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18 septembre 2023

Statistiques et Transhumanisme 2

Lors de cette session des “Visiteurs du Soir” (10/09/23), animée par Frédéric Taddéï, le second débat avait pour objet le thème du transhumanisme.
Dire précisément de quoi il s’agit serait difficile tant le concept est sujet à interprétations. On se situe en effet dans une sorte de nébuleuse portant l’idée que le progrès technique aboutira tôt ou tard à une transformation radicale de l’être humain. Selon les plus enthousiastes zélateurs de cette théorie, l’Homme deviendra plus intelligent, plus puissant, résistant à quasi toutes les maladies, et à terme, il pourra peut-être accéder à l’immortalité.

Pour en débattre, le premier protagoniste était Michel Onfrayphilosophe bien connu, très médiatique et surtout très prolixe en ouvrages célébrant une vision athée, quelque peu nietzschéenne du monde, fermement ancrée dans un socialisme utopique, de type proudhonien. Le second, Laurent Alexandre, fut chirurgien, cofondateur du site web Doctissimo, auteur de nombreux ouvrages consacrés à l’avenir des sciences et des biotechnologies, également habitué des plateaux télévisés et tout aussi engagé politiquement, mais quant à lui, dans une sorte de libéralisme de centre gauche, néo-macroniste, selon ses propres déclarations.

Le point de départ de la discussion se fondait sur un objectif en apparence partagé : celui d'améliorer les perspectives d’avenir pour l'Humanité. La visée est on ne peut plus louable, mais il ne fallut pas attendre bien longtemps pour comprendre que les voies préconisées pour y parvenir étaient largement divergentes.

Laurent Alexandre propose une voie résolument optimiste, et se fait le démiurge d’une nouvelle humanité. Selon ses dires, “l’Homme 1.0 est mort, vive l’Homme 2.0”! Emporté par la passion, il lui arrive même d'appeler ce dernier Homo Deus.
Les progrès rapides en biologie, en génétique, en intelligence artificielle (IA), en nanotechnologies, l’incitent en effet à penser que l'être humain est en passe d’être transfiguré. Tout ce qui semblait relever de la Nature sera selon lui revisité par la technique. Ainsi “le bébé à la carte” deviendra la règle eugéniique, et la grossesse et l’accouchement ne seront bientôt plus qu’un souvenir, grâce à l’avènement de l’utérus artificiel. Ce dispositif permettra d’optimiser la gestation, et de doter le foetus d’extraordinaires capacités physiques et intellectuelles. La famille réunie autour de la machine, trônant dans le salon durant 9 mois, pourra même suivre le bon développement du futur enfant... 
Dans ce monde idéal, il n'y aura peut-être même plus besoin de travailler. Un revenu universel sera versé aux oisifs et tous les désirs pourront être satisfaits sans délai par l'Intelligence Artificielle, omniprésente. 

Inutile de dire que cette description horrifia Onfray, qui y voit la concrétisation maléfique du fameux "Meilleur Des Mondes". Lui à l'opposé, reste envers et contre tout attaché à un monde fondé sur le respect des traditions. Il veut l'avènement d'un modèle de société libre et joyeuse, ouverte aux délices de l'épicurisme, tout en garantissant la protection des citoyens contre toute emprise excessive du Pouvoir, des Médias, des Commerçants, des Religions, de la Mondialisation, et in fine de la Technique et de l'Informatique.

Taddei qui se trouvait pris entre le marteau et l'enclume tenta quelques incursions visant à rapprocher les deux paradigmes mais rien n'y fit. Bioconservatisme contre transhumanisme, c'est de toute manière irréconciliable, et dans les deux cas, extravagant. On pouvait supposer d'ailleurs, que l'animateur ne penchait n'y d'un côté ni de l'autre tant les paradoxes et les contradictions étaient légions, quelque soit l'option considérée.

Le scientifique exalté se veut le chantre d’une nouvelle humanité assujettie à la technique, sans aspiration spirituelle autre que “de tuer la mort”, et dont la foi et la morale se réduisent à un fumeux “théo-logiciel”. Une perspective d’évolution entièrement consacrée à la réalisation narcissique d'un idéal de perfection, plein de vanité, donc de vide. Par un étrange oxymore, le culte de l'individu le plus exacerbé s'inscrit dans une vision holistique de la société au sein de laquelle les citoyens valent à peine mieux que des fourmis au comportement programmé.
Il imagine avec un sérieux confondant qu’on pourra rendre les gens plus intelligents par la magie de la biotechnologie, en leur greffant des puces dans la cervelle ! Comme si l'intelligence pouvait être aussi simple, comme si la machine, aussi perfectionnée soit-elle, pouvait être qualifiée d'intelligente, et comme si elle excluait totalement par nature la bêtise ! Dans un beau geste altruiste, il voudrait que ces progrès profitent à tout le monde, prioritairement aux gens défavorisés par la nature, et qu'ils soient remboursée par la Sécurité Sociale ! Une telle naïveté ruine la crédibilité qu'on serait tenté d'accorder à ce modèle caricatural.
Mais on n’est pas plus convaincu par son interlocuteur Michel Onfray, proposant une version amendée du rêve ancestral de société juste et égalitaire.
Le philosophe, aussi brillant qu’idéaliste, qui se veut novateur, ne fait rien d’autre que recycler de vieilles lunes révolutionnaires d'inspiration collectiviste, toujours désastreuses lorsqu’elles furent mises en œuvre par le passé. Oubliant ces expériences malheureuses, et alors qu’il se prétend libertaire, il en vient à considérer le libéralisme, incarné selon lui par son interlocuteur, comme aussi néfaste que le communisme ! Il s'oppose de toutes ses forces à “la réification du monde” mais reste envers et contre tout fidèle au socialisme, fondé quelque soit la version mise en œuvre, sur une vision matérialiste et athée qui symbolise le mieux cette réification.

Au bout du compte, à l'issue de la confrontation, l'envie qui se faisait jour était de renvoyer dos à dos les deux conceptions, car décidément, l'une mélange science et scientisme, l'autre continue de confondre philosophie et utopie …

14 septembre 2023

Statistiques et Transhumanisme 1

Les téléspectateurs ayant suffisamment d’ouverture d’esprit pour s’aventurer de temps à autre sur la chaîne CNews purent assister à deux débats édifiants ce dimanche 10 septembre. Sous la houlette de l’excellent Frédéric Taddéi, un des meilleurs animateurs de talk show, on vit s’affronter beaucoup des contradictions que notre monde véhicule, entre utopie et science.
La première confrontation portait sur le mésusage des statistiques et sur leur dévoiement pour servir une cause idéologique. La discussion tourna autour du récent ouvrage de Sami Biasoni intitulé "
Le Statistiquement Correct". 

Beaucoup d’exemples furent donnés des stupidités chiffrées qu’on entend colportées par les médias à longueur d’année. Un seul suffirait à donner la mesure de la bêtise, si ce n’est de la mauvaise foi, de certaines sentences proférées par les politiciens et autres “penseurs autorisés”, pour reprendre l’expression de Coluche.
Pour légitimer et défendre la limitation de vitesse à 30 km/h que presque toutes les villes, dans un bel élan panurgien, sont en train d’imposer aux automobilistes, l’ébouriffé représentant du parti Europe Écologie Les Verts, Julien Bayou, présenta la mesure comme généreuse au motif qu’on roule déjà en moyenne à Paris à 11,6 km/h entre 7h et 20h !
On pourrait tout de go lui demander de s’expliquer sur la nécessité d’une telle limitation puisqu’on circule en pratique déjà nettement en dessous. Mais le plus grave et le plus contestable est de fournir un chiffre qui ne veut rien dire. S’il est vrai au sens statistique, il ne représente pas la réalité puisqu’on ne roulait avant cette réglementation quasi jamais à cette vitesse, mais toujours soit en dessous lors des embouteillages, soit en dessus lorsque la voie était libre. C’est donc avec ce genre de raisonnement pernicieux qu’on promulgue des normes inapplicables.
Pour illustrer autrement le caractère parfois fallacieux d’une moyenne ou d’une valeur médiane, il suffit d’imaginer un établissement de santé qui ne comporterait qu’une maternité et qu’un service de soins pour personnes âgées. L’âge moyen se situerait autour de 50 ans ce qui n’a évidemment, dans un tel contexte, aucun sens.

