27 avril 2007

Stratégie insulaire ?


Etonnante stratégie que celle de François Bayrou.
Alors qu'il ne cesse de parler de rassembler, et qu'il se présente comme le fédérateur tant attendu, il ne parvient qu'à vider inexorablement de sa substance son vivier d'origine l'UDF... au profit de celui de Nicolas Sarkozy ! (et c'est ce dernier que certains accusent de "diviser" et de "faire peur"...) Depuis quelques mois jusqu'à ce jour, on ne compte plus les ralliements et pas des moindres : Christian Blanc, André Santini, Simone Veil, Valéry Giscard d'Estaing, Pierre Méhaignerie, Gilles de Robien, Pierre Albertini...
Il est difficile pour autant d'évoquer une redistribution politique car de la Droite traditionnelle vers le Centre, les mouvements sont plutôt rarissimes. Facteur aggravant pour lui, le « leader orange » ne peut se targuer d'aucun ralliement significatif à partir de la Gauche ou du Centre Gauche en dépit de quelques timides propositions faites par Michel Rocard et Bernard Kouchner avant le premier tour.
Et c'est ce moment précis, alors qu'il vient de rater son pari de figurer au second tour de l'élection présidentielle, que François Bayrou choisit pour annoncer la création d'un grand « Parti Démocrate ». Quelle mouche l'a donc piqué ? Avec qui diable peut-il sérieusement envisager de constituer une telle force de novo ? Et pourquoi prend-t-il un tel risque de saborder ce qui reste d'UDF si près du scrutin législatif ?
On a beau dire que les électeurs se moquent des mouvements au sein des appareils des partis, il paraît illusoire d'imaginer l'émergence aussi rapide d'une réelle alternative politique, basée sur la simple ferveur populaire. Le score de Bayrou au premier tour paraît témoigner davantage d'un effet de conjoncture que d'un réel enthousiasme pour un projet solide et novateur. Et tout cela peut très vite fondre comme neige au soleil en laissant le Béarnais gros jean comme devant.
Eu égard à l'incapacité du Parti Socialiste à se régénérer, il était sans doute envisageable de propulser sur l'échiquier politique une formation social-démocrate comme en possèdent de nombreux pays. Il eut fallu pour cela y songer depuis plusieurs années, et tenter d'arracher dans les deux camps traditionnels un certain nombre de bonnes volontés (et sans doute avoir des convictions un peu plus précises).
Au lieu de cela, François Bayrou a cultivé avec opiniâtreté une indépendance hautaine qui le mène aujourd'hui au faîte de sa popularité mais aussi à une sorte de splendide isolement. Curieusement il semble avoir un penchant pour le chant d'une Ségolène subitement tout miel pour lui.
Pourtant, on serait enclin à penser que son intérêt passe par l'échec de cette dernière. Que peut-il espérer de sa victoire : un ou deux strapontins bancals dans une coalition hétéroclite dans laquelle il perdra son âme en même temps que son prétendu non-alignement ?
S'il veut avoir une chance de mettre en oeuvre
derrière son panache blanc, cette fameuse recomposition, qu'il appelle de ses voeux, il lui faut avant tout mordre par lui-même sur l'électorat de gauche. Or la défaite du PS pourrait lui offrir cette occasion en portant le coup de grâce à un parti bien mal en point depuis quelques années en raison de l'absence d'idées nouvelles et d'incessantes guerres entre petits chefs. Il lui serait alors loisible de séduire de ce côté (encore faudrait-il qu'il parvienne à conserver avec lui au moins une partie du Centre Droit...).
Quant à l'idée d'un débat médiatisé avec Ségolène, voilà une bien extravagante idée ! Comment imaginer qu'il s'agisse d'autre chose qu'une manoeuvre grossière (et peu démocratique) pour tenter de faire oublier que le second tour se jouera sans lui. Qu'elle soit jugée opportune par des socialistes vindicatifs qui sentent l'Histoire se dérober sous leurs pieds, rien d'étonnant. Tout ce qui peut éclipser le rival qui leur donne de si douloureuses coliques est bon à prendre.
Mais que fera Bayrou lorsque ce soufflet sera retombé et qu'il se retrouvera tout seul avec la gueule de bois, sur son île déserte ?

24 avril 2007

De la nature dévoyée du credo anti-libéral


La France terre de paradoxes, cultive opiniâtrement, surtout lors des grandes échéances électorales, un rite étrange, nourri de croyances archaïques et de craintes fantasmatiques.
Cette religion, accrochée à la vieille souche marxiste-léniniste, n'en finit pourtant plus de s'effriter en exhalant de pestilentiels remugles, au dessus d'un jus d'épandage nauséabond où surnagent comme de dérisoires falots fumants, les vestiges figés d'illusions évanouies.

Mais faisant fi de leurs désastreuses erreurs passées, les prêtres de cette foi obtuse continuent d'ânonner leurs antiennes éculées, comme de vieux calotins égrenant compulsivement leurs chapelets. Et plus ils sentent l'avenir leur échapper, plus ils deviennent sectaires et venimeux.
Cette manière de penser, crispée sur une idéologie défaite, incapable du moindre effort de rénovation, tente de pérenniser envers et contre tout une vision névrotique et rétrograde de la société. Et, forte des chimères démagogiques instillées sans relâche depuis des décennies dans les cervelles, elle parvient encore à entretenir un semblant de rayonnement, basé sur des a priori réducteurs et une haine féroce pour tout ce qui dévie de ses dogmes arrogants quoique moribonds. Grâce à ses innombrables relais médiatiques et à la complaisance veule et masochiste de bourgeois farcis de mauvaise conscience, elle exerce une police permanente sur les esprits et continue d'asséner comme vérités révélées ses contresens diaboliques.

