14 octobre 2020

Bach au Zénith


Chaque nouvelle interprétation des Variations Goldberg constitue pour moi un évènement. Certes elles sont si nombreuses qu’il devient bien difficile de trouver encore quelque originalité dans la manière d’exprimer ce que contient cette partition merveilleuse.
Cette œuvre fut transcrite de tant de manières, qu’on se demande ce qu’on peut encore proposer. On en connaît des versions pour clavecin naturellement, puisque c’est pour cet instrument qu’elles furent écrites. Pour piano, c’est non moins évident depuis que Glenn Gould s’y est aventuré avec bonheur. Mais que dire des interprétations pour guitare, pour accordéon, pour trio à cordes, ou même pour orchestre de jazz ?
Sans doute avant tout que cette œuvre a quelque chose d’unique et d’universel, et qu’elle se prête sans être dénaturée à toutes les conceptions et à toutes les extrapolations aussi fantaisistes soient-elles. Le bonheur qu'elle procure est inusable et incorruptible et fascine autant que l’éclat de l’or ou du diamant.

Comme tout pianiste digne de ce nom, Lang Lang vient de produire “sa” version. Il paraît qu’il la mûrissait depuis 20 ans dans l’intimité de son salon ! C’est dire l’importance de l’enjeu et la quantité de travail que cela suppose, même pour un virtuose tel que lui.
Quoique sceptique de prime abord, je dois dire que je fus conquis dès la première écoute.
Il n’y a rien de vraiment révolutionnaire dans la manière choisie par l’artiste pour aborder ce Graal musical. Le parcours suivi est linéaire, sage et orthodoxe. Tout au plus peut-on mentionner le tempo, sensiblement plus lent que celui adopté par la plupart de ses prédécesseurs (hormis Rosalyn Tureck), mais sans aller jusqu’à l’extrême ralentissement confinant à l’extase hiératique qu’Anton Batagov conféra aux partitas. Tout de même, les plus de 10 minutes consacrées à la 25è variation en forme d’adagio presque romantique, n’en sont pas si loin…
Cela donne une intensité particulière à ces moments durant lesquels l’interprète semble se fondre dans la musique. Ici, il n’y a plus ni fioriture, ni effet de style, c’est limpide et bouleversant (variations 13, 15, 20, 25)).

A mesure que défilent les variations, ce qui frappe, c’est la plénitude du piano. Favorisée sans doute par une prise de son quasi parfaite, avec juste ce qu’il faut de réverbération et une belle rondeur harmonique, elle doit également à la douceur maîtrisée du toucher. Son velouté n’exclut pas vigueur et précision dans les attaques conférant une musicalité indicible aux lignes mélodiques et leur donnant un caractère tantôt joyeux tantôt apaisé mais toujours très affirmé. Bref, ce parcours est un pur enchantement, et procure à l’âme autant de jouissance, d’apaisement et de “récréation de l’esprit” que Bach le souhaitait, à n’en pas douter.. A ceux à qui ces réjouissances ne suffiraient pas, Lang Lang offre une autre version, non moins belle, mais enregistrée en public, au pied même du tombeau de Bach, suivant en cela l’exemple de Zhu Xiao Mei...

3 commentaires:

claude a dit…

vous etes devenu un expert international des variations Goldberg
felicitations

Pierre-Henri Thoreux a dit…

A défaut de l'être en matière de COVID ! Pas trop grave car ils pullulent en tous sens... Cela dit j'avais un a priori négatif sur Lang Lang, dont je me repense.

Antoine Martin a dit…

Je ne connais pas cet enregistrement mais j'aime bcp Lang Lang qui à coté du beau ténébreux Yundi et de la pulpeuse Yuja Wang ( un peu trop déshabillée mais excellente pianiste : voir son hammerklavier de Beethoven sur youtube )résume le piano en Chine .
A noter que de manière ( pas si) étonnante LL est venu discuter à plusieurs reprises avec le claveciniste allemand Andréas Staier avant d'aborder les Goldberg.
Il est de bon ton en France de dénigrer les pianistes chinois et par ex pour LL ses grimaces sont très mal vécues et il faudrait garder un visage monolithique même quant l'émotion nous étreint . En France des bises à tire larigot voire de vigoureuses "shake hands" mais pas trop là bas avec un certain bénéfice sur le plan infectieux .
Le piano est là bas un marqueur social et il n'est pas rare de rencontrer des écoles de piano sur plusieurs étages assez identiques aux centres de fitness des USA.Tout cela étant éclairé vers 22 h ou 23 h avec de grandes vitres transparentes ; là on court et on sue et ici on s'escrime sur les touches .