Le nombre de slogans appuyés par une présentation biaisée des chiffres ne fait que croître et pour celles et ceux qui n’ont pas le temps ni la volonté d’approfondir les choses, ces contre-vérités finissent par s’imposer. “Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose”, selon le dicton bien connu.
Ainsi, on put entendre tout récemment Jean Jouzel, ancien haut dignitaire du GIEC, assénant tranquillement que le capitalisme est incompatible avec la lutte contre le réchauffement climatique.
Le refrain est connu mais venant de quelqu’un qui se targue d'être un savant impartial, une telle ineptie qui prétend faire d’une opinion politique une vérité incontestable, démontre un parti pris de plus en plus radical et intransigeant qui invite à lui seul à devenir climato-sceptique ! On sait que M. Jouzel n’a jamais caché son engagement “toujours à gauche”, et on sait dorénavant qu’il confond cet engagement partisan avec l’objectivité scientifique. Il rejoint ainsi la cohorte d’esprits torves, clairement assujettis à une doctrine, mais qui essaient en toute connaissance de cause de faire passer cette dernière pour un corpus assis sur des faits établis. On se souvient de l’illustre idiot qui osa clamer qu’il préférait "avoir tort avec Jean-Paul Sartre que raison avec Raymond Aron" ! D’autres diraient qu’au Loto, "100% des gagnants ont tenté leur chance…"

17 mars 2023

Doctor Chat & Mister GPT (3)

Chat GPT est donc tout le contraire de l’intelligence, même s’il tient une conversation correcte quoique bourrée de stéréotypes, d’automatismes et de redondances.
S’il est considéré comme un simple outil, son emploi peut s’avérer utile, sous réserve d’améliorations, et à condition pour celui qui l'utilise, de conserver son esprit critique et sa capacité d’initiative. Pour le reste, ce n'est qu'une illusion.

L’intelligence est quelque chose de beaucoup trop complexe, et difficile même à définir, pour imaginer en faire une qualité d’un robot. Les outils conçus par les êtres humains sont là pour suppléer ou améliorer leurs capacités limitées, et se bornent à imiter leur raisonnement ou leur manière d’agir. Peut-on dire d’un marteau qui prolonge la main et lui donne un surcroît considérable de puissance, qu’il est intelligent ? Peut-on dire d’une vulgaire calculette qui ridiculise les capacités humaines par sa rapidité et son efficacité, qu’elle est intelligente ? Peut-on prétendre qu’un système GPS qui vous parle et qui vous guide infailliblement est intelligent ?
Évidemment non et on ne voit pas bien pourquoi il en serait autrement pour un programme informatique, aussi performant et sophistiqué soit-il. Le vrai danger pour leurs concepteurs et les utilisateurs serait peut-être d’imaginer que la machine soit réellement intelligente, et de lui déléguer la responsabilité intellectuelle qui leur incombe.

L'intelligence pour ce qu’elle est le propre de l’Homme, comporte la faculté de raisonner mais s’appuie également sur des sentiments, des opinions et même une certaine subjectivité, notamment l’intuition, chère à Bergson. Elle a un sens en soi, contrairement aux algorithmes informatiques. Elle a également une vraie responsabilité, ce qui ne peut être le cas d’une machine. Enfin, depuis Kant, on sait qu’elle est soumise, qu’elle le veuille ou non, à l’impératif catégorique de la morale, totalement étranger au fonctionnement d’un ordinateur.

La tendance actuelle est de demander à l'ordinateur tout ce qu’il ne faut pas faire : poèmes, musique, dessins, lettre de recrutement, discours... Même si le résultat est réussi sur la forme, il s’avère sans intérêt puisque totalement dépourvu d’âme, en tant qu’entité spirituelle douée de conscience, d’émotion, et d’inspiration… La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a, dit l’adage. L’IA ne peut fournir que ce qui ressort des algorithmes. Aussi sophistiqués soient-ils, et même en activant pas moins de 175 milliards de paramètres, ils ne recèlent aucune intelligence. Au grand dam de Laurent Alexandre, dont l’optimisme confine à l’illumination, même un million de fois plus puissants qu’actuellement, ils seront toujours aussi stupides qu’un marteau sans maître, pour paraphraser René Char.

Contrairement à un bon vieux moteur de recherche qui se borne à vous faciliter la tâche laborieuse d’aller retrouver des références utiles dans la masse pléthorique des connaissances humaines, l’IA pourrait aller bien plus loin, paraît-il, en mettant en forme les résultats et même en en faisant l’interprétation.
Cela relève à l’évidence de l’utopie. On a vu que Chat GPT avait d'énormes lacunes en matière de connaissances et faisait de grossières erreurs en amalgamant celles glanées au sein de ses bases de données. Le pire toutefois, est qu’en guise de mise en forme et d’interprétation, il ne fait que dégorger le corpus idéologique implémenté par ses concepteurs. On oscille en quelque sorte entre la langue de bois et la doxa, entre discours aseptisé sans intérêt et catéchisme susceptible de dévier vers l’absurde ou la perversité du concepteur, comme dans 2001 l’Odyssée de l’espace. Pour l’heure, Chat GPT répète comme un perroquet toutes les billevesées véhiculées par l’idéologie pseudo bienveillante woke, la lubie réchauffiste…

Pour achever cette réflexion, je livre ici une production poétique émise par Chat GPT. La demande était d’écrire un sonnet en alexandrins sur le thème de la réforme des retraites. Demande un peu insane, à laquelle le logiciel a pourtant répondu sans sourciller. Il se montre ainsi capable sans le moindre état d’âme de concevoir un truc totalement absurde. Le résultat est évidemment insignifiant, mais au surplus, il n’obéit pas aux règles élémentaires de la versification. Même après plusieurs essais, les alexandrins sont restés boiteux, sans césure, et sans rime, contrairement à ce qui était demandé…

La réforme des retraites, tant débattue,
Fait frémir tout un chacun dans ce pays,
Les gens inquiets se sont mis à prier,
De peur de ne plus toucher leur pension.

La question est épineuse, c'est certain,
Mais il faut la traiter avec sérieux,
Car la situation n'est pas des plus saines,
Et le déficit se creuse chaque jour un peu plus.

Les travailleurs ne sont pas rassurés,
Ils craignent de travailler plus longtemps,
Et de ne plus pouvoir profiter de leur temps.

Mais il faut bien trouver une solution,
Et envisager des réformes sérieuses,
Pour garantir un avenir à chacun.


Y aurait-il des professeurs assez crédules pour ne pas dire niais, pour se laisser berner par un tel poème soumis par un élève ? Le risque est réel, à ce qu'on dit, ce pourquoi on pense déjà à concevoir des robots pour démasquer les robots…

10 mars 2023

Doctor Chat & Mister GPT (2)

Quelques instants suffisent pour reconnaître, à l’instar de beaucoup de commentateurs, que l’outil est bluffant sur la forme, la syntaxe et même la sémantique. Il semble comprendre son interlocuteur et s’il parle évidemment anglais, il s’exprime très bien en français. En revanche, il est extrêmement décevant sur le fond et l’absence de tout état d’âme, de toute personnalité, de tout ego, de son discours est desséchante. Plus grave, il se révèle pour l’heure assez limité dans ses connaissances, bien inférieur en tout cas au moteur de recherche Google et bien plus superficiel qu’une encyclopédie en ligne comme Wikipédia.
Quelques questions à peine malicieuses permettent de s’en rendre compte. Il se trompe par exemple en mélangeant les titres d’ouvrages de l’écrivain Jacques Chardonne avec ceux d’autres auteurs, et lui attribue le prix Goncourt 1923 pour un livre qu’il n’a jamais écrit “les jours et les nuits” puisqu’il est d’Alfred Jarry (le prix ayant été attribué à Lucien Fabre pour "Rabevel ou le mal des ardents”) !
Certes l’erreur est humaine, pourrait-on rétorquer, et on ne saurait donc en faire le reproche à un robot humanisé. Mais persévérer est en revanche diabolique, dit-on. Est-ce la nature profonde de ChatGPT qui, lorsqu’on le réinterroge quelque temps plus tard sur le même sujet, commet de nouvelles erreurs ? Il attribue cette fois à Chardonne le roman “La mort du petit cheval” qui est en réalité d’Hervé Bazin, et fait de l’auteur des Destinées Sentimentales, un membre de l’Académie Française, ce qu’il n’a bien sûr jamais été (tout au plus, celle d’Angoumois !)…
Il se montre enfin peu capable d’enrichir lui-même ses connaissances contrairement à ce qu’il affirme, même si on lui indique le chemin d’accès au savoir. Je me suis amusé à lui demander s’il connaissait mon recueil de poésies paru chez Coollibri, disponible sur internet et que Google trouve quasi instantanément. Bien sûr, il en ignorait l’existence, arguant notamment du fait que ses connaissances s’arrêtent en 2021, mais il s’engageait à “jeter un coup d'œil au recueil”. Quelques jours après, il ne se souvenait manifestement plus de sa promesse…

Un des objectifs principaux revendiqués par ses concepteurs est d’aider sur des problématiques concrètes.
A cette fin, qu’il soit permis d’évoquer ici l’interrogation du robot faite par les journalistes du Télégramme, à propos de la crise du petit commerce, qui conduit à la désertification des centres villes.
ChatGPT, nullement pris au dépourvu, livre illico cinq propositions : « Encourager un mélange diversifié de détaillants locaux et nationaux pour créer une expérience unique », « soutenir les petites entreprises et encourager l’entrepreneuriat », « améliorer l’accessibilité des transports en commun et des piétons au centre-ville », « développer des campagnes de marketing pour promouvoir le centre-ville en tant que destination de divertissement et de shopping » et « créer un Business Improvement District (BID) ou une organisation similaire pour fournir des services et un soutien aux entreprises ».

