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27 octobre 2017

Une brève histoire de l'empirisme

Il est souvent difficile pour les philosophes d’exprimer leurs idées de manière concise et pragmatique. Souvent ils produisent d’épais ouvrages, quasi inintelligibles au commun des mortels, dont les débouchés pratiques s’avèrent très aléatoires.
Avec le siècle des Lumières vinrent de nouveaux penseurs qui se firent un devoir de traiter la philosophie comme une science, et de frotter leurs théories contre la réalité tangible pour en éprouver le bien fondé. John Locke fut un précurseur en la matière et David Hume (1711-1776) lui emboîta le pas un peu plus tard.
Ce dernier malheureusement eut toutes les peines du monde à donner quelque retentissement à ses écrits, pourtant très novateurs, écrits dans un langage précis et clair. Pour les rendre plus accessibles, il n’hésita pas à leur donner la forme la plus synthétique qui soit en résumant à la manière d’un teaser, l’essentiel de son Traité de la nature humaine dans un abrégé d’à peine plus de 40 pages !
La lecture de ce texte s’avère passionnante car elle donne une vision extrêmement percutante de l’empirisme radical dont il témoigne.

Selon Hume, notre rapport au monde est régi exclusivement par les perceptions que nous en avons. Celles-ci sont de deux types : les impressions et les idées. "Les impressions sont nos perceptions les plus vives et fortes, les idées les plus légères et les plus faibles."
Si Hume n’est pas aussi catégorique que Locke, qui prétendait qu’il n’existe pas d’idées innées, il n’en pense pas moins que les idées dérivent nécessairement de nos impressions. En d’autres termes, "toute idée doit être référée à une impression sous peine de n’avoir aucun sens..."

Hume s’attache également à disséquer le rapport de causalité qui unit les événements que nous observons. Pour lui, il est évident que tous les raisonnements sur la cause et l’effet se fondent sur l’expérience. C’est la répétition d’une succession d’évènements qui rapporte l’effet à la cause. Ainsi au billard, le choc d’une boule animée contre une autre immobile, va conférer à cette dernière un mouvement et c’est la répétition de cette observation qui fait naître en nous l’idée qu’il existe une relation de cause à effet.
Celle-ci suppose trois phénomènes : la contiguïté dans le temps et dans le lieu, la priorité dans le temps d’un évènement par rapport à l’autre, et la conjonction constante entre la cause et l’effet. Notre approche n’en est pas moins très superficielle car les pouvoirs par lesquels les corps opèrent nous sont entièrement inconnus. Nous ne percevons que leurs qualités sensibles.

Pour résumer les choses, “presque tout raisonnement est réduit à l’expérience et la croyance accompagnant l’expérience n’est rien d’autre qu’un sentiment particulier, ou une conception vive produite par l’habitude…”
Afin de démontrer le caractère partiel et superficiel de notre connaissance, Hume montre de même que le principe d’égalité ou d’inégalité qui nous paraît relever de l’évidence peut être relativisé. “On déclare en théorie deux lignes égales si le nombre de points qui les composent est égal et lorsqu’à chaque point de l’une correspond un point de l’autre. Mais bien que cette norme soit exacte elle est inutile car nous ne pourrons jamais compter le nombre de points dans aucune ligne…”

Il n’est pas très étonnant qu’avec un tel scepticisme, Hume envoie promener toutes les croyances, les superstitions, la foi et même l’âme, qui pour lui “n’est rien d’autre qu’un système ou une série de différentes perceptions, celle du chaud et du froid, de l’amour et de la colère, des pensées et des sensations réunies sans aucune forme de parfaite identité ou de simplicité.”

Bien que cette approche soit révolutionnaire et infiniment plus pragmatique que les radotages éthérés de nombre de philosophes, elle apparaît toutefois un peu réductrice. Immanuel Kant qui de son propre aveu fut “réveillé de son sommeil dogmatique” par la lecture de Hume, amenda quelque peu la théorie. S’il partagea avec Hume le souci de valoriser l’expérience, il restaura l’inné dont l’impératif catégorique est l’illustration la plus marquante. Pour Kant, il est à l’évidence impossible de raisonner dans l’absolu et il est donc nécessaire de circonscrire notre raisonnement par une attitude critique délimitant le champ du possible de celui de l’ineffable, c’est à dire de la métaphysique. Il ne rejeta pas pour autant cette dernière mais montra qu’il était vain de tenter de l'explorer par la raison raisonnante…
Henri Bergson apporta quant à lui un nouvel éclairage en soulignant le rôle majeur de l’intuition dans le progrès de la connaissance, tout en déplorant la difficulté qu’il y a de définir de manière rationnelle "cette chose simple, infiniment simple, si extraordinairement simple que le philosophe n'a jamais réussi à le dire…”
A l’orée du XXè siècle, William James ira encore plus loin en ouvrant l’attitude empirique sur la spiritualité et ce qu’il appela “la volonté de croire”. De manière très convaincante, il affirma que cette dernière était en effet capable de multiplier les potentialités que le seul usage du raisonnement laisse espérer…

En définitive, de Locke et Hume à James, l’empirisme s’affirme donc comme un concept majeur en philosophie et en sciences. Il reste radical, mais parti du ras des pâquerettes, il s’élève jusqu’au ciel...

31 mars 2017

Introduction à la philosophie 2

Une des caractéristiques marquantes de la pensée jamesienne est sa répulsion pour les constructions intellectuelles trop formalisées, pour les systèmes trop fermés. Devant chaque alternative, le philosophe opte pour la voie la plus ouverte, celle qui préserve le plus de potentialités d’avenir. C’est même au nom du pragmatisme et de l’empirisme qu’il préconise une telle attitude.

Ainsi face au problème de l’unité du monde, que sous-tendent nombre de théories ou de religions, il émet plus qu’un doute en recommandant de “tourner le dos aux méthodes ineffables ou inintelligibles d’explication de l’unité du monde”, et de se demander “si, au lieu d’être un principe, l’unité que l’on affirme ne serait pas simplement un nom comme celui de substance…”
L’attitude pragmatique doit selon lui, nous amener à nous interroger : “à supposer qu’il y ait une unité dans les choses, en tant que quoi peut-on la connaître ? Quelles différences cela fera-t-il pour vous et moi ?”

Il va même plus loin lorsqu’il affirme que “le pluralisme, acceptant un univers inachevé, avec des portes et des fenêtres ouvertes sur des possibilités non contrôlables d’avance, nous donne moins de certitude religieuse que le monisme avec son monde absolument clos.”

In fine, “le monde est “un” sous certains aspects et “multiple” à d’autres égards.../…et l’alternative du monisme et du pluralisme constitue de facto, le dilemme le plus lourd de sens de toute la métaphysique.”


De manière un peu similaire, plutôt que d’opposer l’infini au fini comme de contraires, il se demande comment le second peut connaître le premier, “comme le gras connaît le maigre.”

Fort de cet exemple trivial, il reprend le fameux paradoxe de Zenon qui stipule qu’un lièvre ne peut en théorie jamais dépasser une tortue, même s’il court dix fois plus vite qu’elle, s’il est pénalisé au départ, d’une longueur de retard. En effet, pendant le temps que le lièvre met à parcourir cette distance, la tortue en aura de son côté couvert une autre, certes dix fois moins grande mais qui la placera toujours en tête. En répétant ce raisonnement, l’avance de la tortue diminue à chaque étape mais n'est jamais nulle, tendant vers l’infiniment petit.

