23 juillet 2010

L'ivresse aseptisée

Le Figaro du jour évoque une problématique intéressante, à la une de son site web : "Bachelot réfléchit à des salles de shooting..."
Il s'agit de décider s'il faut ouvrir ou non, sur recommandation des "experts" de l'INSERM, et à l'instar d'autres pays européens (Allemagne, Pays Bas, Suisse, Espagne...), des "salles d'accueil et de consommation de drogues à moindres risques", permettant aux toxicomanes, à la condition expresse qu'ils soient "réguliers et dépendants", de se shooter en toute sécurité, sous surveillance médicale rapprochée.
Ce nouvel avatar de l'Etat Providence m'a tout de suite fait penser aux bonnes vieilles fumeries d'opium qui avaient pignon sur rue en Chine, jusqu'à l'orée du XXè siècle.
Sauf évidemment qu'elles n'avaient pas pour vocation principale de garantir, entre les quatre murs blancs et froids d'une infirmerie, de bonnes pratiques hygiéniques,  mais plutôt de mettre en scène de manière savante et sophistiquée, une sorte de rite consacré à la rêverie et à la détente...
Sauf qu'elles n'étaient pas placées sous tutelle gouvernementale et que leur financement ne dépendait pas des contribuables...
Sauf enfin, qu'elles fournissaient aux consommateurs les ineffables boules d'opium destinées à être fumées, contrairement aux nouvelles drogueries aseptisées qui demandent aux clients, avec un délicieux sens jésuite, de venir avec leur came, achetée clandestinement sur le trottoir d'en face, tout en promettant de ne pas les questionner pour savoir d'où elle vient ni où elle les mène...

Hélas, décidément ce monde est en train de perdre les pédales du bon sens, et tout ce qui donnait un peu de panache et de consistance à la tragique existence humaine.
Avec ces dispensaires d'un genre assez stupéfiant, on est évidemment bien loin des fumeries à l'ancienne. Je ne peux m'empêcher de ressentir une indicible nostalgie en pensant à ces paradis perdus, tant ils me suggèrent, à tort ou à raison, une certaine idée de la convivialité et de l'évasion intellectuelle. Pierre Loti, habitué de ses divins lieux de perdition, les avait magnifiquement évoqués dans son ouvrage sur Les Derniers Jours de Pékin : "Étendus très mollement sur des épaisseurs soyeuses, nous regardons fuir le plafond, l'enfilade des arceaux de bois précieux sculptés en dentelles, d'où retombent les lanternes ruisselantes de perles. Des chimères d'or brillent discrètement çà et là sur des soies jaunes et vertes aux replis lourds. Les hauts paravents, les hauts écrans de cloisonné, de laque ou d'ébène, qui sont le grand luxe de la Chine, font partout des recoins, des cachettes de luxe et de mystère, peuplés de potiches, de bronzes, de monstres aux yeux de jade qui observent en louchant…"

3 commentaires:

Anonyme a dit…

mais dans un temps fortlointain d'une indochine française l'opium était sous une régie nationale

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Merci de cette précision. Décidément,l'Etat est partout... Débordant de bonnes intentions,mais hypocrite et vénal.

Caro a dit…

oui je suis d'accord avec le fond de l'article , quelle hypocrisie d'un Etat qui essaie plutôt de se donner bonne conscience !