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19 août 2022

Physique et Philosophie

Le langage scientifique moderne a tellement gagné en complexité qu'il est devenu quasi inaccessible aux béotiens. Heureusement, certains savants ont cherché à exprimer de manière plus simple les choses. Le physicien Werner Heisenberg (1901-1976) fait partie d’entre eux et à travers une série de conférences données au cours des années 1955-66, opportunément rééditées, il propose une ouverture passionnante des nouvelles théories scientifiques à la philosophie.

Le père du principe d'indétermination livre son analyse des constats de la mécanique quantique et de la relativité restreinte qui ont bouleversé le monde intellectuel à l’orée du vingtième siècle.
Il commence par rappeler que la géométrie euclidienne et la physique newtonienne auxquelles nous étions habitués, s’avèrent des approximations satisfaisantes pour décrire les phénomènes observables à l'œil nu peuplant notre univers quotidien. Malheureusement  elles ne rendent plus compte fidèlement de ceux, relevant de l’infiniment grand ou de l’infiniment petit, entrevus grâce aux instruments modernes d’investigation. Parallèlement, le raisonnement intellectuel a ouvert des brèches ébranlant les postulats qu’on croyait acquis, et fragilisé nombre d’échafaudages philosophiques et spirituels.
Ainsi la théorie de la relativité restreinte, proposée par Einstein, a révélé que le temps et l'espace étaient indissociablement liés et que rien n’était immuable hormis la vitesse de la lumière. Le temps comme l'espace peut se dilater ou se contracter. Entre autres exemples, deux événements simultanés pour un observateur peuvent ne pas l'être pour un autre en mouvement par rapport au premier !
Grâce aux découvertes de Max Planck, la mécanique quantique est née quant à elle sur un principe contre-intuitif, qui stipule que masse et énergie ne sont qu’une seule et même substance, et qu’à l'échelon microscopique, les particules sont de deux natures, a priori contradictoires, tantôt corpusculaire, tantôt ondulatoire.
Plus étrange encore, la succession des phénomènes ne semble plus soumise au lien de causalité et le comportement des atomes ne peut être analysé que de manière probabiliste, à l’image de la désintégration à la fois prévisible et aléatoire des corps radio-actifs. Le principe d’indétermination empêche pour sa part, d’observer le comportement des photons dans les fameuses fentes de Young et toute tentative de “passer du possible au réel” aboutit à ce qu’on appelle la “réduction du paquet d’ondes”. Tout se passe comme si l’on figeait, rien qu’en la regardant, la trajectoire incertaine des grains de lumière.

A cette incertitude fondamentale, s’ajoutent les limites des instruments de mesure dont la nature même, interfère avec les phénomènes observés. La physique classique était “une idéalisation du monde, considéré comme séparé de nous”. Mais quand on approche la matière de très près, force est de constater qu’on est partie prenante d’elle. En d’autres termes, “dans la tragédie de l'existence, nous sommes à la fois acteurs et spectateurs…”
Ces contraintes représentent une sorte de catastrophe, car elles paraissent incontournables et font dire au savant que “ce que nous observons ce n'est pas la nature en soi mais la nature exposée à notre méthode d'investigation”

C’est à ce moment que la physique rejoint la philosophie, et qu’elle permet notamment d’infirmer nombre d’hypothèses émises sans fondement solide. Heisenberg remet en cause la logique cartésienne, qui sépare abruptement la res extensa de la res cogitans, autrement dit la matière de l’esprit, et il rejette un trop grand déterminisme qui nie l’aléatoire et le libre arbitre. Il n’est pas moins dubitatif avec l’empirisme de Locke et de Hume lesquels supposent que tout est explicable par l’expérience. Il se montre également circonspect avec l’a priori kantien selon lequel certaines connaissances et certains jugements synthétiques relèvent de l’intuition. Enfin, il s'élève contre toute logique fondée exclusivement sur le lien de causalité.
Il se rapproche toutefois de la conception du maître de Königberg lorsqu’elle pose qu’il est impossible de connaître les choses “en soi”.