Il suffit d'imaginer une telle compétition, pour savoir qu’évidemment ce raisonnement quoique vrai est absurde car le lièvre malgré son handicap aura tôt fait de dépasser la tortue, démontrant ainsi que le fini peut contenir l'infini. De même il suffit d’un instant pour compter de 0 à 1 alors que cela pourrait prendre un temps infini, s’il fallait énumérer tous les nombres décimaux imaginables entre les deux chiffres…


Beaucoup de concepts semblent ainsi s’affronter à la réalité. A la vérité, ils ne font que l’enjamber ou l’escamoter et c'est ainsi que des évidences, trop certaines ou trop fermées, se terminent parfois en absurdités.

Il en est ainsi de la causalité qui lie les phénomènes entre eux, et dont il n'est 
peut-être pas inutile en préambule, de rappeler les quatre catégories, telles qu’elles ont été décrites par Aristote : cause matérielle (la matière qui constitue une chose), cause formelle (l'essence de cette chose), cause motrice ou efficiente, cause du changement (ce qui produit, détruit ou modifie la chose), et cause finale (ce « en vue de quoi » la chose est faite). 
Ainsi, la cause matérielle d'une écuelle est le bois ou le métal, son essence le fait de contenir des aliments, sa cause motrice le procédé par lequel on l'a fabriquée et sa cause finale son usage en alimentation.
Le problème est de savoir si la causalité est universelle, univoque et incontournable. 

Si tel était le cas, il faudrait admettre, à force de remonter le cours des évènements dans une logique déterministe, “que le premier matin de la création a écrit ce que sera la dernière aurore du monde.”

Pour William James, “la tentative de traiter la cause dans un but conceptuel comme un maillon séparable, a historiquement échoué. elle a conduit à nier la causalité efficiente et à lui substituer la notion purement descriptive d’une séquence uniforme entre les évènements.../… Une fois de plus la philosophie intellectualiste a dû massacrer notre vie perceptuelle sous prétexte de la rendre “compréhensible”, alors que le flux perceptuel concret, pris tel qu’il vient, nous offre dans nos propres situations d’activité des exemples parfaitement compréhensibles d’agencement causal…”

On peut supposer que James se serait régalé de la théorie quantique sur laquelle planchaient les physiciens au moment où il écrivait ces lignes. Elle colle si bien avec sa conception du monde, tant elle se joue en effet de la causalité, introduisant dans les sciences exactes l’incertitude et l’indétermination. De même elle se joue des contraires tels le continu (les ondes) et le discontinu (les particules) dont elle montre la complémentarité, voire la superposition !


Concluons cette analyse par un des champs de réflexion les plus passionnants abordés par le père du pragmatisme, celui de la foi, en évoquant tout particulièrement l’importance que revêt dans son esprit la volonté de croire. Celle-ci s’impose d’ailleurs naturellement dans bien des circonstances, car “ne pas agir selon une croyance revient souvent à agir comme si la croyance opposée était vraie…” et refuser de croire tout ce qui n’a pas été démontré par l’évidence, relève tout bonnement d’une attitude intellectualiste.

Empressons-nous de préciser qu’il n'est pas recommandé de croire n’importe quoi et surtout pas de se laisser aller à la superstition. Mais, bien qu’il haïsse les principes non fondés sur l’expérience, James considère qu’il est légitime pour une philosophie ouverte, dans certains cas et sous certaines conditions, de raisonner en intégrant des incertitudes, et faire en quelque sorte un pari sur l’avenir.

Dans la plupart des cas d’urgence, nous devons agir sur de simples probabilités et courir le risque d’erreur.” A l’inverse d’un compagnie d’assurance dont le rôle est de couvrir certains risques de la vie, et qui ne court elle-même aucun risque car elle opère sur un grand nombre de cas et sur une longue durée. Nous n’avons quant à nous "qu’une vie pour prendre position vis à vis des grandes alternatives métaphysiques ou religieuses, en choisissant l’option la plus probable et faire comme si l’autre n’existait pas, en nous exposant à subir le dommage entier si l’évènement trompe notre confiance….”


En définitive, “la foi demeure comme l’un des droits naturels inaliénables de notre esprit.”
Malheureusement, c’est aussi le point de fuite de toute philosophie, puisqu’il s’ouvre sur l’incertitude ontologique fondamentale.
Ainsi, l’ouvrage s’achève sur un double constat quasi kantien : “l’homme excepté, aucun être ne s’émerveille de sa propre existence. Cet étonnement est la mère de la métaphysique…” Et dans le même temps, “la philosophie contemple ce problème mais n’y apporte aucune solution raisonnée, car du néant à l’être, il n’existe aucun pont logique.”

Introduction à la philosophie. William James. Les Empêcheurs de penser en rond.

30 mars 2017

Introduction à la Philosophie 1

Il peut paraître étrange pour un penseur de l’envergure de William James (1842-1910), de terminer son oeuvre par une brève introduction à la philosophie.


Pourtant, c’est bien dans la ligne du personnage qui, armé d’un robuste pragmatisme, s’échina toute sa vie à rendre limpides les problématiques les plus complexes. Quoi de plus naturel et de plus louable en somme, au soir de sa vie, que de rassembler toute son expérience et tout son savoir pour tenter de mettre la métaphysique à la portée du commun des mortels, et notamment d’étudiants ?

Il n’eut hélas pas le temps de parachever son ouvrage et avant de s’éteindre, émit en toute humilité le souhait qu’on le présentât comme une esquisse. Mais bien qu’inabouti, ce livre ouvre de passionnantes pistes de réflexion.

Celles et ceux qui connaissent un peu l’oeuvre et l’esprit de James ne seront pas surpris par sa manière radicale, qui le conduit à s’exclamer bille en tête : qu’un homme sans philosophie est le plus défavorable et le plus stérile de tous les compagnons possibles.”

Ils ne seront pas plus étonnés par son approche non conventionnelle du sujet, considérant la philosophie, non comme une rêverie déconnectée de la réalité ou bien une utopie sans débouché concret, mais comme la mère de toutes les sciences, c’est à dire en somme bien davantage que le seul “reliquat des questions qui n’ont pas encore reçu de réponse...”


Philosopher, c’est donc faire preuve de modestie, et surtout se garder de tout dogmatisme : “Trop de philosophes ont cherché à construire des systèmes clos, établis a priori, se proclamant infaillibles et qu’on devait accepter ou rejeter en bloc...”

S’agissant de la métaphysique, qui se donne pour objet d’explorer “les questions les plus obscures qui soient, abstraites et de portée universelle, que la vie en général et les sciences suggèrent mais ne résolvent pas”, elle est naturellement sujette à caution. James fait sienne l’opinion de Kant, selon laquelle elle devrait se réduire à trois questions : Que puis-je savoir ? Que puis-je faire ? Que puis-je espérer ?