Elle semble avoir définitivement refusé de confronter ses grands principes au verdict de l'expérience et du pragmatisme, et comme l'avare serre jalousement ses trésors inutiles dans des coffres obscurs, elle maintient enfermées ses rogues certitudes derrière les murailles grises d'une dialectique de plus en plus étriquée. Mais à l'image des bandelettes sur une momie, ses imprécations revanchardes ne défendent plus qu'un corpus sans vie, en voie de dessiccation. Son coeur est devenu un caillou noir et ses aspirations soi-disant altruistes sont pétrifiées dans une gangue égocentrique qui se dégrade en anathèmes de plus en plus approximatifs. Plus rien ne trouve grâce à son regard de poisson mort.
Dans son aveuglement incurable, elle refuse obstinément de voir la liberté qui forme le terreau du libéralisme. Assise sur les belles espérances des Lumières, elle ne croit ni au génie humain, ni à l'initiative individuelle et n'imagine le contrat social que dans l'omnipotence étatique, le planisme administratif et la bureaucratie procédurière.
Ses dignitaires enturbannés qui méprisent le petit peuple du haut de leurs snobs salons dorés se vantent avec un pharisaïsme insolent de n'aimer pas les riches et encensent de louanges hypocrites l'Impôt qui fait la charité des uns avec l'argent des autres...
A la manière de comptables filous qui confondent leur portefeuille avec la caisse de l'entreprise, ils démolissent les repères établis, et bousillent par leur mauvaise foi inoxydable toutes les problématiques auxquelles ils s'attaquent. Assimilant par exemple leur engagement politique à la vertu immanente, ils se croient autorisés à donner à tour de bras, des leçons de morale aussi doctrinaires que celles de l'Inquisition. Mais leurs oeillères idéologiques bornent désespérément le champ de leur imagination. Ils n'ont aucun sens de la perspective, aucune notion pratique, et noient sous des peurs irrationnelles quelques uns des plus beaux progrès de la civilisation technique. Plutôt que d'en prôner une maîtrise éclairée et responsable, ils opposent des veto moyen-âgeux à ce qui participe de l'émancipation réelle du genre humain, tout en qualifiant d'avancées, de sordides bricolages scientistes, pourvu qu'ils satisfassent leur éthique froidement matérialiste.

Ces cuistres qui ne comprennent rien du monde réel, le rejettent avec dédain. Après avoir voulu imposer à l'univers entier le morne et brutal totalitarisme collectiviste, ils déclarent une guerre stupide contre le libre-échange, et le fédéralisme démocratique au nom d'une alter-mondialisation prétentieuse et destructrice. Pire, en brandissant le droit des nations à disposer d'elles-mêmes, ils avalisent les plus affreuses tyrannies et refusent à des peuples martyrs la liberté dont ils profitent égoïstement, sans avoir rien fait pour la mériter.

Cette doctrine qui emprunte l'essentiel de sa quincaillerie conceptuelle au vieux socialisme révolutionnaire, a répandu partout ses poisons pernicieux déguisés en grandes idées généreuses. Mais à force de donner du bonheur une vision emphatique qui n'aboutit en règle qu'à la tristesse et à la désolation, ces sophismes trompeurs font de moins en moins illusion et laissent apercevoir à travers le voile qui se déchire, leur vraie nature faite d'intolérance et de ressentiment.
Les yeux trop longtemps abusés semblent se dessiller enfin. Là où les armes et la dictature ont fini par devenir impuissantes à les garder, les remparts de la forteresse mordent la poussière par pans entiers sous la pression de populations assoiffées de liberté. Les uns après les autres les fiefs soumis au carcan se libèrent et voient enfin le jour autrement qu'à travers les barreaux d'une doctrine désespérante.
Même en France les grands étendards se ratatinent comme des chiffons dérisoires, durcis par le jus aigre des rancoeurs accumulées et le sang desséché des combats perdus.
L'élection présidentielle voit encore s'aligner 11 candidats sur 12 se réclamant peu ou prou de ces conceptions obsolètes, de ce rejet primaire du monde, mais l'idéal a rétréci comme une peau de chagrin.

Le programme de ces tartufes bornés se réduit au misérable slogan « Tout sauf Sarkozy » qu'ils répètent apeurés en agitant fébrilement leur vieilles crécelles. Accrochés à leurs chaires qui s'effondrent, ils tentent désespérément d'enfermer dans leurs pièges sémantiques usés, le seul qui ait osé utiliser des mots neufs, et briser quelques tabous.
Mais tout ça sonne de plus en plus faux et le royaume arrogant d'antan se transforme en microcosme lilliputien.
Encore un peu de patience et le bocal se refermera peut-être sur ces derniers résidus lyophilisés, qu'on pourra ranger alors définitivement au musée, dans le rayon des horreurs déconfites...

18 avril 2007

Intemporalité de la beauté

Il y a quelques jours à peine, en parcourant les vastes allées du Giardino di Boboli, devant le Palazzio Pitti à Florence, je tombai en arrêt devant une statue. Immédiatement elle me rappella une aquarelle de John Sargent (1856-1925). Je la photographiai pour emporter la trace de cette impression de déjà-vu.

Lorsque de retour d'Italie, je compulse les ouvrages consacrés à ce peintre américain imprégné d'Europe, je retrouve sans hésitation la déesse Cérès couronnée de lauriers et tenant à la main une brassée de céréales.

Détenue par le Brooklyn Museum, cette oeuvre est datée de 1907.

Etonnante et minuscule coïncidence. 1907-2007 : un siècle exactement sépare les deux regards. Tant de tumultes séparent ces instants, tant d'horreurs barbares, tant d'illusions et de vanité. Et pourtant autour de cette silhouette altière, règne une tranquillité inchangée. On entend le pépiement intemporel des oiseaux et la lumière traverse l'ombre des cyprès majestueux avant de frapper le marbre froid sur lequel elle se répand en flaques mobiles d'une blancheur éblouissante.

Devant cette scène, l'oeil de Sargent fut comme un prisme qui décomposa les rayons du soleil en traits multicolores, transformant ces contrastes graciles en une sorte de délicate extase expressionniste. L'éclat de la Renaissance colorant les vestiges du monde antique en quelque sorte...

17 avril 2007

Retour vers le passé...