Heisenberg termine son propos par des interrogations sur la manière d’exprimer par le langage une réalité qui relève de plus en plus de l’indicible et sur la complexité croissante du monde confronté aux évolutions majeures mais très troublantes du progrès. Il s’inquiète des conséquences que fait peser la science sur l’être humain, considéré comme un apprenti sorcier, et met en garde sur les risques qui pèsent de plus en plus lourdement sur l’évolution des sociétés avancées. Il constate avec fatalisme que “les changements de conditions de vie induits par la civilisation ont échappé aux forces humaines”. Il évoque la réticence de la science vis à vis des religions dont les écrits fondateurs sont l'œuvre de l'homme, contrairement au livre ouvert de la Nature, dont les lois s’imposent sans intermédiaire. Mais il s’interroge sur le risque de radicalisation de communautés saisies par la peur de voir les dogmes, les vérités révélées, et la foi battre en retraite devant les avancées scientifiques.
Pour le savant, les sociétés humaines tendent vers un processus d'unification, qui se heurtera nécessairement à des croyances, des coutumes, des traditions. Se voulant résolument optimiste, il espère toutefois que la physique moderne parvienne à montrer les dangers du progrès, ouvrant une perspective dans laquelle, malgré leurs différences, les communautés puissent "vivre côte à côte pendant cette phase d'unification" et trouvent "un nouveau genre d'équilibre entre la pensée et l'action, entre l'activité et la méditation"…
Puisse l’avenir lui donner raison, même si rien n’est gagné…

03 septembre 2015

Dieu joue-t-il aux dés ?

S'agissant de la conscience humaine, la seule dont nous avons la certitude, puisque chacun de nous en fait quotidiennement l’expérience, force est de constater avec Werner Heisenberg que "ce sont les mêmes forces régulatrices qui ont construit la nature dans toutes ses formes, qui sont à l’origine de la structure de notre âme, donc aussi de notre intelligence…"
Certes, le concept de conscience n’existe pas en physique et en chimie, et l’on ne peut guère imaginer qu’un tel concept puisse être déduit de la mécanique quantique. Cependant, pour Heisenberg, “dans une science qui inclut également les organismes vivants, la conscience doit tout de même trouver une place, car elle appartient à la réalité..."
Encore une fois se trouve conforté le point de vue de Kant, qui faisait de la loi morale, consubstantielle a la notion de conscience, une réalité aussi certaine et merveilleuse que la voûte céleste étoilée !

De la conscience et du dessein qui la caractérise, jusqu’à Dieu, il n'y a qu'un pas.
Le savant se garde bien de le franchir mais il livre une réflexion roborative sur le sujet, empreinte de pondération et de modestie...
Elle part pourtant de l'opinion très tranchée de Paul Dirac, pour lequel la science se conjugue naturellement avec l'athéisme.
Pour celui-ci, l’hypothèse de Dieu amène en effet "à se poser des questions absurdes, par exemple la question de savoir pourquoi Dieu a permis le malheur et l’injustice dans notre monde, l’oppression des pauvres par les riches, et toutes les choses horribles qu’il aurait pu, après tout, empêcher.”
On peut souscrire aisément à cette critique d’une vision trop bornée, trop humanisée du principe divin, et qui en outre signifierait que l’homme y serait assujetti comme une marionnette. Mais on peut également avoir une autre conception de Dieu que celle de Dirac, résumée par la célèbre formule lapidaire de Lénine, qui en faisait “l'opium du peuple”, distillé et entretenu par des gouvernants soucieux de faire taire l'envie de révolte…

Albert Einstein qui n'était pas connu pour être un dévot affirmait quant à lui que "Dieu ne joue pas aux dés". Ce faisant, il instituait de manière implicite ce dernier comme principe immanent, tout en manifestant sa réticence à s'en remettre au hasard ou au principe d'incertitude comme fin en soi.

On se souvient également de son raccourci fameux : "Dites moi ce que vous entendez par Dieu, je vous dirai si j'y crois..."
Ce positionnement à mi-chemin entre le déterminisme athée et la foi ennemie des réalités, est peut-être en définitive ce qui est le plus raisonnable, si pour paraphraser Pascal, Dieu “a ses raisons que la raison ne connaît pas…”
 
Des propos de Heisenberg, on peut finalement déduire qu'il ne serait pas très éloigné de la notion d'"Intelligent Design" assez en vogue actuellement. Sans doute avait-il en tout cas une préférence pour un monde gardant une aspiration spirituelle, à un autre résolument matérialiste.
Il redoutait d’ailleurs l'avènement de ce dernier, comme en témoignent les lignes suivantes, écrites en 1927, comme si elles avaient été inspirées par un sombre pressentiment : “Il se pourrait que les paraboles et images de la religion perdent leur force de conviction même aux yeux des gens simples. Je crains qu’à ce moment là, notre éthique actuelle ne s’écroule également très rapidement et qu’il ne se produise des choses d’une horreur que nous ne pouvons même pas imaginer à l’heure actuelle.”