C’est une vraie gageure que de résumer l’exposé qui suit, tant il est fluide, relevant tantôt de l’évidence, comme l’eau qu’on boit, et tantôt de l’air impalpable, côtoyant les confins du monde tangible, parfois tout près de basculer dans l’indicible. Il s’agira donc d’en faire un relevé le plus libre possible et se donnant comme fil conducteur la préoccupation typiquement jamesienne, consistant à confronter chaque problématique à l’épreuve d’alternatives simples, binaires pourrait-on dire le plus souvent.


En tout premier lieu, on voit s’opposer le substrat de nos sensations, qu’il nomme “percept”, aux fruits de notre imagination et de notre raisonnement, les “concepts”. Et dans la foulée, se succèdent une ribambelle de couples antinomiques : Rationalisme/empirisme, Unique/multiple, fini/infini, continu/discontinu, être/néant, déterminisme/indéterminisme, causalité/hasard….


L’objet n’est pas ici de s’étendre sur tout ce qui sous-tend l’empirisme, déjà abordé dans d’autres billets, mais de rappeler que l’imagination humaine n’a de réel intérêt constructif que lorsqu’elle se fonde sur les données tirées de l’expérience.

A l’origine de toute approche philosophique il y a ce choix fondamental opposant attitudes rationaliste et empiriste : “Les rationalistes sont les hommes des principes, les empiristes les hommes des faits”, ou encore, “Les rationalistes préfèrent déduire les faits des principes. Les empiristes préfèrent expliquer les principes comme des inductions à partir des faits.”


En dépit du fameux clivage cartésien, force est de considérer que les sensations et la pensée sont mélangées chez l’homme, et qu’elles peuvent varier de manière indépendante, quoique n’tant pas vraiment de même nature.

La grande différence entre les percepts et les concepts est en effet que les premiers sont continus, tandis que les seconds sont discrets (ou discontinus). Ainsi, lorsque nous conceptualisons le monde, nous sommes contraints de l’enfermer dans des catégories distinctes et disjointes, même s’il s’agit de notions abstraites, aux transitions indéfinies telles que le jour et la nuit, l’été et l’hiver : “Nous harnachons la réalité perceptuelle à l’aide de concepts afin de la faire mieux correspondre à nos fins…”

Mais quelque soit la puissance de l’esprit qui le construit, “le schème conceptuel consistant en termes discontinus, il ne peut recouvrir le flux perceptif que par endroits, et incomplètement.”


La complémentarité entre percepts et concepts est toutefois source évidente de progrès : “Si nous n’avions pas les concepts, il nous faudrait vivre en recevant simplement chaque moment successif de l’expérience, comme l’anémone de mer, immobile sur son rocher, reçoit pour se nourrir ce que la lame ou les vagues lui apportent. Avec les concepts, nous partons en quête de l’absent, nous rencontrons le lointain, nous prenons rapidement telle ou telle direction, nous courbons notre expérience et nous la portons à ses limites.”

Grâce aux concepts, nous donnons donc un sens au monde qui nous entoure. Ce sont donc des outils indispensables mais la tentation est forte pour les êtres pensants que nous sommes, d’en abuser, de s’en gargariser et de “considérer la conception comme l’élément le plus essentiel de la connaissance.../… de mépriser les organes des sens, responsables d’une illusion vacillante qui barre la route de la connaissance.”
Il faut donc sans doute garder les pieds sur terre, même si l’on a la tête dans étoiles, et surtout “fuir l’attitude intellectualiste qui tente d’extraire la continuité de la nature comme on extrait le fil d’un collier de perles…”


A suivre...

27 octobre 2015

Qu'est-ce que l'empirisme radical ?

La pensée philosophique de William James (1842-1910) est toujours des plus stimulantes. Frappée au coin du pragmatisme, elle se veut efficace et porteuse d'applications pratiques dans la vie quotidienne. Quoique son approche puisse apparaître au premier abord comme très « terre à terre », elle n'est pas dénuée de prolongements psychologiques très pénétrants et n'élude en rien les problèmes spirituels, notamment la force et le mystère de la foi (la volonté de croire).
En un mot, elle est assez humble pour se plier de bonne grâce aux réalités tangibles et suffisamment élevée pour intégrer quelques supputations métaphysiques.

Cependant, comme le titre de cet ouvrage le rappelle, le maître mot de cette philosophie reste avant tout l’expérience. C’est elle qui conditionne toute connaissance et tout progrès. C’est elle qui nous donne une idée du monde qui nous entoure. Et c’est d’elle que nous tirons tout ce qui peut nous être utile, et tout ce que nous jugeons vrai ici bas.
Cette conception empirique n’est pas réellement nouvelle puisqu’on la fait habituellement remonter tantôt à l’antiquité avec la Tabula Rasa d’Aristote, tantôt au Moyen-Age avec Guillaume d’Ockham et son fameux rasoir, ou bien encore à la Renaissance avec Francis Bacon et sa doctrine des Idoles de l’Esprit. On sait également qu’elle trouva ses développements les plus lumineux avec John Locke au XVIIè siècle et avec David Hume quelques décennies plus tard.

Qu’est-ce donc que l’empirisme radical auquel cet ouvrage, assez ardu, il faut bien le dire, fait allusion dans son titre ?
C’est en quelque sorte le règne  de “l’expérience pure” qui est ici consacré par le philosophe, mais encore ?
Précisons d’emblée qu’en matière d’expérience, William James va plus loin que Hume en affirmant que “Pour être radical, un empirisme ne doit admettre dans ses constructions aucun élément dont on ne fait pas directement l’expérience, et n’en exclure aucun dont on fait directement l’expérience.” En bref, ne rien ajouter à l’expérience, aucune croyance, aucune superstition, mais ne rien lui retirer non plus, dans la mesure où son champ serait universel.
De fait, James considère que font partie de l’expérience, outre les termes de l'expérience, également les relations qui l’entourent. Ce qui l’amène à préciser ce qu'il entend par là : “L’expérience pure est le nom que j’ai donné au flux immédiat de la vie, lequel fournit la matière première de notre réflexion ultérieure avec ses catégories conceptuelles…” et plus loin : “Le champ instantané du présent est à tout moment ce que j’appelle expérience pure.”

Vaste sujet sans conteste, mais il est indéniable qu’une telle conception déroute un peu celui qui considérait le pragmatisme comme quelque chose de simple, et qui comprenait l’empirisme comme étant le contraire du rationalisme !
En réalité, sans doute faut-il comprendre cette apparente dématérialisation du concept expérimental comme une tentative faite pour exprimer le fait que “les choses et les pensées ne sont point fondamentalement hétérogènes, mais qu’elles sont faites d’une même étoffe, étoffe que l’on ne peut définir comme telle, mais seulement éprouver, et que l’on peut nommer, si on veut, l’étoffe de l’expérience en général…”

L’intérêt de cette approche plutôt complexe, autant qu’on puisse en juger, est surtout de déboucher sur une conception originale de la conscience, qui fait partie intégrante pour James du monde, donc du champ de l’expérience, et qui de ce fait, n’est plus vraiment une “entité”, mais seulement une “fonction”. Cette fonction c’est de connaître...
Pour préciser sa pensée, James livre une comparaison selon laquelle “objets et conscience sont comme les pigments et le liant de la peinture." On pourrait en somme conclure avec lui que “La conscience n’existe pas en tant que telle, mais qu’elle se définit avec les choses avec lesquelles elle forment la même étoffe.”

