30 novembre 2013

Un Nabi flambant neuf

Une rétrospective en cours, au Grand Palais (2/10/13 au 20/01/14), à Paris, permet de (re)découvrir Félix Vallotton (1865-1925), un artiste sans doute un peu trop méconnu.
Audacieux dans ses cadrages et l’éclat tranchant des couleurs, son art peut apparaître comme sobrement classique par les thèmes abordés, la manière peaufinée de les traiter et la grâce des courbes qui les arrondissent. Etrange, non ?

Vallotton fut un membre discret de l’exotique tribu Nabi, dont on connaît surtout Sérusier, Bonnard ou Vuillard. On trouve chez eux un peu de l’exubérance colorée de Gauguin, qui s’exprime par grands aplats contrastés. Un brin de sophistication et de mystère également, qui semble s’inscrire pour Vallotton dans une ambiance très “art nouveau”.

Les formes, notamment féminines ont des ondulations câlines à se pâmer, mais aussi quelques reflets d’un gris métallique qui sont ancrés dans une froide et technique modernité. Peut-être que l’époque, charnière entre deux mondes y est pour quelque chose...

Vallotton, c’est l’anti-impressionnisme en quelque sorte. Quasi contemporain de Claude Monet (1840-1926) et de Renoir (1841-1919), il est à mille lieues des nébulosités transcendantes de ces derniers. Fini le flou, adieu l’impression, les traits sont nets, les formes simples, le propos sans détour.
Celà n’exclut en aucune manière l’élégance et la légèreté comme en témoigne ce magnifique et virevoltant instantané de la jeune fille au ballon rouge. On dirait un papillon, ivre de liberté… Ou cette scène au symbolisme troublant, montrant, ou plutôt suggérant, un couple émergeant de l’obscurité d’une loge de théâtre, qui sert d’affiche à l’exposition.
Parfois, il y a de la chaleur dans cet univers. Une touffeur oppressante même, comme dans cette chambre rouge, dont le point de vue semble resserré sur un douloureux mystère, ou une sourde colère, qui sait ?

Au delà de la maîtrise des pigments, Vallotton démontre un sens acéré du dessin. Quelques traits, quelques flaques d’encre lui suffisent à tracer avec une force magistrale un portrait ou bien une scène complexe, de foule par exemple. Il a l’art de simplifier les choses pour exprimer l’essentiel, de manière très pénétrante. En plus de sa carrière de peintre, il fut un illustrateur très percutant, faisant le bonheur des lecteurs de La Revue Blanche.
Un grand artiste assurément dans cette période si riche en talents, où ce que l’on nommait “art” était encore de l’art...

23 novembre 2013

L'inaugurateur de chrysanthèmes

Qu’il est touchant Arnaud Montebourg, le chevalier à la rose, auto-proclamé ministre du Redressement Productif, lorsqu’il évoque sa mission désespérée de sauvetage des entreprises, et qu'il parade sous les caméras, avec ses gants blancs, ses flamboyants  oriflammes et ses voeux pieux.
Evidemment avec le temps, qui passe - très vite depuis l’élection de François Hollande - il a quelque peu rabattu de ses ambitions originelles. On est désormais bien loin des propos conquérants de 2012, lorsque The Big Chief nous promettait le changement pour “maintenant”.
On allait voir ce qu’on allait voir, qu’y disaient, les gars !

Et bien on a vu, et on voit de mieux en mieux, malheureusement tous les jours. Depuis qu’il a enfourché son destrier, ce Don Quichotte du socialisme triomphant encaisse avec un confondant optimisme les échecs, les défaites, et les infortunes. Rien qu’en 2013 la France a enregistré 730 plans sociaux, dont le dernier touchant l’entreprise MORY DUCROS (fruit de l’union récente en 2012 des groupes Mory et Ducros), fait froid dans le dos (5000 emplois menacés). Air France, entreprise emblématique, dont l’Etat détient 16% des actions, envisage pour sa part de supprimer 2800 postes. La litanie pourrait être longue des faillites, et défaillances…

