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17 février 2024

Vive CNEWS !

La petite chaîne de télévision CNEWS, née dans la douleur et malgré l’intolérance partisane en 2017, sur les décombres de ITélé, s’est en quelques années, hissée au premier plan du paysage audiovisuel français (le PAF…).
Elle a su créer un ton nouveau, et attirer quelques journalistes de talent, particulièrement charismatiques. On retient évidemment les prestations de Pascal Praud qui n’a pas son pareil pour animer en semaine, matin et soir, des débats et des controverses pétillantes, avec sa désormais fameuse “Heure des Pros”. On retient également le duo Christine Kelly - Eric Zemmour qui a largement contribué à doper les audiences. A leur suite, sont entrées en scène les professionnelles chevronnées que sont Laurence Ferrari, Sonia Mabrouk, et d’autres plus jeunes mais prometteurs tels Julien Pasquet ou Eliot Deval.
Le succès croissant de la chaîne témoigne de ce dynamisme éditorial et de l’originalité de ses contenus.

C’est sans doute un peu, si ce n’est beaucoup, pour ça qu’on cherche régulièrement à restreindre cette aura médiatique grandissante, détonant dans le pseudo consensus des idées reçues chères à Flaubert.
Comment expliquer sinon le zèle opiniâtre du CSA, devenu ARCOM, ou celui de ministres de la culture vindicatifs, et bien sûr de nombre d’organisations auto-proclamées progressistes, à flétrir l’intrus qualifié de partisan, de droite, voire d’extrême droite ou de complotiste ?
L’argument est tellement éculé qu’il pourrait prêter à sourire. Il pourrait même être qualifié de grotesque lorsqu’on voit l’orientation politique quasi monolithique de tous les canaux télévisés étatiques. Ceux dont on attendrait justement l’objectivité si ce n’est la neutralité…
Si l'on suit la logique insane de ces gens qui dénoncent la pensée de droite, c'est bien la preuve qu'ils sont du bord opposé ! D'ailleurs les a-t-on vu critiquer un organe de presse pour son orientation à gauche ? Nullement...

L’initiative récente de Reporters Sans Frontière (RSF) s’inscrit de manière édifiante dans ce concert des bien pensants à sens unique. Un média d’information et d’opinions mouchardé par ceux-là même qui ont fait vocation de défendre la liberté de la presse, quel paradoxe ! La machine à inverser les valeurs tourne décidément à plein régime…
Un malheur n’arrivant pas seul, le Conseil d’Etat, saisi par ces dérisoires censeurs de la pensée, leur donne raison et ordonne à l’ARCOM de mieux encadrer les faits et gestes de CNEWS, de mieux faire respecter “le pluralisme et l’indépendance de l’information” en tenant compte “des interventions de l’ensemble des participants des chaînes de la TNT”.../… “suivant des modalités qu’il lui appartient de définir”.
En d’autres termes, on comprend qu'on en viendra à ficher de manière arbitraire les orientations politiques des journalistes, des chroniqueurs, et de tous les intervenants, météo comprise, en leur collant une étiquette définitive, comme dans les plus odieux totalitarismes.
On en était déjà arrivé, dans notre pauvre pays, à minuter à la seconde près le temps de parole des politiciens. Faudra-t-il désormais, pour tenter de faire taire CNEWS, chronométrer tous les propos de toutes les personnes s’exprimant sur les plateaux des quelques centaines de chaînes télévisées, selon leur tonalité politique supposée de droite ou de gauche ?
Ubu et Kafka réunis sont dépassés par ce projet démentiel qui constitue une nouvelle attaque contre la liberté d’expression, qui témoigne de la manie de tout contrôler, et qui démontre l’emprise plus que jamais asphyxiante de la bureaucratie.
On peut bien nous parler de simplification ! Chaque jour hélas, on voit s'accroître le poids des réglementations édictées par l’Etat, ses nombreuses succursales, et les innombrables petits potentats et groupes de pression subventionnés, sans aucune légitimité populaire.

Moralité : avec ce nouvel ukase, c’est la télé, déjà mal en point, qu’on veut tuer.
Corollaire : on attend devant un tel affront une réaction ferme et unanime, témoignant de la solidarité journalistique…

08 février 2024

John Galt à Davos ?

Dans le flot chaotique de l’actualité, le
forum économique mondial de Davos (15-19/01/2024) est passé quasi inaperçu. Son objectif principal était pourtant de “Rebâtir la confiance et d’améliorer l’état du Monde ”. Quoi de plus nécessaire par les temps qui courent ?
On eut droit à un magnifique feu d’artifices de belles propositions et à une flopée d’ambitieux plans sur la comète (ou plutôt sur la planète). De dépenses nouvelles il fut largement question. D’économies et de bon sens beaucoup moins…
Plusieurs sujets étaient à l'ordre du jour. Bien sûr le réchauffement climatique avait une place de choix. L’émissaire américain John Kerry, rappela que l’administration dont il dépend avait, par le biais de l’IRA (Inflation Reduction Act), dépensé 369 milliards de dollars visant notamment à subventionner la fabrication de véhicules électriques et d'autres technologies vertes. Non content de ces sommes astronomiques, il souligna que pour rester dans l’impératif de hausse des températures de l’accord de Paris, il faudrait “de l’argent, de l’argent, de l’argent, de l’argent, de l’argent, de l’argent, de l’argent.”
Emmanuel Macron, qui n’est plus à un déficit près, s’est fait un plaisir de renchérir. Décidément à mille lieues des préoccupations des agriculteurs, il s’est fait le champion du climat et de la biodiversité, quoi qu’il en coûte. Il a notamment encouragé l’Europe à émettre à nouveau de la dette commune pour investir dans « de grandes priorités d’avenir », notamment l’intelligence artificielle et le verdissement de l’industrie.

Mais le clou de la cérémonie fut incontestablement le discours du président Javier Milei, très peu rapporté par les médias, alors qu’il valait assurément son pesant de cacahuètes. Fraîchement porté par son peuple à la présidence de la république argentine, il entend mener sa mission au pas de charge. Indifférent aux mirages climatiques, aux sirènes des taux d’intérêt et autres licornes de l’intelligence artificielle, il préféra porter le fer contre le "socialisme" dont l’idéologie règne encore selon lui un peu partout et qui "mène à la pauvreté".
Beaucoup verront évidemment les excès dérangeants d’un discours rompant avec les canons soporifiques du consensus. Beaucoup réduiront même le propos à ces outrances et le rangeront au mieux au rang des élucubrations ultra-libérales et au pire des délires populistes ou d’extrême droite.
Des exagérations il y en a assurément car le pavé est jeté avec force dans la mare, mais des vérités factuelles, il y en a également, qu’on le veuille ou non :

"Je suis ici aujourd’hui pour vous dire que l’Occident est en danger. Il est en danger parce que ceux qui sont censés défendre les valeurs de l’Occident sont cooptés par une vision du monde qui — inexorablement — conduit au socialisme, et par conséquent à la pauvreté.../...
Ayant adopté le modèle de la liberté — en 1860 — l’Argentine est devenue en 35 ans la première puissance mondiale, et qu’après avoir embrassé le collectivisme, elle a commencé à s’appauvrir systématiquement, jusqu’à tomber de nos jours au 140e rang mondial.../...

Grâce au capitalisme de libre entreprise, le monde est aujourd’hui au mieux de sa forme. Dans toute l’histoire de l’humanité, il n’y a jamais eu de période de plus grande prospérité que celle que nous vivons aujourd’hui.
Par contraste, le socialisme s’est, toujours et partout, révélé un phénomène appauvrissant, qui a échoué dans tous les pays où il a été tenté. Ce fut un échec économique, un échec social, un échec culturel. Il a tué plus de 100 millions d’êtres humains.../...

Même dans ses versions les plus modérées, la solution proposée par les socio-démocrates n’est pas plus de liberté, mais plus de réglementation, générant une spirale descendante de réglementation jusqu’à ce que nous finissions tous plus pauvres et que la vie de chacun d’entre nous dépende d’un bureaucrate assis dans un bureau luxueux.
Les socialistes ont peu ou prou abandonné la lutte des classes, mais ils l’ont remplacée par d’autres prétendus conflits sociaux tout aussi nuisibles à la vie collective et à la croissance économique. La première de ces nouvelles batailles fut la lutte ridicule et contre nature entre les hommes et les femmes.
Un autre conflit déclenché récemment est celui de l’homme contre la nature. Ils affirment que les êtres humains endommagent la planète et qu’elle doit être protégée à tout prix, allant même jusqu’à préconiser des mécanismes de contrôle de la population ou l’agenda sanglant de l’avortement."

Après avoir martelé que "Le monde occidental est en danger" face à ces lubies idéologiques, le nouveau président argentin s’est livré à une ardente apologie des chefs d’entreprises et des hommes d’affaires :
“Ne vous laissez pas intimider par les parasites qui vivent de l’État”
"Vous êtes des bienfaiteurs sociaux. Vous êtes des héros. Vous êtes les créateurs de la période de prospérité la plus extraordinaire que nous ayons jamais connue. Que personne ne vous dise que votre ambition est immorale. Si vous gagnez de l’argent, c’est parce que vous offrez un meilleur produit à un meilleur prix, contribuant ainsi au bien-être général."