Autour de cette ligne directrice, s’inscrivent toutefois des définitions ou assertions beaucoup plus nébuleuses. Par exemple, lorsqu’il explique que “le paradoxe de la même expérience qui figure dans deux consciences semble donc n’être en rien un paradoxe", et que "l’acquisition de la qualité consciente, de la part d’une expérience, dépend d’un contexte qui vient à elle", ce dont il découle que "que la somme des expériences n’ayant aucun contexte, ne peut en toute rigueur être dite consciente. C’est un Cela, un Absolu, une expérience pure sur une échelle gigantesque, indifférenciée et indifférenciable en pensée et en chose.” 

Gageons que ces écrits, rassemblés sous formes d’essais posthumes, auraient gagné à être mis en forme de manière un peu plus limpide par l’auteur si la destinée lui en avait laissé le temps...

Gardons en tout cas, quelques citations plus concrètes glanées de ci de là, telle celle qui stipule que “la conscience est atemporelle. Elle n’est que le témoin de ce qui arrive dans le temps, où elle ne joue aucun rôle.”
Ou bien des réflexions témoignant d’une conception empirique plus classique. Par exemple celle selon laquelle “Nous vivons vers l’avant mais nous comprenons à rebours”, celle en forme de pierre dans le jardin du rationalisme : “Toute vérité invérifiable est vaine, c’est à dire inutile ou dangereuse.”
Ou cette controverse “relativiste” qu’il eut avec John E. Russell, sur une réalité très triviale : “le pain nous nourrit-il parce que c’est un aliment ? Ou alors, est-ce un aliment parce qu’il nous nourrit ? Ou encore être un aliment et nourrir ne sont-ils que deux manières de nommer les mêmes évènements physiologiques ?"
Et pour finir : “C’est une chose pour une idée d’être vraie, c’en est une tout autre de prouver que cette idée est vraie.../… La vérité et la vérification sont par conséquent des choses différentes…”

En guise de conclusion, et de manière sans doute un peu trop simpliste mais tant pis, on peut être tenté de prendre en compte le désir exprimé par William James, derrière sa soif d’expérience “pure”, de comprendre l’humanisme “à la fois comme un théisme et un pluralisme”. Devant cette assertion lourde selon laquelle, sans conscience l'expérience n'est rien et réciproquement, qu’il soit donc permis de suggérer que l’empirisme repousse l’âme au delà de la conscience avec laquelle on a tendance à la confondre mais qu’il ne l’exclut pas, pas plus qu’il n’exclut Dieu… En somme, ce n'est que repousser les limites de la métaphysique.

27 octobre 2013

La volonté de croire

Pour celui qui aspire à travers la philosophie, non pas à courir derrière de belles théories, aussi savamment exprimées soient-elles, mais à trouver quelques clés pratiques utilisables dans la vie de tous les jours, la lecture des ouvrages de William James (1842-1910) est un régal. Il n'a pas son pareil en effet pour aborder les champs de réflexion les plus impénétrables, qu'il défriche avec grâce et humilité, en les balisant de repères rassurants, et en extrayant ici ou là quelques pépites dont il a l'art de présenter sans artifice à ses lecteurs la pureté naturelle. Sa prétention n'est pas de donner des réponses à tout, et surtout pas de se livrer à des constructions idéologiques péremptoires. Il propose simplement une vision du monde la plus ouverte qui soit, et considère notre rapport à ce dernier, avec une logique ductile, associant la fois limpidité, souplesse et liberté.

Dans un essai au titre évocateur*, il aborde le problème des croyances et de la foi religieuse, qu'il confronte à l'épreuve du pragmatisme. Tâche à peu près vaine pourrait-on penser de prime abord, tant l'antinomie paraît flagrante. Concilier l'insaisissable spirituel et les trivialités pratiques, quoi de plus impossible en apparence ?
En apparence seulement, pour James qui suppute qu'il y a peut-être en définitive quelques circonstances où la foi ne serait pas dénuée d'utilité.

Afin qu'il n'y ait aucun malentendu, le philosophe pose d'emblée qu'en l'occurrence, il ne cherche aucunement à renforcer l'importance des croyances, accordant notamment que « ce qui manque le plus à l'humanité ce n'est point la foi, mais l'esprit critique et la circonspection. »
Il rappelle pareillement que « si l'hypothèse scientifique la plus vraie est celle qui fonctionne le mieux, il n'en peut être autrement des hypothèses religieuses. »
Cela dit, il ajoute également que « si nombre de ces dernières se sont écroulées au contact d'une connaissance plus approfondie de l'univers, il n'en reste pas moins évident que certains articles de foi ont survécu et qu'ils ont même aujourd'hui plus de vitalité que jamais... »

Celui qui se définit comme empiriste radical, va même plus loin en affirmant que « la nature humaine n'offre rien de plus intéressant et de plus précieux que ses idéals et ses croyances en l'au-delà », ajoutant que « la fermentation religieuse est toujours un symptôme de la vigueur intellectuelle d'une société, et [que] nos croyances ne sont nocives que lorsqu'elles oublient leur caractère hypothétique pour émettre des prétentions rationalistes ou dogmatiques. »
Ceci posé, James, préoccupé d'efficacité, entreprend de débusquer les situations où la foi peut s'avérer utile, c'est à dire où « la foi en un fait peut aider à créer le fait », ou encore, des circonstances où « la croyance crée sa propre validation ». Et il n'éprouve guère de difficulté à en trouver légions. L'exemple le plus parlant qu'il donne est celui d'un train attaqué par des bandits. Tous les voyageurs se laissent en règle piller parce que si les bandits peuvent compter les uns sur les autres, chaque voyageur sait que sa résistance entraînerait sa mort. Or si chaque voyageur avait foi en la réaction des autres, il réagirait, et le pillage deviendrait impossible...

James excipe de ce cas bien concret, une observation de portée beaucoup plus générale. Il constate ainsi que pour voir une espérance se réaliser, mieux vaut y croire. Il en est ainsi pour un politicien en campagne électorale, pour un étudiant commençant des études difficiles, pour une personne cherchant un emploi, pour un sportif s'engageant dans une compétition, ou bien pour une armée livrant une bataille... Même s'il serait vain de nier l'importance d'une bonne préparation à l'épreuve, il est évident que la conviction de réussir peut s'avérer un facteur déterminant.
A l'appui de sa démonstration James cite opportunément un de ses amis, William Salter, membre de la Philadelphia Ethical Society : « De même que l'essence du courage consiste à risquer sa vie sur une possibilité, de même l'essence de la foi consiste à croire qu'une possibilité existe. »
Du « vouloir c'est pouvoir », c'est bien la volonté de croire qui est le primum movens de toute action, de tout progrès, de toute évolution. Et c'est même à ses yeux, un argument fort et optimiste qui permet d'affirmer que la vie vaut la peine d'être vécue...

William James fournit ainsi des prolongements spirituels bienvenus à la pensée empirique, un peu sèche si ce n'est froidement matérialiste, telle qu'elle fut illustrée par Locke, Hume, Mill où même Kant.
Il invite à dépasser une conception purement scientifique, soi-disant neutre et objective du monde, en montrant qu'elle est contraire à la nature humaine, considérée elle-même comme composante essentielle de La Nature. La force de cette proposition est de faire du substratum physique conditionnant notre existence, de « l'armée de molécules », dont il est constitué, un tremplin vers l'indicible, une vraie raison d'être en somme, « par delà les confins des sphères étoilées ».