Parallèle troublante, celle des taxes qui fleurissent jour après jour sur le fumier fertile de notre bureaucratie pléthorique. D’autant plus édifiante qu’elle semble décalquer en creux l’épidémie de dépôts de bilans...
Rappelons à titre d’exemple, la taxe sur les billets d’avions, supposée contribuer à l’aide aux pays en voie de développement, instituée par Jacques Chirac, et qui vient d’être augmentée par l’Assemblée Nationale de 12,7% (203 millions d’euros de recettes prévues). Stupidité sans nom, quand on sait que seule la France applique ce prélèvement en Europe, plombant ainsi de manière suicidaire ses propres compagnies, vis à vis de la concurrence ! Comment pourraient-elles éviter de réduire les effectifs si elles veulent rester sur le marché ?
On pourrait naturellement évoquer également la désormais fameuse "écotaxe" qui, si elle est appliquée, pénalisera en premier lieu les transporteurs routiers français (et qui, si elle ne l’est pas, pénalisera de toute manière tous les contribuables…)
Parlons de la calamiteuse Taxe sur les transactions financières (inspirée du non moins calamiteux monsieur Tobin) entrée en application de manière unilatérale au mois d’août 2012, et qui touche exclusivement les entreprises situées en France ! Récemment encore le gouverneur de la Banque de France alertait sur le risque qu’elle faisait courir de “détruire des pans entiers de l’industrie financière française…”
Passons rapidement enfin sur l'ubuesque Taxe à 75% dont le gouvernement ne parvient à accoucher, mais qui dans sa dernière mouture pourrait frrapper nombre de PME (tout en épargnant par un montage artificieux, les clubs de football...)

Au total : pendant que M. Montebourg s’échine à secourir par un preux soutien moral les entreprises, ses amis creusent les trous dans lesquels elles s’embourbent inéluctablement ! Fort heureusement le ridicule ne tue plus. Il peut donc, tant que le pays n’est pas complètement abîmé, continuer de "tout tenter" pour entretenir l'illusion. Mais, même empanaché, il n'est rien d'autre qu'un inaugurateur de chrysanthèmes...

20 novembre 2013

L'Europe en berne

En écoutant Michel Barnier interrogé le 19/11/2013 sur France Culture, pour peu qu’on ait encore quelques illusions, on ne pouvait qu’être  une fois de plus navré de constater la pusillanimité, la versatilité et pour tout dire, l’absence de réelle conviction de la plupart des politiciens ambitionnant de gouverner le peuple.

M. Barnier dont le port altier, l’élégance et le sang froid évoquent le gestionnaire avisé, a dans l’opinion publique l’image d’une personnalité plutôt libérale et européiste. il a fait toute sa carrière dans la droite néo-libérale française, et on connaît ses nombreuses responsabilités depuis des lustres, au sein du gouvernement français et de la Commission Européenne, dont il est à ce jour Commissaire aux marché intérieur et aux services. On apprend d’ailleurs qu’il brigue rien moins que la fonction de Président de ladite commission, au printemps 2014…

Pourtant, son discours, ciblé sur la politique européenne avait vraiment de quoi faire frémir.
Premier sujet d’étonnement, jamais cet homme qui fut au cours de sa longue carrière, tour à tour député, commissaire, et même ministre des affaires européennes, n’évoqua une quelconque responsabilité dans l’excès de bureaucratie, qu’il déplore comme tant de gens. Au contraire, il plaida pour régulation renforcée, en prenant l’exemple du secteur des banques.
A ce sujet, il en profita pour propager l’erreur si communément admise par les politiciens, consistant à mettre sur le dos de ces dernières, tout le poids de la crise actuelle. C’est évidemment commode pour s’exonérer de ses propres responsabilités.

M. Barnier reprit donc l’antienne éculée qui fait de la crise des subprime la cause de la panade européenne, et qui raconte “qu’à force de mal se comporter, à force de bonus insensés et de mauvaise gestion”, les banques se sont retrouvées en situation de quasi faillite, contraignant les contribuables à les renflouer.
Si seulement c’était vrai, on serait heureux en la circonstance d’être contribuable, puisque comme chacun sait, les banques ont remboursé leurs dettes, intérêts compris, en à peine plus d’une année ! Si seulement c’était vrai, car on se demande bien comment l’Etat, lui-même endetté jusqu’au cou aurait pu leur prêter l’argent qu’il n’avait pas… Ce qui est certain c’est que malgré cette bonne opération, ce dernier se retrouve toujours plus endetté !

Et de cela M. Barnier ne parle guère…

Au passage, il oublie d’ailleurs que si certaines banques ont été mises en difficulté, c’est souvent par la faute de l’Etat qui les a encouragées à prêter tous azimuts, même dans des conditions très risquées (notamment lors de l’affaire des subprime aux Etats-Unis). Il oublie également que les plus grosses faillites furent encore celles des banques étatisées, comme l’ardoise laissée à la charge du contribuable par le Crédit Lyonnais en atteste, plus de 20 ans après (encore un petit effort de 4,5 milliards d’euros…)
Mais tout cela importe apparemment peu à M. Barnier dont le principal souci est de réguler davantage, non l’Etat, mais le secteur bancaire, de “remettre de l’ordre dans la Finance Mondiale”, et de “la remettre au service de l’économie réelle plutôt qu’à son propre service...”

