28 février 2020

Avec Pessoa dans Lisbonne (1)

Rarement un écrivain aura autant fait corps avec une ville. Fernando Pessoa (1888-1935) c’est un peu l’âme de Lisbonne. Ce personnage déroutant est à l’image de cette cité, à la fois noble et belle mais également imprégnée d’une étrange et distante fatalité tragique. Héritage possible du drame qui la secoua en 1755, bien qu'elle fut presque entièrement reconstruite sous l’égide du marquis de Pombal, Lisbonne garde un parfum de vieille ville derrière ses grandes et nostalgiques places et avenues.
On aime ou on n’aime pas ce mélange un peu déconcertant qui fait naître des sentiments contradictoires. Il y a dans Lisbonne quelque chose de géant et de désespéré; de vastes proportions mais une sensation d’absence, et des couleurs délavées balayées par les vents océaniques. Les azulejos ont des teintes de ciels et de nuages, de mer et d’écume. Ils sont là, bien présents, mais vous parlent d’ailleurs, et d’un autre temps. Et le long de ruelles tortueuses, les tramways poussifs mais infatigables gravissent les pentes et les redescendent tels de modernes et désuets sisyphes.
Il y a dans Lisbonne comme un subtil mélange d’espérance et de désillusion, de sérénité et d’intranquillité.
C’est exactement ce qui traverse l’œuvre monumentale et inquiète de Fernando Pessoa. Lire Pessoa, c’est donc comprendre un peu mieux Lisbonne...

Le fait même que l’écrivain crut bon de recourir à plusieurs identités, qu’il qualifiait d’hétéronymes, dit bien la complexité de cet esprit tourmenté. Tantôt Fernando Pessoa, tantôt Bernardo Soares, ou bien encore Alberto Caeiro, Ricardo Reis, Alvaro de Campos, on se perd en conjectures devant tant de facettes d’une même personne, même si depuis Rimbaud, on sait que le Je est un autre…
Quant au Livre de l’Intranquillité, son monumental chef d’oeuvre en prose, comment le qualifier ? Richard Zenith écrivait en introduction qu’il ne s’agissait pas d’un livre, mais de “sa subversion”, voire de “sa négation”, d’un “livre en puissance, ou mieux, d’un livre en ruine, un livre-rêve, un livre-désespoir, l’anti-livre par delà toute littérature…”
Lorsque l’on se plonge dans cette “autobiographie sans évènement” comme la nomme l’auteur lui-même, on n’est pas certain d’en ressortir indemne. Comment ne pas vaciller en effet, en lisant qu’il se situe “à cette distance de tout, que l’on appelle communément la Décadence”, ou encore que selon lui “l’inconscience est le fondement de la vie”.
Et comment garder la tête froide lorsque pour être plus explicite, il tourne en interrogation ce décalage existentiel: “à nous qui vivons sans savoir vivre, que reste-t-il, sinon le renoncement comme mode de vie, et pour destin la contemplation ?”
“Je voudrais, écrivait-il encore, que la lecture de ce livre vous laisse l’impression d’avoir traversé un cauchemar voluptueux.”

C’est un fait, Pessoa est avant tout un rêveur, un inactif, un contemplatif, quasi jusqu’à l’absurde. Il n’est pas extérieur au monde bien au contraire. Il est dans l'événement, il navigue presque désincarné, dans le présent qui se déroule sous ses yeux. Mais il est seul, tel un marin, exilé volontaire sur l’océan, qui se confronte
aux éléments, sans but évident pour le commun des mortels...
Pour Pessoa, plus encore que pour la Tortue, rien ne sert de courir, rien ne sert même de partir à point, il suffit d’être... et de rêver. Car tout ce qui n’est pas rêve n’est qu’illusion. Même écrire, pour important que cela fut pour lui, apparaît dérisoire : “Je relis, lentement, lucidement, morceau par morceau, tout ce que j’ai écrit. Et je trouve que cela est nul et que j’aurais mieux fait de ne pas l’écrire…” Plus loin, il enfonce un peu plus encore le clou: “ le seul destin noble pour un écrivain, c’est de ne rien publier…”
Dans ces conditions, pourquoi diable lire ?
Parce que nous dit Pessoa, “Lire, c’est rêver en se laissant conduire par la main….”

A suivre...

26 février 2020

Viralité

Viralité: ce terme à la mode dans le microcosme des réseaux sociaux est devenu en quelques semaines le principal sujet de préoccupation de la communauté internationale, et fait désormais la une de tous les journaux. Cette fois c'est au sens propre.
Un nouveau variant de coronavirus dit COVID-19 est en train de faire tache d'huile sur la planète. Il n'a pas les caractéristiques terrifiantes des grandes épidémies d'autrefois, mais il est susceptible de déstabiliser profondément la marche du monde.


