06 octobre 2011

Perspectives Démocratiques


La vision que donne Walt Whitman (1819-1892) de la démocratie est échevelée, c'est le moins que l'on puisse dire. Dans ce texte peu connu *, traduit pour la première fois en français si je ne m'abuse, on retrouve à maints endroits le lyrisme sauvage et flamboyant de son fameux poème "Leaves Of Grass".
Il faut préciser d'emblée, que ce vibrant plaidoyer pour la Liberté et l'individualisme peut faire frémir à notre époque, où tout ce qui touche au libéralisme est systématiquement sali, dégradé, honni par les adorateurs du veau d'or social et du Big Government, qui préfèrent les dogmes à l'argumentation.

Qu'on se le dise, Walt Whitman est plus qu'ultra-libéral : il a la fibre libertaire !
Rien à voir avec l'anarchisme, mais plutôt avec une vision romantique de la démocratie, où l'individu est au centre de tout, incarnant à lui seul le paradigme du self-government : "L'homme, proprement formé dans la plus saine, la plus haute liberté, peut et doit devenir une loi, et une série de lois, pour lui-même, qui encadrent prévoient non seulement sa maîtrise de soi personnelle, mais toutes ses relations avec les autres individus et avec l'Etat."
Cette conception n'est pas si éloignée de celle de Kant, telle qu'elle apparaît dans son ouvrage "Qu'est-ce que les lumières". Alors que le philosophe allemand appelait ses contemporains à sortir de la "minorité" pour enfin devenir majeurs, en osant connaître et penser par eux-mêmes (Sapere Aude), le poète du Nouveau Monde exhorte à "entreprendre la grande affaire de son propre épanouissement, dont la fin (qui demandera peut-être plusieurs générations) sera, s'il se peut , la formation d'un homme ou d'une femme pleinement adulte".

Pour Whitman le poète, la démocratie n'est toutefois pas une invitation à n'importe quelle liberté. Elle est loi, et "loi des plus strictes, des plus largement contraignantes". Si elle fait appel au sens des responsabilités de l'individu, elle ne doit pas pour autant se cantonner à une approche terre à terre, trop bassement vulgaire de la société. Elle porte une espérance qui s'exprime par la spiritualité : "au cœur de la démocratie, en fin de compte, se trouve l'élément religieux". Et dans ce sentiment, c'est à une aspiration panthéiste qu'il invite le lecteur. Dans l'idée de Dieu, réside nécessairement la Nature, dont l'histoire, comme celle de la Démocratie, "attend d'être écrite..."
A l'instar de la conception transcendantaliste (Emerson, Thoreau...), la religion n'est pas ici celle des églises, des chapelles, des sectes, mais celle que chacun porte en lui. Car "les bibles peuvent transmettre, et les prêtres disserter, mais c'est exclusivement dans l'opération sans bruit, du propre de Soi, isolé, qu'on pénètre le pur éther de la vénération, atteint les divins leviers, et communie avec l'inexprimable."

Dotée de ces vertus, la jeune démocratie américaine semblait à la fin du XIXè siècle, bien armée pour affronter l'avenir et débordait de promesses, en dépit de quelques insuffisances de jeunesse.
La pire évidemment fut représentée par l'effroyable séisme de la guerre civile dont l'insoutenable déchaînement de violence avilit, tout en la régénérant, et en la fortifiant de manière nietzschéenne la jeune république : "La race la plus paisible et du meilleur naturel du monde, et la plus indépendante en ses personnes et la plus intelligente, et la moins faite pour se soumettre à l'agacement et à l'exaspération d'un régime de discipline, s'est précipitée au premier battement du tambour , pour prendre les armes – non pour le gain, pas même pour la gloire, ni pour repousser une invasion – mais pour un emblème, une totale abstraction – pour la vie, la sauvegarde du drapeau..."

