11 mars 2020

Du vert pas très écolo...

Les algues vertes, on en parle. On en a parlé même beaucoup depuis des décennies, et le moins qu’on puisse dire est que le sujet est riche de controverses. Il y a des faits bien établis, mais aussi pas mal de supputations plus ou moins partisanes, et des accusations plus ou moins fondées.
Que les nitrates soient en cause dans la pullulation de cette végétation marine indésirable, qui verdit régulièrement les plages des Côtes d’Armor, c’est un fait. Que ces nitrates soient un produit dérivé de l’élevage intensif de porcs, c’est également certain. Que ces algues puissent être toxiques par leurs émanations, lorsqu’elles échouent sur le littoral et qu’elles entrent en putréfaction, c’est indiscutable. Enfin, que les Pouvoirs Publics, Agences Régionales de Santé en tête, aient comme en beaucoup d’autres occasions démontré leur inertie et leur indécision, c’est une triste évidence.
Le problème est qu’autour de ces constats objectifs, s’agitent les écologistes, alter-mondialistes, et anti-capitalistes de tout poil, à l’affût de tout ce qui peut alimenter leurs théories à sens unique, et leur incurable névrose anti-système. Dès lors, le débat perd toute mesure, opposant les auto-proclamés gentils à ceux qu’ils qualifient de méchants. Les uns étant sourds aux arguments des autres, le ton monte inexorablement à mesure qu’on se les jette à la figure. Et in fine, c’est toute la société libérale qu’on veut jeter avec les algues vertes... On peut d'ailleurs émettre quelques doutes sur l'objectivité des auteurs, notamment d'Inès Léraud qui se dit très influencée par Daniel Mermet, journaliste auto-proclamé "de gauche", bien installé sur le "service public", dont on connait les nombreux reportages partisans, et qui fut co-fondateur d'ATTAC, groupe d'influence revendiquant un anti-capitalisme sans nuance...

Cet ouvrage s’inscrit donc dans le tumulte idéologique insensé, qui devient la marque de notre époque en mal de repère et de bon sens. A commencer par le titre qui évoque une “histoire interdite”. Rien de plus faux évidemment, comme l’atteste la publication de l’ouvrage, qui loin d’être censuré, affiche le soutien du Centre National du Livre, sous l’égide du ministère de la Culture ! Au passage, ça n’empêche pas les auteurs, de le faire éditer en Pologne, alors qu’ils se disent nostalgiques du terroir breton d’avant les immixtions étrangères.

Pour eux en effet, l’origine du mal se trouve outre atlantique. La faute aux Etats-Unis comme d’habitude, qui figurent ici au premier rang des accusés avec leur plan Marshall de 1947, le remembrement agricole et l’augmentation de la productivité qu’ils auraient soi-disant imposé à la France. Fallait quand même y penser ! Surtout que dans le même temps, les auteurs font un sombre portrait de la Bretagne de l’immédiat après-guerre, si pauvre que “la plupart des maisons n’étaient pas équipées d’eau courante, de sanitaires, d’électricité et leur sol étaient en terre battue…”

Tout le reste du bouquin est à l’avenant. C’est un réquisitoire sans nuance, qui fait bien entendu le procès du “grand capital”, illustré pages 92-96 par quelques diagrammes en forme de nébuleuses rassemblant à peu près toutes les grandes entreprises françaises, groupes de pression, et rouages politiques. Le tout est qualifié de manière caricaturale de “lobby breton” et cherche donc à nous faire comprendre que le scandale a été quasi organisé par ces collusions occultes, et bien sûr que leurs instigateurs ont tout fait pour le couvrir d’une omerta mafieuse.
Tout cela est évidemment grotesque et fait totalement silence sur la complexité de la problématique de fond, consistant à pérenniser l’agriculture bretonne face à la concurrence étrangère et à maintenir sa compétitivité, notamment en matière d’élevage porcin. Cette stratégie s’opposait hélas par ses effets collatéraux à la vocation touristique de cette région de Bretagne déjà défavorisée par une météo capricieuse, mais dans un pays étranglé par les réglementations, la pression fiscale et les charges sociales, c’était un vrai challenge que de parvenir à ménager la chèvre et le chou.
On ne peut d’ailleurs pas dire que rien n’a été fait pour endiguer la production de nitrates, dont les taux dans les nappes phréatiques sont passés en 25 ans de plus de 100 à 20 mg/l (de l’aveu même des auteurs). Ce n’est certes pas suffisant pour résoudre définitivement le problème, mais parallèlement le ramassage régulier des algues échouées a permis d’assainir les plages, tandis que les efforts sont poursuivis pour réussir à faire descendre le taux autour de 10mg/l.

Le drame est donc à relativiser, lorsqu’on le compare à d’autres catastrophes. Si l’on compile les histoires de chasse décrites par le menu dans l’ouvrage, et si l’on se fie au quatrième de couverture, on peut conclure que “depuis la fin des années 80”, au moins “quarante animaux et trois hommes se sont aventurés sur une plage bretonne, ont foulé l’estran et y ont trouvé la mort”.
Passons sur le fait que ces morts n’ont pas toutes été rapportées avec certitude aux émanations d’hydrogène sulfuré. Passons sur le fait qu’on a vu certaines personnes imprudentes fouler cet estran avec leur chien ou leur cheval en dépit de mises en gardes dûment affichées.
Mais en tout état de cause, ces chiffres sont à mettre en regard du scandale du sang contaminé par le VIH, de celui de l’hormone de croissance, de la vache folle… Autant de circonstances où la machine d’État, bien plus que le capitalisme, a été lourdement mise en défaut, bien qu’on n’ait trouvé que “des responsables non coupables”...

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