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28 février 2019

Un Prince Disparaît...

Sa silhouette était unique, à la fois classieuse et excentrique, iconique jusqu’à l'outrance mais parfaitement contrôlée, le tout teinté d’auto-dérision (il s’appelait lui-même “logofeld”).
Hormis le blanc et le noir, les couleurs étaient rares dans ses tenues, mais le strict arrangement de ses cheveux disciplinés en un catogan neigeux très XVIIIè, l’extravagant collet monté faisant office d’instrument exquis de supplice, l’écran de fumée de ses lunettes voilant pudiquement son regard, la moue mi-narquoise mi-contrite qu’il affichait en toute circonstance, tout cela lui donnait une dégaine un peu hautaine, dégageant toutefois un charme fou et une belle originalité. L’allure d’un prince en somme, même s’il ne régnait que sur le domaine frivole de la haute couture.


Fou, il ne l’était assurément pas, lui qui sortit Chanel de la désuétude et qui remit la marque sur les rails prestigieux du luxe à la française. Derrière l’image d’un dandy dilettante, il travaillait paraît-il sans cesse, avec un sens aigu de l’observation, un souci obsessionnel du détail et une verve artistique rare à notre époque. Son amour de la beauté l’accaparait sans relâche et il l’exprimait avec une sincérité confondante.

Il était la mode personnifiée, pourtant il semblait totalement intemporel, au dessus des trivialités et des niaiseries du monde. Il fut le mentor d’une marque qui avait acquis sa notoriété en sublimant les signes du classicisme le plus intangible (le double C, le fameux tailleur éponyme, le canotier, le camélia, le sac à main matelassé...). Son boulot, se plaisait-il à répéter c’était “de donner un aspect nouveau à tout ça tous les six mois”. Le moins qu’on puisse dire, est qu’il n’a pas trop mal réussi...
Derrière la froideur distanciée qu’il mettait entre lui et les autres, l’être était sans doute passionnant, cultivant à travers une solitude assumée, un goût pour l’élévation d’âme et un subtil mélange de dédain et de tendresse pour tout ce qui fait la vie.
Participant de l’écume des jours, il se voulait superficiel et léger (sans être c… pour autant, précisait-il), attaché avant tout au renouvellement, ne prenant en somme rien au sérieux sauf le chemin qu’il s’était tracé, sur lequel il était en perpétuel mouvement, considérant que “c’est bien de faire, ce n’est pas intéressant d’avoir fait.”
L’existence relevait pour lui du même principe : sitôt interrompue par la mort, le charme se brise, rien ne sert de se lamenter ou de tenter de prolonger ce qui n’est plus. “Quand c’est fini, c’est fini”. Foin des enterrements, foin des cérémonies, il faut disparaître en toute discrétion, en ne laissant à la surface qu’un aimable souvenir…
On dira pour finir qu’il passa sa vie à sublimer la féminité. On voudrait tant pouvoir admirer ses innombrables dessins, restés à ce jour secrets, par lesquels il en magnifia si subtilement les lignes et les formes. En contribuant à donner un sens à l’éternel féminin, rayonnant, gracieux, changeant, émouvant, mystérieux, il fit cruellement ressortir l'ineffable stupidité de ceux qui voudraient le nier au motif de l’égalité des sexes !

Aujourd’hui qu’il est passé de l’autre côté, l’esprit de Karl Lagerfeld peut avec son accent teuton à couper au couteau, murmurer en anglais, en français ou en allemand, mais à la première personne, les vers que Shelley écrivit pour son ami le poète John Keats, trop tôt disparu : “he hath awakened from the dream of life…”