Après une semaine d'évasion en Italie, retour dans la gangue hexagonale.
Il est vrai que pendant 7 jours j'étais sorti de cet univers borné. Aucune nouvelle de la France. Pas de télé, pas de radio, pas de journal. La tête uniquement peuplée des collines ensoleillées de la Toscane. Les vignes et les oliviers déroulant leur doux tapis sur ces paysages ondoyants jusqu'aux lointains veloutés, ponctués par les silhouettes sombres et silencieuses des cyprès hiératiques...
Plus dure est la chute.
Premier avatar : grève des « aiguilleurs du ciel » parisiens qui chahute quelque peu le voyage vers la mère patrie. Vol annulé au départ de Florence, obligé de changer d'aéroport en catastrophe, direction Pise pour un autre avion qui lui non plus ne part pas, attente, nouveaux retards, incertitude, puis enfin départ... Confusion à l'arrivée à Roissy. La routine quoi.
Cette pagaille ne donne qu'un entrefilet dans l'édition du « Monde » du jour.
Et pour le reste, beaucoup d'encre mais rien de nouveau sous le ciel d'une campagne électorale qui tire en longueur, sans imagination, sans conviction, sans idée. Douze candidats pour rien ou quasi.
Sarkozy va se recueillir rituellement à Colombey sur la tombe du grand Charles « pour faire oublier son atlantisme » (journal de France 3). Son autoritarisme mâtiné d'ultra-libéralisme « qui fait peur » s'arrête à l'ISF que même la Suède vient d'abolir.
Ségo voudrait que chaque Français possède son drapeau tricolore et chante la Marseillaise au petit déjeuner. Et elle jacte sur Bush comme s'il incarnait Satan !
Bayrou s'accroche à sa bulle de néant, paraît-il fédérateur, en évoquant les personnalités éminentes et audacieuses de gauche qui seraient prêtes à le rejoindre mais qui préfèrent prudemment garder l'anonymat en attendant le moment fatidique. La question fondamentale du moment : ces tractations obscures sont-elles les prémices d'une alliance UDF-PS ?
Le Pen rabâche de plus en plus laborieusement ses refrains névrotiques et le conglomérat hétéroclite de la Gauche anti-libérale continue d'éructer sa haine du monde réel.
Dans un flots de sarcasmes tristes, me revient à l'esprit la chanson de Jacques Dutronc : Merde in France (cacapoum) !

04 avril 2007

World Trade Center


Oliver Stone donne une vision extrêmement sobre, presque dépouillée des atroces événements survenus le 11 septembre 2001 à New York. Une fois n'est pas coutume, le cinéaste "engagé" n'interprète pas les faits. Il se borne à en montrer l'absurdité, à travers le destin haletant de 2 policiers arrivés tout de suite sur les lieux, et dont la vie tranquille bascula tout à coup dans une horreur absolue et inexplicable. L'exercice était extrêmement délicat. Le risque était grand en effet de tomber dans le film catastrophe spectaculaire, ou bien de se laisser aller à des digressions grandiloquentes, voire de céder à la théorie obscure du complot qui fit tant de ravages dans les cervelles obsédées par l'antiaméricanisme. Même si le scénario n'évite pas certains clichés un peu "mélo", il reste fort car très proche au sens le plus physique qui soit, du drame que beaucoup d'êtres humains ont vécu ce jour là.

02 avril 2007

A chacun sa vérité


On peut avoir de la sympathie pour Al Gore qui a beaucoup contribué au magnifique développement de l'internet. On peut être totalement convaincu de l'impérieuse nécessité qu'il y a de protéger notre planète, et penser qu'aucun effort n'est inutile s'il contribue à préserver la qualité de l'environnement.

Mais il est tout aussi possible de ne pas adhérer complètement au scénario catastrophe sur papier glacé, présenté par l'ancien vice-président américain au sujet du réchauffement climatique. Pour ça, il faut évidemment une certaine audace tant le thème s'inscrit dorénavant comme un nouveau pont-aux-ânes de la correction politique, à l'encontre duquel il est devenu inconvenant d'émettre ne serait-ce qu'une réserve. On risque fort à ce jeu d'être pris pour un suppôt de l'utra-libéralisme, ou bien pour un valet des infâmes lobbies pétroliers et autres sataniques incarnations du capitalisme (dont tout un chacun profite pourtant sans vergogne).

Au départ pourtant l'évidence s'impose certes à tous : l'activité humaine, c'est certain, influe sur la biosphère. Et nul ne peut décemment contester que l'Humanité ait par ses progrès techniques, quelque peu chamboulé l'équilibre naturel qui prévalait avant qu'elle ne commence à bricoler sa galopante civilisation industrielle. Chaque être humain connaissant la fable de l'apprenti sorcier doit donc légitimement s'inquiéter pour l'avenir, car jusqu'à preuve du contraire, nous n'avons qu'une seule planète à notre disposition.

Ce constat posé, les attitudes divergent.
Certains prophètes de l'apocalypse semblent passer un peu rapidement sur le fait que l'Humanité qui bricole dangereusement, c'est nous tous. Ce sont nous tous qui avons besoin de chauffage en hiver, qui apprécions le confort que procure la fée électricité, qui trouvons bien pratiques les automobiles, qui prenons plaisir à partir en vacances en avion, et qui n'aimons guère payer cher toutes ces merveilles dont nous sommes tellement gavés qu'elles ne nous émerveillent même plus.

Avant donc de songer à savoir si le réchauffement climatique est néfaste, avant de battre sa coulpe en se tapant le cul sur la glace fondante, il est nécessaire de mettre en balance tout ce que nous avons gagné en qualité de vie, à ce prix.
Et avant de penser à déterminer ce à quoi nous serions prêts à renoncer au nom d'un danger hypothétique, il faudrait être certain que cela soit absolument nécessaire pour enrayer les drames que les oiseaux de mauvais augure nous annoncent.
Les projections des experts sont des modèles mais on sait bien que la réalité infléchit le plus souvent ce qui paraît prévisible. Il y a quelque temps c'était le trou dans la couche d'ozone qui constituait la pire menace à court terme. Aujourd'hui on n'en parle même plus...
Après tout, lorsque nous aurons brûlé tout le combustible fossile caché dans les entrailles de la Terre, le taux de dioxyde de carbone dans l'atmosphère devrait commencer de baisser. Mais peut-être aussi que les efforts menés depuis de nombreuses années pour trouver des sources d'énergie moins polluantes seront couronnés de succès, avant même l'épuisement de ces réserves. Enfin l'évolution naturelle du climat pourrait elle-même s'opposer qui sait, à la tendance induite par l'activité humaine. Selon certains savants, nous serions au seuil d'une nouvelle période glaciaire...
Ce n'est donc pas parce que plusieurs milliers de publications scientifiques démontrent l'existence d'un réchauffement du climat, et qu'elles l'attribuent à l'homme, que la fin du monde doit s'inscrire pour autant comme conséquence inéluctable.

D'ailleurs, le réchauffement lui-même, s'il a certainement des effets indésirables, en a peut-être aussi de bénéfiques. Le premier qui vient à l'esprit au sortir d'un hiver doux, est qu'il a permis d'économiser près de 5% en note de chauffage, donc en consommation de gaz et de fuel... Il pourrait, en modifiant la répartition des pluies, donner de l'eau à ceux qui en manquent et rendre certains déserts fertiles. En définitive, comme tout changement, il risque fort de faire à la fois des heureux et des malheureux. Si la météorologie était une science exacte et le climat un phénomène naturel stable, constamment bienfaisant, et facile à commander, il serait légitime d'exiger qu'on fasse tout pour ne pas le dérégler. C'est loin d'être le cas, par conséquent ne cassons pas ce que nous avons eu tant de peine à construire, sans y réfléchir à deux fois.