La propagation rapide de ce micro-organisme qui se rit des frontières est une manifestation spectaculaire de la mondialisation. C'est une réalité incontournable que nul protectionnisme ne peut espérer endiguer durablement. Mieux vaut imaginer des mesures pragmatiques internes que de tenter d'ériger d'illusoires lignes Maginot.

Dans un tel contexte, les régimes totalitaires “avancés” ont un avantage. Grâce à la centralisation du pouvoir et de tous ses leviers de commande, grâce à l’absence d’opposition, ils ont une capacité sans égale pour confiner les populations, et peuvent mobiliser des moyens importants au service d'une stratégie concentrationnaire comme l'a démontré récemment la Chine.
Les démocraties ont pour elles la réactivité, la puissance scientifique, l'information éclairée des citoyens et l'esprit civique. Malheureusement ces avantages qui devraient être décisifs, ont été érodés par la permissivité, l'irresponsabilité, la démagogie et l'indétermination chronique des pouvoirs publics...

Quoiqu'il en soit, l'évolution de cette nouvelle pandémie risque d'être rapide et diffuse. La maladie a une létalité relativement modeste (probablement inférieure à 2%) ce qui facilite sa propagation. D'autant plus que si sa contagiosité ne semble pas très forte, les personnes contaminées peuvent la transmettre sans manifester eux-mêmes de symptômes.
Il est donc probable, comme le nouveau ministre de la santé l'a annoncé, que notre pays soit prochainement confronté de plein fouet à l'épidémie.
Selon les scénarios quelque peu catastrophistes de certains experts, 40 à 70% de la population mondiale pourrait être touchée, soit jusqu’à 5 milliards de personnes. Ce qui pourrait se traduire par plusieurs dizaines de millions de morts... Par comparaison, la grippe dont les manifestations cliniques ressemblent beaucoup à la maladie due au coronavirus, aussi contagieuse mais avec une létalité dix fois moindre, et pour laquelle on dispose d'un vaccin, est responsable de 10.000 décès par an en moyenne. S'agissant du coronavirus, le sinistre décompte a déjà dépassé largement les 2000 et les foyers sporadiques se multiplient en Europe. Tout est là pour créer un mouvement de panique. On annonce déjà "la" crise économique majeure que les spécialistes attendaient fébrilement depuis des mois, et les médias se plaisent à montrer les pharmacies submergées par la ruée sur les masques FFP2 et les solutions hydro-alcooliques. Tandis que la Bourse dévisse, la spéculation va bon train sur ces expédients, sans doute guère plus efficaces que les mesures de bon sens consistant à éviter embrassades, poignées de mains et autres contacts trop rapprochés...
Nouvelle rassurante, la Chine par laquelle le mal est venu, semble être en passe de réussir à le circonscrire. On se souvient enfin que la fameuse grippe H1N1 qui avait semé en 2009 une belle panique s'était avérée en définitive fort bénigne.
Tout espoir n'est donc pas perdu...

19 février 2020

Vanité du Politique

La déconfiture lamentable de Benjamin Griveaux, renonçant à sa candidature à la mairie de Paris pour une sordide affaire de mœurs, inspire une fois encore une foule de réflexions sur la vanité du politique.
Comment l'étincelant héraut de la geste macronienne, parti sabre au clair et quasi assuré de la victoire, a-t-il pu faire preuve d'autant de faiblesse et de naïveté, voilà qui est vraiment inexplicable. On pourrait épiloguer sur le fait qu’il fut un des lieutenants du calamiteux et dissolu Strauss-Kahn. Tel père, tel fils en somme…
On pourrait, à l'unisson des gens bien intentionnés, se lamenter, voire s'insurger contre l'intolérable violation de la vie privée que cette triste histoire révèle.
Mais derrière ce fait divers consternant, c’est toute la classe politique qu’on peut pointer du doigt pour son inconstance et son irrémédiable légèreté, pour ne pas dire stupidité.
Si l’on s’en tient à l’ère Macron, il faudrait longuement énumérer les actions, mesures, et propos absurdes ou insensés. Tous ne relèvent pas de la moralité certes, mais tous s’inscrivent dans l’incongruité voire dans l’auto-destruction.
Ainsi la baisse (pourtant homéopathique) des Aides Personnalisées au Logement, au moment précis où le gouvernement faisait semblant d’abolir l’Impôt de solidarité sur la Fortune, relevait du quasi suicide politique eu égard au court-bouillon égalitariste et revanchard dans lequel clapote le pays depuis la Révolution.
Non content de cette expérience funeste, le Premier Ministre ne trouva rien de mieux à faire quelque temps après, que de souffler sur les braises en imposant l’ubuesque réduction de la vitesse sur les routes, tout en faisant monter indéfiniment les taxes punitives sur le diesel. S’ensuivit la prévisible mais interminable rébellion des Gilets Jaunes...
On pourrait continuer la litanie, car la taxe sur les GAFA, ourdie par le sémillant mais creux ministre de l’économie Bruno Lemaire est évidemment du même tonneau. Elle ruisselle de démagogie, mais elle ne peut être qu’inefficace, ne rapportant qu’une hausse des prix pour les consommateurs et des mesures de rétorsion de la part des Etats-Unis. Dans le même registre figure la loi egalim supposée encadrer les promotions commerciales en matière de produits alimentaires, ou celle bloquant les loyers dans certaines grandes villes. Il n'est pas nécessaire de sortir de Polytechnique pour voir que toutes ces dispositions tarabiscotées aboutissent en règle au résultat inverse de celui escompté. Mais qu'importe. Moins ça fonctionne, plus les politiques s'entêtent dans leurs lubies...