Rien ne saurait mieux illustrer cette idée que ces deux réflexions livrées pour conclure (sans donner naturellement au mot Dieu une acception répondant à des critères de certitude) : « Un quatuor à cordes de Beethoven se ramène en fait à un bruit de boyaux de chat raclés par une queue de cheval, mais si complète et exacte que soit cette description, elle n'exclut en aucune manière une description tout autre.../... De même, une interprétation mécanique de l'univers n'est pas incompatible avec une interprétation téléologique car le mécanisme lui-même peut impliquer la finalité... »
« Dieu lui-même, en somme, peut puiser dans notre fidélité une véritable force vitale, un accroissement de son être »


* La volonté de croire. William James. Les Empêcheurs de tourner en rond/ Le Seuil. Paris 2005

20 novembre 2011

Leçons de Pragmatisme (4)


Pragmatisme et Monisme/Pluralisme
Une problématique que James juge essentielle en matière philosophique est celle qui touche à l'unicité du monde : "Croire en l'Un ou croire au Multiple voilà la classification la plus riche de conséquences."
Encore une occasion pour lui de poser la question en terme de finalité : Quel changement pratique induit le fait de penser le monde dans l'unicité ou dans la pluralité ?

L'inclination naturelle de l'esprit humain est de penser, dit-il, que "le monde est Un". "Ce monisme est une musique qui flatte notre oreille : elle élève notre âme et nous rassure."
Mais à bien y réfléchir cette hypothèse est intenable d'un point de vue pratique tant elle dépasse l'entendement humain, et tant elle pose d'impératif dont le monde dans lequel nous vivons ne saurait rendre compte. En effet, "l'unité absolue, par définition ne connaît pas de degré. Le moindre écart corrompt le principe.../.. Autant dire que l'eau contenue dans un verre est pure parce qu'elle ne contient qu'un seul petit germe de choléra !"

Certes le monde est unique au moins "comme objet de discours" et c'est tant mieux, car sinon nous ne pourrions même pas en parler. Il rassemble des choses qui se tiennent par une certaine continuité. "Le temps et l'espace sont des supports de la continuité qui permettent aux diverses parties de l'univers de tenir ensemble." Il y a même quantité d'autres lignes de continuité ou de lignes d'influence entre les choses. Plus généralement, "il y a entre toutes les choses cohésion et adhésion d'une manière ou d'une autre, si bien que pratiquement, l'univers existe sous forme de chaînes ou de toiles d'araignée qui font une chose continue ou intégrée."
On peut également évoquer pour accréditer l'unité du monde, la cause première de son existence, le lien générique qui regroupe de manière hiérarchique les choses et enfin l'unité de but qui les caractérise. On pourrait même ajouter l'harmonie esthétique de l'univers et l'unité transcendantale du sujet connaissant, chère à l'idéalisme, aussi unique que l'univers lui-même.

Dans l'état actuel de nos connaissances, et dans la situation où se trouve l'esprit humain, l'attitude pragmatique consiste toutefois à renoncer au monisme absolu aussi bien qu'au pluralisme : "Le monde est un, dans la mesure où ses parties tiennent ensemble grâce à un type de relation quelconque. Il est multiple dans la mesure où certaines relations ne parviennent pas à s'établir."
Au total, "l'hypothèse d'un monde dont l'unité est encore imparfaite et le sera peut-être toujours" est la plus appropriée à ce qui est. Le pragmatisme s'inscrit ainsi dans une logique qui n'est pas sans rappeler celle du bon vieux Kant. Sans rejeter l'hypothèse d'une finalité relevant d'un absolu unique, inaccessible, elle considère qu'il vaut mieux pour l'heure s'en tenir humblement aux concepts sur lesquels notre entendement et notre raisonnement ont prise : "Nous sommes comme des poissons nageant dans l'océan des sens que borne par au dessus l'élément supérieur que nous sommes incapables de respirer ou de pénétrer."

Pragmatisme et Humanisme/Religion
Les dernières leçons de William James portent sur les rapports que peut entretenir le pragmatisme avec l'humanisme et la religion. Il amène le lecteur à adopter une attitude ouverte sur le sujet, puisque l'idée de Dieu n'apparaît pas contradictoire avec la perspective d'un monde perpétuellement en mouvement vers le progrès et l'amélioration : "la philosophie pragmatique a aucun moment ne congédie les conceptions religieuses positives desquelles au contraire, elle est proche."
Proche également, une fois encore et sans le dire, de Kant s'émerveillant à la fois du ciel étoilé au dessus de sa tête et de la loi morale au fond de lui, James énonce comme quelque chose d’incontournable : "ce besoin d'un ordre moral éternel [qui] est l'un des plus profonds qui soient ancrés en nous". Il affirme que d'un simple point de vue pratique, l'idée de Dieu est préférable au nihilisme athée car, elle "nous garantit l'existence d'un ordre éternel idéal."

Dans le même temps, il insiste sur l'importance fondamentale qu'il y a de ne pas mêler des considérations relevant d'un quelconque absolu immanent, à celles qui cherchent à construire une philosophie pratique : "La notion d'une réalité qui exigerait que nous soyons en accord avec elle, sans raison aucune, mais seulement parce que cette exigence est inconditionnelle ou transcendante, est une idée qui me dépasse complètement."

Selon ce point de vue, la réalité n'est pas quelque chose d'extérieur à nous mais un continuum dans lequel nous sommes et que nous pouvons faire évoluer. En d'autres termes, que la réalité soit ne dépend que d'elle, mais ce qu'elle est dépend de l'angle choisi et ce choix ne dépend que de nous. Et pour qu'elle ait un sens, "la réalité est ce dont les vérités doivent tenir compte en général."
Dans cette perspective la religion finit par se confondre avec l'humanisme, de sorte qu'on ne saurait gommer la contribution apportée par l'homme, au devenir du monde. Nous croyons souvent que la réalité est déjà toute faite et achevée, et que notre intellect n'est apparu que pour la décrire telle qu'elle est déjà. Invoquant le philosophe allemand R. H. Lotze (1817-1881), James se demande "si la réalité existante ne serait pas là précisément pour stimuler notre esprit afin qu'il produise ces ajouts qui vont augmenter la valeur totale de l'univers plutôt que dans le but de réapparaître telle quelle dans notre connaissance..."
Cette hypothèse aux accents prométhéens est fascinante car elle revient à envisager que : "le monde est tout à fait malléable et qu'il attend que nous lui apportions , de nos mains, les dernières touches..."

En définitive, en réduisant l'essence divine à sa plus simple expression, et qu'on en ait une conception moniste ou pluraliste, tout se passe comme si Dieu (au sens très large), n'était qu'un allié dans la lutte des hommes pour devenir meilleurs et rendre le monde meilleur...
Et sur ce long, très long chemin, William James affirme, après avoir combattu leurs excès, que le pragmatisme n'a d'autre dessein que celui de réconcilier les esprits délicats et les esprits endurcis !