Parmi les reproches que faisait Whitman à "son" Amérique, il y avait aussi le fait par exemple, qu'à la fin du XIXè siècle, elle n'avait "moralement et artistiquement rien fait d'original". Pas rédhibitoire, mais fâcheux si l'on convient qu'elle réclamait "une poésie qui soit audacieuse, moderne, et embrassant tout et kosmique (sic), comme elle l'est elle-même." Ou bien si l'on admet avec lui que la littérature est l'âme d'une nation.
Force est de constater que ces craintes furent dissipées. Lui-même acquérant le statut de chantre de ce nouvel âge et le jaillissement de la culture américaine se révélant si torrentiel et rayonnant qu'on a pu comparer New York à une Nouvelle Athènes.

On ne saurait terminer cette plongée dans la pensée whitmanienne sans préciser que si l'irrésistible montée de l'idée démocratique associe individualisme, religiosité, et culture artistique, elle ne s'appuie pas moins également sur des valeurs plus triviales, qui n'ont rien de honteux. Qu'on en juge par cette joyeuse et iconoclaste exaltation : "Je salue avec joie l'énergie océanique, bigarrée, intensément pratique, l'exigence de faits, et même le matérialisme des affaires dans l'époque en cours, en nos états."
En réalité, "comme le combustible pour la flamme, et la flamme pour les cieux, ainsi richesses, science, matérialisme – et même cette démocratie dont nous faisons tant de cas – doivent-ils infailliblement nourrir l'esprit élevé, l'âme."

Au total ces perspectives démocratiques forment une sorte de fleuve épique, charriant impétueusement les grandes idées, mais aussi parfois les contradictions, et les utopies.
Joint à l'incandescence du style, à la longueur des digressions, cet étonnant mélange des genres rend parfois le discours difficile à suivre (certaines phrases dépassent le cadre d'une page).
Elles ont toutefois le mérite de proposer une vision à la fois lyrique et réaliste, fondamentalement pacifique, de la révolution démocratique, aux antipodes des tempêtes dévastatrices menant aux bains de sang européens. C'est une re-fondation du Monde qui doit "promouvoir ses propres normes neuves, mais encore suffisamment anciennes, en admettant les anciens éléments pérennes, et en les combinant en groupes, en unités, appropriés au moderne, au démocratique..."
Pour aboutir à une société éclairée mais pragmatique, de laquelle doivent être exclues la grandiloquence et la médiocrité, "le principal étant la moyenne, l'organique, le concret, le démocratique, le populaire, sur lesquels toutes les superstructures du futur doivent reposer pour durer...".

Epilogue
J'entendais récemment lors d'un débat télévisé**, le metteur en scène de théâtre Jean-Michel Ribes, déclarer qu'en matière politique il y avait deux voies : celle "de droite" selon laquelle, "quand l'individu va bien, la société va bien" et celle "de gauche" qui considère au contraire que "c'est quand la société va bien, que l'individu va bien".
A la lumière des propos de Whitman, rien ne renforce mieux l'idée que la voie "de droite" est décidément la meilleure, la plus rectiligne et la plus saine. Car elle part humblement de l'élément fondateur de la société, à savoir l'individu, avec ses imperfections mais aussi ses potentialités, et fait le pari qu'en lui conférant la liberté, il sera capable de s'élever. Tout le contraire en définitive, de la voie "de gauche" qui impose par la force et la contrainte, et par en haut, un système jugé bon a priori, dans lequel l'individu est prié de se conformer à un bonheur imposé...

* Perspectives démocratiques. Walt Whitman, traduction Auxeméry. Belin 2011.
** Ce soir ou jamais (27/09/11)

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Nous sommes esclaves des lois pour pouvoir être libres
ciceron

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Absolument. Même s'il est plus que jamais essentiel de garder à l'esprit que "Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires" (Montesquieu).

Anonyme a dit…

Moi je veux un papier sur les primaire américaines des héritiers du communisme !!! S'il te plait Pierre écris moi là dessus, que je puisse parler dans les oirées dans lesquelles je ne mets jamais les pieds. RAMONE

Anonyme a dit…

Quelque peu réducteur et simpliste, comme conclusion. Et sans grand rapport avec ce qui fait l'intérêt des écrits de Whitman, que vous dévoyez.

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Je vous renvoie le compliment car votre propos est des plus nébuleux. Développez un peu si vous voulez lui donner quelque consistance.