Vous imaginez l'ambiance à Davos pendant cet exposé rageur. Il paraît qu’il y eut tout de même quelques applaudissements…
Pour un amoureux de la liberté pragmatique, un discours ne fait pas tout, et il y a souvent loin des intentions aux actes. Mais il est plutôt rafraîchissant d’entendre à nouveau des intonations rappelant Reagan, Thatcher, et les grands penseurs du libéralisme tels Schumpeter, Hayek, Friedman, Sowell ou bien notre cher Tocqueville, qui inventa la notion d’Etat-Providence. On pense également à Ayn Rand et à son fabuleux roman Atlas Shrugged. Javier Milei serait-il l’incarnation du fameux John Galt ?
Quand on connaît l’état de l’Argentine, on ne peut que souhaiter ardemment qu’il réussisse, tout en pensant que son parcours sera semé d’embûches par les ennemis de la cause…

20 juillet 2023

Inégalités vs Pauveté

On entend souvent certaines âmes prétendument bien intentionnées et certains économistes à la petite semaine, se désespérer de l’accroissement incessant des inégalités dans le monde. Derrière ces lamentations surgit en général assez rapidement la critique acerbe du capitalisme et du libéralisme accusés de faire régner la loi de la jungle.
Cette optique grossièrement déformante, permet facilement de faire passer et repasser le message lancinant affirmant que “les riches deviennent chaque jour un peu plus riches tandis que les pauvres sont de plus en plus pauvres”.
Comme tous les slogans, il est fallacieux mais par un étrange paradoxe il fait mouche auprès des gogos qui le prennent au pied de la lettre sans chercher la moindre confirmation un tant soit peu étayée.
Les inégalités si tant qu’elles existent et qu’elles s’accroissent, n’ont qu’un rapport trompeur avec la pauvreté, qui elle-même n’est pas à confondre avec la misère.
Que m’importe après tout qu’il y ait des gens immensément plus riches que moi, si ce que je possède suffit à mon bonheur ? Et pour aller plus loin, serais-je plus heureux si les ultra-riches étaient tout à coup appauvris par je ne sais quelle baguette pas du tout magique ?

Une récente étude parue dans le Wall Street Journal (WSJ) montre que les Européens deviennent de plus en plus pauvres, alors que les inégalités de revenus se réduisent régulièrement (notamment en France). Parallèlement, les Américains deviennent eux de plus en plus riches, nonobstant les inégalités faramineuses existant dans cet antre du capitalisme honni.
Cette enquête révèle également que les salaires sont en baisse régulière en Europe, tandis qu’ils ne cessent d’augmenter aux USA. Depuis 2019 ils ont ainsi baissé de 3,5% en Italie et jusqu’à 6% en Grèce tandis qu’ils grimpaient de 6% outre-atlantique (après lissage de l’inflation).
En 2019 précisément, une autre étude, émanant de la Foudation for Economic Education (FEE) avait montré que les 20% les plus pauvres aux Etats-Unis avaient un pouvoir d’achat supérieur à celui de la moyenne des autres pays de l’OCDE ! Autrement dit, si ces Américains les plus pauvres formaient une nation, elle serait encore l’une des plus riches du monde !
Face à ces constats, le WSJ enfonce le clou là où ça fait mal, en expliquant que les Européens ont privilégié le temps libre et la sécurité de l’emploi. Le malaise socio-économique ressenti sur le vieux continent relève donc de l’adage qui stipule qu’on ne peut avoir à la fois le beurre et l’argent du beurre.
Parmi les causes de l’appauvrissement européen, il faut prendre également en considération, selon ces études, les dépenses astronomiques occasionnées par la transition écologique, le très haut niveau des taxes et le coût faramineux de la protection sociale, des aides, des allocations, des primes qui découragent le travail et plombent les salaires. Résultat, en Europe où l’on devrait vivre heureux grâce aux bienfaits de l’État-Providence, on est pauvre et morose. En Amérique où les citoyens doivent avant tout compter sur eux-mêmes, ils sont désespérément prospères et optimistes.

La mesure abrupte des inégalités ne vaut donc pas grand-chose et à tout prendre, contrairement aux allégations ineptes de l’écolo-cheffe Marine Tondelier, il vaut mieux quelques ultra-riches au sein d’une population aux revenus confortables que des millions de pauvres, sans inégalité mais également sans espoir. Sans doute est-ce la même logique qui veut qu’il n’y ait qu’un très gros gagnant au loto, empochant des dizaines de millions, plutôt que des millions à récolter des clopinettes… Ce qui n'empêche que 100% des gagnants ont tenté leur chance !
Le taux de pauvreté au sein d’une population ne donne qu’une idée limitée voire biaisée de la prospérité et du bien être général puisque ce n’est jamais que la proportion de gens gagnant moins de la moitié du revenu médian de ladite population. Surtout elle perd tout son sens lorsqu’on compare des pays dont les niveaux de vie sont très différents, puisqu’on ne parle plus alors de la même pauvreté. On est toujours le pauvre de quelqu’un en somme. Mais là encore, les slogans sont pris en défaut. Contrairement à une idée reçue très tenace, l'extrême pauvreté recule dans le monde. Il y a certes encore des progrès à faire, mais une chose est sûre, contrairement à la vieille rengaine socialiste, ce n’est pas en appauvrissant les riches qu’on enrichira les pauvres…

09 février 2023

Superprofits

L’annonce en fanfare des profits réalisés l’an passé par TotalEnergie et plus accessoirement par la BNP déclenche un tollé. Dans notre vieux pays ranci dans l’égalitarisme socialiste, cette agitation était prévisible, et donc très probablement instrumentalisée par les médias et plus ou moins consciemment par le monde politique.
Plutôt que de se réjouir de la bonne santé d’une entreprise, on lui jette des pierres, ainsi bien sûr qu’à ses actionnaires (dont certains contempteurs font partie via leur plan d’épargne, sans même le savoir !). Et comme à l’accoutumée, se posent les questions classiques et en apparence paradoxales reliant ces bénéfices records au prix exorbitant du carburant à la pompe, et aux plans de licenciements prévus par la BNP.

Vouloir faire un rapprochement entre ces faits n’a guère de sens, mais qu’importe, les clichés ont la vie dure.
Évacuons d’emblée la question portant sur l’emploi et les licenciements. A quoi bon maintenir des emplois inutiles, au seul motif qu’on fait des profits ? Comme l’a bien montré Frédéric Bastiat en son temps, c’est idiot au plan logique, néfaste pour les autres entreprises qui pourraient employer ces gens, et frustrant pour les salariés concernés, devenus en quelque sorte cinquième roue du carrosse… Faire comprendre cela à des cerveaux soumis au feu roulant de la propagande anti-libérale, plus enclins aux opinions toutes faites qu’à l’esprit critique, s’avère une gageure…

S’agissant des produits pétroliers, pourquoi s’étonner, lorsque le prix de la matière première augmente, que croissent également tous les frais adjacents calculés au pourcentage de ce prix brut, en fonction de la conjoncture internationale et plus encore de la loi de l’offre et de la demande ?
Parmi ces frais annexes, il y a certes la marge des raffineurs et des distributeurs, mais que dire des taxes ?
L’État, dont la valeur ajoutée au produit est nulle, empoche par simple prélèvement, des sommes considérables. Sont-ce des profits sachant que nos gouvernants ont pris la fâcheuse habitude, en toute circonstance, de dépenser plus qu'ils ne perçoivent ?
Tout de même, lorsque l’on regarde la décomposition du prix du carburant, il y a de quoi réfléchir. On dit classiquement que la fiscalité représente 60% du prix payé à la pompe. Pour ce faire, il faut additionner 3 taxes : la TICPE, la plus importante, la TVA sur la TICPE, et la TVA sur le produit fini.
Le montant de la TICPE est fixe, quoique modulé en fonction des régions et de la volonté du Parlement. Elle garantit donc à l’Etat un revenu confortable, quel que soit le cours du Brut. La TVA sur la TICPE suit dans ses évolutions cette dernière, mais il s’agit d’une taxe sur une taxe ! Enfin, le montant de la TVA sur le produit fini, varie en fonction du prix de celui-ci, et agit également comme une surtaxe. Son rendement est donc d’autant meilleur que le prix de la matière première est haut, et s’accroît également proportionnellement aux marges prises par les intermédiaires. Au total (si je puis dire), la part des taxes n’est pas de 60% ce qui est déjà énorme, mais de 150% (qu’on obtient en divisant le montant total des taxes par le prix hors taxes) !
Dans l’affaire, l’État est donc le principal bénéficiaire des ventes de produits pétroliers, et cela sans rien faire !

Hélas, il lui faudrait toujours plus de gains pour paraît-il les redistribuer au bon peuple. N’oublions pas qu’il perçoit également l’impôt sur les sociétés qui pour la seule TotalEnergie s’élève à 30 milliards d’euros par an. La majorité du chiffre d'affaires étant réalisé à l’étranger, l’Etat français ne touche que 200 millions !
Les gens qui veulent surtaxer les superprofits, outre qu'ils ignorent que c'est déjà fait, ne retireraient donc pas grand chose de leur racket, hormis l’affaiblissement progressif des entreprises ou bien l’accroissement de leur externalisation. C’est ce qui s’appelle tuer la poule aux œufs d’or. N’empêche on y croit encore dur comme fer en France…

09 avril 2022

Adieu Doux Commerce

Le déclenchement du conflit russo-ukrainien fait ressortir de vieux démons qu’on croyait à tout jamais terrassés. Outre les souffrances directes subies dans leur chair par les populations en proie à ce fléau si terriblement humain qu’est la guerre, on voit surgir nombre d'effets collatéraux désastreux.
Le premier d’entre eux est sans doute le coup d’arrêt porté aux échanges internationaux en raison des sanctions économiques de plus en plus nombreuses et sévères qui s’abattent sur Moscou. Elles sont en train de refroidir si ce n’est de geler durablement les relations avec nombre de pays, pour la plupart occidentaux.
Quelle que soit l’issue du conflit sur le terrain, comment et quand pourra-t-on revenir sur ces contraintes, après avoir traité Vladimir Poutine, de “tueur”, de “dictateur”, coupable de “génocides”, de “crimes de guerre atroces”, voire de “crimes contre l’humanité” ?