Mr Gore a peint son tableau d'un noir un peu trop absolu pour être vraiment crédible et son titre évoque plus la polémique que l'action citoyenne. Rien ne vient pondérer le schéma effrayant qui, après beaucoup d'autres du même genre, annonce ni plus ni moins la fin du monde. Certes l'augure affirme pour positiver, que tout n'est pas encore irrémédiable et qu'il ne tient qu'à nous d'inverser la tendance.
Mais face à des prédictions cataclysmiques, il oppose des solutions alternatives plutôt timides, si l'on excepte l'idée d'une récession économique d'inspiration malthusienne, dont l'application à l'ensemble du globe paraît relever de l'utopie et qui risquerait fort d'occasionner beaucoup plus de malheurs qu'elle ne résoudrait de problèmes.
Au surplus, Mr Gore n'est peut-être pas la personne idéale pour instruire ce procès. Il fut pendant 8 ans le vice président d'une administration qui s'illustra surtout par des voeux pieux et des bonnes résolutions en matière de protection de l'environnement. Cette relative inaction ne l'empêche pas aujourd'hui de faire porter le chapeau aux gens qui lui ont succédé au pouvoir. Il en profite au passage pour ressortir sa rancoeur tenace et totalement hors sujet, d'avoir perdu les élections de 2000, et insinue que la victoire lui fut volée, en dépit des nombreux recomptages, qui tous confirmèrent le succès, certes très court, de son adversaire .
Facteur aggravant, Mr Gore n'est manifestement pas le premier à suivre ses propres conseils. On sait par exemple que sa maison consomme vingt fois plus d'électricité qu'un foyer américain moyen. De même il serait intéressant de savoir s'il voyage en appliquant scrupuleusement les recommandations qu'il dispense si généreusement aux autres. Il y a fort à parier qu'il soit plus habitué aux intérieurs feutrés des limousines et des jets qu'à ceux des trains ou du métro...
Enfin lorsqu'il assure verser à des organismes censés protéger l'environnement, l'équivalent en dollars de ce qu'il consomme en énergie « sale », on ne peut que s'insurger. Lui et les gens suffisamment riches pour se le permettre, trouvent donc normal de s'acheter par le biais de ces « carbon credits » une bonne conscience, tout en continuant à polluer comme si de rien n'était ! Si ce n'est pas du pharisaïsme, on se demande de quoi il s'agit...

En définitive, l'homme a souvent détruit autour de lui, il a souvent été l'artisan de ses propres malheurs. Mais dans la plupart des cas, ce fut lorsqu'il était soumis à une réglementation excessive, bureaucratique, sans contre-pouvoir ni liberté de critiquer. En un mot sans responsabilité. Et s'il s'est rendu coupable de désastres écologiques, il s'est également montré capable de remettre en valeur des régions dévastées par les aléas du climat ou de vivifier des déserts. Enfin, s'il ne parvient pas à empêcher certains catastrophes naturelles, il en prévient les effets néfastes de plus en plus efficacement.
Les sociétés démocratiques aimant la liberté et la responsabilité, représentent la meilleure garantie de préservation de l'environnement, car elles laissent libre cours aux dénonciations et avertissements, même les plus virulents. Bien qu'ils s'avèrent parfois excessifs voire un tantinet malhonnêtes, ils maintiennent une pression médiatique sur le sujet. Si les individus se comportent en citoyens responsables nul doute qu'ils pourront eux-même changer le cours des choses en évitant les gâchis et en favorisant l'émergence de cercles vertueux économiques. Il n'est pas nécessaire de jeter des anathèmes pour cela car c'est l'affaire de tous.

27 mars 2007

La nouvelle bureaucratie sanitaire

Le système de santé français craque de toutes parts. Il croule sous le poids de réformes incessantes, empilées à la manière de strates inextricables, toutes plus saugrenues les unes que les autres. Lorsque des médecins contribuent à nourrir ce planisme bureaucratique c'est touchant mais c'est grotesque. Que peuvent-ils attendre en effet de ces inepties qu'on espérait voir disparaître dans une société moderne et responsable ?


Le professeur Guy Vallancien est coutumier des coups de gueule au sujet de notre système de santé. Il en flétrit régulièrement la rigidité bureaucratique et dénonce sans détour l'incurie des Pouvoirs Publics, parfois même à leur propre demande ! Il y a juste un an, il jetait un gros pavé dans la mare en rendant public un rapport au vitriol commandé par le ministre de la santé, sur l'état de la chirurgie publique en France.
Il y préconisait rien moins que la fermeture de 113 des 486 blocs opératoires hospitaliers publics, soit près du quart, au motif qu'ils réalisaient moins de 2000 interventions par an, et donc étaient incapables à ses yeux de garantir la sécurité des patients opérés.
Aujourd'hui, il sort à nouveau son sabre épurateur, et dès le titre de son dernier ouvrage, il affiche une volonté provocatrice délibérée*.
Après tout pourquoi pas. A force d'idéologie et de bureaucratie, le système de santé français est dans une si grande déconfiture, qu'on est tenté pour le sauver, de proposer des remèdes de cheval. L'ennui c'est que la bête est tellement malade qu'un traitement trop brutal pourrait la tuer net. Surtout qu'il n'est pas le premier à réclamer une purge drastique. Et les professionnels de santé ont vu passer tant de réformes depuis quelques années, qu'ils sont saturés, écoeurés, épuisés.

Le plus étonnant en la circonstance, est que les critiques les plus acerbes proviennent le plus souvent de gens qui occupent ou ont occupé des fonctions de premier plan dans le système.
Mr Vallancien qui a comme on l'a vu, portes ouvertes au ministère, est professeur en Centre Hospitalier Universitaire à Paris. Tout comme Bernard Debré qui publia il y a quelques temps avec son collègue Philippe Even un tonitruant pamphlet** sur le même sujet. Ce n'est pas faire injure à Mr Debré que de rappeler qu'il est également politicien et qu'il occupa même les fonctions de ministre. Le professeur Jean Dubernard qui l'avait précédé dans les diatribes enflammées est membre éminent du même grand parti que lui et nul ne peut ignorer ses exploits très médiatisés de greffeur de mains. Il est président de la commission des affaires sociales à l'Assemblée Nationale.
Parmi les censeurs on recrute également de hauts fonctionnaires. Le plus sévère est sans conteste Jean de Kervasdoué qui fut l'auteur d'une satire cruelle du monde hospitalier***. Avant de découvrir l'hôpital en temps qu'usager il fut tout simplement Directeur Général de l'Hospitalisation, tout comme Gérard Vincent qui dirige aujourd'hui la Fédération Hospitalière de France avec Claude Evin, ancien ministre de la santé.
Tous sont convaincus qu'il faut faire une nouvelle « révolution culturelle » et sont naturellement persuadés de détenir la solution infaillible.
Or ce joli monde tape joyeusement sur un monstre qu'ils ont contribué à façonner et dont ils ont peu ou prou approuvé toutes les boursouflures, et toutes les difformités et redondances administratives.