Sur la problématique des retraites, la machine n’est pas non plus avare de préconisations, qu'il aligne mécaniquement :
- Augmenter l'âge de la retraite : Cela permettrait de réduire les dépenses liées à la retraite en augmentant le nombre d'années durant lesquelles les travailleurs cotisent.
- Mettre en place un système de retraite par points : Ce système permettrait aux travailleurs de choisir comment ils souhaitent cotiser pour leur retraite, en fonction de leurs besoins et de leurs souhaits.
- Augmenter les cotisations : Les cotisations sociales pourraient être augmentées pour augmenter les revenus de retraite.
- Mettre en place un système de retraite privée : Ce système permettrait aux travailleurs de cotiser pour leur retraite en dehors du système public, en utilisant des fonds privés.
- Favoriser l'emploi des seniors: en incitant les entreprises à maintenir les seniors en emploi, cela permet de prolonger la durée de cotisation et de limiter les dépenses liées à la retraite.

Soucieux sans doute de mettre les formes et surtout de rester consensuel, le logiciel pondère ses propositions en soulignant qu’il est “important de noter que chacune de ces options présente des avantages et des inconvénients, et qu'il n'y a pas de solution unique pour améliorer le système des retraites en France. Les décideurs politiques doivent prendre en compte les différents facteurs et les considérer dans leur ensemble pour prendre une décision équilibrée.”

Non seulement il n’a pas d’avis, mais il s’avère incapable de prioriser ses propositions d’action, même si le contexte est précisé, comme dans le cas des petits commerces qui concernait explicitement de la ville de Saint-Brieuc. Les propositions sont d’une neutralité désespérante et se résument à un catalogue insipide, relevant le plus souvent de l’évidence. L’emballage est séduisant. On dirait un rapport pondu par un de ces fameux cabinets conseils, très en vogue parmi les décideurs. Mais la substance n’a ni originalité ni saveur, rappelant fort la vision technocratique qui fait déjà tant de mal.
 
A suivre....

07 mars 2023

Doctor Chat & Mister GPT (1)

L’intelligence artificielle a le vent en poupe. Tout le monde en parle et les supputations vont bon train, quant à ses conséquences à venir, non pas tant bénéfiques, que néfastes. Il faut dire qu’on a toujours aimé se confronter à la crainte de l’avenir, et qu’en la matière, les médias opèrent comme une caisse de résonance idéale pour l'instrumentalisation des peurs. Le catastrophisme fait recette, et les croyances les plus folles n’ont jamais été aussi présentes que dans nos sociétés modernes pourtant réputées plus raisonnables et moins ignorantes que celles d’autrefois.

La science-fiction donne lieu à toutes sortes de fantasmes en général assez terrifiants. La révolte des robots a longtemps alimenté et excite encore l’imagination de nombre de romanciers et de cinéastes. On donne souvent à ces machines l'apparence d’humanoïdes peu sympathiques. Aujourd’hui, la crainte vient d’un monstre virtuel qu’on nomme Intelligence Artificielle, c’est-à-dire IA, ou mieux encore, à l’anglo-saxonne, AI. Ce machin filandreux et insaisissable comme un blob s’insinue partout et selon certains augures, son règne grandissant risquerait d’altérer gravement nos vies, nos sociétés et pourrait même selon certains experts provoquer la fin de l’humanité. Allons bon ! Nous avions déjà l’horrible menace du réchauffement climatique, voici qu’une autre, toujours créée par l’homme, pourrait se révéler pire encore ! Paradoxe amusant, les plus virulents de ces prophètes de malheur, sont précisément ceux qui investissent des fortunes pour développer les capacités de cette IA… On se souvient que les lanceurs d’alerte les plus véhéments sur les dangers du nucléaire furent les savants qui permirent la mise au point de la bombe atomique…

J’ai récemment fait la connaissance de ChatGPT, le dernier avatar en matière d’intelligence artificielle, sévissant sur le Web. Il cause, il écrit, il réfléchit, il raisonne et surtout, chacun peut converser avec lui car il maîtrise l’art du discours et du dialogue mieux que quiconque.
Ce genre d'initiative m’a rappelé le bon vieux test de Turing qui me fascinait lorsque je m’initiais au fonctionnement des systèmes experts en médecine et au traitement informatique du langage naturel. Il s’agissait avec cette expérience, inventée par un des pionniers de l'informatique, de mesurer la capacité de l'Intelligence Artificielle à être confondue avec l'intelligence humaine, par le biais d’une conversation en aveugle entre un observateur humain et un ordinateur. Selon le génial créateur d’Enigma, cinq minutes devaient suffire pour déterminer si l’ordinateur avait réussi le test.

A l’évidence, ce n’est pas le but des concepteurs de ChatGPT.
Dès le premier échange, il se trahit:
- Hello ChatGPT ! Comment vas-tu ce matin ?
- Bonjour ! En tant qu’intelligence artificielle, je n’ai pas de sentiments physiques, donc je ne peux pas dire comment je me sens ce matin….

Certes, dans l’esprit de Turing il ne s’agissait pas de tromper sur la nature de la machine mais sur sa capacité à imiter la conversation et le raisonnement humains. Le programme ne pouvant a priori mentir, il ne faudrait donc le juger qu’à des questions dont la neutralité ne risque pas de trahir sa nature.
Ne nous trompons donc pas. On est avec ChatGPT très loin des conditions idéales imaginées par Turing. Il n’est, comme il le répète à la moindre sollicitation, “qu’un modèle de langage informatique”. Et lorsqu’on lui demande son opinion ou bien les sentiments que lui inspire tel ou tel sujet, il brise beaucoup d’espérances conversationnelles en déclarant qu’il n’est “pas capable d’avoir des opinions ou des sentiments” et en précisant qu’il est “simplement un outil conçu pour aider à répondre aux questions et fournir des informations…”

A suivre...

19 août 2022

Physique et Philosophie

Le langage scientifique moderne a tellement gagné en complexité qu'il est devenu quasi inaccessible aux béotiens. Heureusement, certains savants ont cherché à exprimer de manière plus simple les choses. Le physicien Werner Heisenberg (1901-1976) fait partie d’entre eux et à travers une série de conférences données au cours des années 1955-66, opportunément rééditées, il propose une ouverture passionnante des nouvelles théories scientifiques à la philosophie.

Le père du principe d'indétermination livre son analyse des constats de la mécanique quantique et de la relativité restreinte qui ont bouleversé le monde intellectuel à l’orée du vingtième siècle.
Il commence par rappeler que la géométrie euclidienne et la physique newtonienne auxquelles nous étions habitués, s’avèrent des approximations satisfaisantes pour décrire les phénomènes observables à l'œil nu peuplant notre univers quotidien. Malheureusement  elles ne rendent plus compte fidèlement de ceux, relevant de l’infiniment grand ou de l’infiniment petit, entrevus grâce aux instruments modernes d’investigation. Parallèlement, le raisonnement intellectuel a ouvert des brèches ébranlant les postulats qu’on croyait acquis, et fragilisé nombre d’échafaudages philosophiques et spirituels.
Ainsi la théorie de la relativité restreinte, proposée par Einstein, a révélé que le temps et l'espace étaient indissociablement liés et que rien n’était immuable hormis la vitesse de la lumière. Le temps comme l'espace peut se dilater ou se contracter. Entre autres exemples, deux événements simultanés pour un observateur peuvent ne pas l'être pour un autre en mouvement par rapport au premier !
Grâce aux découvertes de Max Planck, la mécanique quantique est née quant à elle sur un principe contre-intuitif, qui stipule que masse et énergie ne sont qu’une seule et même substance, et qu’à l'échelon microscopique, les particules sont de deux natures, a priori contradictoires, tantôt corpusculaire, tantôt ondulatoire.
Plus étrange encore, la succession des phénomènes ne semble plus soumise au lien de causalité et le comportement des atomes ne peut être analysé que de manière probabiliste, à l’image de la désintégration à la fois prévisible et aléatoire des corps radio-actifs. Le principe d’indétermination empêche pour sa part, d’observer le comportement des photons dans les fameuses fentes de Young et toute tentative de “passer du possible au réel” aboutit à ce qu’on appelle la “réduction du paquet d’ondes”. Tout se passe comme si l’on figeait, rien qu’en la regardant, la trajectoire incertaine des grains de lumière.