Pour conclure
Ce petit ouvrage s'avère beaucoup plus profond que son titre ne porte à l'imaginer. C'est sans doute un peu le drame de la philosophie américaine, qui fait qu'elle est si mal interprétée, si incomprise. Elle manie des concepts en apparence simples et elle privilégie à tout moment la poursuite d'intérêts pratiques (au même titre que celle du bonheur). On ne saurait être plus trivial pour des esprits qui se piquent d'intellectualisme !

Preuve est faite s'il le fallait que ce n'est pourtant en rien contradictoire avec l'élévation de la pensée. William James marie les plus hautes aspirations avec une sorte de bon sens rustique.
Il en tire plus qu'une philosophie : une méthode pour s'attaquer aux problématiques les plus complexes, avec la même analyse qu'un plombier face à une fuite d'eau.
Il montre l'importance qu'il y a de bien poser les questions, de les décomposer si nécessaire, en alternatives abordables par le raisonnement, et il souligne la nécessité de chercher à définir à chaque fois la finalité à laquelle elles sont susceptibles de pouvoir répondre.
Au surplus, l'originalité de son approche est de s'inscrire dans une dynamique mélioriste, suggérant qu'un monde apte au progrès a beaucoup plus de sens qu'un autre qui serait trop statique, trop prédéfini, trop matériel...

La réédition récente de la préface que fit naguère Henri Bergson (1859-1941) pour cet ouvrage, fournit l'occasion de confirmer le caractère novateur de cette démarche et de préciser son apport spirituel. Puisque dans l'homme il y a de l'esprit, pourquoi dénier à ce dernier une réalité palpable : "Les sentiments puissants qui agitent l'âme à certains moments privilégiés sont des forces aussi réelles que celles dont s'occupe le physicien."
Enfin et surtout, il précise comment James a bouleversé la manière dont on peut penser le réel et le vrai, comment la vérité peut être considérée comme le cœur battant de la relation qu'a l'homme au monde, c'est à dire la réalité, laquelle est susceptible d'évoluer. La vérité n'est pas déposée dans les choses et dans les faits, elle ne préexiste pas à nos affirmations : "nous définissons d'ordinaire le vrai par sa conformité à ce qui existe déjà. James la définit par sa relation avec ce qui n'existe pas encore.../... La philosophie a une tendance à vouloir que la vérité regarde en arrière, pour James, elle regarde en avant."
En définitive, selon Bergson, à travers les propos de James, la vérité relève plus de l'invention que de la découverte. Pas étonnant dès lors qu'il devienne possible d'affirmer avec lui que "comme toute invention, elle ne vaut que par son utilité pratique."

Et pour finir, un hommage on ne peut plus vibrant, d'un philosophe à un autre, par dessus l'Atlantique : "La postérité mettra William James à sa vraie place. Elle dira sans doute que ce penseur fut un des plus grands, et que nul ne fit un plus vigoureux effort pour étreindre la réalité..."

Henri Bergson Sur le pragmatisme de William James, PUF Collection Quadrige Grands textes. 2011

15 novembre 2011

Leçons de Pragmatisme (3)

Pragmatisme et Sens Commun
William James suggère une théorie de la connaissance, faisant du "sens commun" un terreau constitué par les découvertes passées qui ont "réussi à traverser toute l'expérience subséquente en se conservant", sur lequel viennent se greffer de nouvelles expériences sans jamais complètement déloger l'acquis. Einstein ne remplace pas Newton en quelque sorte, et Kant ne supprime pas Platon.
Le sens commun, qui semblait un concept des plus figés, acquiert une signification dynamique inédite. Dans ce processus en constante évolution, le "possible" est une idée maîtresse, se définissant comme "quelque chose de moins par rapport au réel et quelque chose de plus par rapport à l'irréel". C'est ce qui permet à l'être humain de relier les choses et les êtres entre eux et de raisonner sur eux, même en leur absence. Tout le contraire de l'animal qui n'imagine pas ce que son maître va faire, ni où il va, lorsqu'il sort sans lui. Ou bien du bébé qui "lorsque son hochet tombe, ne le cherche pas. Pour lui, il est "parti".

Cette conception amène à réfléchir sur la fiabilité des bases fondant le sens commun. A ce propos James rappelle la réticence de l'être humain à remettre en cause ce qu'il croit acquis : "lorsqu'il s'agit d'appréhender des faits tellement nouveaux qu'ils entraîneraient une remise en cause radicale de nos idées préconçues, généralement on les ignore complètement ou on maudit les gens qui nous les font remonter."
C'est une force car il serait épuisant de remettre systématiquement tout en cause, mais c'est aussi une fragilité d'où il découle que : "bien que le sens commun ait l'apparence de la connaissance éprouvée, il faut toutefois s'en méfier."
Il faut également accepter l'incapacité du sens commun à répondre à certaines questions pratiques. Un seul exemple : à l'instar du fameux bateau de Thésée, "un couteau dont on a changé le manche et la lame reste-t-il le même ?"
Enfin à l'inverse de ce qu'imaginaient les philosophes de l'école péripatéticienne, les catégories du sens commun n'ont rien d'éternel ou d'immuable. Car, depuis qu'il est capable de modifier le monde qui l'entoure, "l'homme crée des choses nouvelles qui bouleversent le sens commun." 
Il en crée même tant, "qu'il risque de se noyer dans ses propres richesses comme un enfant dans son bain, qui ne sait pas refermer le robinet qu'il a ouvert..."
A ce stade, James compare les retombées pratiques respectives de la science et de la philosophie, et émet là une sévère critique de cette dernière "qui va beaucoup plus loin dans ses négations que le stade scientifique, [mais] n'a pas augmenté jusqu'à présent la portée de notre puissance pratique"
Il recommande en conséquence de considérer les théories comme "des instruments, des moyens que trouve l'esprit pour s'adapter à la réalité" plutôt que "des révélations, ou des réponses gnostiques à ce monde énigmatique créé par Dieu".
Ce qui l'amène à poser le problème qui en découle naturellement "N'y aurait-il pas après tout une certaine ambiguïté dans la vérité ?"

Pragmatisme et Vérité
De fait, la vérité est un concept des plus discutables, et sur ce sujet plus que sur tout autre, s'affrontent clairement les conceptions rationalistes et pragmatiques.
Il faut certes accorder à la vérité des choses, une certaine universalité, "pourvu qu'on ait bien identifié les concepts (les genres) sur lesquels elle s'exerce : un et un font deux, le blanc est plus proche du gris que du noir, lorsqu'une cause commence à agir, l'effet débute... Ces propositions sont vraies pour tous les uns, tous les blancs, toutes les causes."

En pratique il faut donc insister sur le fait que "les noms qu'on donne aux choses sont arbitraires, mais une fois qu'ils ont pris un sens il faut s'y tenir."
Pour autant, la vérité utile ne relève pas davantage d'un absolu immanent que d'une réalité matérielle trop bornée. Le pragmatisme propose une approche qui se situe à la croisée des chemins. Pour le rationaliste, "la vérité demeure une pure abstraction dont le seul nom doit nous inspirer le respect. Tandis que le pragmatiste entreprend de montrer en détail pourquoi il faut s'incliner, le rationaliste se révèle incapable d'identifier les faits concrets dont il a tiré son abstraction."
Au surplus, "malgré son attachement aux faits, il ne souffre pas du même penchant matérialiste que l'empirisme ordinaire" et il ne voit "pas d'inconvénient à concevoir des abstractions tant qu'elles vous permettent de vous mouvoir parmi les faits particuliers et qu'elles vous mènent quelque part." On pourrait même poursuivre le raisonnement encore plus loin en acceptant "qu'une idée est vraie dès lors qu'y croire nous aide à vivre..."