Pour l’heure, ces actions punitives semblent n’avoir que peu d’effet sur la détermination des Russes à poursuivre leurs menées guerrières. L’Histoire est d’ailleurs là pour apprendre qu’elles n’ont jamais été très efficaces. Le fameux blocus continental organisé du temps de Napoléon Ier pour asphyxier l’Angleterre n’a pas empêché cette dernière de perdurer et même de mettre en échec l’empereur. Plus près de nous, les sanctions qui frappent depuis des lustres Cuba, la Corée du Nord ou l’Iran n’ont en rien atténué l’horreur des régimes visés et les tyrans se sont maintenus envers et contre tout. L’absurdité de ces pénalités infligées au nom de la morale va jusqu’à empêcher nos entreprises de vendre leurs produits au peuple russe, avec lequel on affirme pourtant ne pas être en guerre, et faute de pouvoir atteindre directement le chef du Kremlin, à cibler par malsaine et inutile vengeance son entourage familial. Cette ardeur répressive a même conduit l’Union Européenne à sanctionner ses propres membres comme la Pologne, au motif de “manquement à l’indépendance de la justice”, ou la Hongrie pour “violation des valeurs européennes”... On se demande jusqu’où ira l’escalade accusatrice des censeurs défendant un “Etat de Droit”, aux contours des plus discutables.

En attendant, la guerre continue car on se refuse à prendre les seules mesures capables de l’arrêter, à savoir établir des lignes rouges vraiment infranchissables sous peine de recourir à des représailles militaires proportionnées à celles employées par l’ennemi désigné. Sans une telle détermination, l’Ukraine, parée soudainement de toutes les vertus, et dont on nous dit qu’elle résiste vaillamment au répugnant Goliath russe, risque d’être saignée à blanc. Et l’inaction de ses amis, qui s’agitent en paroles, mais qui restent contemplatifs, sera regrettée et critiquée sans doute avec raison par les juges qui regarderont ces évènements avec le recul.

Contraints de continuer à acheter le gaz russe, faute d’alternative (à l’exception notable de la Lituanie), et quelque peu gênés dans les entournures, les politiciens affirment, après avoir fait le contraire, qu’il faut impérativement diminuer notre dépendance à l'égard de la Russie et d’une manière générale vis-à-vis d’autres pays en matière énergétique et pareillement pour quantité de biens matériels. Après la Russie, la Chine, premier commerçant de la planète, est visée par ces ambitieux objectifs. La réindustrialisation est devenue la chanson à la mode, qui permet à certains discoureurs de faire de belles promesses. D’autres se font les chantres du protectionnisme qui ferme les frontières au commerce, tue la concurrence et l’innovation et fait monter les prix. Dans le même temps, ils se veulent les protecteurs du pouvoir d’achat !

Comme en un rêve, les mots de Montesquieu viennent à l’esprit, rappelant les bienfaits du “doux commerce” : “Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes: si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre; et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels…/… C’est presque une règle générale, que partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce, et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces” (in L’Esprit des Lois)...

Illustration: Gérard de Lairesse (1641-1711), Allégorie de la liberté du commerce, 1672, Plafond du Palais de la Paix, La Haye

14 septembre 2021

Comités de Censure

L’époque est à la déraison réglementaire, le constat n’est pas nouveau. Aujourd’hui c’est le domaine de l’information qui est touché par la manie ubuesque de tout contrôler, de quadriller l’espace de la réflexion et du débat, et de décréter ex cathedra ce qu’il est loisible d’exprimer ou de penser.
Eric Zemmour en fait les frais. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), nouveau ministère de l'information en quelque sorte, a décidé d’encadrer autoritairement son temps de parole dans les médias, actant donc le fait qu’il est devenu un homme politique, et non plus un simple journaliste, éditorialiste, commentateur, observateur, historien...
Peu importe qu’il ne se soit déclaré d’aucun parti politique et candidat à aucune élection, pour les auto-prétendus sages “supérieurs” tout se passe comme s’il l’avait fait. Qui parmi les vertueux défenseurs des libertés va s’insurger contre cette oukase délirant ?
Le polémiste tombe dans la nasse qui le guettait depuis longtemps. Il a été contraint de quitter illico son siège de chroniqueur sur la chaîne CNews, laquelle est également dans le collimateur du CSA en raison de ses plateaux paraît-il politiquement pas assez équilibrés. On dira qu’il l’a sans doute un peu cherché à force de narguer les bien pensants, mais la décision de le museler n’en apparaît pas moins sectaire, absurde et inique.
A l’heure où les canaux d’information foisonnent, qui peut encore prendre au sérieux cette assemblée de censeurs au petit pied, payés par le Trésor Public pour décortiquer à la minute près l’expression de chaque personne politique. Trois cents fonctionnaires attelés à une tâche stupide et totalement inefficace,  qu'ils exercent avec un zèle sinistre, voilà ce que notre pauvre pays est toujours capable de financer, malgré ses dettes astronomiques.
Le CSA n’en est pas à son coup d’essai. On sait qu’il surveillait de près Thierry Ardisson, Cyril Hanouna et consorts, lesquels ont eu droit à de nombreux avertissements. Le Comité avait interdit, sans aucune raison compréhensible, la diffusion en clair de la petite chaîne Paris Première (Tiens, Zemmour intervient également sur ses plateaux…).
Y aurait-il des pressions politiques dans les décisions du CSA, on voudrait ne pas y croire, mais la révélation tout récente faite par Christine Kelly, aujourd’hui animatrice sur CNews, mais ex-membre de l’assemblée, est bien troublante. Elle affirme que le CSA a, il y a quelques années, été l’objet de pressions “venant de gauche”, pour censurer Eric Brunet, autre journaliste politiquement incorrect
Tout cela commence à faire beaucoup, surtout quand on connaît la mansuétude des chronométreurs de temps de parole vis-à-vis des chaînes publiques, outrancièrement partisanes… 
Bref, c’est décidément un sale temps pour la liberté d’expression. Les réseaux, qu’il est convenu d’appeler “sociaux”, tels Twitter, ou Facebook, eux-mêmes se croient obligés de censurer et d’excommunier en fonction de critères pour le moins discutables. On réduit au silence le président de la plus grande et ancienne démocratie au monde mais on laisse pérorer les agités du turban qui font régner la terreur en Afghanistan et ailleurs. Après avoir mis au pas le débat d’idées contemporain, au nom de la Cancel Culture, on fait table rase du passé. On abat les statues, on débaptise les rues, les établissements publics… Au Canada, on brûle les livres jugés déviants, comme au Moyen-Age. Ce monde est décidément fou !

21 juillet 2021

La Liberté et ses fantômes

Consternant spectacle que celui où l’on voit dans notre pays des excités hurler à la dictature au motif que le gouvernement envisage de mettre en œuvre le fameux pass sanitaire, pour lutter contre la progression du COVID-19 et encourager les réfractaires à se faire vacciner. L’excès des mots atteint en la circonstance des sommets hallucinants.
Même si l’on peut contester la manière très technocratique et hasardeuse de mettre en œuvre ce dispositif, la seule certitude qui s’impose est que ces gens ne savent vraiment pas ce qu’est la Liberté pour en galvauder à ce point la signification. Ils ne mesurent pas les efforts de ceux qui ont tant donné pour qu’elle devienne réalité et ils manifestent une ignorance coupable vis-à-vis de celles et ceux qui n’ont pas la chance comme eux, de vivre dans un monde ouvert.

Au moment même où les médias braquent leurs projecteurs sur ces imbéciles - heureux sans le savoir -, des événements autrement plus graves se déroulent dans le monde, sans qu’on entende beaucoup de voix s’élever contre ces vrais totalitarismes.
Dimanche 11 juillet, des milliers de Cubains ont déferlé aux cris de « Liberté ! », « Nous avons faim » et « A bas la dictature » (Le Monde). On peut les comprendre et éprouver quelque compassion. Cela fait plus de soixante ans qu’ils subissent les effets désastreux de la tyrannie castriste. Pourtant, dès le mardi suivant, quelque 130 personnes étaient emprisonnées ou signalées comme disparues, et l’attention se détourna rapidement du sort de ces malheureux, abandonnés depuis si longtemps à leur triste sort.
A la Havane, force est de constater que le socialisme règne toujours en maître et sa rhétorique odieusement mensongère est plus que jamais à l’œuvre, qualifiant par la bouche de l’actuel président Miguel Diaz-Canel, ces manifestations de “provocations orchestrées par des éléments contre-révolutionnaires, organisés et financés depuis les USA avec des objectifs de déstabilisation..” Au boniment s'ajoute l'ingratitude pour le tandem Biden-Obama qui avait preuve de tant de mansuétude pour les satrapes de La Havane...

En Afghanistan, on assiste au retour massif et brutal des Talibans, à la faveur du désengagement des États-Unis. Ils étaient les derniers à tenter de faire encore rempart aux révolutionnaires islamistes sanguinaires et à protéger les fragiles progrès démocratiques que l’intervention de la Communauté Internationale avait permis de faire.
Ces tristes événements ne suscitent hélas guère plus d’émotion que la mise au pas des dissidents cubains. Face à cette nouvelle déferlante de barbarie, le gouvernement français appelle, sans état d’âme, ses ressortissants à quitter au plus vite le pays. Éternel recommencement. Comment ne pas se remémorer l’abandon tragique du Vietnam, puis du Cambodge, de l’Iran et de tant de pays, devant l’imminence des périls. On se souvient des ambassades prises d’assaut par les réfugiés, les drapeaux amenés en catastrophe, et l’effacement chaotique de tous les symboles de la Liberté...