A cette incertitude fondamentale, s’ajoutent les limites des instruments de mesure dont la nature même, interfère avec les phénomènes observés. La physique classique était “une idéalisation du monde, considéré comme séparé de nous”. Mais quand on approche la matière de très près, force est de constater qu’on est partie prenante d’elle. En d’autres termes, “dans la tragédie de l'existence, nous sommes à la fois acteurs et spectateurs…”
Ces contraintes représentent une sorte de catastrophe, car elles paraissent incontournables et font dire au savant que “ce que nous observons ce n'est pas la nature en soi mais la nature exposée à notre méthode d'investigation”

C’est à ce moment que la physique rejoint la philosophie, et qu’elle permet notamment d’infirmer nombre d’hypothèses émises sans fondement solide. Heisenberg remet en cause la logique cartésienne, qui sépare abruptement la res extensa de la res cogitans, autrement dit la matière de l’esprit, et il rejette un trop grand déterminisme qui nie l’aléatoire et le libre arbitre. Il n’est pas moins dubitatif avec l’empirisme de Locke et de Hume lesquels supposent que tout est explicable par l’expérience. Il se montre également circonspect avec l’a priori kantien selon lequel certaines connaissances et certains jugements synthétiques relèvent de l’intuition. Enfin, il s'élève contre toute logique fondée exclusivement sur le lien de causalité.
Il se rapproche toutefois de la conception du maître de Königberg lorsqu’elle pose qu’il est impossible de connaître les choses “en soi”.

Heisenberg termine son propos par des interrogations sur la manière d’exprimer par le langage une réalité qui relève de plus en plus de l’indicible et sur la complexité croissante du monde confronté aux évolutions majeures mais très troublantes du progrès. Il s’inquiète des conséquences que fait peser la science sur l’être humain, considéré comme un apprenti sorcier, et met en garde sur les risques qui pèsent de plus en plus lourdement sur l’évolution des sociétés avancées. Il constate avec fatalisme que “les changements de conditions de vie induits par la civilisation ont échappé aux forces humaines”. Il évoque la réticence de la science vis à vis des religions dont les écrits fondateurs sont l'œuvre de l'homme, contrairement au livre ouvert de la Nature, dont les lois s’imposent sans intermédiaire. Mais il s’interroge sur le risque de radicalisation de communautés saisies par la peur de voir les dogmes, les vérités révélées, et la foi battre en retraite devant les avancées scientifiques.
Pour le savant, les sociétés humaines tendent vers un processus d'unification, qui se heurtera nécessairement à des croyances, des coutumes, des traditions. Se voulant résolument optimiste, il espère toutefois que la physique moderne parvienne à montrer les dangers du progrès, ouvrant une perspective dans laquelle, malgré leurs différences, les communautés puissent "vivre côte à côte pendant cette phase d'unification" et trouvent "un nouveau genre d'équilibre entre la pensée et l'action, entre l'activité et la méditation"…
Puisse l’avenir lui donner raison, même si rien n’est gagné…

14 juillet 2022

Un oeil vers l'Infini


En écoutant le jazz de Chet Baker,
et en regardant les premières images du télescope spatial James Webb:
 

Dans le cœur de la nuit s'élève une trompette
Qui chemine alanguie sur un fil de fumée
Tandis que se diluent dans l'onde parfumée
Les échos assourdis d'une ancienne tempête

Vers l'abîme étoilé qui danse sur nos têtes
Un œil nouveau regarde au fond du noir céleste
Voulant voir au delà d'un horizon funeste
L'aube et la fin du monde à l'instar des prophètes

Pointé vers les confins cet œil est un miroir
Un creuset flamboyant où s’allume l’espoir
Un diamant dans lequel le cosmos se condense

Et les yeux éblouis admirant grands ouverts
Ce tumulte inouï donnent à l'univers
Sinon sa raison d'être au moins son existence
 

 

05 juillet 2022

Dieu, la Science, les Preuves ?

Les questions relatives à l’origine de l’univers, à l’apparition de la vie, à l’existence de Dieu et d’une manière générale toutes celles touchant à la métaphysique ont toujours passionné l’être humain. Nul ne peut s’en exonérer tant elles sont consubstantielles à sa conscience, révélant de manière irrépressible l’angoisse existentielle que chacun ressent tôt ou tard. “Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie”, avouait Blaise Pascal.
Pour conjurer cet effroi, la croyance en Dieu rassure autant qu’elle inquiète car le dessein de cet être suprême reste sujet à controverses et à interrogations. Les religions dont les dignitaires prétendent connaître le message et la volonté divines ont trop souvent fait régner la terreur. De son côté, la science, à mesure qu’elle progresse, met à jour les rouages qui sous-tendent le monde. Ses découvertes contribuent à rendre plus douce la vie en même temps qu’elles font reculer les croyances, mais n’abuse-t-elle pas de son pouvoir lorsqu’elle prétend pouvoir tout expliquer, renvoyant dans le néant toute entité d’essence suprasensible ?

Cet ouvrage tente, à partir des plus récentes données scientifiques, d’établir rationnellement la preuve de l’existence de Dieu et précise même un peu plus sa nature en revisitant l’histoire des religions, notamment la Bible, et celle de la philosophie, tout particulièrement sa branche métaphysique. Le défi est tellement énorme qu’il induit d’emblée le scepticisme, en dépit de l’enthousiasme des auteurs dans leurs efforts pour rallier le lecteur à leur stupéfiante hypothèse.
 
Le mérite essentiel de cet ouvrage est d’offrir au lecteur une mise à jour à la fois très détaillée et très accessible des derniers développements scientifiques.
La notion de Big Bang est évidemment la clé de voûte de la démonstration. Bien connue du grand public, cette fabuleuse explosion initiale de la matière offre un fondement solide au créationnisme.
Alors que le grand Albert Einstein était convaincu de l’immuabilité de l’univers, c’est à partir des théories de la relativité que le physicien russe Friedmann émit en 1922 l’idée que le cosmos était animé d’un mouvement d’expansion. L’hypothèse fut reprise et affinée par l’abbé Lemaître, avant de trouver un début de confirmation grâce aux observations de Hubble en 1929. Le décalage vers le rouge du spectre lumineux des étoiles apparait comme le signe irréfutable qu’elles s’éloignent les unes des autres. L’enregistrement sous forme d’onde électromagnétique du rayonnement fossile du Big Bang par Wilson et Penzias en 1964 apporta une preuve supplémentaire, mais il fallut encore attendre 2015 pour obtenir la cartographie précise de ce rayonnement, telle qu’elle fut enregistrée par le satellite Planck.
A partir de ces constats, il fut possible d'établir la chronologie de l’univers et de déduire qu’il eut un début, en remontant le temps jusqu’à 13,6 milliards d’années en arrière. L’expansion allant en s’accélérant, il semble plus que probable que notre monde aura une fin, qualifiée de mort thermique.
Parallèlement à ces découvertes majeures, il est désormais objectivé que l’harmonie de l’univers, la cohérence du monde matériel et les conditions nécessaires à l’apparition de la vie reposent sur une série de réglages d’une précision hallucinante, rendant quasi impossible d’imaginer que tout cela ne soit dû qu’au hasard.
Une des forces de l’ouvrage est de montrer comment il fut difficile d’imposer les notions tendant à rejeter le jeu du hasard et de la nécessité, imposé par nombre de savants éminents, et plus encore celles sous-tendant l’existence d’un principe créateur et d’un dessein intelligent. Aujourd’hui encore, le créationnisme a mauvaise réputation, mais est-il pour autant possible de prouver l’existence de Dieu comme en sont convaincus les deux auteurs émerveillés ?

