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02 mars 2010

Un Français chez les Lincoln

L'occasion m'a récemment été donnée par un ami, de lire un ouvrage étonnant : le recueil de lettres d'un Français, Adolphe de Chambrun, émigré aux Etats-Unis au moment même de la guerre civile, et qui fut admis à fréquenter la Maison Blanche et le Capitole.
Publiées par son petit fils René, en 1976, elles apportent un éclairage intéressant sur le conflit qui faillit faire éclater la Fédération, et montrent les rapports déjà plutôt tendus qui existaient entre le gouvernement français et la jeune démocratie yankee.
En France c'est Napoléon III qui règne lorsque Adolphe s'embarque pour un voyage qui ressemble fort à un exil. Journaliste de tendance libérale, ami de Tocqueville et de Victor Hugo, mari de l'arrière-petite-fille de La Fayette, il n'est pas vraiment en odeur de sainteté à la cour du Second Empire. Pourtant grâce à l'intervention du ministre des affaires étrangères Drouin de Lhuys, il décroche une mission officieuse et une modeste pension, prise sur les fonds secrets du ministère, pour couvrir une partie des frais de son séjour outre-atlantique. En fait, il y restera jusqu'à sa mort...
Lorsqu'il arrive à New York en février 1865, la guerre civile touche à sa fin. La grande bataille de Gettysburg qui s'est déroulée dans les premiers jours du juillet 1863, a changé le cours des évènements, et donné une suprématie irréversible aux troupes nordistes. Abraham Lincoln, réélu en novembre 1864 est en train de se succéder à lui-même, pas pour longtemps hélas.