L’interdiction promise quoique sans cesse repoussée du glyphosate et toutes les demi-mesures gravitant autour de cet herbicide honni n’est pas moins absurde, puisque toutes les publications sérieuses et toutes les Agences officielles qui se consacrent à la protection de l’environnement ont conclu qu’il s’agissait d’un péril en grande partie imaginaire. Pourquoi donc risquer de ruiner les quelques agriculteurs essayant encore de survivre sous l’étouffoir réglementaire ? Et quelle prétention que celle de changer le cours du monde, et jusqu’à son climat par la seule force des lois et des taxes !

Devant tant d’inconséquence et d’arrogance, on reste coi. Il semble impossible de comprendre toutes ces extravagances totalement étrangères à “la raison raisonnante”. Dommage, car elles sont susceptibles de casser les objectifs de programmes intéressants ou de gâcher l’effet de mesures utiles. Il en est ainsi par exemple de la fameuse et nécessaire réforme des retraites que l’impréparation, la confusion des genres et les perpétuels revirements ont rendu inintelligible et donc probablement vouée à l’échec. Il en est de même pour les baisses d’impôts plutôt bienvenues, mais qui soit passent inaperçues, comme celle sur le revenu, soit ne convainquent personne comme l’étrange suppression de la taxe d’habitation, à budget constant.
Vanitas vanitatum, omnia vanitas...

Illustration: David Bailly, Vanité au portrait

06 février 2020

Comment l'Etat tue le téléphone...

Notre cher État Providence n’est jamais à court d’imagination en matière de réglementation fiscale et de dispositifs tarabiscotés supposés inciter les bonnes gens à mieux se comporter ou au contraire à les dissuader de mal agir.
Il y a quelques années, il a inventé le dispositif innovant des Certificats d’Économie d’Énergie (CEE), destiné à protéger l'environnement en réduisant la consommation énergétique.
Depuis 2005, selon le principe des pollueurs payeurs, tous les fournisseurs d’énergie (EDF, Engie, Total, BP…) sont contraints par la loi POPE (curieux nom…) d’attester qu’ils mettent en place une politique d’économie, dont la conséquence pour eux est évidemment de vendre moins de leurs produits. Et pour attester qu’ils font tout pour réduire leur chiffre d’affaires, ils sont tenus d’acheter des bons points, les fameux CEE. Trois possibilités s’offrent à eux: acquérir directement ces certificats “sur le marché”, les obtenir en contrepartie d’aides financières aux travaux d’isolation, ou encore en échange de participation financière à des programmes d’économie d’énergie “éligibles”.

On pourrait ergoter sur l’absurdité de cette mesure qui pénalise des commerçants au motif qu’ils vendent leur marchandise. On pourrait également flétrir l’hypocrisie du système qui conduit en fin de compte à faire payer leurs clients dont la facture ne peut par ricochet, que s’alourdir…
Mais le plus édifiant en la matière, est de voir l’afflux soudain d’aigrefins en tous genres attirés par la manne ainsi dispensée au titre de l’aide aux travaux d’isolation, qui s’abattent sur les bénéficiaires potentiels comme une noria d’oiseaux au dessus d’un champ fraîchement semé.
Derrière le slogan magique de “l’isolation à 1 euro”, ils se sont mis à racoler sans vergogne tous les possesseurs de biens immobiliers. La publicité est vite devenue invasive, se transformant en véritable harcèlement tous azimuts, notamment téléphonique. Résultat, pour quantité de gens, pas un jour sans recevoir au moins une demi-douzaine d’appels incitant à faire valoir leurs droits. Au bout du fil, c’est tantôt une voix doucereuse d’hôtesse administrative, tantôt celle masculine et neutre d’un correspondant cherchant à conférer un caractère officiel à ses recommandations. Parfois une simple invitation à se mettre en relation avec un conseiller spécialisé, parfois également rien du tout: absence de tonalité et fin brutale de communication…
Pour celles et ceux qui se laissent harponner, c’est une aventure qui commence et qui se termine parfois très mal, la ristourne finale étant beaucoup moins avantageuse que promis. Au pire, les travaux entrepris par des entrepreneurs peu scrupuleux, s’achèvent en eau de boudin, pétris de négligence et de malfaçons, quand ils ne sont pas purement et simplement avortés. Du pain béni en somme pour Elise Lucet, toujours à l'affût des mauvais coups à dénoncer…

