11 novembre 2013

Le cas Finkielkraut (1)

« Le présent de l’imparfait », « le mécontemporain », « l’humanité perdue », « l’identité malheureuse », les titres de nombre de ses ouvrages en témoignent de manière éloquente : si Alain Finkielkraut n’est pas nostalgique du passé, du moins peut-on présumer qu’il n’est pas vraiment dans son époque…

Certains affirment qu’il la vomit, d’autres qu’il ne la comprend pas. Mais en définitive, le comprend-elle, cette époque un peu folle, capable de nier tant d’évidences, de s’enticher de tant de chimères, et à la fin, de tirer si peu de leçons de l'histoire ?
Lorsque l’on assiste aux joutes opposant le philosophe à ses contradicteurs, on a souvent l’impression d’assister à un vrai dialogue de sourds. Aux arguments contournés et quelque peu désespérés du premier répondent les forfanteries sommaires et optimistes des seconds. Au lamento tragique célébrant le bon vieux temps, fait écho l’arrogance infatuée des lendemains qui chantent.
A bien y réfléchir, on hésite à prendre parti…

Mais si chacun espère naturellement que l'avenir sera meilleur que le passé, force est de reconnaître que le présent a de quoi faire naître quelques inquiétudes.
En cela, le constat de Finkielkraut sonne juste à bien des égards, même si les explications semblent parfois un peu trop unilatérales, et si les solutions envisagées sont discutables.

Si l'on s'en tient au débat qui fait rage en ce moment, et qu'il aborde dans son dernier ouvrage "l'identité malheureuse*", il faut par exemple être aveugle ou bien de fort mauvaise foi pour ne pas voir que le concept même de nation est en voie de délitement, et dans la même logique, pour occulter tout ce que l’appartenance à cette dernière est en train de perdre en signification. C’est un fait qui admet sans doute plusieurs causes, mais il est indéniable et plutôt inquiétant lorsqu'on aime son pays. L’immigration est liée à cette problématique, à n'en pas douter. Non pas comme cause en soi bien sûr comme l'histoire des peuples en témoigne, ou bien comme le succès du fabuleux brassage de population en Amérique nous en apporte une preuve éclatante.

L’immigration est devenue un problème pour la France, parce qu'elle dépasse les capacités d'accueil d'un pays en crise, que nous avons renoncé à la maîtriser, et plus encore, parce que l'intégration des nouveaux arrivés ne nous importe plus guère. Et par un navrant corollaire, parce que le débat, pour des raisons purement idéologiques, se radicalise dangereusement, le discours officiel allant parfois jusqu'à nier qu’il s'agisse d'un problème, tandis que d'autres voix affirment au contraire que c'est LE problème, faisant des étrangers des boucs émissaires...
Alain Finkielkraut exprime lui-même un peu de cette radicalisation, en constatant que «pour la première fois dans l’histoire de l’immigration, l’accueilli refuse à l’accueillant, quel qu’il soit, la faculté d’incarner le pays d’accueil ». C'est sans doute parfois vrai, mais ne serait-on pas tenté de déplorer pareillement, l’incapacité de l’accueillant à incarner ce pays ? N’en serait-ce pas le primum movens ?

On assiste de fait, à un troublant phénomène, où se conjuguent la perte de foi dans notre modèle de société et un émerveillement un peu niais pour l'exotisme et "la différence" sous toutes ses formes. A cela s'ajoute une propension aux bons sentiments, hélas souvent naïfs, conduisant à encourager l'arrivée d'étrangers "par principe" bien plus que par raison. Sans doute pour certains, la nécessité de se démarquer des thèses du Front National, devenues le coeur de toute controverse sur le sujet, entrent-elles dans cette disposition d’esprit.

Toujours est-il que les nouveaux immigrants débarquent dans un univers déboussolé, avec à l'esprit la perspective de profiter du bien être matériel auquel on leur rabâche qu'ils ont droit, et dont notre richesse passée entretient encore pour un temps l'illusion. C’est d'ailleurs la seule aspiration qu’on ait désormais l’ambition de leur communiquer, puisque la société dans laquelle nous vivons ne trouve plus vraiment grâce à nos propres yeux, et que ses fondements démocratiques relevant du capitalisme et du libéralisme, sont quotidiennement et abondamment l’objet de critiques, pour ne pas dire qu’ils sont purement et simplement honnis.

Lorsque Alain Finkielkraut déplore cette évolution, il est difficile de lui donner tort, tant elle relève d’une triste évidence.
De ce point de vue, faire semblant de croire que tous les immigrés se valent, qu’il n’existe pas de critère pour ne pas les accueillir, et revendiquer le droit à la nationalité française pour tous ceux qui avec leurs familles touchent notre sol, constitue une douce folie. C’est galvauder la notion même de nationalité, scier la branche sur laquelle elle est assise, et faire un cadeau empoisonné à ses bénéficiaires, car bientôt ce ne sera plus qu’une coquille vide.

C’est sans doute ce que Charles Péguy pressentait lorsque, cité par Finkielkraut qui lui a consacré un essai en forme d’apologie**, il s’exclamait : “une humanité est venue, un monde de barbares de brutes, de mufles ; plus qu’une pambéotie, plus que la pambéotie redoutable annoncée, plus que la pambéotie redoutable constatée : une panmuflerie sans limites ; un règne de barbares, de brutes, et de mufles ; une matière esclave ; sans personnalité, sans dignité ; sans ligne ; un monde non seulement qui fait des blagues, mais qui ne fait que des blagues, et qui fait toutes les blagues, qui fait blague de tout.”

Lorsque plus rien n’a de réelle importance, que les convictions s’effacent ou qu’elles sont systématiquement tournées en dérision, le monde devient en effet une vaste blague. Mais le rire qui en sort est de plus en plus laborieux. Il confine au sinistre, voire au morbide.
Tout particulièrement lorsque les chantres de la nouvelle vertu universaliste assimilent toute opinion contraire à la leur à du fascisme, et comparent par esprit de système les expulsions de “sans papiers” à des rafles nazies.
Ce n’est plus dès lors le règne des blagues mais de l’imposture, de la falsification. Bref, de tous les délires et du n’importe quoi.

N’en déplaise aux moralisateurs de tous poils, on peut considérer qu’il soit dangereux de ne pas vouloir faire de différence entre les foules de misérables qui se pressent à nos portes de manière anarchique, attendant une manne illusoire, et les immigrants du Nouveau Monde qui cherchaient à intégrer un pays par idéal, pour faire de son mode de vie le leur et y consacrer le meilleur d’eux-mêmes.
N’en déplaise aux ligues bien pensantes, on peut penser qu’il soit déraisonnable dans une société ouverte et prétendue “laïque”, de refuser de voir la montée de communautarismes s’exprimant par des signes faisant référence à des dogmes sectaires ou religieux de plus en plus outranciers et rétrogrades.
A ce sujet, il paraît absurde de penser qu'en interdisant le port du voile dans les lieux publics, on puisse enrayer les excès du communautarisme, notamment religieux. Tout comme il est assez vain, voire hypocrite, de battre sa coulpe au triste spectacle des immigrants faisant naufrage en tentant d'atteindre les côtes européennes.


* l'identité malheureuse. Gallimard. Paris 2013
** Le mécontemporain Gallimard. Paris 1991

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