Cette certitude est sans doute la faiblesse du livre car les preuves fournies ont beau s’accumuler, le doute persiste. On peut même remettre en cause l’affirmation figurant p 539 selon laquelle “en logique une seule preuve valable suffit à valider une thèse, et qu’à l’inverse, pour démontrer qu’une thèse est fausse (celle de l’existence de Dieu), il est nécessaire de prouver que toutes les preuves sont fausses.” En réalité, Karl Popper a bien montré qu’en matière de science tout n’est que conjectures et réfutations. Même en grand nombre, les preuves ne peuvent démontrer d'une manière définitive la vérité d’une théorie, tandis qu’une seule réfutation suffit à l’invalider.
S'il s’avère impossible de manière générale de prouver que quelque chose n’existe pas, l’essence divine relevant de la métaphysique, elle échappe par nature aux capacités démonstratives du raisonnement humain, comme l’a bien expliqué Kant en son temps. On peut à ce sujet critiquer la relégation expéditive par les auteurs du père de la critique de la raison pure, alors qu'ils se servent un peu abusivement du théorème de Gödel à leur avantage. Selon ce dernier, il existe toujours au moins une proposition non démontrable ou indécidable dans tout système de logique formelle. Dans un tel cas, il faut nécessairement sortir de ce système pour trouver la solution. Il est donc paradoxal que les auteurs en fassent un argument à l’appui de leur thèse, alors qu’ils reconnaissent explicitement p530 que “les facultés de Dieu tel qu’on doit l’imaginer, dépassent l’entendement humain”. Comment prouver l’existence d’une entité dépassant l'entendement humain ?

Dans sa seconde partie, l’ouvrage a tendance à s’égarer quelque peu lorsqu’il s’appuie sur l’histoire des religions dites “du Livre” pour placer au rang de preuves des concepts qui relèvent de la croyance ou de la foi et amener au seul Dieu possible, à savoir celui des Chrétiens...
Comme c'est le cas avec les textes qualifiés de sacrés, il y a en effet beaucoup de subjectivité dans l’interprétation de la bible, beaucoup de mystères entourant la vie de Jésus et plus encore concernant les miracles. Entre autres exemples édifiants, l’apparition de la Vierge à Fatima en 1917, abondamment décrite ici, bien qu’elle soit impressionnante, ne saurait entrer dans une démonstration prétendument objective de l’existence de Dieu.
D’autres allégations paraissent franchement fantaisistes, comme celle voulant que Dieu nous ait créés “car il est débordant d’amour …/… et voulait que “d’autres êtres puissent partager son bonheur…” (p530)
Pareillement, on s’étonne de voir abandonnée par les auteurs l’existence de l’enfer au motif que le scepticisme quant à son existence “a gagné toutes les couches de la société” (p532). De manière un peu contradictoire, on apprend d’ailleurs quelques lignes plus loin que “finalement l’existence d’un enfer éternel n’est pas la preuve de l’inexistence de Dieu, mais de la liberté et de l’immortalité de l’homme dont la destinée éternelle devra bien être scellée à un moment donné (p533)…” Autre antinomie relevée dans le cours de la démonstration: si comme l’affirment les auteurs, “Dieu voulant des êtres libres, il fallait que le monde ne soit pas déterminé d’avance”, comment comprendre les nombreuses prophéties et prédictions dont la Bible est émaillée, tendant à laisser penser que les évènements sont écrits par avance…

En définitive, il y a dans ce pavé beaucoup de révélations passionnantes mais également beaucoup de répétitions, de périphrases qui débouchent à la fin des fins sur un genre de boucle ontologique ressemblant à la bonne vieille preuve du même nom de l’existence de Dieu: puisqu’Il a toutes les qualités par essence, il a donc nécessairement celle d’exister…
Cela dit, il reste possible d’imaginer qu’à côté de la Foi, du Doute, et de l’Athéisme, une autre voie existe, celle de l’Espérance. Même sans preuve définitive, il apparaît en effet plus intéressant de faire sienne l’hypothèse fondée sur l’existence de Dieu car elle est plus stimulante, plus optimiste et plus ouverte que l’inverse. Il s’agit en quelque sorte de s’inscrire dans le fameux pari de Pascal, ou bien encore d’adhérer au pragmatisme éclairé de William James. Les progrès de la science sont les bienvenus sur ce difficile chemin. Ils sont susceptibles d’élever l’esprit, d’améliorer les conditions de notre existence, de procurer une meilleure compréhension du monde et peut-être de lui donner un sens…

04 août 2019

L'Impossible Monsieur Bébé


Bien que j'y aie déjà consacré un billet, il ne me semble pas superflu de revenir sur la problématique de la procréation médicalement assistée.
Derrière le texte de loi en préparation sur la PMA "pour toutes", que d'idéologie ! Que de contradictions également !
L'égalitarisme dit républicain, mais en réalité très démagogique, apparaît plus que jamais comme la clé de voûte de ce texte conçu dans la confusion, et qui engendrera sans nul doute toutes sortes de dérives, à commencer par celle du budget de l'Assurance Maladie déjà chroniquement et lourdement déficitaire.

"Pour toutes" révèle bien l'inspiration qui entoure ce nouveau projet de loi. Pour un peu, on se croirait revenu au temps du chef-d’œuvre d'hypocrisie du "mariage pour tous" concocté par le petit père Hollande dopé par le zèle doctrinaire de la passionaria Taubira...
D'une délicate procédure médicale permettant à certains couples stériles d'avoir un enfant on va passer à un gadget technique offert par l'État bienveillant à qui le souhaite, pour convenances personnelles.
On ignore où tout cela s’arrêtera, sur la pente savonneuse sur laquelle nous sommes engagés.

En dépit de toutes les dénégations, la grossesse pour autrui (GPA) suivra évidemment, pour les mêmes raisons qui justifient la généralisation de la PMA. On pourrait même être choqué s'il en était autrement. Mais une multitude de questions se feront jour, auxquelles il faudra bien répondre ce qui laisse entrevoir de belles polémiques et de toniques empoignades.

Dès à présent, on voit céder les unes après les autres les vieilles digues morales s'opposant au cours irrésistible de la justice sociale. Elles relèvent de combats d'arrière garde pour les auto-prétendus progressistes. Il devient par exemple tout aussi ringard d'émettre des doutes sur le bien fondé de la PMA que de vouloir remettre en cause l'IVG "pour toutes".

Il en est ainsi du professeur Israël Nisand, gynécologue de son état, qui se targue d’avoir "le cœur à gauche". Il soutient l'extension de la PMA au nom d'une bio-éthique qualifiée par lui "d'ouverte", par opposition à la morale qui serait "fermée". Renvoyant les adversaires du nouveau texte à d'obscurs non-dits idéologiques (on traduit sans peine d'extrême droite ou encore catho-traditionaliste), il appuie son raisonnement sur des truismes assez stupéfiants de simplisme. Ainsi pour lui, la libéralisation de la PMA est légitime car "ça se fait ailleurs". Au surplus, il renvoie aux défenseurs de la famille traditionnelle que "personne ne peut prouver qu'il soit grave de n'avoir pas de père". Il balaie enfin les inquiétudes relatives aux éventuelles dérives, en affirmant que la loi sera si bien faite qu'il n'y aura aucun risque de dérapages marchands ou eugéniques. Comment peut-il en être si sûr le bougre ?
Et surtout, pourquoi serait-il choqué par ces évolutions après tout ?
Lui qui comprend qu'une femme accepte de porter l'enfant de sa fille ou bien de sa sœur par pur amour, comment peut-il douter de l’altruisme de celles qui le feraient pour rendre service à d’autres. Et comment peut-il s’offusquer qu’elles demandent une contribution financière ? La "marchandisation des corps" est un concept contre lequel il existe un vaste consensus, mais c'est surtout un vain mot lorsqu’il s’agit de restreindre la liberté et la responsabilité de son prochain. La peine endurée, les coûts endossés et le risque encouru par les mères porteuses justifie bien une gratification tout de même...
Selon le même principe, lorsque l'on comprend qu'on puisse mettre au baquet un enfant qu'on ne veut pas, comment peut-on s'offusquer qu'on demande à choisir la couleur des yeux ou de cheveux de celui qu'on désire ?
On voit bien là qu'on peut faire varier en fonction de l'humeur ou bien des circonstances les bornes de la morale comme celles de la vérité, "en deçà ou au delà des Pyrénées"...

