08 septembre 2013

Atlas Shrugged 2

Les esprits grincheux auront beau jeu de relever les longueurs qui plombent quelque peu ce colossal Atlas Shrugged. On peut même être rebuté par sa touffeur luxuriante.
Il y a des naïvetés également dans la narration des aventures picaresques de ces héros audacieux, qui tentent de s'opposer avec vaillance à l'emprise grandissante d’une froide et prétentieuse bureaucratie dirigiste. La foi inébranlable dans l'individualisme qui les anime envers et contre tout peut sembler caricaturale a bien des égards, le peu d'élévation spirituelle caractérisant leur morale également.

Pourtant, dans cette fabuleuse odyssée, dans les personnages hors normes qui la peuplent et qui véhiculent cette philosophie, que d'aucuns trouveront simpliste, il y a quelque chose de troublant, de vrai, d'attachant, et en fin de compte d’assez bouleversant. Ils sont malgré tout, très humains dans leurs passions, leur pragmatisme, leur manière de raisonner.
Dagny Taggart est le personnage le plus impressionnant de ce récit. Cette jeune femme d'allure fragile et élégante est un roc. Sur ses épaules repose l'empire légué par son aïeul, Nathaniel « Nat » Taggart, magnat des chemins de fer de la grande époque. Elle se révèle indomptable dans l'exercice qui consiste à pérenniser l'entreprise, et même lorsque tout s'écroule autour d'elle, à continuer de se battre avec un courage inflexible pour la faire fonctionner envers et contre tous les obstacles. En premier lieu contre son frère James, nabab asthénique, sans énergie ni conviction, incapable de prendre une vraie décision, mais prêt à toutes les compromissions, du moment que son intérêt personnel semble préservé.

Mais également, face à une kyrielle de hiérarques huileux et d'experts pontifiants, qui incarnent un Service Public baignant dans le jus des bonnes intentions, qui se gargarisent de vœux pieux, de paroles emphatiques mais creuses. Du Président de la République Thomson, gentil mais falot, jusqu’à l’aréopage sentencieux de donneurs de leçons et de redresseurs de torts qui gravitent à tous les étages du Pouvoir et s'en partagent sans vergogne les prébendes. Plus il paraît évident que leur politique conduit au désastre, plus ils jugent bon d’en renforcer la ligne directrice, et plus ils multiplient les mesures néfastes, imposant à tous des contraintes ubuesques, au nom de principes captieux qu'ils érigent en lois !
Le parallèle avec notre époque saute aux yeux. Mêmes causes, même effets. On est stupéfait de la prescience de l’auteur qui décrit avec précision l’engrenage infernal dans lequel le monde contemporain, notamment la France, semble emporté. En l'occurrence, les ressemblances, quoique fortuites, avec certaines personnes actuelles sont hallucinantes...



On retient également parmi les héros de cette puissante contribution à la mythologie du Nouveau Monde, Henry Rearden entrepreneur intrépide et inventif, modèle s'il en fut du self made man, qui parti de rien, se hisse à la force des poignets à la position de leader de l’industrie sidérurgique. Francisco D’Anconia héritier fantasque d’une fortune familiale gigantesque, acquise dans l’extraction du minerai de cuivre, aussi brillant et séduisant que désabusé vis à vis de ses contemporains. Chevalier des temps modernes, c'est l’énergie du désespoir et l'attachement passionné à la liberté, qu'il oppose aux lubies collectivistes, affichant une morale paradoxale, oscillant entre cynisme et puritanisme. Enfin, last but not least, le fameux John Galt, figure de commandeur, ténébreuse, mystérieuse, à la fois prophète, révolutionnaire, justicier, véritable Zorro de la civilisation industrielle, jamais où on l’attend, mais toujours présent dans l’ombre, prêt à l’action.
Qui est John Galt ? Telle est la question obsédante qui revient sans cesse, qui sert de fil conducteur tout au long de cette descente aux enfers, jusqu’au paroxysme final, en forme d’apocalypse. John Galt visionnaire impose alors l'évidence fracassante au peuple qu’il sort enfin de sa léthargie. Une roborative tirade qui s'étend sur plus de 60 pages et qui par sa portée messianique, réduit à d'insignifiants vagissements les vitupérations des soi-disant "Indignés", "Altermondialistes" et autres "Occupy".
Mais pour avoir dit la vérité, John Galt est supplicié par la clique dont il est parvenu à amorcer la déroute. Son calvaire christique s'achève toutefois par une libération triomphale. John Galt, tel un nouveau Prométhée, est en mesure, avec ceux qui ont eu la force de traverser ce moyen-âge des temps modernes, de propager ce message si simple, si limpide, si naturel, appelant à faire en sorte que s’exprime en toute liberté, en toute responsabilité, « ce qu’il y a de meilleur en nous. »

Aucun commentaire: