29 janvier 2010

Choses vues...


Dans le tumulte de l'actualité :
On reparle des colonnes de Buren.
Alerté par les cris d'orfraie de celui qui en est l'auteur et qui exige qu'on apporte à ses œuvres le même soin qu'à celles de Michel Ange, le ministre de la Culture vient d'ordonner leur restauration intégrale. Près de 6 millions d'euros seront donc nécessaires pour ravaler ces appendices douteux, érigés prétentieusement sur 3000 m2, dans la cour d'honneur du Palais Royal. Un vrai scandale, et une nouvelle offense au bon goût commise avec l'argent des contribuables, par les satrapes de l'Etat. Qui est choqué par ces gabegies financières ?
Dans le brillant mais vain salon médiatique animé par Laurent Ruquier le samedi soir sur France 2 (23/01/10), la ministre des universités, madame Pécresse est interrogée au sujet des méfaits de la pollution. Après avoir révélé que son fils avait été victime d'une bronchiolite qu'elle rapporte sans l'ombre d'un doute aux pestilences urbaines, elle déclare tout de go, que « parfois elle a envie de crever les pneus des 4x4 » ! Bel exemple d'irresponsabilité, pourtant impensable à ce niveau. Comment faire comprendre le sens civique au peuple lorsque les ministres eux-mêmes étalent avec délectation leurs propres fantasmes délictueux. Les propriétaires de véhicules à transmission intégrale ont dû apprécier. Non seulement ils n'enfreignent aucune loi, non seulement leur responsabilité dans la survenue de bronchiolites est plus qu'aléatoire, mais quand bien même le seraient-ils, qu'ils pourraient quand même être estomaqués d'entendre un ministre songer publiquement à se faire justice soi-même...
Lundi 25 janvier, Nicolas Sarkozy sur le plateau de TF1, fait face à un panel d'une dizaine de personnes « représentatives de la société française » (11 exactement). Ou plutôt devrait-on dire des malheurs de la société française. Le Président de la République s'en sort plutôt bien. Sans doute parce qu'il a préparé minutieusement son intervention, sans doute aussi grâce à sa grande habileté à déjouer les pièges de cette prestation d'un genre nouveau. Il fait profil bas, exprime la vigueur et la sincérité de ses convictions, en même temps que son empathie pour les infortunes de ses interlocuteurs, qu'il appelle presque affectueusement par leur prénom.
Pourtant, un fait demeure : même si cette discussion à bâtons rompus passe sans véritable heurt, même si elle a le mérite de s'attaquer aux problèmes quotidiens de nombre de Français, elle n'apporte pas grand chose qu'on ne sache déjà. Surtout elle reste sur le fond très classique; à savoir, un catalogue de lamentations et de récriminations tous azimuts, auxquelles le Chef de l'Etat est tenu d'apporter à chaque fois une réponse précise et définitive. Comme s'il avait le pouvoir d'un coup de baguette, de rendre à tous ces gens le sourire, la joie de vivre et l'espérance, qui semble si tragiquement leur manquer. Autrefois, le Roi pouvait guérir les écrouelles d'une simple imposition de mains. La République moderne a renouvelé le genre mais pas l'esprit. Le Roi avait en lui une parcelle du pouvoir divin, le Président est supposé incarner le pouvoir « absolu, détaillé, régulier prévoyant et doux » de l'Etat-Providence...

26 janvier 2010

Too Big To Fail

Est-ce un revirement dans la stratégie de Barack Obama, face à la crise économique ? Est-ce un vent nouveau, qui annonce une tendance à la déconcentration des entreprises ? Est-ce la fin annoncée de la folle course au gigantisme, qu'on croit parfois mais à tort, inhérente au capitalisme voire au libéralisme (ou pire encore... au capitalisme ultra-libéral) ?
Il est un peu tôt pour le dire mais la dernière proposition du président américain consistant à tenter de réduire la taille des banques, semble une bonne nouvelle pour tout Libéral soucieux d'empêcher les abus de position dominante, et souhaitant préserver une vraie émulation en matière d'économie de marché.
En affirmant « qu'il y a trop de risques concentrés dans de trop grandes banques », et que « Plus jamais les contribuables américains ne doivent être pris en otage par des banques devenues trop grosses pour faire faillite », Obama rejoint en quelque sorte le sénateur John Sherman. Celui-ci fut l'auteur à la fin du XIXè siècle de la première grande loi anti-trust, qui conduisit le président Théodore Roosevelt à casser en 1906 le quasi monopole de la Standard Oil, fondée par Rockefeller.
Il pourrait s'agir d'une petite révolution, après tant d'années pendant lesquelles nombre de gouvernements assistèrent impuissants aux fusions d'entreprises, quand ils ne les encouragèrent pas, au nom de la religion productiviste.