S’il faut retenir quelque chose de magique dans le spectacle de la nature, on pourrait évoquer avec Heisenberg, “le miracle de la stabilité de la nature” devant lequel s’émerveillait Niels Bohr.
Précisons que par stabilité, il entendait que “ce sont toujours les mêmes substances avec les mêmes propriétés qui apparaissent, que ce sont toujours les mêmes cristaux qui se forment, les mêmes composés chimiques qui se créent… Ainsi, même après de nombreuses modifications dues à des influences extérieures, un atome de fer redevient un atome de fer, possédant les mêmes propriétés qu’auparavant…”
C’était selon lui, paradoxalement incompréhensible selon la mécanique classique, basée sur un strict déterminisme causal des phénomènes.
Ce serait précisément à cause de la stabilité de la matière, que la physique newtonienne ne peut pas être correcte à l’intérieur de l’atome et qu’il ne peut y avoir de description visuelle de sa structure. En effet, une telle description - parce que visuelle justement - devrait se servir des concepts de la physique classique, concepts qui ne permettent plus de saisir les phénomènes. Autrement dit, “les atomes ne sont pas des objets de l’expérience quotidienne.”

Ainsi, après avoir donné des explications rationnelles à de nombreux phénomènes naturels, l’être humain en affrontant les nouvelles frontières de la connaissance, se rapproche tout à coup de l’indicible. Même un cerveau aussi puissant que celui de Werner Heisenberg manifestait un certain désarroi devant la complexité croissante des concepts manipulés par la science. Il prévoyait que pour progresser, celle-ci exigerait "une pensée ayant degré d’abstraction qui n’a jamais existé à ce point, du moins en physique". Dans le même temps, il s'avouait dépassé, supposant que pour lui, "une telle tâche serait serait sûrement trop difficile"...

Ses réflexions restent en tout cas passionnantes, car outre leur limpidité explicative, elles contribuent à donner une signification à des notions qui de prime abord défient l'entendement. En deçà ou bien au delà de l’échelle de nos sensations, dans l’infiniment petit ou dans l’infiniment grand, nous perdons facilement pied. Il est plus que jamais nécessaire d’avoir des guides inspirés pour nous aider à réfléchir, et à trouver du sens dans ce qui relève de plus en plus de la spéculation ou de l’abstraction.
Au cours d’un de ses entretiens avec Bohr, Heisenberg eut cette interrogation anxieuse : “Si la structure interne des atomes est aussi peu accessible à une description visuelle que vous le dites, et si au fond nous ne possédons même pas de langage qui nous permette de discuter de cette structure, y a-t-il un espoir que nous comprenions jamais quelque chose aux atomes ?”
Le célèbre savant Danois eut un moment d’hésitation, avant de répondre : “Tout de même, oui. Mais c’est seulement ce jour là que nous comprendrons ce que signifie le mot comprendre…”
Le Tout et la Partie. Werner Heisenberg. Champs Sciences. Flammarion 2010

30 août 2015

Des quantas à la conscience

Un des grands mérites du recueil de réflexions de Werner Heisenberg, sobrement intitulé "la Partie et le Tout", est de donner une perspective philosophique à la mécanique quantique, et de déboucher même sur certaines considérations métaphysiques.

En son temps, Newton avait influencé beaucoup de penseurs. Pourquoi n'en serait-il pas de même à notre époque pour les savants qui nous emmènent, par la seule force de leur raisonnement, vers les terres nouvelles de la connaissance ?
Trop souvent les philosophes se croient autorisés à faire fi de la rigueur des démonstrations scientifiques. Résultat, ils jargonnent, se fondant sur des principes ex nihilo, et la philosophie finit, comme le disait narquoisement l'un des amis de Heisenberg, par "constituer l'abus systématique d'une nomenclature inventée précisément en vue de cet abus..."