Au chapitre suivant il critiqua sans vergogne le libre-échange en allant jusqu’à prétendre qu’on a, non pas ouvert, mais “offert” l’Europe à la sauvagerie mondialisée, réclamant par corollaire implicite, un peu de protectionnisme. Extraordinaire ! Il occulte ce faisant, et bien qu’il fut aussi ministre de l’agriculture et de la pêche, toutes les mesures prises par l’Europe, en matière agricole notamment. Il ignore aussi apparemment les nombreux effets pervers que cette politique ne manqua pas de provoquer...
 
Bref, tout cela est grave.
D’abord parce qu’il s’agit de contre-vérités flagrantes. Pire, parce qu’en contribuant à discréditer un système dont il se dit par ailleurs le promoteur, il brise les repères et il conduit à l’incompréhension et à l’exaspération grandissante de la population.
Marc Voinchet assez finement fit remarquer qu’il se murmurait dans les couloirs des instances européennes que M. Barnier, était “plus à gauche que beaucoup de socialistes.” Et que croyez-vous que le cher homme répondit ? Tout simplement que “beaucoup de socialistes sont plus libéraux que lui”. Terrible aveu qui sonne comme le glas de belles espérances, et d'une "certaine idée" de l'Europe...

17 novembre 2013

C'est si bon !

Tout à coup le souvenir évanoui d'une extase peuplée de frissons exquis a resurgi ! Miracle de la technique, la guitare de Jerry a la fraîcheur d'une « aurore aux doigts de rose », et les indicibles digressions musicales du Mort éternellement reconnaissant, répandent, comme aux beaux jours des nineties, la fragrance épicée des herbes folles croissant aux bords évanescents de chimériques eldorados...


Que dire de plus de cette magique resucée d'une musique décidément hors d'âge, qui comme le dit l'épigraphe, célèbre dans un style éclectique, à la fois le chaos et l'ordre, la beauté et l'horreur, la vie et la mort, here, there and everywhere, the greatest show on Earth, an American Institution !

Tel est The Grateful Dead dans toute sa splendeur passée, actuelle et future. Abandonnons nous donc sans remord ni appréhension à cette sublime léthargie. C'est si bon...

Grateful Dead. Spring 1990. So Glad You Made It. Rhino 2012.

Double CD live tournée Printemps 1990.

15 novembre 2013

Le cas Finkielkraut (2)

Il est donc légitime de donner raison à M. Finkielkraut sur bien des points de son diagnostic.
Il est normal également de s’indigner des insinuations auxquelles il doit faire face lorsqu’il ose émettre ces vérités, aussi dérangeantes soient-elles.
Et il est naturel d’être choqué par la manière outrecuidante dont certains clercs au zèle inquisiteur usent pour le soumettre à la question, et tenter de lui faire avouer une connivence avec l’extrême-droite.

Mais, s’il est possible d’approuver M. Finkielkraut, et de lui reconnaître le courage d’affronter les hordes vindicatives de fabricants d’idées reçues, on peut également s’interroger sur certains aspects de la conception du monde qu’il professe. Sur au moins trois sujets, sa position est sujette à discussion : la modernité, l'antinomie libéralisme-socialisme, le nationalisme.

M. Finkielkraut n’est pas un “moderne” c’est certain. Il exprime même souvent face au monde moderne ce que Jean-Michel Rey attribuait à Péguy, à savoir “une colère effrénée, colère torrentielle, colère répétitive, colère qui ne connaît jamais d’accalmie…” Entre autres exemples, comme il le révèle dans son journal “l’imparfait du présent*”, le philosophe hait les téléphones portables, et juge sévèrement l'internet dont il prétendait en 2010, au cours d’une interview donnée au magazine Marianne, “qu’il faut être complètement idiot pour penser que c’est un progrès.”

Il est difficile de le suivre sur cette voie, tant elle paraît absurde. Avec de tels principes, il eut été naturel en effet de condamner l’invention de l’imprimerie qui contribua à démocratiser l’écrit, mais qui permit la publication de tant de sottises et d’horreurs ! Comme le faisait remarquer Karl Popper à propos de la télévision, dans laquelle il voyait un danger pour les jeunes générations, ce n’est pas l’outil en soi qui est dangereux, c’est l’usage qu’on en fait. C’est donc la société et sans doute son modèle éducatif qu’on devrait mettre en accusation avant tout. Seule l’éducation permet d’influer sur les comportements, et sur ce point, il est évident qu’on peut rejoindre à nouveau Finkielkraut qui en dresse, comme chacun sait, un tableau accablant.
La modernité et les grandes facilités qui en découlent, font craindre à l’écrivain un nivellement par le bas, l’avènement d’une médiocratie en quelque sorte. Cette appréhension est bien légitime, car il s’agit d’un des grands défis posés à la démocratie, sur lequel Tocqueville, ce visionnaire, avait attiré en son temps l’attention. Il ne s’agit pas pour autant de tenter de faire barrage au progrès, ni aux libertés nouvelles données au peuple, mais de chercher à responsabiliser les comportements.