Depuis la réforme hospitalière de 1991 jusqu'au dernier plan Hôpital 2012, en passant par le funeste plan Juppé, tous les partis, tous les responsables ont oeuvré la main dans la main pour en arriver à un résultat aujourd'hui universellement critiqué.
Le plus terrible est qu'à chaque fois les réformateurs promettent davantage de cohérence et d'efficacité ! Parmi les innombrables textes réglementant l'hôpital, l'ordonnance n°2003-850 du 4 septembre 2003, annonce tranquillement "la simplification de l’organisation et du fonctionnement du système de santé" et celle n° 2005-406 du 2 mai 2005 se veut porteuse de dispositions "simplifiant le régime juridique des établissements de santé" !

Hélas, abondance de biens peut nuire, et l'hôpital qui fait l'objet de tant de règlements, de tant de directives plus ou moins abouties ou contradictoires est plongé dans une mortelle confusion. Pour schématiser, il est pris aujourd'hui en tenaille entre deux périls principaux :
-la « Tarification à l'Activité », censée remplacer le Budget Global, et qui après quatre années d'existence n'a fait la preuve que de son effroyable complexité et de son inefficacité.
-et le dernier avatar organisationnel, pompeusement baptisé « Nouvelle Gouvernance », qui chamboule la notion séculaire de service de soins en y superposant celle allégorique mais nébuleuse de Pôle d'activité, et qui multiplie les comités, conseils et commissions internes comme autant de petits potentats concurrents ou antagonistes, conduisant à un imbroglio dont plus personne ne parvient à saisir les tenants et les aboutissants.
Le plus fort est que toutes ces hasardeuses refondations sont régulièrement épinglées voire sévèrement tancées par les autorités de contrôle de l'Etat : Cour des Comptes, Inspection Générale des Affaires Sanitaires, Inspection Générale des Finances, toutes ont condamné tour à tour la vanité et le coût de ces mesures !
Rien n'y fait malheureusement car la machine légale en France paraît incontrôlable, intouchable. « C'est la loi » dit-on avec fatalisme...

Lorsque le professeur Vallancien s'insurge, on pourrait parfois être tenté de le suivre. Il pointe en effet nombre de tares qu'aucun être doué de raison ne peut ignorer et donc refuser de corriger. Mais à l'instar de quantité d'experts, s'il est clairvoyant pour établir des diagnostics, il peine à y opposer des solutions autres que celles dictées avant tout au nom de principes et d'a priori théoriques, qu'il meurt d'envie d'appliquer avant tout... aux autres !

Par exemple, il réclame la fin de la liberté d'installation pour les médecins, sous prétexte qu'on observe de grandes hétérogénéités de répartition conduisant à la désertification médicale de certaines régions, au surpeuplement d'autres et à de pareilles et calamiteuses disparités au niveau des spécialités elles-mêmes.
Son argumentation est étrange : faisant le constat que les praticiens sont rémunérés essentiellement par la Sécurité Sociale, il lui paraît normal qu'elle en fasse des assujettis en réglementant autoritairement l'endroit où ils devraient poser leur plaque.
Il préconise donc ni plus ni moins l'application d'une rigide logique bureaucratique, alors que dans le même temps il en critique à longueur de pages les méfaits qui aboutissent entre autres à « financer le secteur libéral à l'aveugle ».
Ainsi, non seulement il entérine le principe d'une tutelle planificatrice et centralisatrice, mais il veut en accroître les prérogatives !
Une alternative est pourtant envisageable à ces oukases gestionnaires : s'assurer avec bon sens que l'offre médicale réponde à des besoins réels et sanctionner les abus. Il est en effet légitime pour le payeur de contrôler que toutes les prestations remboursées sont pleinement justifiées.
On pourrait par la même occasion, cesser de penser que ce payeur doive nécessairement être unique. On connaît les dysfonctionnements de la Sécurité Sociale, dus pour beaucoup à sa situation de quasi monopole, à son gigantisme déresponsabilisant, et à sa trop grande dépendance des ressources de l'Etat.
En matière d'assurance maladie comme ailleurs, si l'on souhaite agir efficacement, l'émulation est souhaitable. Et le règne de la liberté surveillée est de loin préférable à celui d'une tutelle omnipotente imposant par avance une doctrine monolithique, dictée à partir de principes idéologiques.

Les recettes proposées par le professeur Vallancien au sujet de l'hospitalisation, semblent inspirées par la même politique, basée sur le planisme technocratique et les quotas. Il l'affirme d'ailleurs sans ambiguïté : « la médecine doit quitter le champ de l'action artisanale pour entrer dans celui d'une production industrielle sécurisée des soins ».
En 2006, il ne disait pas autre chose lorsqu'il exigeait la fermeture immédiate des blocs opératoires ne répondant pas au seuils arbitraires d'activité qu'il avait lui-même définis. Il faut rappeler que l'ancien ministre de la santé Bernard Kouchner avait lui-même anticipé cette idée lorsqu'à la suite d'articles accusateurs parus dans la revue « 60 millions de consommateurs », il contribua à jeter l'opprobre sur les petits hôpitaux accusés d'estropier les malades plutôt que de les soigner !
Cette stratégie est très surprenante car elle entre en contradiction flagrante avec des évidences criantes. On sait ce qu'un nombre brut d'interventions a de fallacieux. Il ne signifie rien dans l'absolu puisqu'il mélange des prises en charge très différentes et ignore la répartition par opérateur.
Il faut ajouter que même si « c'est en forgeant qu'on devient forgeron », personne n'a jamais établi avec certitude une relation mathématique entre la quantité et la qualité. En outre, même s'il serait vain d'affirmer qu'on peut tout faire partout, les progrès des techniques laissent désormais envisager la pratique d'actes diagnostiques ou thérapeutiques dans des structures légères, alors qu'ils nécessitaient il y a peu de temps de lourds plateaux techniques. Les télécommunications sont susceptibles quant à elles d'apporter une aide précieuse pour ne transférer vers ces derniers que les patients nécessitant des soins sophistiqués et faire bénéficier même les endroits les plus reculés, d'un haut niveau d'expertise.
La méthode centralisatrice prônée par le Pr Vallancien, paraît donc rétrograde, et risque d'aggraver la désertification contre laquelle il veut justement lutter, s'agissant de la médecine libérale. Elle favorise l'édification d'énormes structures concentrationnaires dont on connaît la nature perverse en terme de gestion. On sait par exemple que 18 des 31 Centres Hospitalo-Universitaires (CHU) sont gravement déficitaires, en dépit des dotations budgétaires colossales qu'ils engloutissent chaque année.
Mais ce n'est pas tout. A cause de tels dogmes et d'une législation toujours plus contraignante, le champ de la télémédecine reste en France embryonnaire. L'expérience pilotée par l'Etat du Réseau Santé Social est un fiasco et celle du Dossier Médical Personnel, obéissant au même principe centralisateur paraît mal partie. Enfin, en raison d'un ubuesque régime d'autorisation administrative, lors du dernier pointage de l'OCDE, notre pays figurait en queue de peloton quant au nombre d'appareillages médicaux modernes installés (scanners, cameras à isotopes, résonance magnétique nucléaire) !