Un des principaux enseignements de la mécanique quantique, déroutante par ses incertitudes, est qu'il faut "rejeter a priori toute prétention à l'absolu". Cette précaution vaut aussi bien pour le domaine scientifique que pour celui des idées en général. La division du monde en une face objective et une face subjective paraît beaucoup trop radicale.
En dépit de son aspect révolutionnaire, la nouvelle physique atomique n'invalide ni ne tue les théories qui l'ont précédée. Si les conceptions de Ptolémée, d'Archimède ou de Newton sont aujourd'hui dépassées, elles gardent une part de vérité et les prédictions qu'elles permettent de faire sont toujours valables dans le contexte pour lequel elles ont été conçues. Elles ne sont plus suffisantes pour décrire le monde des particules élémentaires, mais constituent des étapes sur le chemin du savoir.

Heisenberg tire de cette évolution par ajustements successifs l'idée "qu'une révolution bienfaisante et fructueuse ne peut être réalisée que si l'on s'efforce d'introduire le moins de changements possible, et si l'on se consacre de prime abord à la solution d'un problème limité, nettement circonscrit. Une tentative consistant à abandonner tout l'acquis antérieur ou à le modifier arbitrairement ne peut conduire qu'à l'absurdité pure."
Bien que les Scientifiques ne soient pas tous exempts d'a-priori ou de certitudes excessives, Heisenberg a la faiblesse de penser que les Philosophes et les Politiciens seraient bien inspirés parfois de solliciter leurs conseils car "ils pourraient [les] seconder en leur apportant une coopération constructive, caractérisée par la précision du raisonnement, une vue large des choses et un réalisme incorruptible..."

Évoquant le concept d’évolution, tel que la popularisé Charles Darwin, Heisenberg exprime un certain scepticisme. S'il ne remet pas en cause la théorie darwinienne d'adaptation et de sélection naturelle, elle ne lui paraît pas suffisante pour expliquer la diversité et l'harmonie du monde. Ainsi, de son point de vue, "Il est difficile de croire que des organes aussi compliqués que l’oeil humain par exemple, aient pu se créer petit à petit uniquement grâce à des modifications fortuites."
Il rappelle même le raisonnement malicieux que le mathématicien John Von Neumann avait tenu à un biologiste, un peu trop convaincu à son goût du rôle du hasard et la nécessité.
En lui montrant à l'occasion d'une promenade une jolie petite maison nichée dans la campagne, il lui tint à peu près ce discours : “Au cours de millions d’années, la colline a été formée par des processus géologiques; les arbres ont poussé, ont vieilli, se sont décomposés et ont repoussé; puis le vent a recouvert fortuitement de sable le sommet de la colline; des pierres ont peut-être été projetées par là bas sous l’effet que quelque processus volcanique, et par hasard aussi elles sont restées en place les unes sur les autres de façon bien ordonnée. Et cela a continué ainsi.../... Une fois, au bout d’un temps très long, les processus désordonnés et fortuits ont produit cette maison de campagne; et maintenant des hommes sont venus y habiter…"

Comment ne pas être frappé par le sens de l'évolution, qui va du simple au compliqué, et des particules élémentaires de la soupe originelle, jusqu'à la conscience humaine ?
Peut-on extraire de l'évolution tout ce qui concerne l'être humain et notamment son génie inventif ?
Ce dernier procède également largement du modèle évolutif. Au fil des idées et des adaptations pragmatiques, les hommes sont parvenus à élaborer des outils et des machines de plus en plus complexes. Et il n'y a qu'une place limitée pour le hasard dans ce processus, l'essentiel étant représenté par la notion de dessein, lui-même sous-tendu par l'intelligence...

Plus que Darwin, Heisenberg rejoindrait donc Bergson dans ce qu’il appelait "l'évolution créatrice" et cette sorte d’élan vital qui fait progresser la connaissance.
Devant un paquebot, le physicien s'interroge : "s’agit-il d’une masse de fer avec une installation de force motrice, un système de lignes électriques et des ampoules à incandescence.../… ou bien d’une expression du dessein humain, d’une structure formée en tant que résultat de relations interhumaines ?"
De la même façon, au spectacle de la nature, il se demande s'il est " tout à fait absurde d’imaginer, derrière les structures régulatrices du monde dans son ensemble, une “conscience” dont elles expriment le “dessein”..." (à suivre...)