En se sens, le libéralisme bien pensé (c’est à dire tocquevillien) constitue encore le meilleur modèle pour accompagner l’émancipation des peuples. Et c’est là que se pose la seconde question concernant la philosophie de M. Finkielkraut.
Non seulement il n’apparaît pas comme un libéral convaincu, mais il s’en déclare souvent l’ennemi. Dans l’article sus-mentionné, il expliquait en 2010 de manière très classique la crise par l’échec du libéralisme et du laisser-faire, en invoquant même comme on l’entend si souvent, la responsabilité des Greenspan, Reagan et autre Thatcher... Il considérait dans le même temps que cet échec consacrait la victoire idéologique de la social-démocratie. Pour tout dire, il se réjouissait que les recettes de cette dernière aient permis “d’échapper au pire” et que “l’État reprenne la main, redevienne un acteur économique à part entière, [et que] la régulation s’impose, [que] la social-démocratie l’emporte sur tous les fronts !”
A cette occasion, il reprenait à son compte l’expression du philosophe polonais dissident Kolakowski, se qualifiant de “conservateur-libéral-socialiste”.
Curieux mélange. Est-ce donc l’eau tiède qu’il propose en guise de remède souverain au désastre chronique dans lequel nos sociétés s’engluent ? Etonnnante perspective en tout cas, et grossier contresens pour un libéral qui rapporte les maux actuels, non à un défaut de régulations ou de protection sociale, mais à l’inverse, aux excès de l’Etat-Providence, sur lesquels encore une fois Tocqueville avait mis en garde. Si le libéralisme n'est pas la solution, comment imaginer qu'en le diluant avec son contraires, il devienne efficient ? Et ses contraires sont-ils eux-mêmes plus souhaitables ?

En fin de compte, on savait Finkielkraut conservateur, on connaît son aversion pour le libéralisme. Quid du Socialisme ?
Aurait-il gardé de ses années de jeunesse un peu du calamiteux ferment néo-révolutionnaire poussant à vouloir faire le bonheur du peuple quitte à lui passer dessus ?
La question mérite d’être posée lorsqu’en ouvrant son ouvrage “l’identité malheureuse”, on lit qu’il fut maoïste jusqu’à un âge relativement avancé, et qu’il crut bon de voter Mitterrand en 1981, “avec enthousiasme”, alors qu’il avait plus de 30 ans !
Il est vraiment difficile de comprendre comment un esprit éclairé, aiguisé, cultivé, pouvait à l’époque ignorer ce que représentait le dirigeant socialiste, vieux roublard politicien, passé par tous les bords et prêt à toutes les compromissions, et notamment à faire alliance avec des communistes, pour se hisser au pouvoir.
Sans doute M. Finkielraut, grand admirateur de Péguy, conserve-t-il de son maître, une vision un peu idéaliste du socialisme en tant que système ayant pour but de “libérer l’humanité des servitudes économiques...”
On pourrait presque lui en faire crédit, mais ce qui était excusable du temps de Péguy ne l’est hélas plus guère à notre époque.

S’agissant enfin du nationalisme, l’attitude de M. Finkielkraut reste également un tantinet ambiguë. A propos de l’Europe par exemple, il se dit partisan de l’union, mais dans le contexte d’un concert de nations. Il voit d’ailleurs dans l’émiettement des empires et dans le retour aux nations, la condition primordiale qui permit les progrès de la démocratie au cours du XXè siècle.
Cette conception originale est certes défendable mais il faut alors s’intéresser aux causes du démantèlement de ces empires maléfiques. Et comment ne pas voir alors en toute clarté l’influence et le rayonnement américains ? Qu’on le veuille ou non, c’est bien de l’Ouest que le vent démocratique est venu et s’est imposé sur l’Europe. Non sans violence d’ailleurs car il fallut des guerres horribles pour se débarrasser des abominations qui ensanglantèrent le XXè siècle. Si l’on accepte cette évidence, et qu’on ose regarder de plus près et sans a priori le modèle élaboré outre-atlantique, il apparaît non moins clairement qu’il faille dépasser l’échelon de “l’état-nation” pour donner à l’Europe un vrai destin et une stature susceptible de peser dans le monde.
Dans cette logique, s’il est normal de partager l’exaspération de M. Finkielkraut au sujet de l’angélisme et de l’irresponsabilité du Parlement Européen actuel, on peut souhaiter paradoxalement qu’en soient renforcées les prérogatives. Car on peut voir dans les atermoiements actuels, un excès de la technostructure, mais aussi une influence résiduelle excessive des nations, paralysant l’action et empêchant que se cristallise une vraie ambition. De ce point de vue le modèle fédéral, supra-national, qui fut prôné par Kant et qui réussit si bien outre-atlantique, constitue un bel objectif, pour un Européen convaincu. C’est précisément en dépassant l’état-nation qu’on a quelque chance d’atteindre l’idéal de la Nation Européenne pour reprendre le terme de Julien Benda**. Sans avoir pour autant besoin de renoncer à son passé, mais en le transcendant.

