08 octobre 2010

Question d'identité

Très émoustillante réflexion que celle proposée par le blog ami de Michel Santo, au sujet de l'épineux problème de l'identité nationale. Le sujet a certes été rebattu ces derniers temps, et il a donné lieu à toutes sortes d'excès et de galvaudages. Pourtant lorsqu'il est sous tendu par un texte d'Alain Finkielkraut, il ne laisse pas d'interpeller.

Pour faire simple, l'idée est que le sentiment national reposerait principalement sur les caractéristiques historiques du pays et plus particulièrement sur sa littérature : "Être français, c’est d’abord consentir à un héritage, être le légataire d’une histoire. "
A dire vrai, au terme d'une introspection, et malgré tout l'amour que je porte à l'Histoire et aux beaux textes, je suis conduit à émettre quelques réserves quant à cette vision qui me paraît un peu restrictive voire un brin passéiste.
Même si la langue est un élément fédérateur indiscutable, je ne saurais personnellement faire de la littérature, ni même de l'histoire, le fondement exclusif de l'identité nationale.
Sinon, pourquoi donc devrait-on voir survenir une telle crise identitaire en France, qui possède une histoire si riche et une littérature si puissante ? Certes la société moderne et ses illusoires et vaines sollicitations a tendance à nous détourner de nos racines culturelles, mais est-ce une explication suffisante ?

Je prends à l'inverse, l'exemple du peuple américain qui vibre si fort du sentiment national, et cela bien avant d'avoir une histoire, et a fortiori une littérature. Qu'est-ce donc qui le soude de manière si solide en dépit de la mosaïque incroyable de populations et de cultures qui le compose ?
Sans doute avant toute chose, une aspiration, un grand dessein commun, la fierté de représenter quelque chose d'unique, le sentiment de constituer en définitive une grande communauté, dotée d'une vraie personnalité. E pluribus unum...

De ce point de vue, si je me sens personnellement français de culture et de fibres, je ne ressens pas du tout cette aspiration, cette communauté spirituelle, qui me donnerait envie d'être fier de mon pays.
Est-ce parce que la France a subi trop de déchirements et qu'elle semble se plaire à en rouvrir sans cesse les plaies avec une délectation morbide ? Est-ce parce qu'elle n'a pas ou plus de vraie ambition, pas de grand dessein, autre qu'un égocentrisme trop souvent méprisant ?

S'agissant de sa littérature, elle ne constitue pas davantage un ancrage culturel exclusif ou radical.
De ce point de vue j'ai du mal à comprendre Alain Finkielkraut lorsqu'il s'avoue déprimé en évoquant l'aveu d'une personne d'origine polonaise, qui se sent française bien qu'elle ne connaisse ni Proust, ni madame de La Fayette... Qu'y a-t-il de si choquant ?
J'aime pour ma part la littérature de mon pays, mais hormis la langue qui me permet de l'apprécier immédiatement, je ne la distingue pas vraiment de celle des autres nations, au moins de celles qui ont des racines culturelles proches. J'adore Chénier, Musset ou Verlaine mais j'ai la même fascination pour Keats, Shelley, Dante ou Novalis. Je voue un culte à Montaigne, à Montesquieu ou à Voltaire mais j'éprouve la même chose pour Kant, pour Hume ou pour Locke. J'admire Hugo et Molière mais ils font partie de la même famille que Shakespeare, Goethe ou Cervantès. Il en est de même pour d'autres formes d'expression artistique, la Peinture ou la Musique...

En définitive, le poids de l'histoire, ou la force de la littérature contribuent sans doute assez peu au sentiment d'être français. C'est ce qui fait la civilisation bien davantage que la nation. D'ailleurs réduite à celle d'un seul pays, la culture expose au chauvinisme.
Le coq gaulois est une forme d'expression peu ragoûtante de cette arrogance étriquée, assez éloignée à mon sens de l'idée de culture et d'intelligence.
En France je veux être Français, mais en Amérique j'aimerais être Américain, en Allemagne Allemand, en Espagne Espagnol...

