26 mars 2009

L'Esprit du Blues










Au cœur de la nuit bleue monte l'esprit du Blues
Comme une longue plainte à la puissance douze.
Plainte mélancolique avançant d'un pas lourd
Elle écorche en douceur le silence alentour.
Sa stridence cuisante avive les blessures,
Mais le feu jaillissant de ces pures morsures
Emplit l'âme ébahie d'une onde ivre d'amour
Qui s'imprègne du noir pour monter vers le jour...
Mimant d'un vieux Delta le cours des eaux trainantes
Elle descend amère au bord de tristes pentes
Et sa chanson suave engloutit dans son flux,
Des diables ténébreux gavés d'espoirs déçus.
Mais en elle le spleen se mélange à la joie,
Jamais elle ne trahit celui qu'elle côtoie.
Sa caresse brûlante en traversant le corps
Fait monter le chagrin tout en rendant plus fort.

Les malheurs de la vie, l'échec, l'humeur jalouse
Ou bien les trahisons d'une infidèle épouse
Toutes ces vilénies, ce cafard, ce remords
Sont peu de chose en somme en face de la mort.
Et lorsque fatigué de penser au tragique
L'esprit se livre entier à cette âpre musique
Il comprend par magie son sens en un éclair
Et pour lui dans la nuit, tout enfin devient clair.

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Hommage à l'esprit vivace du Blues, deux disques récents :


The Mannish Boys, Lowdown Feelin' superbe compilation de standards peu connus mais interprétés par une joyeuse bande, sous la houlette inspirée de Randy Chortkoff qui ne contribue pas peu au chant et à l'harmonica (une très belle et puissante composition à son actif Rude Groove). Tout ce petit monde est absolument excellent et produit un Blues aux intonations incroyablement authentiques, variées et savoureuses : du vrai Delta Groove comme dit la pochette. Au chant on retient Bobby Jones, Finis Tasby et Johnny Dyer. A la guitare le remarquable Kid Ramos. Parmi les invités Little Sammy Davis notamment dans une ballade très émouvante : When I leave. Une fontaine de Jouvence pour surmonter la morosité ambiante.

Alain Bashung : Bleu Pétrole. Après que soient envolées les dernières fleurs tombées par milliers sur l'artiste au moment où un destin cruel l'arrachait à la vie, reste pour l'éternité ce superbe album. On y compte bon nombre de compositions originales envoûtantes auxquelles la patte de Gaétan Roussel n'est pas pour rien (Je t'ai manqué, Résidents de la République, Hier à Sousse, Sur un trapèze). Elles sont magnifiées par la voix de stentor, plus belle et profonde que jamais, du desperado chanteur un peu ténébreux, et pour parfaire l'ouvrage par des arrangements musicaux touchant au sublime, à la fois puissants et intimes (dans le poignant Tant de nuits, par exemple). L'hommage à Gérard Manset est également de toute beauté (comme un lego, Il voyage en solitaire), ainsi que celui à Léonard Cohen (Suzanne). La maladie était hélas déjà dans sa chair mais Alain Bashung lui donne une vraie gifle avec cet enregistrement parfait qui lui procure une stature de commandeur bien méritée.

23 mars 2009

Le Pape et les Préservatistes


Époque délicieuse ou seuls les propos du Pape sont encore susceptibles de choquer les Bourgeois (et bien d'autres pense-petits d'ailleurs...). L'inversion des valeurs est telle, l'abrutissement des esprits est si avancé que ce sont maintenant les concepts les plus naturels et les plus évidents qui paraissent les plus provocateurs. Stéphane Guillon et autres pitres amidonnés dans les ersatz de contre-culture n'y peuvent rien. Les horreurs dont ils font une surenchère très lucrative sont bien insignifiantes face à deux mots de Benoît XVI. Eux n'émeuvent pour tout dire que les victimes de leur humour pachydermique, et le président de la République (qui a sans doute encore du temps à perdre pour se faire leur agent publicitaire).
Deux phrases suffisent en revanche au Pape pour provoquer un tollé gigantesque qui remue tout le Landerneau. Chapeau l'artiste ! Qui n'y verrait le secours de la main de Dieu ?
Qu'on ne se méprenne pas. Loin de moi l'intention de sous-estimer le drame du SIDA, et tout aussi loin de moi l'idée d'une quelconque vénération du Pape. Je n'ai aucun d'état d'âme vis à vis de l'un et de l'autre. L'un est une maladie relevant de la Santé Publique, l'autre est le chef de certains Croyants, point. Quant au préservatif il est évident qu'il s'agit d'un moyen technique efficace pour lutter contre les maladies sexuellement transmissibles, mais j'ai beau me creuser les méninges, je ne vois vraiment pas son rapport avec la religion.
Car tout de même qu'y a-t-il de plus incongru que de demander au Souverain Pontife son avis sur ce capuchon de latex ? Autant interroger le poinçonneur des Lilas sur la direction des Upanishads, un garçon boucher sur l'intérêt du découpage moléculaire, ou même un socialiste sur la vraie nature de l'économie...
Ça faisait quelque temps que les mirlitons de la pensée unique cherchaient Benoit XVI. Avec ces propos sur le SIDA, arrachés par des journalistes au cours d'un voyage en avion, ils ont trouvé l'occasion rêvée : en plein charity-business du Sidaction, tandis que les nouveaux dévots rassemblés en messes médiatiques, arborent rituellement le fameux petit ruban rouge en se battant la coulpe pour répudier le VIH comme s'il s'agissait de Satan !
Qu'a donc dit Benoît XVI de si choquant ? Rien de fondamentalement différent de ce que disaient ses prédécesseurs jusqu'à Jean-Paul II : que pour l'Eglise, l'activité sexuelle se conçoit comme l'expression charnelle de l'amour et qu'en tant que tel l'amour vaut plus que le coït animal auquel une société matérialiste et jouisseuse cherche à le réduire. Autrement dit, dans sa sphère spirituelle ou la sexualité suppose relation durable et fidélité, le problème du SIDA ne se pose pas vraiment. On peut ajouter qu'en dehors même de toute considération religieuse, si la distribution de préservatifs était réellement efficace, les contaminations par le VIH auraient cessé depuis longtemps. Le préservatif est vieux comme le monde mais pour le SIDA comme pour la syphilis, il a surtout fallu attendre les médicaments. Ils n'ont pas empêché hélas la maladie mais en ont spectaculairement renversé le pronostic...
En définitive, cette polémique est une sorte de tempête dans un verre d'eau. Qui peut vraiment croire que tous ces petits Chrétiens offusqués seraient mieux aise si le Pape se mettait tout à trac à distribuer Urbi et Orbi les préservatifs en même temps que les bénédictions ? Et qui serait assez stupide pour comprendre son message de la seule manière qui soit vraiment dangereuse, à savoir suivre à la lettre sa consigne recommandant d'éviter l'usage de la capote, mais se soucier comme d'une guigne de son appel à l'amour fidèle et raisonné, et baiser comme un lapin tout ce qui passe à sa portée....