On peut certes être un petit pays indépendant, et parvenir à se ménager une place enviable dans le monde. La Suisse en est un exemple, la Corée (du Sud) un autre, plus édifiant encore eu égard à la déchirure tragique dont elle est l'objet. N’empêche, lorsque plusieurs nations se rassemblent au nom du principe qui veut que l’union fait la force, elles ont intérêt à dépasser les intérêts individuels pour faire en sorte que la force de l’ensemble soit supérieure à celle de la somme des parties. En définitive, chacun peut avoir une haute idée du concept de nation. Le tout est de savoir à quel niveau il se situe… Ici encore M. Finkielkraut semble être resté sur une position quelque peu datée et sans doute peu compatible avec un vrai projet européen.

C’est sans doute pourquoi, si la solidité et la clairvoyance de ses diagnostics devraient imposer le respect, ses conceptions philosophiques peuvent susciter la controverse...
 * l'imparfait du présent. Alain Finkielkraut. Gallimard 2002
** Discours à la Nation Européenne. Julien Benda. Gallimard 1933

11 novembre 2013

Le cas Finkielkraut (1)

« Le présent de l’imparfait », « le mécontemporain », « l’humanité perdue », « l’identité malheureuse », les titres de nombre de ses ouvrages en témoignent de manière éloquente : si Alain Finkielkraut n’est pas nostalgique du passé, du moins peut-on présumer qu’il n’est pas vraiment dans son époque…

Certains affirment qu’il la vomit, d’autres qu’il ne la comprend pas. Mais en définitive, le comprend-elle, cette époque un peu folle, capable de nier tant d’évidences, de s’enticher de tant de chimères, et à la fin, de tirer si peu de leçons de l'histoire ?
Lorsque l’on assiste aux joutes opposant le philosophe à ses contradicteurs, on a souvent l’impression d’assister à un vrai dialogue de sourds. Aux arguments contournés et quelque peu désespérés du premier répondent les forfanteries sommaires et optimistes des seconds. Au lamento tragique célébrant le bon vieux temps, fait écho l’arrogance infatuée des lendemains qui chantent.
A bien y réfléchir, on hésite à prendre parti…

Mais si chacun espère naturellement que l'avenir sera meilleur que le passé, force est de reconnaître que le présent a de quoi faire naître quelques inquiétudes.
En cela, le constat de Finkielkraut sonne juste à bien des égards, même si les explications semblent parfois un peu trop unilatérales, et si les solutions envisagées sont discutables.

Si l'on s'en tient au débat qui fait rage en ce moment, et qu'il aborde dans son dernier ouvrage "l'identité malheureuse*", il faut par exemple être aveugle ou bien de fort mauvaise foi pour ne pas voir que le concept même de nation est en voie de délitement, et dans la même logique, pour occulter tout ce que l’appartenance à cette dernière est en train de perdre en signification. C’est un fait qui admet sans doute plusieurs causes, mais il est indéniable et plutôt inquiétant lorsqu'on aime son pays. L’immigration est liée à cette problématique, à n'en pas douter. Non pas comme cause en soi bien sûr comme l'histoire des peuples en témoigne, ou bien comme le succès du fabuleux brassage de population en Amérique nous en apporte une preuve éclatante.

L’immigration est devenue un problème pour la France, parce qu'elle dépasse les capacités d'accueil d'un pays en crise, que nous avons renoncé à la maîtriser, et plus encore, parce que l'intégration des nouveaux arrivés ne nous importe plus guère. Et par un navrant corollaire, parce que le débat, pour des raisons purement idéologiques, se radicalise dangereusement, le discours officiel allant parfois jusqu'à nier qu’il s'agisse d'un problème, tandis que d'autres voix affirment au contraire que c'est LE problème, faisant des étrangers des boucs émissaires...
Alain Finkielkraut exprime lui-même un peu de cette radicalisation, en constatant que «pour la première fois dans l’histoire de l’immigration, l’accueilli refuse à l’accueillant, quel qu’il soit, la faculté d’incarner le pays d’accueil ». C'est sans doute parfois vrai, mais ne serait-on pas tenté de déplorer pareillement, l’incapacité de l’accueillant à incarner ce pays ? N’en serait-ce pas le primum movens ?