L’évolution de la situation au Mali procède de la même mécanique. Aujourd’hui le président Macron menace de “stopper Barkhane si le pays s'enfonce dans l'islamisme radical”. N’était-ce pas précisément le motif de l’intervention initiale ?
On se retrouve en définitive prisonniers d’un tragique imbroglio. Pendant qu’on accueillait au titre de l’asile politique, nombre de jeunes gens, qui auraient pu combattre auprès de nos troupes pour offrir à leur pays l’espoir d’une liberté durable, l’hydre totalitaire reconstituait sans cesse ses bras mutilés pour mieux renaître le jour où nous baisserions les nôtres...

Une fois encore, l’absence de consensus et de détermination de la part des instances de régulation internationales, fait la part belle à l’horreur tyrannique. Et pendant que dans le Monde Libre, des minorités vociférantes voient ressurgir à la moindre contrariété le spectre de la Shoah, des peuples entiers continuent de souffrir en silence de la vraie privation de liberté et de toutes sortes d’atrocités infligées par les despotes qui les asservissent en toute impunité...

29 avril 2021

Du Protectionnisme et de ses méfaits

On oublie souvent que la science économique est régie par des lois naturelles. Point n’est besoin d’en rajouter d’autres, artificielles, l’essentiel étant de bien comprendre celles qui s’imposent d'elles-mêmes, pour les exploiter à notre avantage, comme en physique, en chimie ou bien en médecine.

Le protectionnisme fait partie de ces lieux communs qui reviennent sans cesse sur le tapis comme solution miracle alors qu’il relève des lubies dont l’inanité a cent fois été démontrée.
Supposé s’opposer au Libre-Échange, il couvre en réalité un champ beaucoup plus étendu. On le trouve aussi bien dans les lois “protégeant” les locataires de la cupidité supposée des propriétaires, on le trouve dans nombre de celles qui ont la prétention de défendre les salariés contre la rapacité des employeurs, dans celles qui encadrent de leur bienveillance asphyxiante certaines professions, et plus généralement, dans toutes celles qui rognent les libertés au nom de l’intérêt des “usagers”, en matière de santé, d’enseignement, d’installation commerciale… La quasi totalité de ces protections sont des leurres, certes bien intentionnés, mais dont l’effet aboutit souvent à l'inverse de ce qui était souhaité.
Au nom du protectionnisme, il n’est pas difficile de démontrer qu’on dénature les échanges commerciaux, en créant de l’inflation, en diminuant le pouvoir d’achat, en bridant concurrence et progrès, en alimentant la contrebande et au bout du compte, en transformant de paisibles marchands en dangereux criminels.

Le commerce reposant sur des échanges “gagnant-gagnant”, il est extravagant qu’on veuille pervertir le marché par des taxes ou des réglementations contraignantes à seule fin de faire rempart aux importations de produits étrangers. Cela conduit en effet à empêcher ses partenaires de vendre leurs produits au juste prix, c'est-à-dire celui dicté par la loi naturelle de l’offre et de la demande.
La conséquence la plus immédiate généralement constatée, est l’augmentation réciproque des taxes à titre de représailles (le protectionnisme prend
dans ce cas de figure tout son sens et sa seule légitimité…). Ainsi, ce qu’on gagne en limitant les importations, on le perd en freinant les exportations. Le bilan est nul, sauf bien sûr si l’on n’a rien à exporter, ce qui n'est certainement pas une situation enviable…
Il s’ensuit généralement une dégradation des relations internationales, et l’enclenchement d’une spirale infernale conduisant à l’augmentation des prix et à la raréfaction de l’offre, voire à la pénurie comme on le voit régulièrement dans les pays jusqu’au-boutistes en matière de socialisme.
Au surplus, ces taxations agressives masquent souvent l’incurie des Pouvoirs Publics, qui de facto en profitent pour désigner des boucs émissaires. Ainsi, on accuse régulièrement la Chine et toute l’Asie de casser nos emplois par leurs exportations massives de produits bon marché. Si c’était vrai, comment expliquer que notre voisin direct, l'Allemagne, soumise à la même pression commerciale, soit beaucoup plus épargnée que nous par le fléau du chômage, et qu’elle reste envers et contre tout une grande puissance exportatrice ?
Selon la même logique, l’opinion publique a tendance à croire que l’automatisation de certaines tâches conduit à supprimer des emplois. Mais comment se fait-il que les pays les plus robotisés au monde, le Japon, les États-Unis, et l’Allemagne, soient parmi ceux qui affichent les plus faibles taux de chômage ?

En économie, comme le faisait remarquer avec beaucoup de justesse et d’humour Frédéric Bastiat, il y a ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas. Les belles théories, les gentils principes et certaines évidences apparentes sont souvent mis en défaut par la brutale réalité.
Dans un ouvrage désopilant, l’économiste et philosophe américaine Deirdre McCloskey s’amuse à pointer “les péchés secrets de la science économique” et à démêler le faux du vrai. A cette occasion, elle rappelle un épisode historique méconnu, qui montre clairement le caractère généralement malfaisant du protectionnisme.
Sur une période de dix ans au XVIIIè siècle, selon l’historien suédois Eli Heckscher, dont elle cite l’ouvrage consacré au mercantilisme, l’État français a envoyé des dizaines de milliers d'êtres humains aux galères et en a pendu au bas mot 16.000, au motif qu’ils avaient commis le crime épouvantable…. d’avoir fait venir à des fins commerciales de la toile de calicot fabriquée et imprimée en Inde !
En France, parmi les innombrables et parfois ubuesques réglementations protectrices et corporatistes promulguées par Colbert, figuraient en effet l’interdiction d’importer ces tissus. En Angleterre, des législations similaires introduites en 1700 et 1721 sévirent jusqu’en 1774.
Outre leur sauvagerie meurtrière à l’encontre de ceux qui osaient les transgresser, ces lois se révélèrent largement inefficaces, tant il y eut de contournements (notamment par le biais des futaines que la loi avait oubliées...). Au surplus, elles pénalisèrent les échanges avec l’Extrême-Orient, et contribuèrent à étouffer le dynamisme industriel, qui se réveilla, surtout chez nos voisins britanniques, dès lors que ces ukases absurdes furent abrogées…

Les péchés secrets de la science économique Deirdre McCloskey Editions Markus Haller 2017 (édition française)
Mercantilism Eli Heckscher 1935
Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas Frédéric Bastiat

22 octobre 2020

Désarroi

S’agissant de la tectonique des plaques, on prétend qu'elle conduit à la dérive des continents. On pourrait appliquer le raisonnement aux sociétés humaines et aux civilisations. Il arrive parfois dans leur mouvement plus ou moins indéfini, qu’elles entrent en collision. L’affrontement peut être violent, colossal, de l’ordre du séisme en quelque sorte. Après le choc, il y a parfois création de montagnes ou parfois encore fusion des plaques. Il se peut également que la confrontation se fasse 
de manière moins frontale, une entité glissant peu à peu sur une autre la faisant peu ou prou disparaître.
C’est un peu ce qui se passe avec la société démocratique occidentale. Elle semble en passe de s’engloutir peu à peu dans les abysses, faute d’avoir encore assez d’énergie et de détermination pour s’imposer face aux autres.
L'événement atroce que notre pays vient de vivre n’est qu’un signe de cette déroute. A l’occasion d’un acte abominable, on semble prendre tout à coup conscience qu’un péril nous menace directement et on constate avec effroi que ses manifestations gangrènent toutes les strates de la société. Aujourd’hui c’est l’enseignement, hier c’était le journalisme satirique, puis le monde de la culture et du spectacle, puis même le cœur de l’institution policière.
La faute évidemment incombe à une politique laxiste et couarde durant des décennies, qui se paie de mots et de discours mais qui s’avère incapable de réagir avec force à ces torrents de haine et d’intolérance qui déferlent quotidiennement, heurtant de plein fouet notre mode de vie, notre culture, notre religion, notre système démocratique, nos libertés, bref tout ce qui fait le monde doré dans lequel nous vivions insouciants, au mépris même de tous les sacrifices consentis par nos aïeux pour nous permettre de profiter de cette situation privilégiée, sans doute jamais connue dans toute l’histoire de l’humanité.
La barbarie, lorsqu’elle surgit à nos portes, provoque une sorte de sidération. L'incompréhension et le désarroi s’emparent des esprits. Pourtant, comme à chaque fois, on apprend vite que l’horreur fut précédée de signes avant-coureurs, qui auraient dû mettre en alerte mais qui furent totalement négligés. Cette fois, l’assassin était un tchétchène musulman, bénéficiant du droit d’asile depuis mars dernier, et pour 10 ans, on ne sait pas trop pour quel type de persécution subie dans son pays, la Russie. Après avoir été accueilli par la République française si généreuse, non seulement, il ne fit rien pour se conformer à ses règles sociales, mais il s'est rapidement fait connaître par des actes de violence et dégradation de biens publics ! 
Quant à la victime, on sait qu’il s'agissait d'un enseignant très apprécié, qui pour son malheur osa évoquer auprès de ses élèves la liberté d’expression, en prenant pour exemple les désormais fameuses caricatures publiées par Charlie Hebdo. On apprend également mais un peu tard qu’à la suite de cet épisode, il avait été l’objet de menaces explicites, et de doléances exprimées par certains de ses élèves musulmans, et par leurs parents, au point d’avoir jugé nécessaire de porter lui-même plainte en diffamation. Plainte hélas non suivie d’effet...

