il est parfois amené à soutenir, mais cela ne saurait suffire. Ainsi, il se défend de partager les thèses soutenues par Faurisson. Dans un autre registre, bien qu'il s'interroge de manière très ambiguë sur les causes du 11 septembre 2001, il dit ne soutenir en aucune manière la théorie du complot qui l'entoure souvent dans les médias. Tout comme il prétend n'avaliser en rien les horreurs du communisme pour lequel il lui est pourtant arrivé de manifester quelque indulgence.
D'un autre côté, il affirme qu'il est nécessaire d'être sévère avec les démocraties, précisément parce qu'elles se targuent d'incarner la liberté. C'est aussi selon ses dires, parce que c'est sur elles que les critiques des intellectuels ont le plus de chances de porter. En somme, à l'entendre, ses admonestations répondraient en quelque sorte au fameux adage : « Qui aime bien châtie bien ».

Cette manière de faire, lui vaut d'exercer depuis quelques décennies une extraordinaire emprise sur l'opinion publique, et de recueillir un assentiment tacite tel qu'on peut dire qu'il est devenu l'âme du consensus caractérisant désormais le monde occidental. Au point qu'il n'en fait plus figure d'initiateur mais qu'il n'en représente qu'une simple modalité d'expression. En d'autres termes, il est bien souvent dépassé par le mouvement d'idées auquel il a contribué à donner naissance, et il ne lui reste plus d'autre alternative que de s'y associer de manière (trop) prévisible.

Ces derniers jours, alors qu'il se trouvait en France, il s'est lancé dans une nouvelle dénonciation de l'attitude d'Israël dans le conflit qui l'oppose depuis tant d'années aux Palestiniens et plus généralement au monde arabe, qualifiant le récent arraisonnement sanglant de « la flottille de la liberté », « d'acte de piraterie », digne d'un « État criminel ».

Il ne démontrait en la circonstance, guère d'originalité, puisqu'il ne faisait que s'inscrire dans la quasi unanimité des réactions qui suivirent dès les premières heures ce tragique événement. Mais ce faisant, il incarnait plus que jamais l'esprit partisan et les analyses à l'emporte-pièce du conformisme qui règne dans la plupart des médias.

En premier lieu, un jugement aussi expéditif, totalement à charge pour Israël, avant même que soit connu précisément l'enchainement des faits, peut difficilement être considéré comme véritablement objectif.
Alors qu'on ne disposait d'aucune preuve tangible, il fut par exemple immédiatement et « consensuellement » évident que les soldats israéliens étaient les agresseurs.
De l'autre côté, il ne faisait aucun doute dans les propos de la plupart des commentateurs, que les victimes (dont le nombre fut évalué à plus du double du chiffre réel) faisaient partie d'une expédition purement « humanitaire » (ce qui n'empêcha curieusement pas d'évoquer « les militants pro-palestiniens » qui étaient à bord des navires).
A aucun moment on ne trouva étrange que ce convoi censé acheminer des biens de première nécessité ait pris de tels risques, alors que les autorités juives ne s'étaient pas opposées aux ravitaillements humanitaires, à condition de pouvoir les contrôler. On ne trouva d'ailleurs pas étonnant que les dirigeants israéliens aient mis autant d'acharnement à paraître sous un jour aussi odieux, à seule fin de détourner des bateaux si bien intentionnés...
On assista au surplus à un beau déferlement de mauvaise foi, plus ou moins délibérément affirmée ou simplement suggérée par certaines omissions : On fit mine de considérer comme particulièrement grave le fait que l'arraisonnement se soit déroulé dans les eaux internationales, ce qui ne changeait en réalité rien au problème. On fit comme si le blocus imposé à Gaza avait été mis en place sans aucune raison.
Enfin on n'entendit guère d'indignation à l'égard des autorités turques, qui laissèrent partir vers Gaza, voire en l'encourageant, cette flottille pilotée par des ONG connues pour flirter avec les réseaux terroristes islamiques...

Au final, dans ce concert de récriminations on finit par trouver indulgents ceux qui se bornèrent à déclarer que les dirigeants israéliens avaient fait une erreur stratégique, ou bien étaient tombés dans un piège dont ils allaient payer le prix fort au plan médiatique, et qui allait de toute manière renforcer le Hamas.
Une des rares voix contradictoires fut celle du professeur Encel, révélant qu'en fait de piège, Israël n'avait guère le choix : soit il laissait passer les bateaux et c'en était fini du blocus, ce qui revenait à ouvrir grand Gaza aux très peu pacifiques livraisons iraniennes, soit il s'y opposait et prenait le risque de passer pour un ogre...