08 mars 2009

Julien Green, un messager


Julien Green occupe une place originale dans le panthéon des écrivains de langue française. Né à Paris en 1900 de parents américains, il ne put jamais vraiment choisir un pays ou l'autre. Consacré par l'élection à l'Académie française en 1971, il resta citoyen américain jusqu'à sa mort à 98 ans. En définitive, il incarna parfaitement l'archétype de l'Américain à Paris...
Dans un curieux petit livre édité récemment, intitulé affectueusement Mon Amérique, il avait rassemblé durant les années quarante, la quintessence de sa fibre américaine.
Comme à l'accoutumé, c'est léger, fluide, amical et distingué, tout dans la manière du personnage. De la bonne et belle littérature en somme.
Un double destin caractérise donc cet écrivain. Un solide enracinement dans la culture française au terme d'études primaires au lycée Janson de Sailly, puis un ancrage outre-atlantique acquis par la fréquentation quelques années plus tard, de l'Université de Virginie.
Cette dernière lui inspira un indicible et constant attachement pour le Deep South que sa mère lui avait dépeint tant de fois durant l'enfance : « si j'avais des racines elles poussaient là, de ce côté de l'Atlantique... ». Devenu écrivain, il choisit pourtant de vivre en France le plus clair de son temps, écrivant l'essentiel de son oeuvre en français. Étrange paradoxe ; il fut selon son propre aveu, un Parisien rêvant d'Amérique : « pas un jour ne se passe que je ne pense à elle.. »
A Charlottesville en Virginie où il débarqua au sortir de l'enfance, une seule image dès le premier jour lui dit ce qu'était le Sud, en lui « coupant le souffle » : « une petite place, un canon de bronze rêvant à Manassas veillait devant un bâtiment de style néoclassique. Rien n'y manquait ; le fronton triangulaire et deux colonnes doriques d'une blancheur parfaite et qui paraissaient d'autant plus blanches qu'elles se détachaient sur un fond de brique sombre. C'était le Palais de justice flanqué de magnifiques sycomores dont le feuillage doré était comme un coup de soleil. »
Au delà de l'imprégnation familiale, le Sud était à ses yeux, le lieu de transition entre le vieux et le nouveau monde : « On ne comprend pas grand chose à l'origine de la guerre entre le Nord et le Sud si l'on en se rend pas compte que dans une certaine mesure le Sud était l'Europe. » En réalité, la guerre de sécession ne fut pas autre chose que « le divorce sanglant avec le passé... »
Il y a une pointe de nostalgie dans cette évocation. Parlant de Savanah par exemple, il évoque cette « tristesse d'autant plus difficile à décrire qu'elle semble à chaque instant contredite par la gaité charmante des habitants... »
Bien sûr Julien Green n'est pas insensible non plus à l'esprit qui souffle sur la Nouvelle-Angleterre. Il ne manque pas d'évoquer Concord dans le Massachusetts, d'où fut « tiré un coup de fusil dont l'écho fut perçu dans tous les coins du globe. » Il dépeint également non sans une certaine délectation les racines victoriennes de New-Salem en Pennsylvanie : « Petites maisons de bois peint ou brille le heurtoir de cuivre au milieu de la porte, toutes un peu prudes, un peu trop soucieuses de bonnes façons, semblent rêver à leur soeurs lointaines du Kent, ou du Devonshire.../.. C'est la Nouvelle-Angleterre qui se souvient de la vieille.../... Peut-être vais-je voir au tournant d'un chemin des soldats anglais en tunique rouge...»
Il manifeste une tendresse également pour les Indiens auxquels il consacre un chapitre joliment intitulé « Nous avons tous un coeur d'indien » : « Regardons de plus près cette race incapable de se résigner à son sort. Les documents sans nombre nous font voir des visages d'une noblesse qu'aucune aristocratie n'a pu dépasser, si même elle l'égalait. »
Au cours de cette sorte de périple initiatique, Green évoque aussi le souvenir de quelques grande figures tutélaires. Edgar Allan Poe avant tout, non pas tant par le pèlerinage à Baltimore sur la tombe, qu'à Charlottesville encore, où l'ami de Baudelaire vécut longtemps.
Nathaniel Hawthorne, fascinant pas ses aptitudes à l'observation : « il restait parfois plus d'une heure à suivre le trajet d'un rayon de soleil sur le clocher d'une église .../... Ces grands contemplatifs savent que si l'on regarde les choses assez longtemps elles finissent par regarder l'observateur et lui parler. »
Gertrude Stein enfin, autre franco-américaine, dont il était l'ami et qu'il décrit en la comparant à « une montagne, un menhir, quelque chose d'inébranlable qui tenait à sa race autant qu'à son génie... » Il admirait cette femme étonnante chez qui il n'y avait « pas de place pour la tristesse ou l'amertume », et que « le doute semblait n'avoir jamais atteinte », mais plus encore, il était envoûté par « les yeux très grands et très profonds qui retenaient par la vigueur de l'intelligence... »
Naturellement la confrontation tantôt fraternelle, tantôt fratricide entre l'Europe et l'Amérique, tient une large place dans ces réflexions à bâtons rompus. Durant ces heures sombres, au seuil d'un nouveau conflit mondial, cette Europe apparaît décidément incompréhensible aux yeux des Américains : « Pourquoi donc ne peuvent-ils pas vivre en paix ? .../... Est-il possible que tout cela recommence, .../... Que de nouveau des garçons d'Amérique traversent l'océan pour servir là bas ? »
Mais même s'il grogne, « L'Américain est avant tout un être sentimental, avec des colères et des raisonnements de sentimental. » Et l'Amérique, loin de répondre comme d'aucuns semblent parfois le penser à une mécanique cupide et simpliste, reste par sentiment, fidèle envers et contre tout. Même si la situation lui paraît absurde, énervante, elle fera son devoir : « Crois-tu donc qu'on nous ait changé le coeur de place ? » Lui demande son ami Chapman. S'ensuit une série de chapitres sur le formidable effort de guerre entrepris, dont les titres claquent comme des étendards au vent : Soldats d'Amérique, Au secours de la Liberté, L'Amérique en guerre...
En toutes circonstances, et particulièrement les plus terribles, les plus difficiles, l'Amérique est « comme quelqu'un qui perpétuellement lutte et se débat, non pour se maintenir dans une situation qu'il aurait acquise tant bien que mal, non pour demeurer, mais pour devenir. »
En définitive, l'Amérique et l'Europe à travers l'écrivain, ont destins liés. En 1944 (comme peut-être aujourd'hui ?), la relation ambivalente entre l'Amérique et la France est quoi qu'on y fasse celle « d'excellents amis qui s'écrivent trop peu. Dans les circonstances actuelles, c'est à la France à écrire; elle doit à l'Amérique une de ces lettres copieuses et bavardes comme on aime tant à en lire chez nous. Sans doute l'amitié subsiste si la lettre n'arrive pas mais est-ce tout à fait la même chose ? »
Julien Green, nouveau Janus, regardant avec la même affection l'est et l'ouest de l'Atlantique, n'est-il pas un des mieux placés pour porter ce message ?