26 août 2015

La féérie incertaine des particules


"La Science est faite par les hommes" rappelle Heisenberg dans son ouvrage "Le Tout et la Partie". 
Il n’est donc pas étonnant qu’il s’attache à toujours la placer dans un contexte très humain, très palpable en quelque sorte.
Pas de formule ésotérique ici, pas de démonstration savante, mais un souci constant de mettre ce qu'elles contiennent à la portée du lecteur.

Ainsi, ça commence en 1920, par une sympathique promenade pendant laquelle des amis étudiants, entreprennent de débattre de la nature profonde des choses et de la représentation qu’on s’en fait. Vaste sujet n'est-il pas ?
C'est en l'occurrence un certain Robert qui résume la situation d'une manière très kantienne : "C'est de notre pensée seule que nous avons une connaissance immédiate. Mais cette pensée ne se trouve pas auprès des objets.../... Nous ne pouvons pas percevoir les objets directement. Nous devons d'abord les transformer en représentations, et finalement, former des concepts (qui ont un sens) à partir d'eux..."

A l'échelle des atomes, qu'on ne peut ni voir ni percevoir à proprement parler, ce raisonnement semble particulièrement pertinent.
Cela constitue même le coeur de la réflexion sous tendue par l'infiniment petit, non moins déroutante que celle concernant l'immensité de l'univers. A ces extrémités, nos sens sont en effet incapables de nous donner une représentation précise des choses. Nous déduisons leur existence à partir de théories et de raisonnements, et nous tentons de les valider par des observations confirmant plus ou moins bien les théories...
Mais, de même qu'Einstein montra qu'à l'échelle de l'infiniment grand, et dans un monde où tout est en mouvement, le temps et l'espace devenaient des concepts relatifs, l'amélioration des connaissances du monde des atomes montre qu'il est régi par des lois étranges, ne semblant pas s'appliquer à la physique classique ni aux objets qui peuplent notre quotidien. "Les atomes ne sont pas des objets de l'expérience quotidienne" rappelle le savant.

La rupture de la notion de continu est le premier constat dérangeant. Fait au sujet de l'énergie à l'échelon microscopique par Planck, il conduit à considérer qu'elle ne se disperse pas de manière progressive comme on le pensait intuitivement, mais par paquets, qu'il nomma quantas. L'énergie totale d'un système est donc un multiple entier de la quantité élémentaire d'énergie qui le caractérise.

Mais ce n'est qu'un des aspects de cette nouvelle mécanique, car plus bizarre encore est l'incertitude qui vient se mêler aux phénomènes observés. Cette fois, c'est le lien entre un évènement et sa cause qui est mis à mal !
Heisenberg prend l'exemple de la transformation de radium B en radium C par l'émission spontanée d'électrons.
S'il est possible, explique-t-il, d'affirmer pour une quantité donnée de radium, que statistiquement la moitié des atomes seront transformés en 30 minutes, il est impossible de prévoir précisément pour un seul d'entre eux quand et dans quelle direction l'émission d'électrons se produira. Selon Heisenberg, aucun paramètre ne peut modéliser le phénomène car s'il en existait un, alors il en existerait un autre, aboutissant à décrire l'inverse !
Cela choquait beaucoup l'une de ses amies, la mathématicienne Grete Hermann, qu'il soit inenvisageable d'acquérir une connaissance suffisante d'un phénomène, permettant d'en comprendre la cause et de le prédire, et in fine qu'on puisse affirmer d'une connaissance, qu'elle soit à la fois complète et incomplète.
En réalité l'étude des particules, aboutit à remettre en cause le principe de base de la physique newtonienne : à savoir le strict déterminisme causal des phénomènes qui veut que l’état d’un système doive toujours être déterminé de façon unique par l’état qui le précède directement immédiatement.