Dans cette affaire comme dans beaucoup d'autres, les défenseurs de la liberté et de la justice semblent affectés d'une curieuse myopie. Ils dénigrent sans ménagement et sans nuance une partie, qui en dépit de ses imperfections et de ses erreurs, agit selon des règles démocratiques, et soutiennent au moins implicitement l'autre en paraissant ignorer ses stratagèmes assez grossiers et pire encore, ses manières fascistes, et ses objectifs intolérants pourtant affirmés et réaffirmés sans vergogne.

En définitive, Noam Chomsky qui incarne ce mode de pensée se trouve dans la position tragi-comique de l'arroseur arrosé :
Pour contrer la soi-disant propagande des démocraties, il véhicule complaisamment celle de régimes totalitaires, oubliant apparemment les enseignements du passé vis à vis de telles faiblesses.
Quant à la fameuse « fabrication du consentement » qu'il reproche aux médias, il s'en fait plus ou moins l'artisan zélé. A force de discréditer abusivement et de manière répétée Israël, il contribue à alimenter la haine à l'encontre de ce pays, et tout se passe in fine comme s'il cherchait à amener peu à peu les mentalités à s'habituer à sa disparition pure et simple. De la même manière que certains disaient autrefois, qu'il valait mieux « être rouges que morts », on entend un nombre croissant de gens sous-entendre que le seul moyen d'en finir avec cet interminable conflit serait de revenir à la situation d'avant la création de l'Etat d'Israël....

03 juin 2010

L'Europe au bord du trou noir

Comme suite à mon précédent billet, je ne peux trouver meilleur prolongement que l'intervention récente de l'amiral Edouard Guillaud , chef d'Etat-Major des Armées,  lors d'un colloque organisé à l'instigation du Conseil Economique de Défense, à Brest.
Évoquant les nouveaux défis stratégiques mondiaux, il a fait le constat du décrochage militaire entre l'Amérique et l'Europe. Un chiffre résume la situation : depuis la fin de la guerre froide, 80% des troupes américaines qui y étaient stationnées en permanence, ont quitté le théâtre européen. Un chose apparaît désormais clairement : l'Europe n'est plus pour les USA un « continent prioritaire ». Quant à l'OTAN qui devrait plus que jamais être la charnière permettant l'articulation des politiques de défense des deux continents, elle peine à conserver sa légitimité et se voit contestée régulièrement par nombre d'Européens (au premier rang desquels... figurent les Français !)

L'amiral Guillaud n'a pas caché les doutes et la déception qui étreignent désormais les Etats-Unis au sujet de l'Europe : «27 pays de l'Union européenne peuvent-ils être considérés par les États-Unis comme des partenaires fiables quand ils refusent de partager le fardeau afghan ?». On pourrait ajouter, bien qu'il commence à dater, le manque de cohérence lamentable manifesté à l'occasion de l'intervention irakienne (avec ses deux sièges au conseil de sécurité de l'ONU, l'Europe n'a pas réussi à adopter une position commune, et la France, minoritaire, n'a pas hésité à maintenir une position très hostile à celle adoptée par les Américains).
Face à cette faille qui ne cesse de s'agrandir, la défense européenne, même si elle a tendance à s'organiser un peu mieux depuis quelques années, reste très en retrait de la puissance américaine, massée derrière un seul chef et dotée de plus du double de moyens financiers. La crise actuelle risque d'aggraver encore cet état de fait, ce qui à terme peut constituer un vrai risque pour la sécurité du vieux continent, que sa situation géographique amène à côtoyer des zones de tensions grandissantes.
Pire, pour le chef des Armées Françaises, si l'absence actuelle de volontarisme se pérennise, on risque à moyen terme, rien moins qu'une «démission de l'Europe», qui deviendrait spectatrice au lieu d'être actrice.

L'amiral Guillaud a rappelé que ce n'est pas ce que veulent les États-Unis, qui préfèrent « une Europe puissante à une Europe vassale ». Comble de l'ironie, plus l'Europe perd en puissance militaire et économique, plus elle manifeste sa volonté de se démarquer de la politique américaine... Y a-t-il encore un espoir que les pouvoirs politiques et l'opinion publique prennent conscience du danger représenté par ce trou noir, nourri d'orgueil, de vanité et d'inconscience, qui commence à grignoter par tous les bouts l'aspiration européenne et la menace du déclin ?
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