L'attitude pragmatique face à la vérité, se ramène donc comme souvent, face à un questionnement, à soupeser les alternatives en fonction de la finalité recherchée. Elle vise à interpréter chaque notion en fonction de ses conséquences pratiques : "Quelle différence y aurait-il en pratique si telle notion plutôt que telle autre était vraie ? Si aucune différence pratique n'apparaît, c'est que les deux notions sont pratiquement équivalentes et que la discussion est vaine."
Le vrai est donc une idée toute relative, évolutive, et en pratique, on peut l'assimiler à "ce qui paie". En d'autres termes, la vérité de nos idées "réside dans le fait qu'elles fonctionnent". On touche ici le cœur de l'esprit anglo-saxon notamment américain, et dont on se méfie si fort en Europe et particulièrement en France. C'est sans doute à cause de cet a priori que le pragmatisme y est si méprisé et incompris autant que méconnu. Einstein avait plaisanté sur ces notions en s'exclamant que : "La théorie, c'est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. - La pratique, c'est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi..."

En bref, la vérité n'a d'intérêt que in rebus et non pas ante rem. C'est une approximation "qui se réduit à ce qui est opportun en matière de pensée, tout comme le Bien se réduit à ce qui est opportun en terme de conduite..."

A suivre....

13 novembre 2011

Leçons de Philosophie Pragmatique (2)


Avec un sens aigu de la pédagogie, et avec l'ambition de tordre le cou au dualisme manichéen qui oppose rationalisme et empirisme, William James décompose son propos sur le pragmatisme, de manière à le confronter sans détour, aux grands thèmes de la réflexion philosophique : métaphysique, monisme et pluralisme, sens commun, vérité, humanisme, et enfin religion. Une réflexion qui s'avère en tous points captivante.

Pragmatisme et Métaphysique
S'agissant de la métaphysique dont on connaît la propension aux nébulosités, James montre qu'elle peut être abordée d'un point de vue pratique.
Il s'interroge en premier lieu sur la notion aride de substance, qui sous-tend l'opposition entre matérialisme et spiritualisme et qui constitue une des plus vieilles pierres d'achoppement de la philosophie. Au quotidien on a tendance à confondre, de manière quasi indissociable, la substance avec les attributs qui la définissent à nos sens. La substance craie est ainsi réduite dans notre esprit à ses caractéristiques : blancheur, friabilité, insolubilité dans l'eau, etc... Chaque substance n'est qu'une des modalités d'une substance plus élémentaire qu'on nomme matière, définie par deux attributs : l'étendue et l'impénétrabilité.
Par analogie, ajoute James, "nos pensées et nos sentiments sont des affections ou des propriétés de nos âmes respectives, qui sont des substances, dépendantes à leur tour d'une substance plus profonde, "l'esprit" dont elles sont les modes."
Mais en pratique, la notion de substance est une abstraction  pure, qui permet de donner un mot aux choses et une cohésion aux attributs par lesquels nous percevons ces mêmes choses, mais elle n'a pas de réalité à proprement parler. Qu'il y ait substance ou non ne change rien à la manière dont nous percevons ses attributs.
Étrangement, la seule application pratique de la notion de substance, selon James, réside dans l'eucharistie chrétienne, durant laquelle, quoique ses propriétés physiques ne changent pas, l'hostie devient (à condition d'y croire naturellement), le corps du Christ. De substance pain elle devient donc substance divine !
 
Une question dès lors se pose : de savoir si derrière la substance tangible réside ce qu'on pourrait assimiler à la substance en soi, chère à Kant (noumène). Une autre de définir la nature de la substance princeps : est-elle matérielle ou spirituelle ?
 
Les matérialistes tels que Berkeley considèrent qu'il est vain d'imaginer une substance inaccessible, "à l'arrière-plan du monde externe". A sa suite Locke et surtout Hume dénient même l'existence d'une âme derrière la conscience.
Pourtant James, au lieu de trancher sur des notions relevant de spéculations, préfère plutôt tenter de déterminer "quelle différence pratique peut découler du fait que le monde soit gouverné par la matière ou par l'esprit."

Il amène ensuite à débattre du matérialisme sous un angle original en affirmant que "pour ce qui concerne le passé du monde, peu importe qu'on croie qu'il ait été créé par la matière ou par un esprit divin."
Quelque soit le point de vue, ça ne change en effet rien à l'idée qu'on peut en avoir : "une fois le rideau tombé, la pièce qui vient d'être jouée n'est pas meilleure parce qu'on prétend que l'auteur est un génie, et pas moins bonne parce qu'on dit au contraire qu'il s'agit d'un écrivaillon." Selon cette appréciation rétrospective, le débat entre le matérialisme et le théisme est vain et dénué de sens. "Matière et Dieu signifient exactement la même chose, c'est à dire ni plus ni moins la puissance qui a créé ce monde fini et lui seul..."

Tout change en revanche si l'on analyse le monde en devenir. Force est alors de convenir que le matérialisme "n'est pas garant permanent de nos intérêts les plus élevés, qu'il ne peut combler nos espoirs ultimes". Sans avoir besoin de préjuger de l'existence de Dieu, et d'un simple point de vue scientifique, il est impossible de nier la finitude de la matière : "la croyance spiritualiste sous toutes ses formes a affaire à un monde plein de promesses, tandis que le soleil matérialiste sombre dans un océan de désenchantement."
L'optique qui consiste à voir en avant et qui postule un futur ouvert et meilleur, éclaire également d'un nouveau jour les questions relatives au dessein de la nature et au libre arbitre.
Au sujet du premier, James récuse la conception théiste classique, dont le simplisme est battu en brèche par les constatations du darwinisme (qui introduit dans le processus évolutionniste les notions de hasard et de nécessité). S'il n'est pas exclu qu'un dessein existe, il n'est certainement pas univoque et plein de bonté mais "si vaste qu'il dépasse l'entendement humain". Pour l'heure, "la vague confiance en l'avenir est la seule signification pragmatique que l'on puisse attribuer aux termes dessein et créateur."
Partant du même principe, James renvoie dos à dos les partisans du libre arbitre et ceux du déterminisme, considérant que dans l'absolu, aucune des deux options n'a de sens. Il recommande une fois encore de se placer dans une perspective où le monde et notre condition sont susceptibles de s'améliorer (méliorisme). Il est clair que le déterminisme, en niant la possibilité de la moindre initiative, de la moindre nouveauté par rapport à l'impulsion originelle des événements, fait obstacle à cette "théorie cosmologique de la promesse". D'un autre côté, si comme le pensent certains théologiens, tout ce qui arrive ici bas est attribuable à la volonté de Dieu, alors le libre arbitre est une absurdité, car le monde étant par essence parfait, "liberté voudrait dire dire liberté d'être pire, et qui serait assez fou pour désirer cela" ?
Autrement dit, si le monde a pour vocation de tendre vers l'amélioration et si l'homme a quelque rôle à jouer dans ce progrès, le libre arbitre constitue le meilleur outil dont il puisse disposer...