Après coup, les Pouvoirs Publics font toujours mine de réagir. Quelques actions ponctuelles mais habituellement sans lendemain. Et beaucoup de compassion, beaucoup de cérémonies. Des fleuves de larmes, des tombereaux de discours, d'hommages et de paroles…
En la circonstance, les plus horripilantes sont celles qui font référence à des entités creuses ou inappropriées. Passons sur le pitoyable “Ils ne passeront pas” que M. Macron lança après la bataille, avec la voix blanche d'un général vaincu. Passons sur les lieux communs débités avec componction par le Premier Ministre M. Castex: “Cet assassinat barbare est un acte contre la vie et la République.” Passons enfin sur le jargon incompréhensible du ministre de la justice, qui réussit à dire en une seule phrase tout et son contraire...
S’il est quelque chose d’insupportable, c’est l’emploi immodéré de ces mots valises “république”, “laïcité”, “liberté d’expression”, “diversité”...
Parlons de république. Il en existe de toutes natures et parmi les pires, soviétique, populaire, islamique… Ça veut tout et surtout rien dire. Mieux vaut évidemment une monarchie parlementaire éclairée qu'une république en loques !
Parlons de liberté d'expression. Elle est à deux vitesses. On condamne Zemmour, on censure et on insulte Trump, on s'acharne en enquêtes foireuses sur tel ou tel politicien incorrect politiquement, on parvient même à interdire, sur les réseaux sociaux devenus justiciers, "l'Origine du Monde" de Courbet, au motif que le tableau constitue un outrage aux bonnes mœurs. Mais dans le même temps, on laisse libre cours aux prêches guerriers, aux propagandes haineuses, aux anathèmes abjects...
Décidément, tout cela est profondément écœurant. Il est si désespérant de voir le monde dit libre glisser peu à peu dans les profondeurs obscures du renoncement et de l’inconsistance. Seule consolation, puisque les gouvernants sont devenus des dames patronnesses et que la justice n'est plus que l'ombre d'elle-même, il reste la police. Quand on lui laisse la possibilité de faire son travail, elle parvient à neutraliser définitivement les brutes sanguinaires qui sèment la terreur, tout en sachant trop bien qu'ils ne sont que les combattants de la première ligne d'armées plus que jamais conquérantes...

08 septembre 2020

Cités assoupies

Quand on pénètre en Médoc, c'est un peu comme si on entrait dans un monde parallèle. Cette péninsule en fer de lance s’étend nonchalamment du sud au nord entre l’océan et l’estuaire de la Gironde. D’un côté, des plages et des forêts de pins à perte de vue, juste interrompues par l’immensité paisible du lac d'Hourtin-Carcans. De l’autre des berges limoneuses, sur lesquelles on trouve quelques uns des plus beaux vignobles français. En traversant ces villages aux noms enchanteurs on ressent déjà comme le parfum enivrant du vin. Margaux, Saint-Julien Beychevelle, Pauillac, Saint-Estèphe, ils sont quatre comme les mousquetaires à défendre la reine des Grands Crus Classés, si tant est qu’il y en eut... Sont-ils d’ailleurs tous encore à la hauteur du classement de 1855, c’est là la question… Si Napoléon III ou quelque distingué sommelier de sa cour revenait, il aurait peut-être à redire.
Peu importe en somme, le poids des ans et des traditions semble avoir figé pour l’éternité les vertus des nectars.
Mais derrière les éblouissantes façades des propriétés qu’il est convenu d’appeler châteaux, sises au milieu de l’océan tranquille et immuable des vignes, les villages ont des allures de fantômes. La charmante cité de Pauillac semble endormie. Dans le port, pas un bateau ne bouge sous le soleil et dans les rues, il n’y a plus des magasins d’autrefois que les portes closes et les vitrines occultées. Quelques jeunes désœuvrés ici ou là, deux ou trois chalands attablés à un bistrot, rien de plus.
Décidément ce monde est hors du temps.

Pourtant, à côté du culte ancestral du raisin, on trouve d’étonnantes traces d’un passé, sans doute trop oublié. A Pauillac, la capitainerie arbore fièrement une statue dans le genre naïf du marquis Gilbert du Motier de de La Fayette. Elle rappelle aux visiteurs que ce dernier, âgé de 19 ans, embarqua précisément de cet endroit sur la Victoire en avril 1777 pour son premier voyage vers l’Amérique, dans le but de prêter main forte aux troupes de Washington.

Lorsqu’on remonte au bout du Médoc, à Soulac, c’est à une réplique de la statue de “la Liberté éclairant le monde” à laquelle on est confronté. Erigée en 1980 pour commémorer dans le même esprit l'alliance franco-américaine, elle fait face fièrement à l’océan, flanquée de la bannière étoilée qui claque ce jour dans ciel d’un bleu immaculé. Il n’en faut pas plus pour réjouir le cœur d’un amoureux de la Liberté….




05 avril 2020

Le Chemin de la Liberté

Quel beau titre que celui donné au documentaire consacré à Raymond Aron (1905-1983), récemment rediffusé sur le Canal Parlementaire (LCP 02/04/20) !
Il retrace avec sobriété la vie discrète et laborieuse mais moralement irréprochable et d’une grande rectitude, d’un de nos grands intellectuels, sans doute trop méconnu, et plus que jamais d’actualité en ces temps d’errance idéologique.

Issu d’un milieu, “imprégné d’hégélianisme et de marxisme”, il se débarrassa progressivement de cet heritage encombrant sans toutefois perdre son attachement au triptyque résumant selon lui les valeurs de gauche : liberté, rationalité, égalité… Valeurs perdues à ses yeux, après les monstruosités que la plupart des grandes consciences engagées furent amenées à proférer, à soutenir, à encourager jusqu’au totalitarisme, au mépris de tout bon sens et de toute honnêteté intellectuelle.

L’affrontement qui opposa Aron à Sartre fut la pierre d’achoppement sur laquelle se heurta durant des décennies tout le débat politique en France, et le malheur voulut qu’on préférât les dangereuses illuminations sartriennes à la sagesse clairvoyante de son calme contradicteur...
Par un étonnant paradoxe, Aron ne s’est étrangement jamais totalement affranchi de Marx qu’il avait étudié comme personne. S’il répudia totalement le marxisme-léninisme, il persistait à se dire “marxien” et avouait même avoir été plus sensible à l’alchimie pleine de “mystères” du philosophe allemand qu’à la “prose limpide mais triste” de Tocqueville. Cela ne l’empêcha pas de promouvoir avec force le message de ce dernier et de grandement contribuer à lui donner la place qu’il mérite dans l’histoire des idées. Le cœur a ses raisons que la Raison ne connaît pas, mais à la fin c’est quand même bien cette dernière qui doit triompher....

Sans doute la pénombre médiatique relative dans laquelle est resté Aron tient-elle à sa modestie. Sans doute tient-elle également à l’expression un peu lourde et contournée avec laquelle il a exprimé sa pensée. Des plus de 35 ouvrages qu’il a publiés, c’est à peine si l’on connaît “L'opium des Intellectuels”, paru en 1955, et qui résume l’essentiel de ses convictions. Il faut bien se résoudre à l’évidence: Sartre avait le talent littéraire mais c’était un songe creux. Aron voyait juste et sa pensée était forte mais il eut du mal à l’exprimer, ce qui lui valut de la part de ses détracteurs l’accusation vile de “manquer de style”...
Mais en définitive, on peut se demander si la raison principale du discrédit dont a souffert son œuvre ne réside pas dans le fait qu’il lui fallut naviguer vent debout, très seul, contre une intelligentsia omniprésente monopolisant tous les canaux médiatiques...

Pour paraphraser Jean-François Dortier, on pourrait structurer la pensée aronienne selon deux axes déterminants. De sa longue fréquentation avec Emmanuel Kant, il avait retenu l’attitude critique. De la tradition positiviste française, il conserva le respect des faits, qui conduit à ne pas se laisser emporter par ses jugements. Bien qu’il ne soit pas si éloigné qu’on l’a dit de penseurs radicaux tel Hayek, il serait à ranger parmi les libéraux modérés, conservateurs, pour lesquels selon sa propre appréciation "La réalité est toujours plus conservatrice que l’idéologie."
Tout l’oppose donc à la Gauche soi-disant progressiste dont l’inexplicable aveuglement fut parfaitement résumé par cette interrogation qu’il livra lui-même lors d’une émission télévisée : “Est-il si difficile pour de grands intellectuels d’accepter que deux et deux font quatre et que le goulag, ce n’est pas la démocratie ?”
De fait, on croit rêver lorsqu’on pense à Sartre, qui parvenu à la fin de sa vie, continuait de soutenir mordicus, en contextualisant ses prises de positions, “qu’il avait eu raison d’avoir tort !”
Cette perversion incurable du raisonnement explique l’indulgence dont fit preuve avec obstination, une bonne partie de l’élite intellectuelle vis à vis du totalitarisme socialiste pourvu qu’il s’inspirât d’une idéologie bien pensante. C’est en prétendant que “la fin justifie les moyens”, ou “qu’on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs” que ces clercs condamnèrent des peuples entiers à l’une des tyrannies les plus abjectes que l’Homme ait engendrées. Encore de nos jours cette falsification reste admise, ce qui permit au journal Libération de titrer sans vergogne en 2017: “Raymond Aron avait raison, hélas...
Il faut préciser qu’avant les horreurs du communisme, Raymond Aron avait débusqué très tôt la nature pernicieuse du National-Socialisme, dont il avait vu les prémices lorsqu’il étudiait en Allemagne dans les années 30. Sartre, quant à lui n’avait rien perçu jusqu’en 1939 et s’accommoda plutôt confortablement à l’occupation allemande…

Parmi les nombreux sujets sur lesquels Aron eut l’occasion de s’exprimer, le film rappelle ses prises de position sur Israël. Certes son ascendance fut un facteur important le conduisant à choisir son camp. Tout en comprenant les souffrances et les revendications de chaque bord, il ne pouvait se résoudre à voir disparaître l’État israélien, et raisonna comme Camus avec sa mère, en expliquant que sur ce type de conflit, “inévitablement la prise de position est affective...”
Sur l’Algérie française, il se démarqua d’une bonne partie de la Droite à laquelle on le rattachait habituellement, jugeant la décolonisation inévitable, ne serait-ce que pour des raisons ethno-religieuses.
Sur mai 68 enfin, quoique opposé à l’élitisme universitaire, il assimila ces troubles à une “une farce”, un “grand n’importe-quoi”. On a dit à l’époque qu’il n’avait pas compris le sens de cette "révolution". Pourtant, une fois encore il se bornait surtout à ne pas accepter l’inacceptable. S’il trouvait "des éléments sympathiques" à ce désordre, d’autres l’étaient à ses yeux beaucoup moins, comme ces “crève salope” adressés sous forme de graffitis au recteur de la Sorbonne...