En matière bancaire, non seulement la démesure nuit à la saine concurrence, mais elle a tendance à en compliquer et surtout à en déresponsabiliser la gestion. Les sociétés deviennent si grosses en effet, qu'elles se croient intouchables, et que l'Etat se fait un devoir de les secourir en cas de difficulté, par crainte que leurs déboires n'entraînent en cascade, l'effondrement du système tout entier. Le magazine The Economist pointait dans un récent numéro le fait qu'à ce jour, les quatre plus grandes banques américaines détiennent plus de la moitié des actifs de l'industrie (22/01). Qui peut prétendre rationnellement qu'il s'agisse d'une situation souhaitable ?
Jusqu'à ce jour malheureusement, le credo des Pouvoirs Publics, notamment en France, est pourtant de pousser à la concentration, au nom de l'harmonisation, de l'optimisation des coûts. Le gouvernement a récemment encouragé la fusion de la Caisse d'Epargne avec les Banques Populaires. Il y a quelques années, il avait pesé de tout son poids pour favoriser le rapprochement de la Société Générale avec BNP-Paribas.
Tout récemment, éclatait la polémique au sujet du double salaire et du cumul de fonctions de monsieur Proglio. Or derrière cette affaire, se profile l'alliance étrange des colosses EDF et VEOLIA, qui avait jusqu'à ces tout derniers jours la bénédiction du Président de la République et du ministre de l'Economie.
Banque ou pas, l'adage too big to fail s'applique à tous ces mastodontes. On a vu aux USA, comment les difficultés de General Motors ont contraint le gouvernement fédéral à s'impliquer directement dans le management du géant de l'industrie automobile. En réalité, les exemples sont légions et concernent tous les gouvernements quelque soit leur sensibilité politique. Au surplus, la tendance est identique, s'agissant d'entreprises étatisées. La fusion des hôpitaux ordonnée par la Loi HPST, la chasse aux prétendus « doublons d'activité » et la concentration du pouvoir décisionnel dans de monstrueuses Agences Régionales de Santé, relèvent du même état d'esprit.
La récente initiative de Barack Obama pourrait apporter un peu d'air frais à un univers qui semble en voie de s'asphyxier dans la pléthore et l'inertie. Elle pourrait même, à condition de faire preuve d'optimisme, être de nature à replacer l'Etat dans ses fonctions naturelles de garant des règles du jeu, et non d'entité providentielle chargée de subvenir à tous les aléas de la vie de chaque citoyen. Cela pourrait signifier, non pas le renforcement de l'interventionnisme, mais la simple promulgation de règles de bon sens, permettant précisément d'éviter l'ingérence incessante du gouvernement dans le libre jeu du marché, et l'assistance au fonctionnement du moindre des rouages de la société.
Ce n'est pour l'heure qu'une annonce. Rien ne dit qu'elle sera suivie d'effets. Rien ne dit non plus qu'elle se traduira par une mise en œuvre pragmatique, le risque étant comme d'habitude, d'en faire trop.
On dit ainsi que le président américain souhaite dans la foulée, imposer des contraintes fonctionnelles aux organismes bancaires, leur interdire notamment toute activité de spéculation sur les marchés. Il voudrait également alourdir la charge fiscale, en créant une curieuse «
taxe de responsabilité dans la crise financière ».
Il convient donc de se garder de tout enthousiasme prématuré. Mais l'espoir est quand même permis...