En définitive, le Pr Vallancien qui bénéficie pour exercer sa profession, du confort d'une des plus coûteuses structures hospitalières, richement dotée en personnel et en matériel, a tendance à juger ex cathedra les autres à l'aune des CHU. Plus grave, avec ses a priori à l'emporte pièce il ne peut qu'endommager la réputation d'établissements ne disposant pas de tels moyens et créer des frustrations parmi les soignants discrédités et parmi les patients, en rupture de confiance.
Malheureusement les Pouvoirs Publics lui ont déjà emboîté le pas. Les petits et moyens hôpitaux sont déjà en train de mourir sous la pression des normes « restructurantes » issues des Schémas Régionaux d'Organisation Sanitaire. Dans le même temps les survivants se voient quasi condamnés à devenir des usines en forme de kolkhozes.
La « Démarche Qualité » imposée par les agences étatiques, créées à grands frais à cet effet, est empêtrée dans un fatras de considérations théoriques plus ou moins contradictoires. Et l'évaluation des pratiques professionnelles promet quant à elle d'être un nouveau pachyderme, bien intentionné mais aussi myope qu'une taupe, puisqu'on refuse par principe d'apprécier les choses avec un minimum de bon sens. Dans notre pays terrifié par tout ce qui peut évoquer « la marchandisation de la santé », on ne veut pas savoir combien les examens et les traitements coûtent et s'ils sont réellement adaptés à la demande. Dans un monde où les dépenses de santé explosent et où tout est sujet à médicalisation, on refuse d'impliquer la responsabilité des usagers et on se plaît au contraire à leur faire croire que notre modèle continuera envers et contre tout à garantir à tous l'égal et gratuit accès à tous les soins.
Il y a donc peu de chances qu'on cesse de juger les gens sur des a priori plutôt que sur le travail accompli, et il semble peu probable qu'on renonce à la planification arbitraire des filières de soins, qui va jusqu'à établir des plans quinquennaux prétendant chiffrer par avance le volume d'activité !

* Guy Vallancien : La santé n'est pas un droit Bourin 2007
** Bernard Debré, Philippe Even : Avertissement aux malades, aux médecins et aux élus . Ed Cherche-Midi 2002
*** Jean de Kervasdoué : L'hôpital vu du lit Seuil 2004

22 mars 2007

Un coup de blues


Dans les moments de découragement et d'affliction, il est doux de pouvoir se tourner vers quelque chose de réconfortant. En d'autres termes, empruntés pour la circonstance à Charles Baudelaire :

« Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins... »

Il se trouve que le Blues agit sur moi comme un puissant cordial qui me requinque et m'aide à supporter les vicissitudes d'un quotidien parfois déprimant.
Et les « champs lumineux et sereins », ce sont dans mon imagination, les grandes étendues du Sud, ivres de soleil, au dessus desquelles s'est élevée comme par magie une musique ensorcelante, capable de réchauffer les coeurs en peine et en déréliction.
Par un curieux paradoxe, cette plainte écorchée scandant douloureusement la cueillette du coton, issue de la souffrance d'un peuple martyr, s'est enrichie et vivifiée à mesure qu'elle passait de bouches à oreilles le long du Mississipi. Les larmes et la sueur l'ont magnifiée. Fortifiée sans doute par d'indicibles et confuses espérances, elle s'est muée en un vrai chant de vie et d'amour, et celui-ci s'est saoulé de liberté en remontant avec les esclaves affranchis, du delta jusqu'aux grands lacs du Michigan de l'Indiana et de l'Illinois.
De cette route enchantée ont surgi quantité de chemins de traverses, débouchant sur la quasi totalité des courants musicaux du XXè siècle. Pour reprendre l'expression de Miles Jordan, du Chico News and Review, le Blues c'est toute la condition humaine dans douze mesures !

A tout seigneur tout honneur, Robert Johnson restera au Blues ce que Jean-Sébastien Bach est à la musique dite classique : une source intarissable. Ses rustiques compositions n'ont pas pris une ride et continuent d'inspirer jusqu'aux stars de la Pop music et du Rock and Roll. Même si certains surgeons ont été quelque peu galvaudés par le mercantilisme et la vulgarisation du genre, c'est un océan de passions, d'émotions, de tendresse, qui a déferlé sur le monde. Il n'est que d'écouter Eric Clapton ou Peter Green pour se convaincre de l'éternelle vigueur de cette musique.


Les artistes qui au terme de leurs pérégrinations, ont fait souche au Nord des Etats-Unis sont la sève d'une des branches les plus vivaces de cette musique : le Chicago Blues. C'est un des styles les plus élaborés, qui a su parfaitement exploiter à son profit les possibilités des instruments traditionnels occidentaux : piano, cuivres, violon, guitares. Grâce à l'électrification de ces dernières et à l'addition d'une solide base rythmique, cette musique a gagné en puissance, et tout en gardant l'authenticité de l'émotion, elle a développé une merveilleuse richesse mélodique.
Pour celles et ceux qui se sentent une affinité pour cette tendre simplicité, faite de chaleur et de douce exaltation, il existe encore de nos jours, de nombreux apôtres de cette religion du bonheur simple, qui n'ont rien perdu de la sincérité et de l'humilité originelles mais qui hélas sont bien méconnus dans nos chaumières.
J'en ai découvert deux récemment de manière fortuite :
Magic Slim, de son vrai nom Morris Holt, qui rappelle un peu par sa tranquille bonhomie le style de B.B. King. Avec ses amis réunis sous l'enseigne des Teardrops (Jon McDonald guitare, Christopher Biedron basse, Vernal Taylor batterie) il continue de sillonner inlassablement les routes américaines, à près de 70 ans. Sa débordante gentillesse n'est en rien entamée par un sourire quelque peu édenté, et une peau burinée, crevassée, parcheminée. Sa voix grasse et chaude accompagne à merveille un jeu de guitare affûté. C'est pur et beau comme l'eau claire qui coule en rivière.