En forme de conclusion, on pourrait avancer que le principal titre de gloire de Raymond Aron reste d’avoir été un des rarissimes penseurs français du XXè siècle à avoir vu juste, ce qui n’est déjà pas si mal. Il est de ce point de vue condisciple d’Albert Camus ou de Jean-François Revel et sa discrétion, sa droiture n’ont pas de meilleure illustration que cette phrase, rapportée par un proche, alors qu’il venait de témoigner au procès de Bertrand de Jouvenel: “Je crois que j’ai dit ce qu’il fallait dire...”

30 janvier 2020

Le Triomphe Des Lumières ? (2)

Sur certains sujets le raisonnement de Steven Pinker déraille parfois étrangement et s’égare dans les lieux communs, le fatalisme et même le conformisme catastrophiste qu’il s’est fait un devoir de combattre !
Lorsqu’il évoque le noble sujet de la démocratie par exemple, il se félicite de voir le modèle hérité des pères fondateurs américains s’étendre peu à peu, diffusant même dans des régimes autoritaires comme en Chine et en Russie. Dans le même, le temps pourtant, il estime qu’il soit difficile à implanter dans des pays extrêmement pauvres, “dont les gouvernements sont faibles ou bien qu’on a décapités” comme en Irak et en Afghanistan, au motif que "l’effondrement de l’État entraîne violence et instabilité, et ne mène pratiquement jamais à une démocratie." Ce faisant, il rejoint le consensus des idées reçues, et oublie que c’est par la force que la démocratie s’est imposée en Allemagne et au Japon…
Il néglige bizarrement d’évoquer les bastions où le totalitarisme s’accroche envers et contre tout (Corée du Nord, Cuba, Venezuela, Iran…) mais voit en revanche une menace majeure dans la montée des mouvements dits populistes dont Donald Trump serait l’archétype.
Pinker bascule alors corps et âme dans le manichéisme, si ce n’est le sectarisme qu’il condamne pourtant avec énergie. Au sujet du magnat américain, pas encore élu président, il fait preuve d’une aversion qui confine à la haine brute, n’hésitant pas à affirmer que tous les progrès qu’il vient de passer son temps à énumérer joyeusement “sont menacés si Donald Trump parvient à ses fins”. Au passage, il l’accuse de tous les maux: il est protectionniste, opposé aux vaccins (qu’il accuse de favoriser l’autisme), il veut priver des millions d’américains d’une couverture santé, il est hostile au commerce, il se désintéresse de la technologie, de l’éducation et des politiques sécuritaires, il préconise des réductions d’impôts au profit des plus riches, il a diabolisé les immigrés, et ravale le réchauffement au rang de canular.

Non satisfait de cette volée de bois vert il ajoute qu’il est “admirateur de Poutine”, qu’il est “notoirement impulsif et vindicatif”, et enfin qu’il aurait “plein de traits distinctifs d’un dictateur” !

Autant dire que c’est l’ouvrage dans son ensemble et la thèse qu’il soutient qui perd de sa crédibilité devant tant de jugements à l’emporte pièce. A quoi bon seriner “qu’il est déraisonnable de s’opposer à la raison”, lorsqu’on laisse ainsi des ressentiments personnels s’exprimer avec tant de passion ? Et pourquoi tant de réticence à voir que si le “populisme” progresse, c’est peut-être tout simplement parce que le modèle démocratique est en crise ? Pourquoi ne pas accepter l’idée que ce n’est pas nécessairement la démocratie qui rebute mais plutôt son incapacité croissante à défendre les valeurs sur lesquelles elle est fondée, et sa tendance à jargonner plutôt qu'à appeler les choses par leur nom ? Les succès électoraux des Trump, Orban, Salvini et compagnie ne sont-ils pas l’expression d’un mouvement de rejet vis à vis des politiciens classiques, aussi verbeux et démagogues en promesses qu’ils sont indéterminés, pusillanimes et inertes dans l’action ? En un mot le “triomphe des Lumières” est-il un acquis irréfragable, une certitude intangible ?

Au chapitre de l’humanisme, le dernier, Pinker achève de déconstruire la logique sur laquelle il s’appuyait et montre beaucoup de subjectivité pour vanter les vertus de l’athéisme. On pourrait trouver le thème hors sujet s’il n’en faisait pas un des moteurs essentiels du progrès, allant jusqu’à prétendre que “les pays les plus éduqués, ont un taux de religiosité faible” ce qu’il attribue à “l’effet Flynn”. Ce constat l’amène in fine à conclure assez monstrueusement que “lorsque les pays deviennent plus intelligents, ils se détournent de Dieu…”

N’est-ce pas plus prosaïquement la prospérité et le bien-être matériel qui détourne nombre de gens de la vie spirituelle, et en fait d'ailleurs plus des païens jouisseurs que des athées convaincus ?
A l’appui de sa thèse, l’auteur évoque avec un brin de satisfaction “la décroissance du nombre de croyants dans le monde au cours du XXè siècle.../… et le taux d’athéisme qui a été multiplié par 500 et qui a encore doublé depuis le début du XXIè siècle”. Détail amusant, il tire ces chiffres de sondages dont il nous dit “qu’ils utilisent des méthodes astucieuses pour contourner la réticence des gens à se dire ouvertement athées…” Belle preuve d’impartialité !
Pour parachever sa démonstration, Pinker assène lourdement que la morale théiste serait affublée de 2 défauts rédhibitoires : Primo, “il n’y a aucune bonne raison de croire que Dieu existe”. Pour preuve, “les arguments cosmologiques et ontologiques pour l’existence de Dieu sont contraires à la logique et l’argument du dessein divin a été réfuté par Darwin”.
Secundo, même si Dieu existait, sa morale serait inopérante, surtout transmise par le biais des textes sacrés et des religions qui ont permis de commettre, voire encouragé, tant d’atrocités au nom de Dieu. De toute manière, Pinker en est certain, il n’est pas besoin de craindre un châtiment divin pour obéir à la morale et s’empêcher de violer, de tuer ou de torturer.
On est éberlué devant le simplisme de la réflexion qui en toute logique conforte l’auteur dans l’idée que l’humanisme pourrait exister sans Dieu (good without God) et qu’il est possible d’asseoir la morale sur des bases rationnelles. Hélas, contrairement à ce qui est ici prétendu, le passé a montré que les régimes athées, soi-disant épris de bonnes intentions et de bons sentiments, étaient les plus férocement anti-humains.
Sur l’islam et son regain actuel, dans sa version la plus rétrograde et obscurantiste, l’auteur paraît songeur, voire un peu gêné, ce qui ne l’empêche pas de minimiser le péril. S’il déplore le caractère anti-humaniste des prêches les plus radicaux et la croyance qu’ont les musulmans dans l’infaillibilité du Coran, il considère que l’essor de cette religion serait dû notamment “aux interventions malencontreuses des occidentaux, tels le démembrement de l’empire ottoman, le soutien aux moudjahidines anti-soviétiques en Afghanistan, l’invasion de l’Irak…”
Il espère toutefois que l’islam moderne, issu de la civilisation arabe classique qui fut par le passé “un haut lieu de la science et de la philosophie séculière”, saura mettre fin à ses dogmes rigoristes et il ne désespère pas de voir les idées et valeurs occidentales progresser peu à peu dans le monde musulman par “diffusion et percolation”. Anecdote croustillante qui révèle une naïveté confondante, il rapporte à cette occasion qu’on a découvert dans la cache de Ben Laden un ouvrage de Noam Chomsky !

Au total, le pavé de connaissances et de raison qui devait démontrer le triomphe des Lumières dans la longue quête de Progrès se termine en assommoir pontifiant. Après avoir ingurgité patiemment nombre de graphiques et de chiffres, l’esprit est littéralement enseveli sous les truismes en tous genres, des plus tautologiques aux plus grotesques et partisans. En fin de compte, avec de tels dérapages, rien n’est moins assuré que le triomphe annoncé, ce pourquoi le titre de ces billets porte un point d’interrogation. Il reste encore l’espoir que l’héritage des Lumières soit assez solide pour qu’il survive aux coups de boutoirs des révolutionnaires et des idéalistes de tout poil, dont le péché commun est de faire passer leurs utopies avant le pragmatisme, quitte à mépriser l’expérience et la connaissance des faits. Il y aurait beaucoup à dire sur les légions d’intellectuels occidentaux qui exècrent par pure construction idéologique leur propre société et idéalisent celle de leurs ennemis. Pinker le déplore mais ne fait qu’effleurer le sujet. Encore se trompe-t-il trop souvent de cible, en désignant des boucs émissaires tels Nietzsche à propos duquel il se déchaine en critiques virulentes, venant un peu comme des cheveux sur la soupe. On comprend vite qu’elle exprime la détestation de l’auteur pour le populisme. Au passage, la brillante romancière libérale Ayn Rand (auteur du colossal Atlas Shrugged) est également éreintée, ainsi à nouveau que le pauvre Trump, dans lequel Pinker voit “le jaillissement de tribalisme et d’autoritarisme depuis les recoins sombres de la psyché.”
Il est vraiment dommage de tomber si bas lorsqu’on avait l’ambition de monter si haut, et si quelques uns des constats énumérés dans l’ouvrage restent bienvenus, on laissera notre adorateur des Lumières perdre sa raison dans de vaines controverses politiques et peut-être complètement s’égarer dans ses fumeuses théories cosmologiques selon lesquelles “le multivers serait la théorie la plus simple de la réalité...”