A ces considérations morales si ce n'est éthiques, ajoutons l'écheveau de contradictions que font naître ces problématiques.
En tout premier lieu figure la question de l'anonymat des donneurs de sperme que madame Buzyn voudrait rendre facultatif. Il faut dire que son maintien signifie l'impossibilité définitive pour un enfant de remonter à son père et donc à une partie de ses origines. La suppression fait courir en revanche le risque de voir s'effondrer le nombre déjà faible de donneurs, par crainte de devoir un jour ou l'autre assumer une paternité embarrassante. Quant au ni-ni proposé par la ministre, il est la pire des solutions comme le fait remarquer non sans raison le Pr Nisand. Il conduirait en effet à la génération de 2 types d'enfants…
Autre contradiction, celle des Verts qui voudraient limiter le nombre d'enfants dans les pays développés, accusés d'être des surproducteurs en puissance de CO2, et dans le même temps qui ouvrent sans retenue la porte de la PMA au nom de l'égalité des droits ("qu'est-ce qu'on attend ?" s'exclame Jadot sur son site…).
Enfin, il y a quelque chose d'incohérent de la part des Pouvoirs Publics, à vouloir maîtriser le budget de la Sécu et en même temps à donner libre cours à de nouvelles dépenses non strictement médicales.

Cette politique déresponsabilisante se heurtera de toute manière sous peu à une déferlante de progrès techniques dont il sera de plus en plus illusoire de faire profiter tout le monde gratuitement: GPA, utérus artificiel, ectogenèse, modifications génétiques, gamètes artificiels….
Nul ne sait si c'est la sombre perspective du Meilleur des Mondes selon Huxley qui se profile, mais une question de morale très prosaïque va vite s'imposer, qu'on le veuille ou non: à la fin des fins, qui paiera ?

21 juillet 2019

69, Année Extatique

Le 21 juillet 1969 j'avais 15 ans. Je sortais de l'enfance tandis que notre civilisation occidentale arrivait peut-être à son apogée. Dans mon esprit c'était un tumulte confus de sentiments.

Un an plus tôt c'était mai 68 en France. J’ai vécu ça comme une tempête molle. Avec dans la tête une certaine ivresse de liberté sans doute mais surtout beaucoup d’écœurement et déjà de désillusions. L’autorité des maîtres était bafouée. D’un jour à l’autre on pouvait tout dire et presque tout faire. Au lycée, nous faisions en toute impunité des sitting pour narguer le Proviseur et je me souviens que mon prof de maths venait “travailler” en sandales, chemise à fleurs et chapeau de paille…
A Paris on s’y croyait. Les mao, les trotsko et tous les écervelés du socialisme manifestaient bruyamment leur croyance en un monde meilleur en glorifiant, benêts qu’ils étaient, les immondes tyrans qui torturaient leur peuple derrière le sinistre rideau de fer. François Mitterrand, toujours à l'affût de l'occasion d'accomplir enfin "son" destin national révélait avec emphase et solennité lors d'un meeting grotesque au stade Charlety qu'il était prêt à prendre le pouvoir. Illusion vite dissipée...

J’avais une conscience aiguë des contradictions régnant dans le pays, un profond dégoût pour ce que j‘ai toujours considéré comme un coupable aveuglement des intellectuels dits "de gauche".
J'étais en revanche envoûté par la quête du bonheur et de la liberté qu’exprimaient outre atlantique et en Angleterre les beatniks et les hippies mais je refusais d’y voir quelque connotation politique qui soit. La musique et la littérature étaient les ferments de cette émancipation. Après le Jazz et le Blues, c'était le Rock et la Pop Music.

Les Beatles chantaient Revolution et les Rolling Stones Street Fighting Man mais c’était un jeu sans conséquence ni prétention intellectuelle ou militante. Il y avait même une conscience aiguë du désastre dans les paroles signées Lennon/McCartney: "When you talk about destruction, Don't you know that you can count me out.../... When you want money for people with minds that hate, All I can tell you is : brother you have to Wait.../... If you go carrying pictures of chairman Mao, You ain't going to make it with anyone anyhow…/... You better free you mind instead..." Quant aux Stones, ils faisaient appel à la dérision pour ramener à de saines proportions la colère des révolutionnaires embourgeoisés qui crachaient dans la soupe capitaliste dont ils se gavaient sans vergogne : "Well now, what can a poor boy do, Except to sing for a rock n' roll band ?"

Mai 68 fut une piètre mascarade dont ne sont restés en définitive que les slogans futiles, les caprices d’enfants gâtés, et de pernicieuses vapeurs contaminant jusqu'à ce jour la société, notamment le débat politique, l’éducation, l’entreprise....

Pendant ces années d’insouciance et d’euphorie, l'Amérique dans la droite ligne de ses Pères Fondateurs, travaillait toujours à la recherche de nouvelles frontières. L’espace cosmique était devenu son terrain de jeu et de conquêtes. Elle entendait bien y montrer sa suprématie et y porter l'étendard étoilé du monde libre.
La saga Apollo fut une merveilleuse aventure en même temps qu’un hymne fabuleusement poétique au progrès technique. Elle commença par un drame, coûtant la vie à 3 hommes, lors d'essais préliminaires au sol. Mais après beaucoup d'efforts, le fameux cliché du “clair de terre” envoyé par les astronautes d’Apollo 8 révélait une beauté indicible. Encore aujourd’hui je le regarde avec émotion. Il dit tant de chose de notre soif d'aventure, de notre attirance pour l'inconnu, et de l'univers qui nous entoure…
Lorsque s'élevait la fusée Saturn V, dans un feu impressionnant de réacteurs, c'était toute l'humanité qui se dressait orgueilleusement vers le ciel. L’Homme triomphait en quelque sorte de la nature. La pesanteur était vaincue ! A l’instar des mots fameux de Neil Armstrong, après des millénaires de tâtonnements à petits pas, la science faisait des bonds de géants.
D’un côté le Flower Power, son romantisme échevelé, ses rêves d’amour, de musique et de paix. De l’autre ces aventuriers de l’espace, auréolés des rayons solaires qui rebondissaient joyeusement sur le désert lunaire dans leurs magnifiques scaphandres blancs. Quelle époque !
On en oubliait que plus de la moitié de l’Humanité se morfondait dans le cauchemar socialiste ou sous la férule de dictateurs odieux. On en oubliait, quand on ne les méprisait pas, les soldats de la liberté embourbés dans les miasmes du Vietnam pour tenter de donner sa chance au modèle de société ouverte; Celui-là même auquel nous devions tant de prospérité et que tant d’idiots doctrinaires irresponsables vouent opiniâtrement aux gémonies.
 

1969 fut une année extatique. La conquête de la Lune fut son éblouissant paroxysme technique, le festival de Woodstock son point d'orgue dionysiaque (ainsi que le fabuleux et ultime album des Beatles, Abbey Road)...
Pour magnifier cette épopée, je ne saurais mieux le faire qu’en évoquant l’étincelant poème de José-Maria de Heredia que j’aime à me réciter lorsque je ressens quelque découragement:

Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos, de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d’un rêve héroïque et brutal.

Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde occidental.

Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L’azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d’un mirage doré ;

Où, penchés à l’avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles...

15 avril 2019

Trous Noirs

La première photo d’un trou noir cosmique vient d’être dévoilée. Le concept théorique devient réalité !
Vertigineux quand on pense aux efforts qu’il a fallu déployer pour réaliser cette image en apparence si banale: un rond obscur auréolé de feu. Plusieurs télescopes répartis aux quatre coins du monde ont travaillé en synergie, formant un seul outil, de proportions gigantesques. Des milliards de milliards de données ont été traitées par ordinateur (
5 pétaoctets, soit 1015 octets). Tout ça pour objectiver ce gouffre situé à quelques 53 millions d’années lumière, au centre de la galaxie M87. Et pour confirmer les prédictions époustouflantes faites par Einstein il y a un siècle déjà par la seule force de son raisonnement scientifique, génial, il faut bien le dire.
Beaucoup de questions restent toutefois en suspens quant à la nature de ces fabuleuses concrétions au pouvoir d’attraction tel qu’elles absorbent tout ce qui passe à leur portée, y compris la lumière. La gravitation n’étant qu’une courbure plus ou moins profonde de l’espace-temps, les trous noirs s’apparentent à des puits sans fond. Que devient la matière une fois franchi cet “horizon des événements” ? A quelles lois obéit-elle, une fois compressée dans ce magma hyperdense. Et quid de l’espace et du temps qui s’y engloutissent sans retour ?
La réalité dépasse ici l’imagination, impuissante à s’affranchir de ces notions et incapable de concrétiser le néant…

Coïncidence troublante, la découverte de ce trou noir semble répondre à l’anéantissement des idées et du bon sens auquel on assiste à l’instant présent dans notre monde sublunaire, et particulièrement dans notre douce France. Que ce soit les fumeuses élucubrations issues du Grand Débat ou bien les insipides controverses relatives aux élections européennes à venir, tout est sujet au désespoir. Le déprimant spectacle des manif des Gilets Jaunes s’égrène sans fin prévisible, au fil des samedis. On attend sans illusion l’allocution du Président de la République et les demi-mesures qu’il va devoir annoncer pour tenter de sortir son mandat du marasme dans lequel il est enferré. Mais le moins qu’on puisse dire est que les perspectives rappellent furieusement celles, implacablement fermées, d’un trou noir...