19 janvier 2010

Détresse et fatalité


A chaque fois que se produit un tremblement de terre quelque part sur la planète, me reviennent en mémoire les vers de Voltaire, composés après la survenue de celui de Lisbonne, en 1755.
A l'époque, ce qui insupportait l'écrivain, c'était qu'on puisse voir dans ces catastrophes, la main de Dieu. Soit pour signer une mortelle vengeance, du genre de celle qui ravagea Sodome et Gomorrhe. Soit qu'elle œuvra pour le bien et l'harmonie du monde, tout ici bas devant être périodiquement détruit et reconstruit.
On sait de nos jours qu'en fait de main, elle n'obéit à aucune volonté divine, et ne connaît ni le bien ni le mal. C'est une simple fatalité physique absolument inévitable, celle erratique des plaques tectoniques situées dans les profondeurs de la croûte terrestre. La seule chose qu'on puisse espérer est d'en mieux connaître la mécanique afin de prévoir les séismes.
Pourtant, après les ouragans, après la pauvreté, après les vicissitudes de régimes corrompus, les terribles secousses qui viennent de ravager la région de Port au Prince ne peuvent qu'interpeller, sur la raison des nombreuses infortunes endurées par le peuple haïtien. Établi dans la région idyllique des Antilles, sur la grande île d'Hispaniola, qu'il partage avec le paradis touristique de Saint-Domingue, on dirait vraiment qu'il est poursuivi par une étrange malédiction. Comment un si petit pays peut-il en effet réunir par le seul fait du hasard, autant de calamités ?
Pour l'heure, le monde est saisi de stupeur, et l'émotion est très vive. Mais au delà du nouveau drame qui vient de se jouer, comment embrasser dans une même compassion, la somme de malheurs qui s'abattent régulièrement sur cette terre ? Comment apporter une aide plus durable que celle qui consiste à panser les plaies à vif ? Comment, après avoir aidé à réparer le plus gros des dégâts, réussir enfin à en anticiper la survenue pour les minimiser autant que possible ?
Aujourd'hui on assiste à une surenchère dans la générosité. Les stars du showbiz se pressent pour donner dans un grand tintamarre doré, qui un million de dollars, qui un clip musical pour faire sortir de chacun "un euro symbolique", qui un nouveau téléthon pour amplifier la vague des dons. Pour un peu, on se sentirait tous Haïtiens...
Mais demain ? Tout sera oublié. Haïti retombera dans l'indifférence polie et sera de nouveau livrée à ses vieux démons.
L'impuissance de la communauté internationale est hélas flagrante. L'histoire de l'ex président Aristide est de ce point de vue édifiante. Cette crapule qui se réclamait de Dieu et de la «Théorie de la Libération» (mais fut exclu par le Vatican de la congrégation salésienne en 1988) affirmait en arrivant au pouvoir en 1991, vouloir tirer un trait sur le sombre passé dictatorial des Duvalier, et apporter le bonheur à « la plus ancienne république noire » du monde.
Résultat, il contribua au moins aussi largement que ses prédécesseurs au maintien de son peuple dans le dénuement, la corruption, la violence et la désorganisation.
La France et les Etats-Unis croyant bien faire, s'étaient pourtant impliqués sans ménagement et de concert, pour le soutenir, et notamment le remettre au Pouvoir en 1994 après un premier coup d'Etat, qui l'avait contraint à l'exil quelques mois à peine après sa prise de fonctions.
Après un second mandat aussi calamiteux que le premier, ils durent organiser sa fuite vers l'Afrique du Sud en 2004, alors que le pays était au bord d'un bain de sang.
Non seulement Aristide ne sut pas exploiter les soutiens qui lui furent apportés à plusieurs reprises, mais il accusa les pays Occidentaux d'avoir fomenté les coups d'état et provoqué la misère économique de son pays. Il accusa carrément les Etats-Unis de l'avoir enlevé en 2004 ! Aujourd'hui, il verse des larmes de crocodile sur son pays et annonce son intention de rentrer au pays "pour venir en aide aux victimes". Sinistre comédie...
Depuis 2004, une mission permanente de l'ONU, la MINUSTAH, et nombre d'ONG œuvrent sur place. Pourtant aucun pays, aucun organisme international n'est parvenu à sortir les Haïtiens de leur détresse et à les aider à mettre en place un gouvernement digne de ce nom.
Les palais écroulés témoignent affreusement de la vaine boursouflure du Pouvoir dans un pays où rien ne fonctionne véritablement, et où les calamités naturelles prennent chaque fois des allures de désastres. En 2006, la Banque Mondiale déplorait «l'extrême vulnérabilité face à ces événements, résultant de niveaux de pauvreté élevés, d’une infrastructure inadaptée, d’un environnement dégradé et d’une série de gouvernements inefficaces confrontés à de graves problèmes fiscaux»..