28 janvier 2020

Le Triomphe Des Lumières ? (1)

Par les temps de morosité sociale, de mécontentement quasi permanent et de rabâchages quotidiens au sujet d’un monde qui serait condamné à la catastrophe, certaines lectures pourraient être revigorantes, laissant entrevoir un espoir à travers la sinistrose.
L’optimisme “raisonné” dont fait preuve Steven Pinker dans un de ses derniers ouvrages à succès intitulé “Le Triomphe des Lumières” est à ce titre plutôt appréciable.
Pour confirmer cette impression, il faut évidemment avoir le courage de s’enquiller les quelques six cents pages (dont une centaine consacrées aux références bibliographiques !) de ce pavé à la rigueur souvent austère, et croire au pouvoir de la raison plutôt qu’à celui des croyances et des idées reçues. Il faut être sensible aux démonstrations chiffrées, car le livre en regorge. A l’appui de son propos, Pinker use en effet (et abuse peut-être un peu) des graphiques, car selon lui, tout est quantifiable et facile à mettre en courbe, y compris le bonheur.
C’est ainsi que défilent tous les thèmes sociétaux, passés au triple prisme de la Raison, de la Science, et de l’Humanisme: vie, santé, subsistance, prospérité, inégalités, environnement, paix, sécurité, terrorisme, démocratie, savoir, qualité de vie.
Et au travers de cette optique, si l’on regarde “objectivement les choses, tout ne va pas si mal…”

Avant de rentrer dans le vif du sujet, l’auteur rappelle ce que sont les fameuses “Lumières”. il n’apporte en la matière rien de nouveau à la magistrale analyse qu’en fit Kant, mais on sourit d’aise à la belle définition de Thomas Jefferson, liant lumière et progrès : “celui qui reçoit une idée de moi l’ajoute à son savoir sans diminuer le mien; tout comme celui qui allume sa bougie à la mienne reçoit la lumière sans me plonger dans la pénombre…”
Dans le chapitre suivant, consacré à la progressophobie, on trouve une diatribe assez juste sur les intellectuels dits “progressistes” qui ne cessent paradoxalement de dénigrer le progrès à tout bout de champ, tout en profitant sans vergogne à titre personnel de ses bienfaits. Les mêmes se comportent en prophètes de malheur, ressassant obsessionnellement la faillite du modèle fondé sur la démocratie, le libéralisme et le capitalisme, et Pinker flétrit au passage les médias qui relatent complaisamment à leur suite le mythe du déclin. Pour assoir ce constat, il analyse ainsi la teneur des articles paru dans le New York Times de 1945 à 2005, en “recensant les occurrences et le contexte dans lequel apparaissent des mots ayant des connotations positives ou négatives” et en tire des scores qu’il traduit en graphique. La démonstration est sans appel: d’une note oscillant entre 2 et 3 dans l’immédiat après guerre, on est passé à -3 de nos jours !
Tout l’ouvrage est à la mesure de ce procédé, bluffant, mais un tantinet caricatural, qui conduit en définitive à conclure que “le monde a fait des progrès spectaculaires dans chaque domaine mesurable du bien-être humain sans exception, mais [que] presque personne n’est au courant…”

Il y a dans cette démonstration beaucoup de constats pertinents, mais également quelques excès voire contradictions qui atténuent singulièrement la force du raisonnement. Commençons par les premiers.
S’agissant de “la richesse des nations”, par exemple, rien à dire, puisqu’il s'agit de remettre à l’endroit certaines réalités trop souvent occultées ou carrément travesties. Par exemple lorsqu’il est rappellé que “sur les 70 millions de personnes mortes de famine au cours du XXè siècle, 80% ont été victimes de la collectivisation forcée, des confiscations punitives et de la planification centrale totalitaire imposées par les régimes communistes.” Ou bien lorsqu’on lit cette remarque sarcastique à propos de Mao, longtemps encensé par les intellectuels de gauche, alors qu’il fut un des plus sanguinaires tyrans que la terre ait porté : “en 1976, [il] changea à lui seul et de façon spectaculaire le cours de la pauvreté dans le monde, par un acte simple, il mourut..”
Même si ces affirmations devraient relever de l’évidence, cela fait quand même plaisir à lire. Tout comme les constats qui devraient couler de source, affirmant que “les avantages économiques du capitalisme sont si évidents qu’ils n’ont pas besoin d’être mis en évidence par des chiffres”, et que “le monde est environ 100 fois plus riche qu’il y a deux cents ans, la part de l’humanité vivant dans l’extrême pauvreté étant passée de 90% à moins de 10%”. Hélas ces faits sont quasi quotidiennement niés par de prétendus savants, bourrés de préjugés et de parti-pris idéologiques...

S’agissant des inégalités, thème à la mode s’il en est, le propos est du même tonneau. Elles ne sont “pas en soi moralement condamnables” et ceux qui comme le très surestimé Piketty entretiennent la confusion entre inégalité et pauvreté, ne font que propager un sophisme connu sous le nom de lump fallacy. Cette absurdité veut que la quantité de richesse soit fixe et que l’enrichissement des uns se fasse nécessairement au dépens des autres. Rien de plus faux évidemment et l’auteur rappelle à cette occasion en citant Seidel : “que tous ceux qui appellent de leurs vœux une plus grande égalité économique feraient bien de se rappeler qu’à de rares exceptions près, elle n’a jamais été engendrée autrement que dans la douleur…”

Sur l’environnement et les écologistes le propos de Pinker est un peu plus déroutant. Il commence par fustiger la “croisade fanatique” que certains tels Steward Brand ont entrepris. A cette occasion, il n’hésite pas à mettre dans le même panier des activistes Al Gore, Unabomber, et le pape François ! En substance, “Les justiciers climatiques” voudraient qu’au lieu d’enrichir les pays pauvres, on appauvrisse les pays riches.
Sous l’éclairage de courbes et de chiffres difficilement contestables, on découvre que la pollution n’a pas cessé de diminuer. Un seul exemple, depuis les années 70 les États-Unis ont réduit des deux tiers leurs émissions de cinq polluants atmosphériques, alors que la population dans le même temps s’est accrue de 40% ! Il n’y a donc pas lieu de manifester un pessimisme alarmiste, d’autant que le développement de l’économie numérique devrait permettre de progresser encore en dématérialisant nombre de procédures matérielles.
Toutefois, Pinker fait également preuve d’un étonnant manichéisme, le conduisant par exemple à déplorer, face au réchauffement climatique et aux méfaits du carbone, “le déni des géants de l’énergie et de la Droite politique”, oubliant au passage que c’est le président Obama, son idole, qui a ouvert largement la voie à l’exploitation du gaz de schiste.
Revenant tout à coup à l’idéologie politique, il préconise également le recours massif aux taxes punitives, notamment sur l’utilisation de produits carbonés… Lui le libéral affirmé devient soudain le partisan de règles contraignantes et d’un étroit encadrement des comportements par l’État. Et c’est là que surgissent dans le discours certaines incongruités, parfois au détriment de l’impartialité, et que les choses commencent à se gâter... (à suivre)

24 octobre 2019

Démocraties en crise

L’interminable valse-hésitation du Parlement anglais face au brexit donne une bien médiocre image de la démocratie. Non seulement cette institution, qu’on croyait vénérable, donne l’impression de vouloir repousser sans fin les conséquences du référendum du 23 juin 2016, mais elle semble au surplus se faire une joie de contrarier systématiquement le Premier Ministre. Après la démission de David Cameron, l’échec de Theresa May, c’est Boris Johnson qui est malmené par des élus qu’on dirait aussi irresponsables que des collégiens. Le pays paraît crispé depuis plus de trois ans, quasi bloqué par cette pierre d’achoppement qui cristallise toute l’attention jusqu’à l’épuisement. Lors d’une récente interview, l’ancien Beatle Paul McCartney a bien résumé la situation: “Je pense que c’est un vrai bordel et je serai heureux quand ce sera fini…”
Malheureusement, ces mésaventures ne sont pas isolées dans le monde démocratique. Pour tout dire, c’est d’une véritable épidémie qu’il s’agit. Tergiversations, indécision, compromissions, incohérence, contradictions, rébellion, tout semble se conjuguer pour miner les bases même d’un modèle en voie de dépérissement.
En Italie, après le marché de dupes qui porta au pouvoir l’attelage hétéroclite de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles, c’est l’alliance de la carpe et du lapin qui gouverne dans le seul but d’éloigner Matteo Salvini du pouvoir. Pour combien de temps ? Nul ne sait mais une chose est certaine: ce n’est vraiment pas sérieux.
L’Espagne n’est guère mieux lotie. Après la chute de la maison Rajoy pour cause de corruption, le pays est en proie au chaos politique. Les partis traditionnels se sont effondrés, tandis que le bipartisme se morcelait en une myriade de nouveaux mouvements (Ciudadanos, Podemos, Vox…). Résultat, le pays est pour l’heure quasi ingouvernable, la rébellion indépendantiste fait rage en Catalogne et le pays rouvre même ses cicatrices avec la procédure sordide d’exhumation de Franco…
En France, on sait que le jeu démocratique est faussé par la montée en puissance régulière depuis quelques décennies du Rassemblement National, ostracisé, pestiféré, pour tout dire exclu du jeu politique. Il suffit de se retrouver en lice contre un représentant ce parti pour être sûr d’être élu, ce qui fait dire à certains que dans un tel cas de figure, même une chèvre pourrait faire l’affaire… L’irruption spectaculaire d’Emmanuel Macron dans le paysage politique et sa consécration rapide furent liées en grande partie à un effet de conjoncture, ce qui explique sans doute la violence déraisonnable et anti-démocratique de ses opposants dans la rue. Même peu nombreux, ils sont la cause de dégradations majeures et entretiennent durablement un climat de défiance qui contrarie la marche du gouvernement.
Même l’Allemagne semble déstabilisée par des scrutins de plus en plus incertains, obligeant à mettre sur pied des coalitions floues ou improbables. Quant à l’Europe, elle continue de dériver sans vrai but, sans âme et sans unité. L’impuissance de la Communauté lors de la récente opération militaire Turque en Syrie en apporte une nouvelle preuve...