28 février 2009

L'écume des jours


Le Monde me fait parfois penser à une mer énorme dont l'actualité serait l'écume. Reflet de turbulences parfois lointaines, parfois toutes proches, elle est constamment agitée par le souffle de la Presse et des Médias. Charriant beaucoup de mousse en s'évanouissant et en se reconstituant sans cesse, elle fait hélas souvent perdre le sens des indicibles profondeurs au bord desquelles elle voltige. Un rien l'affole, un rien la fait retomber, mais elle est rarement proportionnée à ce dont elle est censée témoigner, révéler ou annoncer. Pire, en créant l'illusion, en masquant l'horizon et parfois les vrais écueils, n'est-elle pas à même de provoquer des réactions intempestives ?
A-t-on tenté de mesurer par exemple, l'effet amplificateur des médias sur l'actualité ?
Qui sait si la Crise n'est pas aggravée par l'effet des annonces lugubres émanant avec grand fracas des journaux, radios et télévisions réunis ? A force de répéter quotidiennement que les choses vont mal et qu'elles vont même empirer, combien instille-t-on de poison sournois dans les humeurs ?
A l'autre bout du spectre médiatique, certains évènements dérisoires sont montés en épingle avec un affreux sens de l'opportunisme et un cynisme franchement écœurant. Révèlent-ils de vrais problèmes de société ou bien s'en sert-on pour les provoquer ? A moins qu'ils ne soient la marque d'une attirance morbide pour les phénomènes de foire ...
Que n'a-t-on dit sur l'obscur évêque anglais négationniste Williamson. Personne n'en avait pourtant entendu parler jusqu'à ce que le pape entreprenne une action visant à lever l'excommunication dont il avait fait l'objet pour avoir été consacré par Mgr Lefebvre. Pas un jour depuis, qu'on ne nous bassine avec le moindre de ses propos insensés sur la Shoah ou bien sur les évènements du 11 septembre. Rengaine trop connue et inintéressante au possible. A qui profite le battage de ces tuyaux creux ?
Dans un autre genre, qu'en est-il vraiment du petit anglais Alfie, âgé de 13 ans, père paraît-il d'un bébé conçu avec sa copine Chantelle qui en a 15 ? L'information semble effrayante, fantasmagorique. Pourtant, il y a de fortes chances qu'elle soit fausse ou tout simplement sordide. Pas moins de 4 bambins de 12 à 16 ans revendiquent en définitive l'engrossement de Chantelle... Le milieu familial est quant à lui un vrai poème. Le père d'Alfie, qui a quitté le foyer familial il y a deux ans, a neuf enfants au total, nés de trois mères différentes (Le Point 19/02/09). Quant aux parents de Chantelle, ils en ont de leur côté 6 ce qui leur permet de vivre gentiment des allocations et d'ouvrir grande la porte de la chambre à coucher de leur fille, probablement dans l'espoir de grossir la manne... Rien qu'en photos et reportages, ce petit monde aurait déjà touché plus de 100.000 euros...
Du même tonneau, on apprenait hier qu'aux USA, la mère de six enfants qui avait donné naissance à des octuplés grâce aux techniques de procréation médicalement assistée, était sollicitée à hauteur d'un million de dollars pour jouer dans un film pornographique ! De quoi nourrir les 14 bouches que cette femme seule et sans travail a mis délibérément au monde...
A d'autres moments au contraire, l'information, parfaitement objective et rationnelle est tenue pour quasi négligeable. Le Figaro révélait ainsi le 12 février dernier que dans un rapport « tenu secret », l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) avait conclu à l'innocuité pour la santé du fameux maïs OGM MON 810 de Monsanto.
La belle affaire ! On pourrait penser que les jugements de cet organisme « indépendant », financé par l'Etat soient souverains et que l'affaire soit enfin entendue... Pensez-donc. Pas le moins du monde. L'importation des OGM reste jusqu'à nouvel ordre interdite en France et rien ne bouge au royaume du principe de Précaution. On cache même les conclusions des instances officielles...
Est-ce de la couardise face aux altermondialistes ? Est-ce de la bêtise tout simplement ? Ou bien s'agit-il au fond d'une mesure protectionniste non avouée ? Quant à l'AFSSA, est-elle plus utile que tous les machins bureaucratiques mis sur pied à grands frais pour réglementer notre univers quotidien ? Et saura-t-on un jour, alors que s'ouvre enfin le procès, ce qui s'est vraiment passé en septembre 2001 à Toulouse sur le site de l'usine AZF ?
De ci de là, on apprend aussi que le nouveau président américain Obama envoie pas moins de 17.000 hommes en Afghanistan et qu'il demande un effort identique à l'Europe. Personne ne semble s'en offusquer. En Irak, il suit scrupuleusement le programme de Bush, en retirant de manière graduée les troupes encore présentes, tandis que le pays qu'on disait livré sans espoir au chaos, vient à nouveau de passer avec succès, l'épreuve des élections. Il faut bien chercher pour trouver parfois un entrefilet commentant la nouvelle...
Pour son pays, contrairement à l'image gauchisante qu'on a voulu lui donner, il se défend de tout protectionnisme en bannissant le slogan « Achetez Américain ! ». Enfin il propose pour sortir du marasme économique, un plan digne de celui de Paulson (plus de 700 milliards de $ votés en sept 08 pour racheter les actifs toxiques et soutenir les banques).
Dans la tourmente, un homme reste serein et plus déterminé que jamais : José Aznar (Figaro 23/01/09) . Certes son pays traverse comme tant d'autres une période difficile. Mais cette crise signifie-elle à ses yeux la mort du capitalisme ? : « Ce n'est certainement pas l'échec du libéralisme, mais l'échec des mécanismes actuels de régulation et d'intervention de l'État dans un secteur qui est pourtant déjà très régulé, le système bancaire. C'est comme en politique. Lorsqu'on élit un mauvais gouvernement, cela ne remet pas pour autant en cause la démocratie. » Et s'il avait raison, lui l'artisan du miracle espagnol ? « Plus de flexibilité et de liberté dans l'économie, moins de taxes, moins de dépenses, plus de stabilité budgétaire, moins d'intervention de l'État. » Etonnant, non ?
Enfin, au moment où l'on se lamente sur la misère qui gagne du terrain, où l'on agonit les actionnaires, les banquiers et chefs d'entreprise, la spéculation artistique elle, ne s'est jamais si bien portée sans choquer personne. L'incroyable vente d'objets d'art organisée par Pierre Bergé vient de rapporter 379 millions d'euros en trois jours d'enchères ! Certes elle dispose d'un alibi politiquement correct puisque les profits seront parait-il versés à des oeuvres caritatives. Certes il y a d'authentiques chefs-d'oeuvres dans cette bimbeloterie (notamment une superbe nature morte de Derain), mais on croit rêver par les temps qui courent, en lisant qu'un monochrome gris « avec grille », de Mondrian a trouvé preneur pour 14 millions d'euros ! Et le clou assurément : le détournement « humoristique » à la manière « Dada », par Marcel Duchamp, d'un petit flacon de parfum « Un Air Embaumé » de la « Maison Rigaud Paris en 1915» (subtilement rebaptisé « Belle Haleine, Eau de Voilette »). Il est parti faire le bonheur d'un gogo assez fortuné pour débourser près de 9 millions d'euros (belle opération spéculative soit dit en passant, car il avait été acheté 1,7 M€ en 2002) !
Non décidément, ce n'est pas la crise pour tout le monde...

23 février 2009

La crise de la crise...


C'est curieux cette crise tout de même. Ce qu'elle peut susciter de tohu bohu médiatique et d'explications contradictoires.

Pas un jour sans qu'un expert ne vienne ajouter de nouvelles théories et prévisions au fatras monumental déjà déversé sur nos têtes affligées. Une chose est sûre, la crise a du bon assurément, pour ceux à qui elle donne l'occasion de pérorer sous l'oeil complaisant des caméras, tout en faisant la promotion de leurs petits bouquins bricolés à la hâte pour profiter de l'aubaine...

Mais pour le reste, quelle pagaille ! Les politiciens incorrigibles ressortent les rodomontades idéologiques les plus éculées, les économistes s'emberlificotent dans des théories de plus en plus fumeuses, et les historiens et philosophes s'efforcent, envers et contre toute nécessité, et au prix de raccourcis grossiers ou d'assimilations hasardeuses, d'expliquer le présent par le passé... Même dans les plus hautes sphères, le cours erratique des évènements tend à faire manger son chapeau.

Pour le Président de la République, qui chantait pourtant les louanges du modèle capitaliste anglo-saxon il y a quelques mois à peine, c'est sa faillite à laquelle on assiste, et il faut d'urgence le refonder en le moralisant. Mais la France est-elle la mieux placée pour l'exercice, elle qui est en crise structurelle depuis des décennies ?
J'entendais il y a quelques jours M. Strauss-Kahn, président du FMI, livrer de son côté son analyse. Reprenant une antienne largement utilisée par d'autres, il expliquait l'origine de la crise actuelle par l'excès de crédit : « Trop de crédits distribués sans faire assez attention... » D'où selon lui, une «accumulation de dettes devant laquelle tout le monde a eu peur ».
Pourquoi pas, mais dans ce cas, pourquoi dénoncer dans le même temps, la pusillanimité actuelle des banques qui rechignent à prêter ? Il faudrait savoir si elles font trop ou pas assez crédit tout de même... Et surtout, pourquoi préconiser comme la plupart des tenants de cette théorie, de gigantesques plans de relance, faisant appel précisément… au Crédit ! Qui plus est, mis en oeuvre par des Etats le plus souvent déjà lourdement débiteurs... Redécouvrirait-on les vertus de la méthode consistant à soigner le mal par le mal ?
Peu de jours auparavant, c'était le soi disant « politologue, démographe, historien, sociologue et essayiste » Emmanuel Todd qui incriminait le libre échange. L'accusant d'avoir mené le monde là où il est, il préconisait doctement de renverser la vapeur et réclamait d'urgence des mesures protectionnistes, seules capables de « doper la demande » asphyxiée selon lui par le libéralisme.
Mais comment diable le protectionnisme pourrait-il augmenter la demande, lui qui commence invariablement par raréfier l'offre, tout en provoquant à coup sûr une hausse des prix ?

Un peu de bon sens suffit pourtant pour s'accorder avec nombre de constats faits par ces brillants spécialistes, tout en rejetant les extrapolations qu'ils en font. Il n'est pas besoin d'être grand clerc par exemple pour comprendre les méfaits engendrés par la surabondance du crédit, depuis des lustres, ou encore pour voir l'inadéquation actuelle entre l'offre et la demande.
Le plus difficile à réaliser toutefois, est que l'endettement ait été si largement encouragé (et pratiqué) par les Pouvoirs Publics, pour permettre notamment au cycle offre/demande de tourner à plein. Car force est de constater hélas qu'à force de tourner si fort, ce moteur a épuisé tout son carburant et usé ses ressorts.
Le crédit n'est propice que s'il répond à un objectif pragmatique, s'il fait espérer un vrai retour sur investissement et s'il est gagé par des risques raisonnables. La surconsommation et le productivisme auxquels on a assisté ces derniers temps étaient de plus en plus dépourvus de ces qualités. Ce fut une vraie fuite en avant, poussant à aller de plus en plus vite et de plus en plus fort, attisée d'un côté par l'exigence de tout avoir et de tout payer au moindre prix, et de l'autre par une productivité effrénée assurant une offre sans cesse renouvelée et une rentabilité maximale. Lequel entraîna l'autre c'est bien difficile à dire, toujours est-il qu'aujourd'hui, si la balance est cassée c'est au moins autant par excès d'offre que par défaut de demande et les responsabilités paraissent à tout le moins très largement partagées.
Et l'impression qu'on retire avant tout à la vue des accumulations considérables de biens de consommation attendant en vain une clientèle, est que le fameux marché est parvenu au moins temporairement à saturation.

