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07 août 2006

Les portes de la perception

J'ai passé la fin de l'après-midi, allongé au soleil dans le fond du jardin, en écoutant au casque le « clavier bien tempéré » de Bach, interprété par Sviatoslav Richter. Instants de quiétude pendant lesquels la pensée s'évade en mille songes illuminés. Je ferme les paupières et la chaude caresse de la lumière se transforme en paillettes éblouissantes qui dansent tranquillement au gré de mes pensées un peu vagues mais pleines de promesses subtiles. La musique s'insinue délicieusement dans toutes mes fibres, avec une douce et indicible certitude.
Je regarde les fleurs et l'envie me prend de les photographier. Vers 17 heures, les rayons obliques magnifient les couleurs et les contrastes et c'est un monde enchanté qui virevolte au gré d'une petite brise. Fuschias, hortensias, chèvrefeuilles, lavandes, géraniums semblent livrer, vus de si près, un message humble et serein, rassurant.
Je pense aux millions de gens qui se pressent en foule sous la chaleur, un peu partout en ce premier week-end d'août. Les files de voitures agglutinées sur les routes qui mènent aux plages... L'odeur d'essence, de friture, de sueur et de crème solaire.

Puis je me plonge dans mon bouquin, « Les portes de la perception et autres essais » d'Aldous Huxley. Ces réflexions sont placées sous le signe de William Blake : « Si les portes de la perception étaient nettoyées, toute chose apparaîtrait à l'homme telle qu'elle est, infinie. »
Ces portes dont s'inspira Jim Morrison et qui devinrent dans l'univers du Rock, les Doors, ce sont celles des paradis artificiels, ouvertes par la mescaline.
Huxley relate l'expérience qu'il fit de cette drogue extraite du peyotl, dont il ingurgita 4 décigrammes par « une brillante matinée de mai ».
Et ça commence par un constat un peu désabusé sur la solitude des sensations : « Nous vivons ensemble, nous agissons et réagissons les uns sur les autres; mais toujours, et en toutes circonstances nous sommes seuls. Les martyrs entrent la main dans la main dans l'arène; ils sont crucifiés seuls. Embrassés, les amants essayent désespérément de fondre leurs extases isolées en une transcendance unique; en vain. »
« Depuis la famille jusqu'à la nation, chaque groupe humain est une société d'univers-îles. »

La drogue offre une sensation unique : la perception « nettoyée »; notamment de l'espace et du temps. On n'éprouve rien d'agréable ni de désagréable mais simplement ce qui est : Istigkeit selon le mot de maître Eckhart. Ainsi des fleurs : « Elles brillent de leur propre lumière intérieure, quasi frémissantes sous la pression de la signification dont elles sont chargées, une durée passagère qui est pourtant une vie éternelle, un périr perpétuel qui est en même temps un Être pur, un paquet de détails menus et uniques dans lesquels, par quelque paradoxe ineffable et pourtant évident en soi, se voit la source divine de toute existence. »
La mescaline fournit une approche taoïste du réel : « Au stade final de l'absence de moi, il y a une connaissance obscure que Tout est dans tout, que Tout est effectivement chacun. »
Cet éclatement de la personnalité fait penser à certaines affections psychiatriques, mais sans le caractère pervers, incontrôlable, de la maladie. Ainsi, la mescaline fait connaître la partie « paradisiaque de la schizophrénie. »

Par bonheur, elle est d'ailleurs presque complètement inoffensive, contrairement aux drogues communément acceptées que sont l'alcool et le tabac. Elle ne provoque pas de trouble aigu du comportement : « un homme sous l'influence de la mescaline se contente de s'occuper tranquillement de ce qui le regarde. »
La mescaline n'est certes pas une drogue idéale. A côté de la majorité d'utilisateurs « transfigurés de façon heureuse, il y a une minorité qui ne trouve en la drogue que l'enfer ou le purgatoire. »

Toutefois elle s'avère pour l'écrivain, supérieure à toutes les substances connues y compris les pilules psychotropes. « Celui qui en revient ne sera jamais tout à fait le même que celui qui y était entré. Il sera plus sage, mais moins prétentieusement sûr; plus heureux , mais moins satisfait de lui; plus humble en reconnaissant son ignorance, et pourtant mieux équipé pour comprendre les rapports entre les mots et les choses, entre le raisonnement systématique et le Mystère insondable dont il essaye, à jamais et en vain d'avoir la compréhension. »

On sait que fort de cette expérience bouleversante, Huxley, au moment de mourir, demanda qu'on lui administre du LSD. Probablement espérait-il ainsi passer en majesté les Portes de l'Eternité...
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