Si l’on sort de l’Europe, ce n’est guère mieux. Aux Etats-Unis c’est le Président qui depuis son investiture se trouve sous le feu d’une opposition aussi peu inspirée que revancharde, qui n’a pas digéré le résultat de son élection. Pas un jour sans que ses moindres faits et gestes ne soient critiqués de manière primaire, quasi pavlovienne par ses adversaires littéralement enragés. Désormais, au motif d’un douteux coup de téléphone avec le président ukrainien, c’est la procédure d’impeachment qui est brandie par les soi-disant Démocrates. Pourtant, Trump depuis le début de son mandat ne fait qu’appliquer les mesures de son programme de campagne et il continue de jouir d’un solide soutien populaire...
On pourrait pareillement évoquer le sort d’Israël, confronté à un scrutin sans majorité, celui du Chili dont les dirigeants élus il y a deux ans à peine, sont contestés avec une extrême violence par une insurrection, motivée par une augmentation de quelques centimes du ticket de métro.

En définitive, quand ce n’est pas le peuple qui remet en cause de manière factieuse le verdict des urnes, ou qui manifeste son indécision dans le choix de ses gouvernants, ce sont les élus qui se comportent de manière anti-démocratique, en faisant fi de la volonté populaire, en protégeant avec un jusqu’au-boutisme consternant ses prérogatives, ou bien en se discréditant à l’occasion de querelles pricocholines...
Dans cette cacophonie assourdissante, le cas de Hong Kong est sensiblement différent, voire opposé. Le peuple, dans la relative indifférence du monde dit libre, ne se mobilise pas contre les règles du jeu démocratique ni contre le libéralisme, mais pour obtenir la garantie de leur maintien !
D’un côté des enfants gâtés, qui ne savent plus apprécier les mérites de leur situation privilégiée et la prospérité inégalée de leurs pays de cocagne, de l’autre ceux qui craignent avec raison les périls qui menacent leur destinée et le modèle de société auquel ils sont attachés. Décidément, cela devrait peut-être poser question, et des plus sérieuses...

27 septembre 2019

Sans la Liberté

La publication toute récente d’un petit essai au titre provocateur*, que je reprends en tête de ce billet, vient d’attirer mon attention.
Signé par l’avocat François Sureau, il s’attache à démontrer tout en le déplorant, que notre époque est en train de perdre le goût et pire encore, le désir de liberté.
N’étant pas loin de penser la même chose, je ne pouvais qu’aborder avec intérêt un tel ouvrage, rapide à lire puisqu’il ne compte qu’une soixantaine de pages, venant d’un fin connaisseur du monde législatif, et qui au surplus serait lié d’amitié avec le Président de la République. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’épargne guère la gestion du gouvernement actuel, même si ses reproches concernent au moins deux décennies...

Selon l’auteur, la situation est grave, car “nous nous sommes déjà habitués à vivre sans la liberté”, ce qui nous amène de facto à “remplacer le blanc de notre drapeau par le gris préfectoral...”
En cause, les lois promulguées depuis quelques années, bien intentionnées sans nul doute, mais liberticides en diable.

Par exemple, la “loi anti-casseurs” d’avril 2019, qui revient selon lui à confier au Parquet la faculté de trier les bons et les mauvais manifestants, et donc in fine d'interdire à certains d’exprimer leur opposition à la politique de l’Etat.
Dans la même veine, il évoque également le récent texte réprimant les fake news en période électorale, qui risque en plus d’être inefficace, de se révéler nuisible. Qu’est-ce qu’une fake news ? Voilà la question à laquelle devra répondre le juge des référés à la place des citoyens, considérés comme trop bêtes pour le faire eux-mêmes. Il est probable qu’il lui sera souvent difficile de démêler le vrai du faux,  ce qui pourra conduire, avec le sceau de l'Etat, à faire prendre pour vraie une fausse nouvelle, à moins que cela ne soit l’inverse...
Enfin, la petite dernière, datant de 2 mois à peine, s'attachant à réprimer les discours de haine sur internet. Pour M. Sureau la notion sera là aussi sujette à controverse, la république elle-même ne fonde-t-elle pas ses origines sur "la haine des tyrans”? Pire, en faisant planer la menace de sanctions sur les gestionnaires des fameux “réseaux sociaux”, elle risque de devenir “un puissant encouragement à la censure.”

Parallèlement, force est de constater que les mesures visant à garantir la sécurité et la quiétude des citoyens relèvent de plus en plus d'une logique militaire. Ainsi, on peut selon l’auteur s’effrayer de voir que pour encadrer une manifestation d’à peine quelque centaines de personnes, il faille des effectifs de police aussi nombreux si ce n’est plus, armés et harnachés comme des soldats engagés au Kosovo, en Afghanistan ou en Irak.
Très justement, l’auteur souligne qu’une telle démonstration de force est “aussi insultante qu’absurde, surtout pour qui se souvient de l’incapacité, faute d’ordres donnés en ce sens, pour les forces en question, de répliquer de manière appropriée…”

La liberté est donc menacée, grignotée, étouffée, par le législateur c’est certain. Quant aux mesures sécuritaires, légitimes face au terrorisme bien réel, elles sont trop souvent dévoyées, aboutissant au même résultat. Il n’est que de voir la législation de l’état d’urgence, supposée combattre le terrorisme, qui “a servi pour assigner à résidence des écologistes...”


Même s’il sonne juste, on peut juger le constat fait par M. Sureau un tantinet excessif. Les entorses à la liberté restent pour l’heure vénielles par rapport à ce qu’on a pu connaître en France par le passé, pas forcément très lointain, ou présentement dans certains pays. Le plus grave est sans doute ce qu’elles révèlent de la santé de notre société démocratique “avancée”, pour reprendre la terminologie utilisée jadis par Valéry Giscard d’Estaing.
Sur le sujet, M. Sureau n’est guère optimiste puisqu’il estime que “Nous avons réussi le prodige d’asservir le citoyen en diminuant dans le même temps l’efficacité de l’État.” En cause selon lui, la multitude de bonnes raisons que nous nous donnons pour méconnaître les droits de l’homme, et la prolifération d’une administration bienveillante mais omniprésente, à la manière de ce pouvoir “absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux” qu’avait prédit Tocqueville.

Malheureusement, faute de place peut-être vu le format de l’ouvrage, M. Sureau ne s’étend pas trop sur cette thématique. On peut le regretter car l’érosion de la liberté n’est qu’un symptôme auquel il semble vain de s’opposer si l’on ne s’attaque pas aux racines du mal.
Or ce mal est profond et insidieux.
Comment redonner du sens à notre modèle de société afin qu’il ne sombre pas dans le désastre exquis de l’Etat-Providence, dont la tutelle croissante et indéfinie transforme peu à peu l’âme citoyenne en ersatz sans substance ?
Cette interrogation sous-tend d’autres questions qu’il sera bien difficile d’affronter collectivement vu l’état actuel des mentalités, corrompu par des décennies de démagogie et de chimères:
Il s’agit de savoir avant tout si nous sommes encore prêts à payer le prix de la liberté, ce qui suppose d’accepter d’être responsable de ses actes et en partie de son destin, et qui peut aller en certaines circonstances, jusqu’au sacrifice de la vie.
Il s’agit d’accepter la primauté de la liberté sur toute autre valeur, y compris l’illusoire égalité, notamment des conditions.
Il s’agit d’être capable de distinguer la liberté de ses trompeurs avatars dont la permissivité, source de laisser-aller et d’avilissement.
Il en découle l’impérieuse nécessité pour une société libre de savoir sanctionner à bon escient et de manière efficace les crimes et délits plutôt que de se perdre en réglementations et législations préventives. Comme le souligne M. Sureau, “Une chose est de sanctionner a posteriori un exercice incivil de la liberté; autre chose est de remettre à un tiers public, la définition a priori des formes acceptables qu’elle peut prendre.”

Au total, pour reprendre les termes de l’auteur de cette intéressante réflexion sur une des problématiques majeures de notre monde, la liberté est avant tout “une manière d’être”. Il faut espérer qu’il soit encore possible de lui redonner vigueur. “Il n’y faut après tout que du souffle et de la patience. Les inconvénients de la liberté, même chèrement payés, ne l’emporteront jamais sur ses avantages, puisque c’est elle et elle seule qui soutient la vocation de l’homme.”


* Sans la liberté, de François Sureau, « Tracts », Gallimard n° 8