Pour encadrer et expliquer cette loi si bien intentionnée, on ne compte pas moins de deux agences d’État: l’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) et l’Agence nationale de l'habitat (ANAH). Invraisemblable débauche de moyens pour un résultat des plus discutables. Et qui a conduit à un déferlement d’excès et d’abus que l’État ne sait plus comment endiguer. Un fait est sûr, cette usine à gaz est en train de rendre le téléphone odieux à beaucoup de gens, et va probablement conduire à tuer les lignes fixes, quasi monopolisées par ce démarchage insupportable !

04 février 2020

Hôpital Express

La Chine contemporaine est à bien des égards étonnante. Terre de tous les excès et de tous les contrastes, elle stupéfie le monde. Restée officiellement communiste, elle s’est ouverte largement au capitalisme. Le mélange s’avère détonnant.

Comment un pays aussi riche culturellement, aussi inventif et dynamique avait pu basculer à ce point dans l’horreur socialiste, voilà qui reste un très intrigant mystère.

Non moins extravagante fut la folie qui saisit nombre d’imbéciles intellectuels occidentaux, soi-disant éclairés, qui les conduisit à qualifier cet obscur moyen-âge, d’expérience des plus excitantes, riche d’espoir et de progrès. Tandis que Mao assassinait par millions son peuple, tout en se livrant à des absurdités plus énormes que celles de Père Ubu, une partie du monde libre faisait semblant de s’extasier sur les pretendus bienfaits de ce tyran hors norme. Il faut espérer que ce honteux épisode serve de leçon, mais on peut en douter hélas lorsqu’on voit l’emprise persistante de cette idéologie sur les esprits.

Le redécollage de "l’Empire Céleste" au sortir de la terrifiante nuit maoïste a bouleversé le cours des choses urbi et orbi. Beaucoup de questions restent certes en suspens sur l’avenir de ce régime chimérique, mariage improbable des contraires, mais on ne peut que rester ébahi par sa capacité à donner la prospérité à un nombre croissant d’individus et à réagir avec détermination et sang froid aux situations de crise.

L’épidémie actuelle de fièvre due au coronavirus est prise là bas très au sérieux. Pour l’endiguer, tous les moyens sont mis en œuvre. Et la construction expresse d’un hôpital de 1000 lits en dix jours constitue une illustration spectaculaire de l’effort entrepris. Un tel tour de force est évidemment inimaginable en notre bonne vieille Europe et surtout en France... Qu’on imagine l’État englué dans la crise hospitalière, pouvoir la résoudre de cette manière, en trois coups de cuillers à pot !
Impensable évidemment, mais en Chine tout est permis. Pas de syndicats indépendants, pas de gilets jaunes ailleurs que sur le dos des ouvriers, un code du travail réduit à sa plus simple expression, des droits sociaux quasi inexistants, et un Pouvoir Central omnipotent et décisionnaire de tout, ça simplifie la vie… L’application expérimentale, quasi sauvage, du capitalisme, sans frein autre qu’un pouvoir de décision centralisé, est vertigineuse.

Ce lundi 3 février, l’établissement hospitalier consacré aux victimes du coronavirus, dont les travaux avaient débuté 10 jours auparavant, a ouvert comme prévu ! Pari tenu, pour un coût équivalent à une quarantaine de millions d’euros, et un chantier titanesque de 25000 m2, sur lequel ont travaillé jour et nuit 4000 ouvriers, et des milliers d’engins. Du réglage de l’époustouflant ballet de pelleteuses, à la coordination de tous les corps de métier, tout fut parfaitement ordonné.
Il n’y a plus qu’à espérer que cela contribue à contenir la propagation de l’épidémie et à en réduire la morbidité et la mortalité ! Et plus que jamais, on est songeur, sur ce qui se passe là-bas, dans cet Orient, extrême à tous égards...