A la fin de son propos Finkielkraut ne peut s'empêcher de revenir à sa douce attirance pour le passé. Il assure que "la culture a la vertu de nous vieillir", mais est-il vraiment opportun de pouvoir "s'émanciper du présent" comme il le recommande, ou "de pouvoir habiter d'autres siècles" comme il en rêve ?
Ce n'est pas nécessairement en étant obsédé par le passé qu'on peut imaginer l'avenir. Encore une fois l'Histoire américaine est édifiante. Sans renier  leurs racines, mais en regardant droit devant eux, les Emigrants du Nouveau Monde ont relevé un formidable défi.
Les Européens de leur côté, ont manifesté beaucoup de mépris pour cette expérience et pour cette nouvelle nation "sans culture ni histoire". Ils auraient pu à l'inverse, en tirer des leçons pour transcender les leurs et régénérer leur vieux continent.
Car à l'évidence, c'est ce qui s'impose aux nations qui constituent ce conglomérat fatigué, si elles veulent survivre et renaitre des cendres dans lesquelles l'auteur de la Défaite de la Pensée les voit avec raison se consumer. Mais pour cela, il faudrait ressentir ce qui fait en somme l'identité européenne, et au delà, être fier de ce qui fait l'essence de la civilisation occidentale...

4 commentaires:

Santo michel a dit…

P-H Thoreux! Comme toujours, votre réflexion sur ce texte d'A.F est des plus pertinente. Et je suis pas sur que nous soyons très éloigné l'un de l'autre. Aussi, vais je m'efforcer de préciser ma pensée dans un prochain texte. Peut-être ce W.E... A bientôt pour poursuivre cette discussion... Bien amicalement

Santo a dit…

(http://www.contre-regards-leblogdemichelsanto-narbonne.com/article-question-d-identite-suite-59111549.html) La suite de notre discussion... Amicalement

Santo Michel a dit…

En ce moment, je lis et relis, de manière un peu vagabonde,Paul Valéry. Notamment son " Regards sur le monde actuel et autres essais " Gallimard 1945 (!!!) Des textes dont on se demande s'ils n'ont pas été écrits hier... Connaissez vous celui ci " L'Amérique, projection de l'esprit européen " écrit en 1938 (!!!). Que je ne résiste pas à l'envie de vous livrer cet extrait, dans la suite de notre discussion sur " L'identité française? ". Voici: à partir de la page 92...

" J’en viens donc à l’Amérique. Toutes les fois que ma pensée se fait trop noire, et que je désespère de l’Europe, je ne retrouve quelque es-poir qu’en pensant au Nouveau Continent. L’Europe a envoyé dans les deux Amériques ses messages, les créations communicables de son esprit, ce qu’elle a découvert de plus positif, et, en somme, ce qui était le moins altérable par le transport et par l’éloignement des conditions générales. C’est une véritable « sélection naturelle » qui s’est opérée et qui a extrait de l’esprit européen ses produits de valeur universelle, tandis que ce qu’il contient de trop conventionnel ou de trop histori-que demeurait dans le Vieux Monde.
Je ne dis pas que tout le meilleur ait passé l’Océan, ni que tout le moins bon ne l’ait pas franchi. Ce ne serait plus une sélection naturel-le. Je dis que ce sont les choses les plus capables de vivre sous des cieux très éloignés de leurs cieux d’origine qui ont passé l’Océan, et qui ont pris racine dans une terre qui était en grande partie vierge...
... Si l’Europe doit voir périr ou dépérir sa culture ; si nos villes, nos musées, nos monuments, nos universités doivent être détruits dans la fureur de la guerre scientifi-quement conduite ; si l’existence des hommes de pensée et des créa-teurs est rendue impossible ou atroce par des circonstances brutales, politiques ou économiques, une certaine consolation, un certain espoir sont contenus dans l’idée que nos oeuvres, le souvenir de nos travaux, les noms de nos plus grands hommes ne seront pas comme s’ils n’avaient jamais été, et qu’il y aura, çà et là, dans le Nouveau Monde, des esprits dans lesquels vivront d’une seconde vie quelques-unes des créatures merveilleuses des malheureux Européens."

Bien à vous

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Merci de me faire connaître cette réflexion qui me comble d'aise. En tout cas ça tombe effectivement à pic sur le sujet, et ça permet de redonner de la valeur aux écrits assez discrets mais plein de bon sens de Paul Valéry.