Le plus fort est que ce résultat devrait plutôt satisfaire les anti-libéraux, alter-mondialistes, écologistes et Malthusiens de tout poil. Aujourd'hui le règne de la bagnole semble sérieusement mis à mal, on consomme moins de pétrole et de matières premières, la société paraît mettre un frein à sa frénésie compulsive de consommation, et la croissance tend vers zéro. Au surplus, par la force des choses, les patrons sont contraints de faire profil bas, et les maudits actionnaires boivent le bouillon...
Pourtant, par un paradoxe étonnant ce sont les plus acharnés anti-capitalistes qu'on entend le plus crier au scandale et réclamer une relance « par la consommation », pour revenir au bon vieux temps en somme...
Evidemment, ils n'avaient sans doute pas pensé que le coup de frein sur l'économie se traduirait aussi par quelques turbulences sur le marché de l'emploi...


En définitive, cette crise est peut-être le séisme annonçant l'entrée dans un nouveau monde, plus sage, plus raisonnable, plus équitable et en définitive, plus intelligent. A condition que chacun prenne ses responsabilités, qu'on n'attende pas tout de l'Etat, et qu'on ne bride surtout pas la Liberté d'entreprendre... Ce n'est pas vraiment le chemin qu'on prend...

12 février 2009

The Union must be preserved...


Un prénom de prophète pour un destin de patriarche.
Abraham Lincoln (1809-1865) dont on fête le 12 février l'anniversaire, et cette année le bicentenaire de la naissance, fut en quelque sorte le père de la Nation Américaine. Il fut celui qui parvint à vraiment sceller, au prix d'une guerre civile et de sa propre vie, ce projet titanesque, élaboré par quelques colonies anglaises en mal d'indépendance, 20 ans avant sa naissance (George Washington fut élu premier président le 4 mars 1789), et qui faillit s'effondrer faute de fondations suffisamment cohérentes.
Élu en 1861, avec 40% des voix seulement, à la faveur des divisions régnant dans le Parti Démocrate, il avait acquis une stature nationale quoique nettement minoritaire, avec des positions clairement anti-esclavagistes. En 1858, il se désolait en effet : «Une maison divisée contre elle-même ne peut rester debout. Je crois que ce régime ne peut se prolonger de façon permanente, mi-esclavage, mi-liberté.»
Précisons que jusqu'à cette date, le délicat problème de l'esclavage avait été solutionné de manière plutôt hypocrite : le compromis étonnant du Missouri en 1820, avait en effet circonscrit à la latitude de 36°30, la limite des états autorisés à le pratiquer !
A l'époque, les USA en pleine expansion, voyaient régulièrement leur territoire s'agrandir grâce à de nouveaux états gagnés vers l'Ouest. Tant qu'ils rentraient dans la Fédération par couple, l’un au dessus, l’autre au dessous de la ligne ainsi définie, l’accord, bien que boiteux, fonctionnait tant bien que mal. Mais l’acquisition de nouvelles terres en Floride, puis surtout de celles achetées au Mexique, principalement situées au dessous du tracé fatidique, entraîna un déséquilibre croissant et fit craindre que s’affirma tôt ou tard la suprématie d’un modèle sur l’autre.
L'élection de Lincoln précipita quasi instantanément le cours tragique du destin. Avant même la prise de fonctions du nouveau président, la Caroline faisait sécession, le 20 décembre 1860. Ce furent bientôt 12 Etats confédérés qui affirmèrent leur volonté de divorce, se regroupant sous la houlette d'un président élu par leurs soins, Jefferson Davis, et avec une nouvelle capitale, Richmond en Virginie.
La quasi totalité du mandat de Lincoln fut consacrée à ses efforts pour gagner l'effroyable guerre civile qui s'ensuivit. Il y mit tant d'énergie qu'il est bien difficile de trouver la trace de quelque autre action significative dans les diverses biographies et récits historiques de cette époque. Même l'abolition de l'esclavage passa au second plan, puisqu'il ne l'entérina qu'en 1863, quelques mois avant la bataille de Gettysburg qui marqua le tournant décisif du conflit.
Il faut dire que l'affaire semblait de prime abord mal engagée pour les Etats loyalistes. L'intrépidité des troupes sudistes et leur détermination faillit vraiment mettre à mal l'Union, et les Yankees ne parvinrent à s'imposer qu'au terme d'effroyables combats faisant plus 600.000 morts (sur une population de quelques trente millions d'âmes).
Le premier mérite de Lincoln fut d'avoir poursuivi contre vents et marées un seul et même but : préserver l'Union à tout prix. Le second fut d'adopter lors de la victoire, une attitude magnanime, refusant notamment de juger pour trahison le général sudiste Lee et accordant aux vaincus meurtris la même attention qu'aux vainqueurs harassés : « Sans malveillance envers personne ; avec compassion pour tous ; avec fermeté dans la poursuite du bien, tel que Dieu nous donne de le voir, efforçons-nous de mener à terme l’œuvre que nous avons entreprise ; de panser les plaies de la nation ; de veiller sur celui qui a porté le poids de la bataille, sur sa veuve et sur son orphelin… de faire tout pour défendre une paix juste et durable, parmi nous et avec toutes les nations. »
Hélas cette grandeur d'âme n'empêcha pas le Sudiste aigri John Wilkes Booth de l'assassiner lâchement d'une balle dans la nuque, alors qu'il assistait à une représentation théâtrale, quelques jours après le début de son second mandat, le 14 avril 1865.
En quatre petites mais terribles années, Lincoln avait toutefois atteint son but : sceller solidement l'Union Américaine. Sa mort tragique ne fit que renforcer cet acquis en illuminant l'homme d'une aura quasi surnaturelle.

10 février 2009

The Paul Butterfield Era


Comment ai-je pu passer si longtemps à côté du Paul Butterfield Blues Band ? C'est une question que je me pose tout à coup en écoutant un disque déniché au petit bonheur : The Elektra Years.

Une vraie claque tellement ce blues urbain me va droit au coeur et avec lui tout le parfum capiteux des années soixante. Un genre de Chicago Blues mâtiné d'accents rock et d'une lampée de langueur hippie. Où des petits blancs rêveurs s'emparent indécemment du beat souverain des cueilleurs de coton, et lui donnent des prolongements inattendus en extrayant de son jus, d'acides saveurs électriques. Des complaintes poignantes noyées dans les riffs stridulants des guitares, mais adoucies par le baume ensorcelant de l'harmonica. Un bonheur indicible. Walkin' by myself...

Une sorte de modernité teintée de solitude erratique, dans un monde à peine sorti des affres des grandes guerres et saisi du vertige enivrant mais un peu vain du progrès technique. De nouveaux Musset en proie à un nouveau mal du siècle en quelques sorte; le pendant musical des pérégrinations éblouies et un peu désespérées des Beatniks.


Hélas, ce désordre de l'âme a été payé très cher. Combien de ces bluesmen échevelés furent emportés au cours de leur quête trompeuse des paradis artificiels ? Après une carrière météorique, Paul Butterfield est mort d'overdose en pleine décrépitude à 45 ans en 1987, Mike Bloomfield en 81 avant même la quarantaine... Reste encore le bon vieux Elvin Bishop qui perpétue ces instants magiques.

Rêvons encore un peu, c'est si bon.