Ou encore Jimmy Burns, plus jeune de 6 ans, accompagné par une formation du même type, simple et sans fioriture : Tony Palmer superbe guitariste, et une belle ligne de soutien composée de Greg McDaniel à la basse, et James Carter à la batterie. L'ensemble tourne merveilleusement et sur un shuffle impeccable, balance quelques riffs taillés comme des pierres précieuses.

Comme la musique de Bach, le Blues en définitive n'est jamais vraiment triste, même lorsque ses accents sont poignants. C'est une sorte de perpétuelle jubilation, ça déchire gaiement...

15 mars 2007

Waterloo morne plaine...


La montée brutale de François Bayrou dans les sondages, évoque irrésistiblement la boursouflure médiatique aussi subite qu'artificielle que connut Ségolène Royal, avant les primaires au PS.
Ce genre de ressort inattendu de campagne est follement tendance, et lorsque le polichinelle sort de son tiroir, tout le monde se met à faire semblant d'y croire, et d'avoir des frissons d'excitation, tant les Français adorent se nourrir d'illusions, et rechignent à voir la réalité.

Cette dernière est pourtant là, prosaïque : On a beau chercher, Bayrou n'incarne aucun projet précis, il n'est ni de droite, ni de gauche, ni socialiste ni libéral. Sa seule originalité : il est pétri de bonnes intentions et de voeux pieux.
Comme il le dit lui-même sur son site : « la France c'est réunir, pas diviser», et cette semaine dans le Nouvel Observateur, il affirme qu'« il parlera à qui voudra ».
On est bien avancé !
Plus il parle de réunir, et plus son propre parti rétrécit comme peau de chagrin, et si son programme semble en expansion, il est peuplé de vide et de lieux communs.
Qu'on en juge sur quelques échantillons glanés sur Bayrou.fr :
Son modèle de société, ce « n'est pas la loi du plus fort, c'est la loi du plus juste », et l'objectif c'est de combattre « la souffrance sociale, l'exclusion ». Pardi, on n'avait encore jamais entendu de paroles aussi fortes et concrètes !

Quant aux mesures pratiques, c'est puisé au même tonneau.
Passons sur le projet ronflant mais creux de « service civique universel de six mois », sur la nébuleuse « politique active de restauration du tissu médical » en matière de santé publique, ou sur la volonté chimérique de « réimplanter l’Etat au cœur des quartiers, pour y incarner la sécurité et le service public. »

En matière d'impôts, il préconise audacieusement le « principe de stabilité fiscale » et « la simplification, pour que la fiscalité devienne enfin lisible ». Personne n'y avait jamais pensé !
Tenez-vous bien, il va même jusqu'à remettre au goût du jour la bonne vieille « taxe Tobin sociale » qu'il veut qu'on étudie « au moins pour en avoir le cœur net ! ».
S'agissant de l'absurde ISF, il est « partisan d’une imposition sur le patrimoine à base large, à partir de 750 000 euros, sans plus aucune niche défiscalisée ni exemptions, mais à taux léger. » Bien malin celui qui voit le changement...

En matière d'écologie, pas davantage d'excentricité à espérer : il suit courageusement le consensus général, et « soutient les 10 objectifs et les 5 propositions de Nicolas Hulot. »

Sur la question des Etats-Unis, il se borne à ressasser les clichés franchouillards les plus éculés : « J'aime les Etats-Unis, j'aime le peuple américain. Mais ce n'est pas mon modèle. », « je ne suis fasciné ni par ce modèle, ni par l’actuel président américain, qui est l’auteur d’une des plus graves erreurs historiques commises durant cette décennie, avec la guerre en Irak. », « le pouvoir d'une seule super-puissance crée un monde plus dangereux »
.
C'est bien beau de déplorer, comme les moutons bêlants, l'hyperpuissance américaine, mais sur l'Europe où l'on aurait pu espérer une position un peu personnelle et volontariste il se défile, ne semblant même pas y croire : « l'Europe, acteur du destin de la planète, c'est une idée, on pourrait même dire que c'est une utopie française. »
Dans le même temps, il ne peut s'empêcher de reprendre l'antienne nombriliste du coq gaulois guidant le Monde : « l'Europe capable de parler d'une seule voix sur la planète, cela ne peut se faire que si la France le veut et entraîne les autres ». Pas un instant il ne songe que la France pourrait accepter de temps à autre de se montrer un peu solidaire des autres qui eux sont déjà sur une longueur d'onde commune...
Bref je rejoins le pessimisme de ceux qui désespèrent de voir un jour notre pays prendre vraiment la mesure véritable des problèmes et cesser de prendre aussi naïvement des vessies pour des lanternes.
Quant à Edouard Fillias qui vient de se rallier à Bayrou près avoir eu la vélléité d'incarner une "alternative libérale", il est bien jeune et semble, en dépit de sa tête bien faite, avoir du libéralisme une idée très molle et approximative.
Il déplore que « le pouvoir n'appartient plus au Français » mais prône une « révolution de velours » dont on ne perçoit guère le pragmatisme. Il imagine restaurer la démocratie et le bon sens en réclamant le retour du foutoir de la proportionnelle. Enfin, il trouve que le triste béton des certitudes légales n'est pas encore assez oppressant et emboîte le pas des maniaques qui veulent légiférer sur tout y compris la fin de vie.

Décidément, même si le discours de Nicolas Sarkozy est parfois ambigu, il est le seul à véhiculer encore une lueur d'espoir dans cette ambiance crépusculaire...