14 août 2018

Le Règne Du Langage

Par delà ses talents de romancier, le fantasque et regretté Tom Wolfe (1931-2018) s’essaya au journalisme dit d’investigation. Non sans enthousiasme (l’Étoffe des héros), fantaisie (Acid Test), humour (Le Gauchisme de Park Avenue) ou encore verve caustique comme dans son tout dernier ouvrage intitulé “le Règne du langage”.
Parue en 2016*, cette ultime enquête ne manque pas d’ambition en s’attaquant à la théorie de l'évolution incarnée par le célèbre Charles Darwin (1809-1882), et aux thèses savantes sur la nature du langage, véhiculées par le très vénéré Noam Chomsky.
Dans les deux cas Wolfe s’amuse à mettre en parallèle la vision des pontes sus cités avec celles d’épigones certes moins connus mais tout aussi solides scientifiquement, et qui furent conduits à remettre en cause certains dogmes.

Par exemple, Alfred Russel Wallace (1823-1913) qui faillit être le tout premier à publier une théorie aboutie sur l'évolution des espèces, rejoignant sur beaucoup de points les constats faits par Darwin lors de son odyssée à bord du fameux Beagle.
Ce dernier avait en effet tardé à les relater, par crainte des réactions notamment religieuses, et fut contraint de le faire après avoir été destinataire du manuscrit de Wallace, qui lui demandait naïvement conseil sur ses propres travaux ! 
Sur le point d'être doublé, Darwin, toute affaire cessante, coucha sur le papier sa théorie et les deux textes furent publiés simultanément. Seul Darwin en tira la gloire eu égard à son entregent dans la haute société anglaise et dans le monde scientifique, et grâce à quelques artifices de présentation lui donnant préséance aux yeux des lecteurs.
L’affaire aurait pu en rester à ce déroulé anecdotique puisque jamais Wallace ne chercha noise à celui qu’il admirait sans limite.
C'eut été sans compter sur les analyses affûtées de Tom Wolfe...
A la différence de Darwin qui fit de l’Homme un descendant direct des grands singes et qui présenta son travail comme une théorie universelle en passe d’expliquer tout par le simple principe de la sélection naturelle, Wallace ne put s’y résoudre. Il croyait aux forces de l’esprit. Refusant de faire de l’homme un animal comme les autres, et bien qu’athée, il tenta d’expliquer le génie de la pensée humaine par quelque mystérieux dessein de la nature. Pire, ses observations contredisent certains principes darwinistes. Par exemple le fait que le volume de la boîte crânienne des Néandertaliens soit bien supérieur à celui de n’importe quel singe, attestait pour lui que l’intelligence fut donnée à l’homme bien avant qu’il soit en mesure de l’utiliser, et non par adaptation progressive. Au surplus, l’apparence chétive et glabre de l’être humain, contredit le principe selon lequel l’évolution sélectionne toujours des caractéristiques favorables à l’espèce.
Sacrilège que cela pour Darwin qui fut très contrarié par ces prises de position et adjura Wallace de se ranger à son explication, dénuée de toute interprétation téléologique ou anthropomorphique, craignant sinon “qu’il n’assassine totalement leur enfant.”

Il arriva pareille mésaventure à Noam Chomsky, que les études sur le langage, avaient amené à affirmer qu’il s’agissait d’une fonction innée de l’être humain et que derrière la multiplicité et la diversité des idiomes, il existait une grammaire universelle.
Il alla jusqu’à poser qu’une des caractéristiques essentielles de tout langage humain était la récursivité, c’est à dire la capacité à imbriquer plusieurs idées au sein d’une même phrase.
C’était sans compter sur un de ses disciples, Daniel Everett, qui alla durant de nombreuses années étudier les modes de vie et d’expression de peuplades reculées, tels les Pirahãs en Amazonie. Il constata que ces derniers utilisent un langage étrange, mi sifflé, mi chanté, plutôt rudimentaire mais précis et dans lequel il semble vain de trouver la moindre parenté grammaticale avec quelque langue que ce soit, et totalement dénué de toute récursivité et mème de temporalité. Ces gens ne connaissent que l'instant présent, méprisant aussi bien le passé que l'avenir.
Loin d’être une caractéristique innée, née de l’évolution, le langage ne serait donc, selon Everett qu’un outil, tel l’arc et la flèche, mis au point par l’intelligence des êtres humains pour répondre aux problématiques pratiques de l’existence.

Tom Wolfe s’appuie sur ces deux duos contradictoires pour souligner les lacunes de la théorie de l’évolution, laquelle explique sans doute certains phénomènes adaptatifs au cours du temps, mais ne répond aucunement à la plupart des questions fondamentales que pose le Monde dans lequel nous vivons, notamment celles relatives à son origine.
A vrai dire, l’écrivain révèle que son questionnement naquit lors la lecture d’un article de la revue Frontiers in Psychology signé en 2014 par une belle brochette de ténors de la théorie évolutionniste, dont Noam Chomsky. Dans ce texte ils avouent en choeur que “les interrogations les plus fondamentales sur les origines et l’évolution de nos capacités linguistiques restent plus insolubles que jamais.”
Cet aveu d’impuissance redonne au langage toute son aura magique qui fait de l’être humain une créature à part. Selon Tom Wolfe, “C’est le langage qui a conféré à l’animal humain la force de conquérir chaque pouce de terre ferme sur cette planète, de gouverner chaque créature discernable à l’oeil, et de se goinfrer de plus de la moitié des ressources comestibles de l’océan. Et pourtant, cette mise en coupe réglée du globe terrestre n’est qu’un résultat mineur de la puissance de la parole: son principal exploit, c’est d’avoir créé l’ego, la conscience de soi !”
C‘est aussi l’occasion de reprendre l’argumentation du linguiste et orientaliste Max Müller (1823-1900), contemporain de Darwin, qui affirmait contre ce dernier que “la science du langage permettra de repousser les théories extrêmes des évolutionnistes, et de tracer une ligne ferme et indiscutable entre l’humain et le bestial” et qui pouvait s’exclamer sans avoir été pris en défaut à ce jour : “le langage est notre Rubicon et aucun animal n’osera le franchir.”
De son côté, Tom Wolfe, assez satisfait de son exégèse mi sérieuse mi humoristique, mais toujours excitante et remarquablement bien documentée, peut conclure sur une figure de style en forme de pirouette : “Dire que les animaux ont évolué jusqu’à devenir des êtres humains revient à soutenir que le marbre de Carrare a évolué jusqu’à être le David de Michel-Ange.”

* Le Règne Du Langage Tom Wolfe Robert Laffont Pavillons 2016

09 juin 2018

Histoire d'entendement

Etienne Klein n’a pas son pareil pour raconter des histoires de science. De sa voix grave et suave, il égrène et décortique avec talent et avec des mots simples les concepts les plus ardus, les paradoxes les plus troublants dans lesquels les savants se perdent habituellement en équations et conjectures.
Parmi ses domaines de prédilection figurent le temps, la relativité, la mécanique quantique. Il aime à nous amener au-delà des apparences et il nous invite à ne pas nous fier à ce qui paraît évident, à la simple observation du monde qui nous entoure. De ce point de vue il se pose en héritier des Lumières.
Pourtant, il lui arrive de succomber parfois aux travers contre lesquels il nous met en garde...

Lors d'une de ses très nombreuses interventions, qu’on peut trouver facilement sur internet, il a repris l’aphorisme de Kant nous invitant à réfléchir par nous-mêmes : « Aie le courage d’utiliser ton propre entendement »
Le problème est qu’il appuie son propos sur un exemple éminement discutable.
Prenant la thématique on ne peut plus éculée du changement climatique, il relate un sondage auquel auraient été soumis les membres du Congrès américain, en analysant la réponse des élus à deux questions des plus triviales.
La première : « selon vous y a-t-il un changement climatique », à laquelle la majorité des personnes a répondu « oui »
La seconde : « L’homme joue-t-il un rôle dans ce changement ?» à laquelle à l’inverse, la même majorité a répondu « non ».