25 janvier 2009

En finir avec l'Idéologie


Beaucoup de gens croient connaître Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne (1918-2008). En réalité, sa pensée fut infiniment plus complexe que l'anti-communisme primaire auquel certains ont voulu le réduire. Il ne fut pas non plus le moujik arriéré et quelque peu illuminé, refusant en bloc le progrès matériel et l'idéal démocratique du monde occidental.
C'est ce qu'explique avec brio Daniel J. Mahoney dans un ouvrage très pénétrant. En montrant qu'avant tout, Soljenitsyne fut l'ennemi juré de l'Idéologie.
Ce maitre mot derrière lequel les totalitarismes cachent habituellement leur nature perverse représente pour l'écrivain russe la plus grande calamité à laquelle les hommes puissent se trouver asservis. Car l'idéologie après avoir tué tout esprit critique, ouvre la porte au fanatisme. Pour la servir en effet, tout est permis, en premier lieu le mensonge et la certitude immanente d'avoir raison, rien ne pouvant s'opposer au progrès de « la cause », définie ex abrupto. La raison n'a pas plus de place que les états d'âme dans cet infernal engrenage. Ainsi « le régime soviétique a détruit les choses et souillé le pays avec la même insouciance absolue qu'il a tué des personnes... »
En définitive, « l'idéologie est la théorie sociale qui aide le scélérat à blanchir ses actes à ses propres yeux et à ceux d'autrui, pour s'entendre adresser non pas des reproches ni des malédictions mais des louanges et des témoignages de respect. C'est ainsi que les Inquisiteurs s'appuyèrent sur le christianisme, les conquérants sur l'exaltation de la patrie, les colonisateurs sur la civilisation, les Nazis sur la race, les Jacobins d'hier et d'aujourd'hui sur l'égalité, la fraternité, le bonheur des générations futures. »
Fait capital, pour Soljenitsyne les crimes commis par les serviteurs zélés de l'idéologie ne peuvent être détachés de l'idéologie même. Ainsi, « il est impossible de répéter le sophisme insidieux mais courant, selon lequel le communisme est bon en théorie mais un échec en pratique ». C'est pour cette raison qu'en dépit de l'effondrement de ce système auquel l'écrivain ne contribua pas peu, il resta jusqu'à la fin de sa vie dubitatif sur l'avenir : « Le communisme est peut-être mort mais l'inclination ou l'élan utopique ou idéologique demeure. »
Sauf bien sûr si les êtres humains tirent enfin les leçons du passé. Car comme le rappelait Raymond Aron : « ce que nous enseigne notre siècle, c'est le piège mortel de l'idéologie, l'illusion de transformer d'un coup le sort des hommes et l'organisation des sociétés par la violence. »
Soljenitsyne ne s'arrête toutefois pas au seul combat contre l'idéologie. Aux dogmes inhumains qu'elle impose d'en haut, il oppose un modèle réaliste, humble et ascendant, fondé sur la liberté et la responsabilité des individus. Pour lui, « la démocratie doit peu à peu patiemment et solidement, se construire par en bas. »
En l'occurrence, Daniel Mahoney analyse en détail la dilection de l'écrivain pour le modèle de self-government fondé sur la participation et l'engagement direct des citoyens au sein d'assemblées communales comme en Suisse, ou de Town-meetings comme aux USA. Il rappelle également la sympathie qu'il éprouva pour Stolypine qui tenta d'installer en Russie, avant que survienne la révolution, une république de petits propriétaires terriens.
Dans cet exercice local, « de terrain », de la liberté, l'auteur de l'Archipel, ressentit toutefois comme essentiel, le recours à l'auto-limitation : « Si nous ne voulons pas nous retrouver déracinés par un pouvoir contraignant, chacun doit se mettre à lui-même un frein .../... La liberté humaine va jusqu'à l'auto-limitation volontaire pour le bien d'autrui ». Cette conception relève d'un libéralisme très pur, assez proche en somme de celui de Tocqueville. Teinté parfois d'une touche de malthusianisme, tant il craignait qu'en l'absence d'auto-limitation, le monde finisse par encourir de grandes catastrophes notamment écologiques.
Dernier élément caractérisant de manière très forte la pensée de Soljenitsyne, c'est bien sûr une foi immense, basée sans ambiguïté sur le sentiment religieux et l'espoir en Dieu. De son propre aveu, Soljenistyne trouva la force incroyable qu'il manifesta pour résister aussi opiniâtrement à un destin implacable, dans la foi chrétienne et dans les secours exceptionnels qu'il estima avoir reçus d'en Haut. C'est sans nul doute cette profonde aspiration qui le poussait à ne pas confondre progrès moral et progrès technique. C'est aussi cette foi qui lui faisait attacher autant de valeur au repentir : « le repentir est un don à la portée de tous les êtres humains qui sont parvenus à se connaître eux-mêmes. Il offre une opportunité de concorde civile et de développement spirituel à laquelle, hélas, les hommes sont trop disposés à résister. » Soljenitsyne déplorait notamment que jamais ne soit exprimé le moindre repentir faces aux abominations du communisme.

De cette belle réflexion, on retient la profonde humanité de ce géant des lettres que fut Alexandre Soljenitsyne et sa propension extraordinaire à ne jamais désespérer. Le Monde saura-t-il se souvenir de son grand exemple ? Saura-t-il éviter que se referment à nouveau les pièges qu'il a si magistralement ouverts ? Saura-t-il enfin comprendre que la morale est avant tout individuelle et qu'il est vain de vouer aux gémonies tel ou tel groupe humain au seul motif qu'il dévie des canons de telle ou telle idéologie ? : « Ah si les choses étaient si simples, s'il y avait quelque part des hommes à l'âme noire se livrant perfidement à de noires actions, et s'il s'agissait seulement de les distinguer des autres et de les supprimer ! Mais la ligne de partage entre le bien et le mal passe par le cœur de chaque homme. Et qui ira détruire un morceau de son propre cœur ? Au fil de cette vie, cette ligne se déplace à l'intérieur du cœur, tantôt repoussée par la joie du mal, tantôt faisant place à l'éclosion du bien. Un seul être et même homme peut se montrer très différent selon son âge et les situations où la vie le place. Tantôt il est plus près du diable, tantôt des saints.»

"Alexandre Soljenitsyne. En finir avec l'idéologie" par Daniel J. Mahoney, Fayard/Commentaire 2008

23 janvier 2009

Foules sentimentales


Deux jours après l'évènement « historique », je relis à tête reposée le discours prononcé par Barack H. Obama, lors de son investiture, qui a fait pleurer Miss France, et mis en liesse les foules sentimentales. Certes il est remarquablement écrit, clair, vigoureux et parfaitement adapté à la situation.
Mais je ne peux m'empêcher d'essayer d'imaginer ce qu'on aurait dit si certains de ses termes avaient été prononcés par George W. Bush.
D'emblée il s'inscrit en effet dans le ton le plus conservateur qui soit : « Nous le Peuple, sommes demeurés fidèles aux idéaux de nos ancêtres et à notre constitution ».
Il est empreint de la magnificence de l'Amérique : «
Nous réaffirmons la grandeur de notre nation en sachant que la grandeur n'est jamais donnée mais se mérite. Dans notre périple nous n'avons jamais emprunté de raccourcis et ne nous sommes jamais contentés de peu. Cela n'a jamais été un parcours pour les craintifs, ceux qui préfèrent les loisirs au travail ou ne recherchent que la richesse ou la célébrité. »
Au sujet de son pays, le nouveau président manie d'ailleurs sans complexe les superlatifs : «
Nous demeurons la nation la plus prospère, la plus puissante de la Terre. »
S'agissant de la marchandisation de la société, il est on ne peut plus clair : «
La question n'est pas non plus de savoir si le marché est une force du bien ou du mal. Sa capacité à générer de la richesse et à étendre la liberté est sans égale. »
En terme de politique étrangère, il s'exprime comme un conquérant : « A tous les peuples et les gouvernants qui nous regardent aujourd'hui.../... sachez que nous sommes prêts à nouveau à jouer notre rôle dirigeant. » Et de ce point de vue, le Boss tient à faire savoir qu'il n'aura ni état d'âme, ni faiblesse : « Nous n'allons pas nous excuser pour notre façon de vivre, ni hésiter à la défendre, et pour ceux qui veulent faire avancer leurs objectifs en créant la terreur et en massacrant des innocents, nous vous disons maintenant que notre résolution est plus forte et ne peut pas être brisée; vous ne pouvez pas nous survivre et nous vous vaincrons. »
Même s'il est moins explicite en termes de bien et de mal que son prédécesseur, sa conception est à l'évidence inspirée des mêmes principes : « A ceux parmi les dirigeants du monde qui cherchent à semer la guerre, ou faire reposer la faute des maux de leur société sur l'Occident, sachez que vos peuples vous jugeront sur ce que vous pouvez construire, pas détruire. »
Enfin pour Barack Obama, la force de l'Amérique vient de la ferveur de ses habitants et nul doute, pour lui c'est Dieu qui les inspire : « Quoi qu'un gouvernement puisse et doive faire, c'est en définitive de la foi et la détermination des Américains que ce pays dépend. » et « C'est la source de notre confiance, savoir que Dieu nous appelle pour forger un destin incertain. »
Et il termine en véritable apothéose messianique: « Et avec les yeux fixés sur l'horizon et la grâce de Dieu, nous avons continué à porter ce formidable cadeau de la liberté et l'avons donné aux générations futures. »


Il faudra juger le nouveau président à ses actes naturellement, mais il est fascinant encore une fois, de constater la versatilité des foules, prêtes à couvrir d'opprobre les uns et encenser les autres en fonction de critères si aléatoires ou insignifiants. Hier tout était laid, aujourd'hui tout est beau. .. Pourquoi tant d'excès et tant d'esprit moutonnier, à une époque où toute l'information est accessible à chacun, et où l'on pourrait enfin espérer accéder à la Raison ? Mais c'est vrai, le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas...
Photos: New York times et Usa today

19 janvier 2009

S'il n'en reste qu'un...


De la belle brochette de présidents rassemblés à la Maison Blanche lors d'un déjeuner organisé avant son départ par l'actuel occupant des lieux, combien laisseront une réelle empreinte dans l'histoire ?