(à suivre...)

06 novembre 2011

Leçons de Philosophie Pragmatique (1)


Rarement ouvrage de philosophie m'a paru plus évident, plus humble et pertinent que cette introduction au pragmatisme, proposée en huit leçons par le philosophe américain William James (1842-1910).
Non content d'avoir été un des fondateurs de la science psychologique moderne, ce dernier décrivit une méthode de pensée des plus originales et des plus abordables, en dépit de la complexité des problèmes auxquels elle s'attaque.

Pourtant, de l'aveu de James lui-même, on pourrait remonter à la Grèce antique, pour trouver la source des concepts qu'il entreprend d'exposer dans cet ouvrage : "rien de nouveau dans la méthode pragmatique : Socrate l'utilisait en expert, et Aristote en avait fait sa méthode".
Disons également qu'elle emprunte également beaucoup aux philosophies empiristes ou utilitaristes telles que proposées par Locke, Hume, Mill, mais qu'en enlevant les quelques bornes matérialistes ou positivistes qui en limitaient parfois la portée, elle s'avère susceptible d'emmener le lecteur dans un voyage intellectuel passionnant, qui part des considérations les plus terre à terre et s'élève en toute quiétude vers l'infini.

Selon James, il est essentiel avant toute chose de délimiter d'emblée le champ des possibles. Dans cette optique, il distingue au plan historique, deux grandes catégories de penseurs, qu'il oppose radicalement, à savoir les empiristes et les rationalistes.
Il en donne même une définition schématique en relevant les principales caractéristiques qui fondent à ses yeux les deux lignages, assimilant de manière un peu narquoise les rationalistes à des esprits "délicats" (tender-minded) et les empiristes à des esprits "endurcis" (tough-minded).
Ainsi, on peut distinguer les uns des autres en opposant respectivement les modalités sur lesquelles se fonde leur pensée.
Le Rationaliste est : intellectualiste, idéaliste, optimiste, religieux, partisan du libre arbitre, moniste, dogmatique.
L'Empiriste est au contraire : sensationnaliste (se fondant sur la réalité des sensations), matérialiste, pessimiste, irréligieux, fataliste, pluraliste, sceptique.

En bref, la ligne de partage se définit à partir de la source même du point de vue adopté : "le rationaliste voue un culte aux principes abstraits et éternels" tandis que "l'empiriste s'attache aux faits dans leur variété brute".
De ce fait, suivie trop exclusivement, la première voie a tendance à noyer l'adepte dans un flot de conjectures et  offre en règle peu de débouchés pratiques, tandis que la seconde risque de l'enfermer dans un positivisme borné par le matérialisme et un froid déterminisme. Or, "Ce qu'il nous faut" s'exclame James, "c'est une philosophie qui non seulement sollicite nos facultés intellectuelles d'abstraction, mais encore soit en prise directe avec le monde réel de nos vies humaines finies."
D'une manière générale il conseille donc d'écarter les théories qui réduisent le monde à des systèmes, aussi séduisants soient-ils. Bien souvent selon lui, "le monde auquel vous donne accès le philosophe est clair, limpide et noble. Il ne comporte aucune des contradictions de la vie réelle.../... c'est un temple de marbre qui scintille au sommet d'une colline." Mais cette manière de concevoir les choses, trop bien définie, est vaine, "car l'univers réel est une chose ouverte. Or le rationalisme fabrique des systèmes, et les systèmes sont forcément clos."

C'est dit, le premier intérêt du pragmatisme est de proposer une approche totalement ouverte, qui n'écarte rien a priori, et qui retient avant tout ce qui permet de progresser ou de devenir meilleur. Ainsi, "comme les doctrines rationalistes, il peut rester proche de la religion [et d'une manière générale des concepts tenant à la spiritualité], mais en même temps, comme les philosophies empiristes, il peut se tenir au plus près des faits."
Le pragmatisme procède pas à pas, sans dogme pré-établi. Il n'a aucun dessein immanent, pas d’à-priori. Il n'a pas l'ambition d'élucider les causes finales, mais développe une conception téléologique qui argumente largement en s'appuyant sur la finalité des spéculations intellectuelles. Il se fonde sur le simple bon sens, et tire toute sa substance de l'analyse du réel, dont nous sommes faits et qui jusqu'à preuve du contraire, nous entoure, sans occulter lorsque cela peut avoir un intérêt pratique, le domaine supra-sensible. C'est avant tout une méthode de "résolution des débats métaphysiques qui sans cela seraient interminables". A cette fin, le pragmatique tente notamment de débusquer les problématiques mal ou trop imprécisément posées, et celles qui n'aboutissent qu'à des réponses vaines, ou bien inappropriées aux questions qu'elles sous-tendent.

Avant de pénétrer un peu plus loin dans le raisonnement, et en guise d'introduction à la méthode, trois exemples concrets recueillis au cours de ces huit leçons, illustrent cette démarche.
Le premier décrit le cas de figure d'une personne tournant autour d'un arbre sur le tronc duquel est accroché un écureuil, tournant également, de manière à ce qu'en permanence le tronc s'interpose entre l'animal et l'observateur.
La question est de savoir si dans une telle configuration, ce dernier tourne autour de l'écureuil ou non. "La personne tourne autour de l'arbre bien sûr, et l'écureuil se trouve sur l'arbre, mais tourne-t-elle autour de l'écureuil ?"
Bien que la plupart des gens soient enclins à répondre par l'affirmative ou par la négative, James montre qu'il est impossible de se prononcer, sans avoir défini préalablement ce qu'on appelle "tourner autour". En effet, si l'on considère qu'il s'agit de se trouver successivement à l'est, au sud, à l'ouest puis au nord de l'écureuil, le réponse est oui. Mais si l'on considère qu'il s'agit de se trouver sur le côté droit puis en face, puis sur le côté gauche et enfin derrière l'animal la réponse est non.
A côté de ce cas de figure où l'impossibilité à répondre tient au manque de précision de la question, on peut trouver d'autres situations non moins ambiguës. Par exemple, lorsqu'en des temps reculés on s'interrogeait pour savoir si le principe actif du levain relevait d'un elfe ou bien d'un farfadet, bien présomptueux était celui qui se prononçait de manière définitive. En la circonstance, à quoi bon choisir une option, puisque aucune n'avait de réelle pertinence et qu'aucune ne faisait avancer d'un iota la connaissance du phénomène ?
Le troisième exemple tente de montrer la relativité de la vérité et d'inciter à se méfier du vrai en soi, lorsqu'il s'apparente à une pure abstraction, sans intérêt pratique. "Si vous me demandez l'heure et que je vous réponds que j'habite au 95 rue Irving, ma réponse a beau être vraie elle n'est en la circonstance d'aucune utilité. Une adresse erronée ferait aussi bien l'affaire."
Dans l'absolu, le vrai n'a en définitive pas plus de sens que le faux et la véracité d'une chose n'a de sens que rapportée à un besoin, à un objectif.

A suivre....

Référence : William James. le Pragmatisme. Flammarion, collection "Champs, classique"