On assiste de fait, à un troublant phénomène, où se conjuguent la perte de foi dans notre modèle de société et un émerveillement un peu niais pour l'exotisme et "la différence" sous toutes ses formes. A cela s'ajoute une propension aux bons sentiments, hélas souvent naïfs, conduisant à encourager l'arrivée d'étrangers "par principe" bien plus que par raison. Sans doute pour certains, la nécessité de se démarquer des thèses du Front National, devenues le coeur de toute controverse sur le sujet, entrent-elles dans cette disposition d’esprit.

Toujours est-il que les nouveaux immigrants débarquent dans un univers déboussolé, avec à l'esprit la perspective de profiter du bien être matériel auquel on leur rabâche qu'ils ont droit, et dont notre richesse passée entretient encore pour un temps l'illusion. C’est d'ailleurs la seule aspiration qu’on ait désormais l’ambition de leur communiquer, puisque la société dans laquelle nous vivons ne trouve plus vraiment grâce à nos propres yeux, et que ses fondements démocratiques relevant du capitalisme et du libéralisme, sont quotidiennement et abondamment l’objet de critiques, pour ne pas dire qu’ils sont purement et simplement honnis.

Lorsque Alain Finkielkraut déplore cette évolution, il est difficile de lui donner tort, tant elle relève d’une triste évidence.
De ce point de vue, faire semblant de croire que tous les immigrés se valent, qu’il n’existe pas de critère pour ne pas les accueillir, et revendiquer le droit à la nationalité française pour tous ceux qui avec leurs familles touchent notre sol, constitue une douce folie. C’est galvauder la notion même de nationalité, scier la branche sur laquelle elle est assise, et faire un cadeau empoisonné à ses bénéficiaires, car bientôt ce ne sera plus qu’une coquille vide.

C’est sans doute ce que Charles Péguy pressentait lorsque, cité par Finkielkraut qui lui a consacré un essai en forme d’apologie**, il s’exclamait : “une humanité est venue, un monde de barbares de brutes, de mufles ; plus qu’une pambéotie, plus que la pambéotie redoutable annoncée, plus que la pambéotie redoutable constatée : une panmuflerie sans limites ; un règne de barbares, de brutes, et de mufles ; une matière esclave ; sans personnalité, sans dignité ; sans ligne ; un monde non seulement qui fait des blagues, mais qui ne fait que des blagues, et qui fait toutes les blagues, qui fait blague de tout.”

Lorsque plus rien n’a de réelle importance, que les convictions s’effacent ou qu’elles sont systématiquement tournées en dérision, le monde devient en effet une vaste blague. Mais le rire qui en sort est de plus en plus laborieux. Il confine au sinistre, voire au morbide.
Tout particulièrement lorsque les chantres de la nouvelle vertu universaliste assimilent toute opinion contraire à la leur à du fascisme, et comparent par esprit de système les expulsions de “sans papiers” à des rafles nazies.
Ce n’est plus dès lors le règne des blagues mais de l’imposture, de la falsification. Bref, de tous les délires et du n’importe quoi.

N’en déplaise aux moralisateurs de tous poils, on peut considérer qu’il soit dangereux de ne pas vouloir faire de différence entre les foules de misérables qui se pressent à nos portes de manière anarchique, attendant une manne illusoire, et les immigrants du Nouveau Monde qui cherchaient à intégrer un pays par idéal, pour faire de son mode de vie le leur et y consacrer le meilleur d’eux-mêmes.
N’en déplaise aux ligues bien pensantes, on peut penser qu’il soit déraisonnable dans une société ouverte et prétendue “laïque”, de refuser de voir la montée de communautarismes s’exprimant par des signes faisant référence à des dogmes sectaires ou religieux de plus en plus outranciers et rétrogrades.
A ce sujet, il paraît absurde de penser qu'en interdisant le port du voile dans les lieux publics, on puisse enrayer les excès du communautarisme, notamment religieux. Tout comme il est assez vain, voire hypocrite, de battre sa coulpe au triste spectacle des immigrants faisant naufrage en tentant d'atteindre les côtes européennes.


* l'identité malheureuse. Gallimard. Paris 2013
** Le mécontemporain Gallimard. Paris 1991

06 novembre 2013

New York Bad News


Avec l’élection triomphale aux fonctions de maire, d’un démocrate très progressiste, Bill de Blasio, la ville de New York s’apprête-t-elle à renouer avec les jeux dangereux qui en firent une cité maudite dans les années 70-80 ?