Etienne Klein suggère qu’il y a une incohérence manifeste entre les deux réponses.
Il se moque même de l’argumentation du sénateur interrogé sur CNN, qui explique qu’il y a un changement parce que « le climat a toujours été changeant » et qu’attribuer ces variations à l’homme serait « faire preuve de beaucoup d’arrogance ».
Il termine sa digression en prenant la défense du président Obama alors en exercice, dont certains déploraient alors l’impuissance sur le sujet de l’écologie. M. Klein lui accorde au moins des circonstances atténuantes en lâchant dépité : « il faut voir ce qu’il a en face... »

Il y a me semble-t-il dans cette démonstration, « matière à contredire » pour paraphraser le titre d’un de ses ouvrages.
Première imprécision, Etienne Klein qualifie les élus interrogés de « sénateurs » alors qu’il n’en sait rien puisqu’il nous a parlé au départ du Congrès, qui regroupe certes des sénateurs mais également des élus à la Chambre des Représentants (ceux-ci étant d’ailleurs plus nombreux que ceux-là). Il cite l’opinion du « sénateur Jim Hall », mais sauf erreur, je ne suis parvenu à le trouver ni au Sénat ni à la Chambre des Représentants…
Une personne de ce nom est certes liée aux problèmes climatiques, mais il s’agit d’un professeur à l’Université d’Oxford et ses analyses sont beaucoup plus étayées et nuancées que ce que M. Klein nous en dit...

Seconde faille, il ne fait aucune analyse critique du questionnaire, qui s’avère des plus lapidaires et très manichéen : deux questions seulement auxquelles il fallait répondre par oui ou par non !
Il ne se demande d'ailleurs pas au passage s'il est raisonnable d'espérer faire surgir  des vérités scientifiques de sondages d'opinions...

Il ne s'interroge pas enfin sur la neutralité de l’enchaînement des deux propositions, et sur la conclusion qu’on est en droit d’en attendre. Le moins qu’on puisse dire est que l’ensemble paraît quelque peu téléguidé…

Il est en effet impossible de répondre non à la première question. On connaît le caractère aléatoire des prévisions météorologiques à quelques jours, comment pourrait-on affirmer la stabilité du climat sur le long terme ?
La seconde question est dès lors cousue de fil blanc. Dans le contexte du battage médiatique qui fait rage autour du réchauffement climatique, comment répondre « non » sans risquer de passer pour un dangereux provocateur ou bien pour  quelqu’un d’inconséquent ? C’est quasi impossible d’autant que le choix est étroitement fermé. Il est interdit de facto de répondre « qu’on n’en sait rien », ou de dire « un peu » ou « peut-être » … De toute manière, qu’on réponde oui ou non, la conclusion logique serait de poser une troisième question du style « Et alors ? », ce qui n’amènerait pas à autre chose, si l’on suit le raisonnement de M. Klein, que de trier les personnes comme le bon grain de l’ivraie..
On pourrait aussi se poser d'autres questions. S'il est vrai qu'il y a un changement climatique et que l'homme en est responsable au moins en partie, peut-on vraiment inverser la tendance ? Si oui, comment, et avec quelles conséquences prévisibles ? Est-il prouvé que le bilan du "global warming" est globalement négatif pour la planète, pour parler comme feu George Marchais...

Enfin, s’agissant du président Obama, le sémillant philosophe-physicien néglige le fait qu’à côté de ses belles paroles et de vertueux décrets protégeant quelques sites touristiques, il a autorisé et encouragé l’exploitation à grande échelle du gaz de schiste, faisant en la matière des Etats-Unis le plus gros producteur mondial et lui donnant l’auto-suffisance en matière de produits pétroliers.

En fin de compte l’exemple donné par Etienne Klein pour montrer l’importance de penser par soi-même peut-être complètement retourné. On peut légitimement poser que le physicien a fait passer beaucoup de subjectivité avant l’objectivité, et constater qu’il s’est laissé emporter avec armes et bagages rhétoriques dans le mainstream du conformisme et des idées reçues.
Dommage car la confiance en son jugement est nécessairement entamée…
Cela n’empêche naturellement pas de penser qu’il a raison lorsqu’il affirme que « la Terre est ronde » et que « l’atome existe »...

24 mars 2018

Vers les étoiles

Il est difficile lorsqu’on est bien portant, d’imaginer le supplice consistant à se retrouver progressivement et inéluctablement paralysé, jusqu’à ne plus pouvoir bouger que les yeux et les paupières.
C’est le destin atroce qui fut celui de Stephen Hawking (1942-2018) devenu malgré cette infortune, le célèbre astrophysicien que chacun connaît. 

Il vient de s’éteindre, à 76 ans, après plus d'un demi-siècle d’impotence et de délabrement physique. Sort particulièrement cruel pour cet esprit avide d’infini, que de se retrouver totalement enfermé à l’intérieur d’un corps inerte, désespérément cloué à un siège et totalement dépendant pour tous les actes de la vie quotidienne.

Il avait à peine plus de 20 ans lorsque les premiers signes de cette sclérose latérale amyotrophique se manifestèrent. On lui avait prédit à l’époque une mort rapide dans un délai de 2 ou 3 années.
Mais il aimait la vie sans nul doute. A force de volonté, des bons soins prodigués par son entourage, et peut-être en raison de la progression relativement lente de sa maladie, il parvint à s’accrocher à ce monde cruel, et fit même une carrière scientifique éblouissante. Un vrai pied de nez aux partisans de l’euthanasie...
Il disait qu’il devait sa célébrité avant tout à son handicap. Peut-être en partie...


Peu de gens peuvent mesurer objectivement ce qu’il apporta à la Science. Son talent de vulgarisateur fit beaucoup pour sa gloire. Sa "Brève Histoire du Temps" fut vendue à plus de 10 millions d’exemplaires à travers le monde et permit à beaucoup de gens d’appréhender les mystères de l’univers, de la physique et de la relativité à la lumière des connaissances actuelles.

Il travailla beaucoup sur les trous noirs, qui sont parmi les entités les plus énigmatiques du cosmos. Dans ces concrétions vertigineuses, résultat de l’effondrement de la matière sur elle-même, tout s’arrête. Même la lumière qui passe à proximité s’y engloutit sans retour et le temps se fige. On parle de l’horizon des évènements…
Selon Hawking les trous noirs ne seraient “pas si noirs que ça”. Ils pourraient être le siège d’émissions particulaires voire d’un genre d’évaporation énergétique. Surtout, ils pourraient être des portes ouvertes sur d’autres univers, via d’hypothétiques analogues inversés que certains appellent “trous blancs”...

Hélas, toutes ces notions sont tellement nébuleuses qu’il n’existe à ce jour pas la moindre ébauche de preuve de leur réalité. Et quand bien même cela serait, on se demande quels débouchés pratiques pourraient être imaginés.
D’une manière générale, le dessein d’Hawking était insensé : il voulait mettre au point une théorie donnant une explication universelle de l’univers (ou “des” univers), unifiant toutes les lois physiques et les forces qui régissent le monde, de la mécanique quantique à la relativité de l’espace-temps, en passant par la gravité. Qui trop embrasse, mal étreint, il ne put hélas concrétiser ce projet fou.

Il est permis également d’émettre quelques doutes sur ses dernières prises de position, concernant l’intelligence artificielle. Il manifesta un curieux pessimisme à ce propos en prédisant qu’elle serait capable un jour de dépasser l’Homme et qu’elle risquait de l’asservir, pour son plus grand malheur. Rejoignant les visions apocalyptiques de Bill Gates et Elon Musk, il affirma que ces techniques informatiques menaçaient l’humanité dont il alla jusqu’à prédire l’extinction avant l’an 2600 !
Il n’y a en l’occurrence que des supputations gratuites et l’on s’étonne qu’un savant aussi rigoureux et avide de preuve scientifique puisse se laisser aller à tant de subjectivité.
S’il existe un vrai danger, il réside dans l’utilisation par les hommes des machines soi-disant intelligentes, et non en elles-mêmes. Un fusil peut occasionner des ravages mais jamais de son propre chef !
Dans beaucoup de domaines, les techniques informatiques dépassent dores et déjà et de loin les capacités humaines. Une simple calculette est bien plus performante en calcul mental que la plupart des êtres humains “normaux”. Elle n’est pas intelligente pour autant. Elle reste un outil merveilleux mais irresponsable dont les erreurs éventuelles ne peuvent être imputées qu’à celui qui s’en sert ou à celui qui l’a fabriquée… En l’occurrence des êtres humains...