Adolphe de Chambrun qui ne parle pas un mot d'anglais fait de rapides progrès, et grâce à quelques relations opportunes, peut s'approcher du gratin politique américain, jusqu'à être admis dans l'entourage immédiat du président Lincoln.
Il y est accueilli très chaleureusement : « on me parle politique avec une amicale franchise ; pour tous, je suis un ami chaleureux, pensant comme eux, et avec lequel on s'explique le plus naturellement du monde. »
Le contraste est d'autant plus saisissant que la France ne se montre pas sous un jour très avenant. Probablement en partie à cause des intérêts coloniaux que notre pays cherchait à préserver au Mexique, elle avait pris fait et cause pour les Confédérés. Parlant par exemple, de la légation officielle qu'il côtoie quotidiennement, Chambrun s'exprime avec férocité : « il est impossible de rêver situation plus bête, plus fausse est impolitique. Ces Messieurs vivent entre eux, n'ont de contact avec aucun indigène ; ils disent tout haut que la France ne fait qu'une faute : c'est de ne pas avoir reconnu le sud et déclaré, s'il le fallait, la guerre à l'Amérique. En guise de commentaires, ils ajoutent que l'Américain est mal élevé, que les femmes s'habillent mal, que sais-je encore ?... »
Chambrun quant à lui, est séduit par le Nouveau Monde, conquis par la personnalité charismatique de Lincoln, et il voit dans le succès de son combat, la seule issue raisonnable pour le pays. Il est ému par la grandeur d'âme du Président et par ses appels au pardon et à la clémence.
Lorsque celui-ci est assassiné le 14 avril 1865, il est bouleversé, et n'est pas loin de se ranger à l'avis de ceux qui réclament vengeance. D'autant qu'il entend dire que ce tragique événement n'est que le résultat de complots ourdis avec la bénédiction du président des Confédérés, Jefferson Davis. Il a connaissance également qu'en dépit de sa réputation de chevalerie, le général Lee n'hésitait pas « à laisser mourir les prisonniers fédéraux de faim... »
Mais dans ces moments il s'insurge aussi contre l'aveuglement ou plutôt le parti pris de l'opinion française : « Il arrive parfois de tomber sur des articles de journaux de Paris traduits et reproduits en Amérique ; il en est d'amusants par leurs bévues ; ainsi, La Patrie, arrivé par un des derniers paquebots, écrivait que le parti républicain, altéré de sang, se livrait décidément aux excès de la pire démagogie. J'ai rarement vu autant de bêtises, en aussi peu de mots. Ceux qui poussent à faire couler le sang de Davis, ce sont précisément les Démocrates...»
En définitive, en dépit de quelques représailles violentes ça et là, le peuple américain sera magnanime. Il n'y aura pas d'épuration et Jefferson Davis sera libéré après quelques mois de prison. Tout au plus sera-t-il déclaré inéligible.
Bien que ses annotations soient parfois croustillantes, la vision qu'a Chambrun de la démocratie américaine, n'est toutefois pas comparable en puissance et en richesse à celle de Tocqueville.
Par exemple, alors qu'il est reconnaissant à Lincoln de l'avoir sauvée, il ne voit guère d'avenir à la Fédération : « Évidemment, l'unité fédérale qui est indispensable en ce moment au développement de la nation américaine ne pourra pas durer telle quelle éternellement : le jour où 200 millions d'hommes seront rassemblés dans ce continent, ce n'est pas de Washington qu'on les gouvernera ; on peut prédire à coup sûr des morcellements en États distincts... »
Plus que les séquelles de la guerre civile c'était selon lui l'émigration massive qui, en diluant l'esprit puritain des premiers colons, ne pouvait que conduire à l'effritement de l'union.
S'agissant de l'esclavage et du racisme, son opinion, qui n'est pas exempte de relents méprisants assez banals à cette époque, témoigne néanmoins d'une ouverture d'esprit laissant entrevoir l'évolution des mentalités. Parlant des Noirs : « Je crois cependant, à première vue, qu'ils sont moins intelligents que les blancs, qu'il faut leur expliquer bien plus ce que l'on désire.../... Je ne m'étais pas non plus imaginé qu'il put y avoir de beaux Nègres. Eh bien, il y en a, surtout des mulâtres superbes : taille élancée, bien prise ; oui, ce sont vraiment de beaux types d'hommes.
En ce moment, ils sont les héros du jour.../... Je crois que ce qu'il y a de mieux pour eux, c'est d'en avoir fait des soldats ; l'égalité sous l'uniforme a été le premier pas vers l'égalité tout court. Il n'y a rien qui rapproche autant les hommes que de vivre, de combattre, de vaincre, et de mourir côte à côte. En outre, ils se sont très bien battus ; on ne les a pas épargnés au feu, et ils l'ont très bravement supporté. »
Sur l'abolition de l'esclavage, qu'il jugeait incontournable : « Le Nord était partagé entre deux sentiments : la haine du Négre et la haine de l'esclavage ; pour que le second sentiment l'emportât sur le premier, il fallait du temps, beaucoup de temps, et surtout beaucoup de sacrifices ; il fallait en outre, présenter l'abolition de l'esclavage comme le seul moyen efficace d'abattre l'ennemi. »
Et pour terminer, prises au gré de ces pages écrites dans le seul but d'être lues par son épouse restée au pays, quelques traits plutôt bien sentis :
Au moment de la mort de Lincoln, évoquant Tacite, parlant d'Agricola : « le bonheur que t'a fallu l'éclat de ta vie ne vaut pas la chance que tu as eue de mourir au bon moment. »
Sur la manière de s'exprimer aux Etats-Unis : « Ici, on va droit au but, sans périphrases, on frappe à coups redoublés ; une langue simple, sévère, rend merveilleusement la pensée et est on ne peut mieux adaptée au combat. »
Et enfin, rejoignant le sentiment de Tocqueville : « Pour tout dire, ce peuple barbare est plus civilisé que beaucoup d'autres... »
Librairie Académique Perrin 1976

12 février 2009

The Union must be preserved...