Durant ces « années de plomb » pour reprendre une formule adorée des journalistes, la ville, sous l’effet de politiques permissives et veules, fut abandonnée par ses maires démocrates gauchisants, à toutes les plaies du monde moderne : chômage, violence, endettement, drogue, prostitution... Mégalopole devenue crépusculaire, elle était même le théâtre de tous les scénarios catastrophes, l’inscrivant dans une seule et sinistre perspective : celle de devenir un enfer dantesque, livré à la loi de la jungle. Nombre de romans et de films exploitèrent ce filon juteux, mais quelque peu désespérant.
Il fallut l’arrivée de Rudolph Giuliani, républicain pourtant modéré, pour voir, à partir de 1993, peu à peu les choses changer. Sans révolution, sans effusion de sang, son administration nettoya avec calme et méthode, conviction et détermination, toutes les salissures et dégradations qui avaient fait de la Porte de la Liberté, un repoussoir nauséabond. Il assainit la gestion financière et redonna une vraie espérance. New York fut remise en selle et son rayonnement retrouva tout son lustre, attirant à nouveau artistes, touristes, entrepreneurs.


Hélas, il y a de bonnes raisons de s’inquiéter aujourd’hui.
Après douze ans de gestion plan-plan mais avisée, sous l’égide du magnat des affaires Michael Blomberg, New York semble prête à s’engager dans une nouvelle aventure. Il n’est pas besoin d’être devin pour affirmer que celle-ci s’avère hautement périlleuse au moment où la crise menace tout le monde occidental et particulièrement le budget fédéral américain, en quasi faillite.


Bill de Blasio, le héros du jour est trop à l’image des calamiteux coreligionnaires qui l’ont précédé pour inspirer confiance. C’est bien simple : il rassemble en lui toutes les tendances de l’art d’être bobo de gauche, branché et démago, dont on apprend vite à se méfier lorsqu’on est adepte de pragmatisme et de bon sens, de vraie justice et d’équité.
Premier constat, dans cette attitude, la forme prime le fond.

Le parcours politique du nouveau maire illustre à merveille l’adage. Comme une star du showbiz il a cru bon de changer son nom, Warren Willhelm, jugé sans doute trop terne et connoté de conservatisme anglo-saxon. Bill de Blasio en revanche, ça vous a un petit air latino, de soleil et de fiesta, propre à séduire les foules naïves et à racoler certaines communautés en mal de rêves.

Par son mariage, il a transformé l’essai si l’on peut dire. Epouser une femme noire, qui se vantait d’être poétesse et lesbienne de surcroît, il fallait le faire. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas, affirmait Pascal. S’il n’est pas question ici de juger l’inclination amoureuse, force est de reconnaître qu’elle ne pouvait mieux servir les ambitions politiques du jeune loup progressiste…
Tout comme les enfants qui naquirent de cette union idyllique, métis of course, mais arborant un look résolument afro, rappelant furieusement les seventies, avec lesquels le candidat s’est affiché complaisamment durant toute sa campagne.

Tout comme son apprentissage de l’espagnol, au Nicaragua, auprès des révolutionnaires sandinistes qu’il a assidûment côtoyés autrefois, et dont il s’est dit très proche de l’idéologie socialiste néo-marxiste.

Aujourd’hui Le fringant quinquagénaire au look de banquier et stature de joueur de basketball, ne revendique plus trop ce passé sulfureux, mais le moins qu’on puisse dire est qu’il a laissé quelques traces.
Parmi les actions inscrites au programme sur lequel il a été élu, figurent en bonne place les mesures destinées à renforcer la mixité sociale, sensées réduire les clivages Pauvres-Riches qui paraît-il minent la Grosse Pomme. Pour éloigner le spectre misérabiliste du Tale of Two Cities, narré autrefois par Charles Dickens, M. de Blasio ressort la ritournelle éculée de « l’impôt pour les plus riches », et entend redistribuer au nom de la lutte contre les inégalités « 95% des richesses, détenues par les 5% les plus aisés », refrain connu... De ce point de vue M. de Blasio est bien dans la rhétorique illusionniste des Occupy Wall Street, dont il s’est dit à grand renfort de publicité l’ami. S’il suffisait d’appauvrir 5% de la population pour enrichir les 95% restants, cela se saurait, et personne bien évidemment ne serait contre. Mais va-t-il seulement réussir à les taxer, ou bien les faire fuir ?

Plus inquiétant encore, est son objectif de revenir sur une politique sécuritaire qu’il juge excessive. Il a par exemple, annoncé avant même son élection le limogeage du chef de la police, et la suppression des contrôles d’identité assortis de fouille, les « stop and frisk » aussi décriés par les bobos-gauchos outre-atlantique que les contrôles au faciès par notre intelligentsia de cul-bénis franchouillard
s.