S'il ne devait en rester qu'un, pas grand monde aujourd'hui ne parierait sur la personne de George W. Bush assurément. A peine plus d'un quart des Américains conservent paraît-il, une image favorable de lui. En France, je n'ose imaginer être quasi le seul à en dire encore du bien. Qu'importe après tout, quitte à passer pour le dernier des Mohicans, je persiste et signe, à l'instar de Maurice G. Dantec, qui dans Le Point n'est guère embarrassé de donner une opinion tranchant avec le consensus généralisé.

Un fait est certain : au moment de quitter la Maison Blanche, M. Bush peut se lamenter sur au moins un échec : il n'aura pas réussi à endiguer le flot des idées reçues qui l'ont assailli et poursuivi depuis le tout début de son mandat, et jusqu'à son terme.
Il partait avec un lourd handicap. Au moment de prendre ses fonctions en 2000, l'opinion publique le considérait comme l'héritier idiot et inculte d'une famille détestable, enrichie dans le commerce du pétrole. Il était qualifié par les mêmes, de « boucher texan » au motif que l'Etat dont il était gouverneur (élu et réélu), était celui qui comptait le plus grand nombre de condamnations à mort.
Huit ans après, les critères de jugement ne se sont guère affinés. M. Bush est désormais aux yeux de ces censeurs sans nuance, le « plus mauvais président de l'histoire des Etats-Unis ». Son bilan est rituellement présenté comme désastreux, catastrophique, et toutes ses actions résumées d'un seul qualificatif : épouvantable gâchis.

Au bout du compte, ce qui frappe le plus dans le destin étonnant de cet homme, c'est la haine féroce qui s'est sans cesse acharnée sur lui. Rien n'y a fait. Quelque action qu'il fit, elle l'a accompagné avec une incroyable constance.
Fait au moins aussi étonnant elle ne l'a jamais empêché d'agir « comme si de rien n'était », ni même de recueillir, envers et contre tout, de beaux succès populaires. Deux ans après son élection, qu'une foule déchainée qualifiait de « volée », il était solidement et sans ambiguïté légitimé par le scrutin de mid-term en 2002. En 2004, à l'issue d'une campagne marquée par un des plus formidables déferlements d'hostilité primaire jamais vus, au moment où l'aventure irakienne tournait à l'enlisement, il était réélu brillamment.

Sans refaire l'histoire de ce double mandat, plusieurs caractéristiques qui en font un épisode à nul autre pareil, méritent d'être soulignées :
Présenté comme un personnage plutôt falot et sans envergure, M. Bush aura été confronté à des circonstances extrêmement difficiles. Il prit ses fonctions dans le contexte d'une crise économique sévère, hérita du problème irakien qui n'en finissait pas d'empoisonner la Communauté internationale depuis dix années, reçut de plein fouet le choc du terrorisme islamique qui avait prospéré à l'abri de l'angélisme clintonien et onusien. A peine eut-il le loisir d'enregistrer quelques succès sur ces fronts qu'une nouvelle crise financière venait assombrir l'horizon.

A côté du parcours semé d'embûches de George Bush, celui de Bill Clinton pourrait passer pour une vraie sinécure : porté par une vague de prospérité à laquelle il n'était pour rien, il ne connut de vraie crise interne que celle engendrée par ses frasques extra-conjugales avec Monica Lewinsky, et à l'extérieur, celle de l'ex Yougoslavie, qu'il solutionna, non sans une certaine efficacité, à coup de bombardements. Certes il eut au moins la sagesse de ne rien entreprendre qui put compromettre le cours favorable des évènements, mais cela le conduisit à une sorte d'inaction qui l'amena entre autre, à minimiser la menace représentée par Al Qaeda et à renier l'essentiel de son programme, notamment toutes les mesures sociales qui font d'habitude vibrer si fort le puissant lobby intellectuel des bobos gauchisants.

George Bush, lui, fit tout son programme et bien au delà.
Pour enrayer les effets du krach de 2001, il procéda aux réductions massives des prélèvements obligatoires qu'il avait annoncées. Les amis de l'impôt hurlèrent comme toujours qu'il favorisait les riches. N'empêche, des emplois furent créés par millions et la croissance américaine resta bien au dessus de celle de nombreux pays européens dont la France. Certes les Etats-Unis sont aujourd'hui lourdement endettés, et à nouveau en crise, mais ils ont gardé une réactivité qui leur permet d'être relativement optimistes. Le taux de chômage qui avoisine les 7,5% est pour eux catastrophique mais il serait qualifié de succès en France...
S'agissant du terrorisme, il est incontestable que l'Administration Bush a accompli une oeuvre considérable. Aucun attentat ne s'est reproduit sur le sol américain depuis celui, effroyable, de 2001, et surtout, la cohésion des organismes chargés de lutter contre ce fléau a été considérablement renforcée. Grâce aux liens internationaux que son administration a également contribué à resserrer, l'information circule beaucoup plus vite et beaucoup de machinations ont même pu être annihilées dans l'oeuf, principalement en Europe.

On glosera encore longtemps sur l'intervention militaire en Afghanistan et encore plus sur celle en Irak. Mais même si les motifs et les explications donnés étaient quelque peu galvaudés, même si des erreurs ont été commises (la bannière prématurée et plutôt niaise « Mission Accomplie !», et surtout la gestion de l'après-guerre), il s'est agi dans les 2 cas de campagnes militaires brillantes. Surtout, elles ont permis à deux pays tyrannisés d'accéder au statut de nation libre. Leur avenir dépend désormais avant tout d'elles-mêmes, mais aussi de l'aide que voudra bien leur apporter la communauté internationale. Rien ne serait pire que d'abandonner la partie. Même s'il persiste des menaces, et si l'islamisme reste un danger inquiétant, le Moyen Orient change. La Libye et la Syrie ont édulcoré leur dictature. Beaucoup de pays et d'émirats du Golfe entrent de manière éclatante dans le XXIè siècle, convertissant la manne pétrolière en fascinants projets architecturaux, touristiques et culturels.

En matière sociale, contrairement au dogme qui fait de M. Bush un chantre de l'ultra-libéralisme marchand, un certain nombre d'actions significatives furent menées à bien. Celle dont il est le plus fier est le vaste programme de lutte anti-SIDA et anti-paludisme en Afrique. Jamais l'Etat américain n'avait lancé d'opération de si grande envergure financière. Peu de gens le reconnaissent mais les témoignages de personnalités peu suspectes de connivence, telles que Bob Geldof et le chanteur du groupe U2, Bono sont éloquents.
On pourrait également évoquer dans son pays, les mesures prises en matière de Santé, pour améliorer la prise en charge des médicaments (Medicare), et celles destinées à améliorer le niveau éducatif des enfants par le programme No child left behind.

Au total, le bilan de George Bush est loin d'être aussi calamiteux qu'on le présente habituellement. Au surplus, ce président qui a été copieusement insulté, calomnié et accusé à tort des pires turpitudes, a toujours conservé dans toutes les situations, un remarquable fair play. L'épisode récent du lancer de chaussures en Irak a permis une nouvelle fois d'en attester. Il n'a jamais pratiqué l'injure ou le mépris, n'a guère eu recours à la démagogie, et n'a notamment jamais renié ses convictions au risque d'être impopulaire. Son parler a toujours été simple et franc. Face à la crise actuelle par exemple, contrairement au président français faisant de grands moulinets moralisateurs et accusateurs à l'encontre du libéralisme et du capitalisme, il a réaffirmé lui, son attachement à la liberté d'entreprendre et a justifié l'aide de l'Etat par le seul souci pragmatique et l'urgence de la situation, en se gardant de brandir la moindre considération idéologique.
En matière d'entourage professionnel ses choix plutôt avisés, ont toujours répondu à un souci d'efficacité plus que d'épate. A ce titre, il restera celui qui a offert à une femme exceptionnelle, Condoleeza Rice les hautes responsabilités qu'elle méritait, de la manière la plus naturelle qui soit. Sans doute Barack Obama doit-il un peu de son ascension historique à cette manière décomplexée et sans tabou d'agir.
George Bush laissera également à ses proches l'image d'un dirigeant accessible, aux manières dénuées d'artifice ou de clinquant. Les témoignages de son tailleur et de son cuisinier (des Français installés aux Etats-Unis), qu'on a pu voir sur M6 il y a quelque temps, étaient de ce point de vue révélateurs. Il se comportait avec eux comme un simple citoyen, attentif aux moindres détails de leur travail et soucieux de leur famille.