Un prénom de prophète pour un destin de patriarche.
Abraham Lincoln (1809-1865) dont on fête le 12 février l'anniversaire, et cette année le bicentenaire de la naissance, fut en quelque sorte le père de la Nation Américaine. Il fut celui qui parvint à vraiment sceller, au prix d'une guerre civile et de sa propre vie, ce projet titanesque, élaboré par quelques colonies anglaises en mal d'indépendance, 20 ans avant sa naissance (George Washington fut élu premier président le 4 mars 1789), et qui faillit s'effondrer faute de fondations suffisamment cohérentes.
Élu en 1861, avec 40% des voix seulement, à la faveur des divisions régnant dans le Parti Démocrate, il avait acquis une stature nationale quoique nettement minoritaire, avec des positions clairement anti-esclavagistes. En 1858, il se désolait en effet : «Une maison divisée contre elle-même ne peut rester debout. Je crois que ce régime ne peut se prolonger de façon permanente, mi-esclavage, mi-liberté.»
Précisons que jusqu'à cette date, le délicat problème de l'esclavage avait été solutionné de manière plutôt hypocrite : le compromis étonnant du Missouri en 1820, avait en effet circonscrit à la latitude de 36°30, la limite des états autorisés à le pratiquer !
A l'époque, les USA en pleine expansion, voyaient régulièrement leur territoire s'agrandir grâce à de nouveaux états gagnés vers l'Ouest. Tant qu'ils rentraient dans la Fédération par couple, l’un au dessus, l’autre au dessous de la ligne ainsi définie, l’accord, bien que boiteux, fonctionnait tant bien que mal. Mais l’acquisition de nouvelles terres en Floride, puis surtout de celles achetées au Mexique, principalement situées au dessous du tracé fatidique, entraîna un déséquilibre croissant et fit craindre que s’affirma tôt ou tard la suprématie d’un modèle sur l’autre.
L'élection de Lincoln précipita quasi instantanément le cours tragique du destin. Avant même la prise de fonctions du nouveau président, la Caroline faisait sécession, le 20 décembre 1860. Ce furent bientôt 12 Etats confédérés qui affirmèrent leur volonté de divorce, se regroupant sous la houlette d'un président élu par leurs soins, Jefferson Davis, et avec une nouvelle capitale, Richmond en Virginie.
La quasi totalité du mandat de Lincoln fut consacrée à ses efforts pour gagner l'effroyable guerre civile qui s'ensuivit. Il y mit tant d'énergie qu'il est bien difficile de trouver la trace de quelque autre action significative dans les diverses biographies et récits historiques de cette époque. Même l'abolition de l'esclavage passa au second plan, puisqu'il ne l'entérina qu'en 1863, quelques mois avant la bataille de Gettysburg qui marqua le tournant décisif du conflit.
Il faut dire que l'affaire semblait de prime abord mal engagée pour les Etats loyalistes. L'intrépidité des troupes sudistes et leur détermination faillit vraiment mettre à mal l'Union, et les Yankees ne parvinrent à s'imposer qu'au terme d'effroyables combats faisant plus 600.000 morts (sur une population de quelques trente millions d'âmes).
Le premier mérite de Lincoln fut d'avoir poursuivi contre vents et marées un seul et même but : préserver l'Union à tout prix. Le second fut d'adopter lors de la victoire, une attitude magnanime, refusant notamment de juger pour trahison le général sudiste Lee et accordant aux vaincus meurtris la même attention qu'aux vainqueurs harassés : « Sans malveillance envers personne ; avec compassion pour tous ; avec fermeté dans la poursuite du bien, tel que Dieu nous donne de le voir, efforçons-nous de mener à terme l’œuvre que nous avons entreprise ; de panser les plaies de la nation ; de veiller sur celui qui a porté le poids de la bataille, sur sa veuve et sur son orphelin… de faire tout pour défendre une paix juste et durable, parmi nous et avec toutes les nations. »
Hélas cette grandeur d'âme n'empêcha pas le Sudiste aigri John Wilkes Booth de l'assassiner lâchement d'une balle dans la nuque, alors qu'il assistait à une représentation théâtrale, quelques jours après le début de son second mandat, le 14 avril 1865.
En quatre petites mais terribles années, Lincoln avait toutefois atteint son but : sceller solidement l'Union Américaine. Sa mort tragique ne fit que renforcer cet acquis en illuminant l'homme d'une aura quasi surnaturelle.