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06 février 2017

Les Herbes de l'éternité

La physique nous enseigne que le temps est comme une flèche. Celle-ci est condamnée à avancer. Rien ne saurait se soustraire à ce mouvement à sens unique, et personne ne sait où il mène...
L’art et l’imagination semblent toutefois avoir parfois réussi à contrecarrer cette dynamique insensée. Le poète a bien tenté “du temps suspendre le vol”, mais c’est surtout au peintre que revient le pouvoir d’arrêter pour un temps, si l'on peut dire, le cours des choses.
En effet, pour paraphraser Nicolas de Staël, si "la toile est un mur où tous les oiseaux peuvent voler en liberté", leur course apparaît statique à l’observateur et le spectacle d’un tableau s’apparente à un voyage immobile tandis que la pensée défile...

L’art oriental a particulièrement bien transcendé cet apparent antagonisme entre le mouvement et l’immuabilité, pour en tirer l’expression de la sérénité. Le bouddhisme Zen et le courant philosophique du Tao Te King n’y sont sans doute pas pour rien. Quoi de plus suggestif que ces minuscules et adorables jardins dans lesquels les graviers et galets polis sont arrangés à la manière d’ondes en suspens autour d’une végétation délicatement ouvragée ?

Par un heureux hasard, je suis tombé récemment en arrêt sur un livre* rassemblant des estampes du peintre japonais Kamisaka Sekka (1866-1942).
Intitulé “Les Herbes de l'Éternité”, il s’inscrit à mon sens parfaitement dans cette réflexion portant sur les manières de représenter l'instant tout autant que la durée.
J’avoue que je ne connaissais pas cet artiste qu’on classe parmi les représentants tardifs de l’école rinpa, née au XVIIè siècle, et caractérisée par son interprétation très dépouillée de la nature.
Fleurs, oiseaux et sujets simples de la vie sont traités avec de subtiles couleurs et un dessin très épuré flottant parfois jusqu’à l’abstraction pure.
Un sentiment d’intemporalité règne dans les mises en scènes picturales proposées par Sekka, et une modernité étonnante se dégage de ses tableaux. Cadrage, perspectives, couleurs, tout se conjugue pour délivrer un message saisissant, à la fois doux et percutant. Les éminentes qualités décoratives n’excluent pas un lyrisme tout en retenue et humilité.

Avec le bleu irradiant de ses iris, Sekka établit un trait d’union entre les paravents d’Ogata Korin, datant du tout début du XVIIIè siècle, et les explosions florales de Van Gogh, et ce faisant, il jette un pont entre l’art d’Extrême Orient et celui de l’Occident.
Un régal poétique en somme, dont l’apparente simplicité, telle celle des meilleurs haïkus, n’empêche nullement l’élévation...
* Les Herbes de l'éternité. Kamisaka Sekka. Editions Philippe Picquier, Arles 2016