Gageons que la réalité lui fera peut-être rabattre un peu ses prétentions idéalistes, puisque selon le magazine Le Point, il serait déjà revenu sur certaines propositions fantaisistes : il plaidait entre autres avec ferveur avant d’y renoncer, pour le bannissement des grands gobelets de coca-cola, pour la transformation de Times Square en espace piétonnier, pour l’interdiction des calèches touristiques autour de Central Park…

04 novembre 2013

Bonnets Rouges et Tea Party

Eu égard à la frénésie taxatrice caractérisant quasi exclusivement sa politique, végétative par ailleurs, il est assez plaisant de voir le gouvernement trébucher sur un impôt élaboré par... ses prédécesseurs !
En dépit de l'apparition depuis quelques mois un peu partout sur les routes, de portiques étranges hérissés de caméras, détecteurs, émetteurs en tous genres, il faut bien dire que peu de gens semble-t-il avaient anticipé le coup. Pourtant, avec un point de vue rétrospectif, la fameuse « écotaxe pour les poids lourds » avait tout pour mettre le feu aux poudres. Réunissant dans une même nasse l'ensemble de la classe politique qui l'avait avalisée, elle combine en effet une incroyable complexité avec un intérêt pratique à peu près inintelligible. Surtout, elle arrive comme la cerise sur un gâteau fiscal passablement écœurant !
Il serait vain de tenter de décrire cette nouvelle usine à gaz du Trésor Public, vue la sophistication diabolique à laquelle elle répond. Disons simplement qu'elle devait permettre de (sur)taxer les poids lourds de plus 3,5 tonnes, circulant sur le réseau routier hors autoroutes, en fonction de leur distance parcourue, de leur charge à vide et de leur degré de vétusté ! Il était prévu que les véhicules « ciblés » embarquent donc un mouchard GPS permettant leur suivi par les balises électroniques installées tous les 4 kilomètres environ, au bord des routes nationales et départementales. Les contrevenants quant à eux ne pouvaient échapper aux mailles du filet et aux fameux portiques, permettant de les traquer, en tout lieu et à tout moment

Dans l'esprit de ses ingénieux inventeurs, enchantés par leur trouvaille, il s'agissait d'un « impôt éthique », censé décourager les entreprises d'utiliser les camions pour acheminer leur marchandise, et les incitant à faire appel au train, réduisant par voie de conséquence l'émission de C02.
Au premier rang de ses promoteurs figuraient le cher Jean-Louis Borloo, flanqué de Nathalie Kosciusko-Morizet et d'écologistes de tout poil, impliqués dans l'inénarrable « Grenelle de l'environnement ». Force est de reconnaître que l'ensemble de la classe politique avait suivi, et applaudi à cette insanité, s'ajoutant à tant d'âneries bien intentionnées. C'est pourquoi le PS est bien mal venu aujourd'hui de clamer qu'il est contraint d'appliquer une loi votée par ses prédécesseurs. Que ne l'a-t-il pas abrogée, comme tant de dispositions prétendues néfastes, datant de l'ère Sarkozy ?

A quelque chose malheur est bon. A travers cette histoire lamentable, le Peuple commence peut-être enfin à prendre conscience de l'effet pervers de l'impôt lorsqu'il est l'alpha et l’oméga de toute politique. A l'évidence, il n'est plus désormais la seule punition des Riches, il déborde partout, envahit le quotidien, plombe la moindre initiative. C'est un boulet que chacun se voit contraint de traîner aux pieds, et ce boulet ne cesse de grossir. L'alibi de la redistribution ne prend plus. Celui de l'écologie non plus.
Ces manifestants dont le bonnet rouge rappelle la révolte de leurs ancêtres contre la fiscalité abusive du papier timbré, ont peut-être quelque chose à voir avec leurs cousins américains qui invoquent de leur côté la rébellion du Tea Party. Ces gens sont las tout simplement de cet Etat omniprésent, qui étouffe les libertés individuelles, se nourrit de leur sang, et entend dicter à chacun et à chaque instant sa conduite.
C'est pourquoi sans doute les défilés comptaient si peu de drapeaux rouges et tant de drapeaux bretons. C'est pourquoi sans doute les nostalgiques de la lutte des classes et autres gueuleurs de slogans revanchards, qui cherchèrent à récupérer le mouvement, firent chou blanc. Il fallait voir Mélenchon avec son hideux rictus, s'époumoner, écumant de haine, et lancer mais en pure perte, ses imprécations grotesques aux « esclaves manifestant pour les droits de leurs maîtres » !
Des citoyens se lèvent mais ils n'entendent pas cette fois semble-t-il se laisser berner par ces vendeurs d'illusions.
Un espoir se fait jour, peut-être !