George Bush a très certainement commis des erreurs. Il a démontré des lacunes et s'est rendu coupable de graves maladresses. A cause d'un tempérament à l'emporte pièce, il a sous estimé ou négligé un certain nombre de problèmes; Il a peu contribué à enrayer l'infernale inflation bureaucratique qui menace tous les pays développés. Il serait injuste toutefois de ne pas lui accorder quelques circonstances atténuantes, eu égard à la complexité de la tâche. Si l'histoire lui rend justice en admettant qu'il a fait son devoir honnêtement et qu'il ne s'est pas rendu indigne de sa fonction ça ne serait déjà pas si mal.
Sa plus grave responsabilité fut celle d'avoir engagé les troupes américaines en Irak et donc causé la mort de plus de 4000 d'entre eux. S'il s'avère qu'ils sont tombés pour procurer une vraie émancipation aux Irakiens, personne ne pourra dire que les Etats-Unis ont fait autre chose que poursuivre leur mission de toujours, à savoir faire rayonner la liberté sur le Monde. Et ce ne sera que justice rendue à la mémoire des soldats...

14 janvier 2009

Blue Angel

Dans la morosité d'une époque blasée, épuisée de confort matériel et jamais contente, il y a encore des petits gars qui se démènent et qui croient qu'on peut atteindre l'extase à force d'effort et de foi. John Mayer est de ceux là. Quand sa bouche tordue par un rictus pathétique mâche le blues (my stupid mouth...), et que ses doigts extirpent de la guitare avec une intense gravité (gravity...) des bends déchirants, le public se sent manifestement parcouru de bonnes vibrations. Et lorsque son regard d'ange languissant s'envole vers les hautes sphères, c'est comme si la foule était sous le charme d'une indicible incantation (belief).

Ce jeune homme, à peine trentenaire a déjà une respectable carrière derrière lui. Trois magnifiques albums en studio et une belle palette de sonorités. Se réclamant par sa musique, d'augustes défunts tels Stevie Ray Vaughan et Jimi Hendrix, mais fils spirituel du bien vivant Eric Clapton, il tient assurément des trois.

Très à l'aise en solo avec une simple guitare acoustique, il s'épanouit avec la même apparente et indécente facilité en trio, ou bien encore au sein de jams plus étoffées. Compositeur original il est l'auteur de quelques chansons empreintes d'une touche personnelle très émouvante. Il paraît totalement sincère et d'un naturel confondant, bien en phase avec l'idéal rustique et illuminé du Blues. Si simple et candide est-il sans doute, qu'il a cru bon de se faire tatouer pour se donner une allure, de grosses inscriptions poissardes sur les bras...

Mais la musique est son milieu naturel. Il s'y pâme avec délectation. Il sait merveilleusement jouer de sa voix suave, un rien éraillée, pour faire naître l'émotion, et son toucher de corde est quasi divin. Chaque note, attaquée avec une tranquille certitude, laisse dans l'oreille de subtiles rémanences qui s'évanouissent lentement à la manière d'un délicieux goût de reviens-y...

John Mayer en CD : Room for squares (2001), Heavier Things (2003), Continuum (2008) et un superbe DVD/BluRay enregistré fin 2007 à Los Angeles : Where The Light is.

12 janvier 2009

Hôpital mon amour...


La problématique de la Santé en France, et plus particulièrement celle des hôpitaux est riche de polémiques autant que de réformes.
Passons sur les premières. Elles font couler beaucoup d'encre mais, pour paraphraser le chef de l'Etat*, s'avèrent souvent «
parfaitement déplacées » tant elles se bornent à exploiter l'émotion suscitée par des drames conjoncturels qui ne disent pas grand chose du malaise profond des hôpitaux.
Quant aux réformes, et en s'inspirant encore des récents propos du Président de la République, pas plus que d'argent l'Hôpital n'en a manqué. Mais si les piliers du « meilleur système de santé au monde », sont la proie d'un grand désarroi, ce qui frappe au sein des vastes programmes dits « de modernisation » ou « de simplification » qui ont fleuri depuis des décennies, c'est avant tout l'incapacité chronique à concrétiser de manière pragmatique des solutions. Le dernier n'est d'ailleurs pas achevé, que le gouvernement en propose déjà un nouveau !
Visant une fois encore à réorganiser et à restructurer, cette nouvelle réforme est-elle meilleure que les autres ?
Mauvais augure, le texte commence comme toujours par un incipit ronflant faisant référence obligée aux sempiternels mais creux principes de « simplification », de « modernisation », et « d'égal accès aux soins ». Plus grave, il ne paraît pas s'attaquer aux principaux maux dont souffre le système de santé, à savoir, la centralisation, la bureaucratie et l'irresponsabilité.
La centralisation atteint désormais un point extrême. Elle se traduit par une emprise étatique de plus en plus étouffante, qui bien que théoriquement déconcentrée au niveau régional, s'exprime plus que jamais dans la nouvelle loi.
Comme on pouvait le craindre à la lecture de la kyrielle de rapports qui l'ont précédée, la loi « Hôpitaux Patients, Santé, Territoires » (HPST) s'inscrit dans le grand mouvement concentrationnaire amorcé il y a plusieurs années, et dont elle constitue en quelque sorte le point d'orgue.
Les « Communautés Hospitalières de Territoire » annoncées aboutissent ni plus ni moins à la fusion des hôpitaux en énormes structures tentaculaires desservant des territoires parfois grands comme des départements.
Au mépris du simple bon sens qui veut que les difficultés de gestion et la tendance à accumuler les déficits budgétaires, soient en règle intimement corrélées à la taille des établissements (tous les CHU sont lourdement endettés).
Au mépris également des enseignements de la crise économique actuelle, qui démontre la perversité d'entreprises géantes, ramifiées, opaques et quasi monopolistiques.
En ce sens, poussé par le productivisme, le capitalisme outrancier et le planisme technocratique se rejoignent en une sorte d'étrange oméga kolkhozien...
Dans la nouvelle loi, les Agences Régionales de l'Hospitalisation (ARH) nées en 1996 du funeste plan Juppé, souvent critiquées par Nicolas Sarkozy, sont certes supprimées... Mais elles sont remplacées par de nouveaux monstres: les Agences Régionales de Santé (ARS), qui concentrent encore plus de pouvoir !
Et leur puissance tutélaire répond comme auparavant, au principe désastreux des plans quinquennaux : Schémas Régionaux d'Organisation Sanitaire (SROS), Contrats Pluriannuels d'Objectifs et de Moyens (CPOM)...
Sous cette emprise, la marge de manœuvre des établissements est plus que réduite et leur capacité à démontrer la légitimité de leur existence est laminée par des contraintes assassines. Si la carte sanitaire réglementant le nombre de lits d'hospitalisation a disparu, la moindre activité médicale est désormais soumise à autorisation ministérielle, et doit répondre à des normes de fonctionnement parfois absurdes tant elles contiennent d'exigences.
L'évaluation de la qualité des soins, en dépit d'une très lourde et très onéreuse procédure d'Accréditation mise en œuvre il y a 5 ans par l'Etat, est évaluée « à la louche », au vu de seuils, quotas, et objectifs quantifiés arides et très aléatoires. On a décrété par exemple qu'une maternité réalisant moins de 300 accouchements ou un Bloc Opératoire moins de 2000 interventions par an, étaient forcément nuisibles.
Or rien ne dit que la qualité soit assimilable à la quantité, et dans bien des cas ce principe a des conséquences économiques fâcheuses. Plus une structure est importante plus ses frais de fonctionnement sont élevés, et plus les soins ont tendance à être sophistiqués, donc coûteux. Par exemple, alors que les progrès techniques permettent d'anticiper avec une très grande précision les complications potentielles d'un accouchement, nombre de futures mamans sans problème sont obligées de parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour accoucher au centre hospitalier « de référence ». A titre comparatif, en Hollande, plus d'un tiers des accouchements se déroulent tout simplement... à domicile !
Malheureusement, il semble impossible d'enrayer cette spirale centralisatrice qui agit comme un vertigineux trou noir, et engloutit une à une toutes les structures déclarées par postulat, indésirables.
Seconde plaie, la bureaucratie ne semble en rien réduite par le projet de loi. Au contraire. La gestion hospitalière n'a jamais été aussi ténébreuse, et son organisation interne continue de faire l'objet d'incessants remaniements. Les services médicaux sont en voie de démantèlement. Encouragés successivement mais sans succès à se fondre en Départements ou en Fédérations ils sont aujourd'hui autoritairement regroupés en entités hétéroclites qu'on appelle « Pôles ». Il devient de plus en plus difficile de se repérer au sein de cette machinerie fumante qui découpe en tous sens l'hôpital sans but concret, et sans vraie logique médicale ni économique.
Et le Président de la République qui souhaite que les directeurs soient de « vrais patrons » pour leurs hôpitaux, entérine étrangement un schéma organisationnel dantesque, où les instances administratives toujours plus nombreuses s'enchevêtrent dans un amas inextricable. Un énarque y perdrait son jargon tant les dénominations et les attributions sont changeantes et imprécises : Conseil de Surveillance, Directoire, Conseils Exécutifs, Commission Médicale d'Etablissement, Comité Technique...
Les modalités de financement des hôpitaux sont elles-mêmes de plus en plus complexes. Loin d'avoir simplifié la gestion des hôpitaux, la Tarification à l'Activité (T2A) en vigueur depuis 2004, est venue la compliquer encore. Elle n'est qu'une strate supplémentaire sur le mille-feuilles insondable de la Comptabilité Analytique. Et il faut y inscrire chaque année de nouvelles modalités gestionnaires toujours plus tarabiscotées. Parmi les dernières en date, celle des Missions d'Intérêt Général (MIG) financée de manière illisible, ou des Groupements de Coopération Sanitaires (GCS) aux contours juridiques nébuleux, qui cherchent à marier des statuts inconciliables, notamment public et privé.
Enfin, notre système de santé souffre d'un fléau qui lui est quasi consubstantiel, tant il perdure : l'irresponsabilité. A son origine, sans doute avant tout la croyance solidement ancrée, que la santé comme l'éducation sont gratuites.
Or tout a un coût, et la France s'inscrit dans les 4 pays les plus dépensiers au monde en la matière. Sauf erreur elle ne dispose pas encore d'une corne d'abondance déversant ses bienfaits sans limite.
On a vu que les frais de fonctionnement du système de santé hospitalier, de plus en plus administré, réglementé et planifié ne cessent d'augmenter.
De leur côté, les médecins rechignent trop souvent à participer à la nécessaire évaluation du rapport coût-efficacité des soins. A force de refuser comme on l'entend souvent, de considérer la santé comme une marchandise, ils risquent de précipiter l'avènement d'une maîtrise purement comptable qui serait la pire des solutions. Rien de précis hélas n'est entrepris pour faire comprendre au corps médical qu'il faut adapter les soins avec bon sens en fonction de l'état des patients et des finances disponibles. hélas, les fameuses délégations de gestion et la contractualisation interne, annoncées depuis la réforme hospitalière de 1991, restent plus que jamais dans les limbes de la technostructure. En bref, elles n'ont d'existence que théorique...
Les patients ne sont pas davantage responsabilisés. Au contraire, dans le souci démagogique d'éviter l'augmentation des cotisations à la Sécurité Sociale, le gouvernement a décidé de taxer les mutuelles privées pour renflouer le gouffre financier du régime obligatoire. Il y a beaucoup d'hypocrisie dans ces mesures qui n'agissent de toute manière que comme expédients. Rien n'y fait. Ni le ticket modérateur, ni les franchises, ni le déremboursement d'un nombre croissant de médicaments, ni l'obligation de recourir aux génériques, ni l'obscur et inextricable « parcours de soins coordonné » ne permettent de solutionner le problème, faute d'oser dire la vérité : un système d'assurance ne fonctionne de manière optimale que lorsque les assurés ne recourent pas trop souvent à ses prestations. C'est tout le contraire à quoi on assiste, avec la montée irrésistible du consumérisme médical. Et la position monopolistique de la Sécurité Sociale n'arrange rien...
Enfin la tutelle rigide de l'État, l'obsession sécuritaire, et la manie de légiférer à tout bout de champ, ont considérablement freiné le développement de quantité de dispositions qui auraient permis de dynamiser la politique de santé.
La Télémédecine qui devrait éviter à nombre de patients d'être transférés loin de chez eux, est en France très sous-exploitée. Il y a peu de chance que la concentration qui s'annonce soit propice à son développement. Aujourd'hui, la plupart des hôpitaux ne parviennent toujours pas à communiquer entre eux ou avec les médecins installés en ville, par le biais d'outils électroniques. On en est encore à adresser les documents médicaux par courrier, mis sous pli et affranchis « à l'ancienne »... Toutes les expérimentations pilotées par l'Etat ont été dans le domaine des échecs cinglants: Réseau Santé Social (RSS), Dossier Médical Personnel (DMP)...
Paralysée par une crainte sans fondement, la France a renâclé à déléguer certaines tâches de soins au personnel paramédical, comme l'ont fait beaucoup de pays développés. Résultat, les délais d'attente s'allongent vertigineusement dans certaines spécialités et on s'aperçoit qu'il n'y a pas assez de médecins, ou qu'ils sont mal répartis sur l'ensemble du territoire.
Confronté à ce problème, l'Etat s'apprête à mettre en oeuvre un effrayant système contraignant les jeunes médecins à s'installer selon les règles d'une planification nationalisée. Tout porte hélas à croire que cette attitude dirigiste sera inefficace et contribuera à faire grandir la démotivation des praticiens.