Avec Planck on découvre donc que l’énergie d’un système atomique varie de façon discontinue. Il y a des positions d’arrêt qu'on appelle états stationnaires, que même le roi de l'atome, Bohr, peinait à se représenter... Quant à Schrödinger, il s'exclama dépité : "si ces damnés sauts quantiques devaient subsister, je regretterais de m'être jamais occupé de théorie quantique..."
Avec Heisenberg on apprend que l'univers des particules est soumis à un principe d'indétermination,et qu'il est possible de l'exprimer mathématiquement. Il montre ainsi que pour une particule, le produit de l'imprécision liée a sa position, par celle liée à sa quantité de mouvement (donc à sa vitesse), ne peut être inférieur au quantum d'action de Planck ! Autrement dit, plus est précise la position d'une particule, moins l'est sa vitesse et réciproquement...

24 août 2015

Un léger parfum d'aporie


Après l’intrigante beauté d’une cétoine, c’est le parfum d’un arbuste qui m’inspire.
Celui-ci repéré il y a déjà quelques années dans un jardin public de la ville de Saintes en Charente Maritime, dégage lors de la floraison, un délicat parfum rappelant le jasmin.
Au mois d’août, son dôme constellé de fleurs blanches étoilées me ravit chaque fois que je passe auprès de lui. J’ai eu quelque peine à trouver son nom, mais grâce au Web, j’ai appris qu’il s’agissait d’un Clerodendrum Trichotomum. On l’appelle aussi arbre du clergé...
Le mélange de rusticité bien terrestre et de saveur immatérielle qui émane de cet arbre se conjugue merveilleusement avec les réflexions rassemblées par Werner Heisenberg (1901-1976) dans son ouvrage “La Partie et le Tout”, consacrée à la physique atomique et qui va bien au delà…

Lorsqu'un savant entreprend de vulgariser la science dont il fait son miel pour tenter d’en faire comprendre les arcanes aux béotiens, cela donne souvent un résultat peu éclairant. Soit trop ésotérique il lasse rapidement le lecteur, soit trop simplificateur, il n’apporte rien de nouveau par rapport aux vulgarisations de la Presse Grand Public.
L’ouvrage du physicien allemand, lauréat du prix Nobel en 1932, échappe à ces deux stéréotypes. Le foisonnement des idées se confronte aux réalités de la vie quotidienne et s'enrichit des débats et discussions qu'il a avec des amis, lors de congrès scientifiques ou de rencontres informelles.
Sachant qu'il s'agit des grands penseurs qui ont révolutionné la conception qu’on avait de la physique des particules, ce témoignage s’avère passionnant car il offre un angle de vue original sur de fabuleux progrès scientifiques tout en leur donnant une portée philosophique très accessible.

Tout au long de l’ouvrage on côtoie avec ravissement des personnages aussi illustres et fascinants que Max Planck, Niels Bohr, Max Born, Albert Einstein, Paul Dirac, Wolfgang Pauli, Erwin Schrödinger…
Au gré des réunions de travail, des débats, mais aussi des promenades, des voyages s’égrènent les principes déroutants de la mécanique quantique en train de naître. Le congrès scientifique dit Solvay de Bruxelles en 1927 et les cinq années qui suivirent figurent comme l’âge d’or de ces nouvelles avancées.

En toile de fond, l'Histoire du XXè siècle déroule une partie de ses terribles tragédies. Communisme, socialisme, national-socialisme inscrivent leurs ravages, faisant fi de toute logique scientifique et de tout bon sens, mais cherchant à s'accaparer les fruits des recherches....
Par un troublant paradoxe, Heisenberg qui avait très tôt décelé les noirs desseins du nazisme, resta en Allemagne et s'accommoda du règne d'Hitler, tandis que nombre de ses collègues et amis s'enfuyaient et le poussaient à faire de même. Pareillement, alors qu'il connaissait de longue date la nature maléfique du communisme, il n'évoque à aucun moment dans ses souvenirs, qui courent jusqu'à 1965, le partage horrible de son pays après la guerre, qui en livra la moitié à la dictature de Staline...

En revanche, il fut bouleversé lorsque les Etats-Unis eurent recours à la bombe atomique, pour mettre fin au conflit qui les opposait au Japon. Il est vrai que contre toute attente, ce fut un pays démocratique qui utilisa la première fois cette arme terrifiante !
Toujours aussi surprenant c'est sans doute à la dissuasion nucléaire qu'on dut la paix relative du monde après1945 ! (A suivre...)