12 mars 2007

Pour une démocratie active (II)

Stephen Breyer est juge à la Cour Suprême des Etats-Unis (nommé par le Président Clinton). Bien qu'américain, il est francophile et s'exprime avec aisance dans notre langue.
Cela fait au moins deux raisons de s'intéresser à son ouvrage récemment publié : « Pour une démocratie active » (Odile Jacob).
La Cour Suprême en Amérique est un peu ce qu'est le Conseil Constitutionnel en France. Elle veille à ce que les lois édictées par le Congrès ou les États fédérés, respectent les principes sacrés de la Constitution. Elle est censée également lever certains litiges relatifs aux décisions de justice à la lumière des principes de cette dernière. Elle forme en quelque sorte le bras armé du troisième pouvoir, celui des juges. Elle est composée de 9 membres nommés à vie par le président de la république avec l'accord du Sénat, et jouit d'un pouvoir bien supérieur à celui de son alter ego français.
Aux Etats-Unis comme ailleurs, les progrès techniques de la civilisation, les exigences des citoyens, de mieux en mieux informés, et la mondialisation de la société, rendent de plus en plus difficile la tâche des juges et les fait parfois douter de l'adéquation des lois aux problèmes du monde moderne.
Stephen Breyer cherche à démontrer qu'une application trop « littérale » de la loi peut parfois aboutir à entériner des situations injustes, à la manière du jugement tristement célèbre, qui à la fin du XIXè siècle légalisa la ségrégation raciale selon le principe « séparés mais égaux » (Plessy v. Fergusson).
Il plaide donc pour une analyse « téléologique » de ces textes, c'est à dire préoccupée de remonter en toutes circonstances à l'objectif originel du législateur. Pour cela, il recommande aux juges d'éviter de se comporter en exégètes trop formalistes, et leur suggère plutôt d'adopter une position virtuelle originale, celle d'un « parlementaire raisonnable » cherchant à faire de la loi le meilleur usage en terme d'efficacité et d'équité. Cette méthode donne bien sûr de la souplesse et permet de juger de la constitutionnalité de décisions portant sur des problématiques inconnues à l'époque où fut élaborée la référence légale, à vocation universelle. En revanche le risque, évoqué par l'auteur, est d'introduire la subjectivité dans ces décisions puisqu'elle propose aux juges de réinterpréter en quelque sorte, le but poursuivi par le législateur. Tout le problème dans cet exercice, est « de se garder d'imposer obstinément ses opinions personnelles ». « Le juge ne saurait décider en fonction de ce qu'il pense être la meilleure solution ».
Jusqu'à présent, il faut reconnaître qu'aux USA, les recettes de gouvernement, proposées en 1789 ont enduré l'épreuve du temps magnifiquement. En plus de 200 ans, seuls 17 amendements à la Constitution ont été promulgués, et seuls 4 sont venus contredire directement les décisions de la Cour Suprême.
Cette approche qui consiste à privilégier « l'esprit » à « la lettre » paraît donc très pertinente, et tout particulièrement adaptée aux États-Unis où les lois écrites sont plutôt rares et où la justice fonctionne essentiellement en fonction de la jurisprudence, tirée de l'interprétation de principes généraux. D'ailleurs la Cour Suprême n'est somme toute sollicitée que sur un nombre restreint de contentieux (une centaine par an) et son avis est dans 80% des cas, donné à l'unanimité ou quasi. Il ne reste que 20% d'affaires pour lesquelles elle se divise en cinq juges contre quatre.
C'est précisément le contraire de ce qui se passe en France où les pouvoirs ne sont guère équilibrés, revêtent une structure pyramidale très peu participative, et où l'on reste très attaché aux textes et à leur richesse descriptive. Loin d'avoir suivi les conseils de Montaigne, qui préconisait des lois peu nombreuses et de portée générale, notre pays en a sécrété une pléthore hallucinante, prétendant régler à peu près dans tous les cas de figure, la complexité des relations humaines.
Quoique à peu près inapplicable à la jungle législative française, l'approche téléologique chère à Stephen Breyer est séduisante, car elle a pour but de coller le plus étroitement possible au fondement de la démocratie, à savoir « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Elle constitue une manifestation de ce qu'il appelle la « Liberté Active », c'est à dire l'association intime de la liberté du peuple dans son ensemble vis à vis de ses gouvernants, avec la liberté individuelle, protégeant les citoyens de la tyrannie de la majorité. Cet équilibre subtil suppose un jeu de pouvoirs et de contre-pouvoirs et des liens entre gouvernement et peuple fondés sur la responsabilité et la participation. En France, Benjamin Constant fut le premier à souligner l'importance de cette alliage des libertés, avant que Tocqueville ne lui donne tout son sens en démocratie.
Les exemples que donne Stephen Breyer sont parfois un peu difficiles à suivre tant ils paraissent éloignés de l'état d'esprit français et des préoccupations hexagonales. Dans un pays totalement assisté et déresponsabilisé, où les émissions de télé-achat n'ont pas même le droit de citer les marques des produits proposés à la vente, on n'est guère enclin à comprendre la nature des accusations faites à la société Nike, de publicité mensongère lorsqu'elle répond par voie de presse aux associations qui l'attaquaient au sujet des conditions de travail de ses employés. Dans un pays où il est interdit de faire de la publicité pour les médicaments, et où le moindre cachet doit faire l'objet d'une ordonnance, on ne saurait savoir s'il est légitime ou non que les pharmaciens aient l'interdiction de promouvoir les produits qu'ils élaborent au cas par cas, au seul motif qu'ils n'ont pas subi les mêmes tests que ceux produits industriellement par les grandes firmes pharmaceutiques.
De même, dans un pays où l'on ignore ce que recouvre la notion « d'habeas corpus » on pourra se perdre en conjectures à propos du délai octroyé aux détenus pour revendiquer de droit.
Enfin, dans un pays où la scolarisation des enfants est régie par une ubuesque carte scolaire, et où toute sélection des élèves fondée sur le mérite est jugée a priori abominable, on aura du mal à interpréter le bien fondé de certains critères d'admission dans les universités américaines, même s'ils ménagent des conditions particulières aux minorités ethniques, afin de corriger leur sous-représentation dans le corps étudiant.
En somme, l'ouvrage de Stephen Breyer est très éclairant sur le système judiciaire américain et au delà, sur la nature même de la démocratie outre-atlantique. On peut mesurer l'abîme qui sépare ce système du nôtre et même du système européen en général. Bien que Breyer reproche à ses collègues d'être parfois un peu rigides et rétrogrades dans l'interprétation qu'ils font de la Constitution, on est à mille lieues des archaïsmes qui sclérosent notre poussiéreuse république.
Breyer qui préconise la modestie de la part des juges, propose en cas de grande incertitude, de s'inspirer des expériences étrangères. Ce conseil vaudrait surtout pour notre pays si imbu, comme on a pu s'en rendre compte ce soir encore en écoutant le Président de la République, de son soi-disant rayonnement, de son « modèle »...