En définitive, ce nouveau projet de loi « Hôpital, Patients, Santé, Territoires », suscite une immense déception. Quand on aime l'hôpital, qu'on a fait le choix d'y faire carrière parce qu'il représentait l'excellence, on ne peut que souffrir de le voir ainsi vitrifié sous une chape administrative aussi désespérante. Plus de 100 pages de dispositions pour ne faire in fine, que conforter la logique responsable des inquiétantes convulsions qui le parcourent depuis tant d'années !
Contrairement aux annonces rassurantes du président de la république, on ne voit pas bien comment les hôpitaux auront « davantage de liberté pour s'organiser». Et l'espoir s'éloigne de voir émerger un système décloisonné, déconcentré laissant à chacun l'initiative de mener à bien ses projets, sous la seule réserve d'être efficient et viable économiquement. Tout comme s'enfuit la perspective d'une répartition équilibrée, graduée des soins, basée sur l'exploitation avisée de la télématique, et reliant des structures de taille moyenne, obéissant à des modalités de gestion souples, fondées sur l'autonomie et l'émulation. Enfin, s'évanouit l'idée d'une offre en matière d'assurance maladie diversifiée, responsable, et aiguillonnée par une concurrence non faussée...
* le 9/1/09 lors de l'inauguration du nouvel hôpital civil de Strasbourg

06 janvier 2009

Itinéraires maritimes


Une belle exposition parisienne, sise dans les murs du Musée de la Marine, célèbre pour quelques semaines encore (jusqu'au 2 février), un peintre étonnant : Albert Marquet (1875-1947)

Héritier des Impressionnistes, compagnon de route des Fauves, à cheval sur deux siècles, ce peintre a en définitive laissé une empreinte très personnelle.
Identifiable entre mille en dépit de son apparente simplicité, elle est faite d'une subtile combinaison de rusticité et d'élégance.

Simple, Marquet le fut dans toutes les acceptions du terme. Petit père binoclard, à la vie bien rangée, il ne payait pas de mine. Peu soucieux de la gloire, il n'était pas difficile, ne demandant selon le témoignage de son épouse Marcelle, « que de la tranquillité et de la vie ».

Les quelques 77 tableaux exposés au Palais de Chaillot retracent les « itinéraires maritimes » de cet artiste natif de Bordeaux, amateur de liberté et de mouvement, et qui tout naturellement avait une prédilection pour les voyages et pour l'eau.
De Rotterdam à Alger, des Sables d'Olonne à Saint-Tropez, du Havre à Venise, il parcourut nombre de littorals, cherchant peut-être à vérifier « sur le motif », la formule merveilleuse de Bachelard : « L'eau est un destin essentiel qui métamorphose sans cesse la substance de l'être ».

Ce qui fascine c'est la sûreté du trait et un art consommé du contraste. Devant des lointains brumeux, au dessus de vastes étendues liquides, Marquet n'a pas son pareil pour donner un relief saisissant aux objets qui font la réalité triviale et pesante du monde terrestre : un quai, un pont, un entrepôt, des docks, une digue deviennent les piliers de ces audacieuses constructions picturales. Et même noyés dans des camaïeux de gris ces mornes reliefs ne sont jamais tristes. Il suffit de quelques silhouettes posées ici ou là, évoquant des promeneurs, d'un drapeau flottant au vent, ou du feuillage d'un palmier, pour leur donner vie.

Les bateaux, machines humaines si complexes, sont croqués de quelques coups de pinceau parfaitement maitrisés. Bien enchâssés dans l'eau, ils sont à la fois grossiers et gracieux. Ils glissent avec volupté sur la mer, sur laquelle ils impriment doucement le froissement de leur sillage, donnant profondeur et gaieté au paysage.

Il n'y a pas d'enluminure, pas d'allégorie, pas d'artifice, et ni symbole, ni decorum dans la peinture de Marquet. Seul, le doux et prégnant mystère de la vie qui bouge paisiblement au gré des formes et des couleurs...