Le constat fait par Bernard Kouchner en mars 2003, rapporté par le site Haïti-Info, était encore plus édifiant : «Haïti, ce fut la première des missions que nous avons menées avec Médecins sans frontières. Déjà, à l’époque, sous Duvalier, c’était dur, très dur. On nous a accusés de n’importe quoi. Des collègues ont été emprisonnés. C’était la belle époque des «tontons macoutes». Je dis belle époque presque sans ironie, par rapport à ce qui se passe maintenant avec le président Aristide. Ce noble ecclésiastique, ancien «curé des pauvres», que, comme tout le monde, j’ai soutenu fortement et que j e connais bien, nous a obligés à avaler tellement d’horreurs en quelques années! Haïti, à ma grande honte, c’est le contre-exemple vivant du droit d’ingérence. Nous y sommes intervenus militairement, en 1994, avec le soutien de l’armée américaine et au nom de l’Onu. Pour la première fois dans l’Histoire, nous avons rétabli un président civil légalement élu dans ses droits, alors qu’il avait été chassé du pouvoir par une junte militaire. Le rêve a tourné au cauchemar, puisque, aujourd’hui, c’est encore pire qu’avant. Si l’on ne se souvient pas de cela, on ne peut pas aider Haïti - et encore moins résoudre le problème de ses enfants esclaves , parce que les Haïtiens sont aujourd’hui dégoûtés de tout. Les tontons macoutes, ces bandes de tueurs à la solde du pouvoir des Duvalier, c’était finalement un peu comme la mafia: on peut composer avec, on sait qui l’on a en face de soi. Mais, désormais, on ne peut plus circuler de l’aéroport de Port-au-Prince à son hôtel sans une garde blindée. Les immigrés n’osent plus revenir et investir parce qu’ils savent qu’ils vont être dévalisés. Par qui? Par tout le monde, y compris par le gouvernement d’Aristide. Haïti détient, avec le Burkina Faso, le record du monde du nombre d’ONG travaillant sur son sol. On y a dépensé beaucoup d’argent. Pour rien. C’est pire qu’avant. Économiquement et, surtout, moralement.»
A cause, en grande partie, de cette incurie chronique, la moindre tempête tropicale fait des centaines de morts et des dizaines de milliers de sans-abri. Le tremblement de terre du 12 janvier, qui dans une ville préparée, devrait ne faire qu'un nombre limité de victimes, risque d'en causer plusieurs centaine de milliers...
Si au moins cette catastrophe pouvait conduire la communauté internationale à offrir une vraie tutelle à ce pays dévasté, si au moins les nations développées pouvaient prendre conscience de l'importance qu'il y a de l'accompagner durablement, et avec détermination pour l'amener sur la voie du vrai progrès. Et pour faire mentir le terrible constat fait récemment par l'économiste d'origine zambienne Dambisa Moyo, pointant sévèrement les lacunes de l'aide internationale et l'accusant in fine de faire plus de mal que de bien.
Mesurant l'ampleur de la tâche, les Etats-Unis semblent décidés à s'installer pour coordonner d'une main ferme cette reconstruction, mais déjà on entend les voix s'élever contre l'impérialisme, contre une nouvelle « occupation »... La misère est-elle donc une fatalité ? Ou bien l'enfer serait-il donc comme on le dit, pavé de bonnes intentions ?
*****
O malheureux mortels! ô terre déplorable!
O de tous les mortels assemblage effroyable!
D'inutiles douleurs éternel entretien!
Philosophes trompés qui criez: "Tout est bien"
Accourez, contemplez ces ruines affreuses
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,
Ces femmes, ces enfants l'un sur l'autre entassés,
Sous ces marbres rompus ces membres dispersés;
Cent mille infortunés que la terre dévore,
Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,
Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours
Dans l'horreur des tourments leurs lamentables jours!
Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,
Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous: "C'est l'effet des éternelles lois
Qui d'un Dieu libre et bon nécessitent le choix"?
Direz-vous, en voyant cet amas de victimes:
"Dieu s'est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes"?
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et sanglants?
Lisbonne, qui n'est plus, eut-elle plus de vices
Que Londres, que Paris, plongés dans les délices?
Lisbonne est abîmée, et l'on danse à Paris.
Tranquilles spectateurs, intrépides esprits,
De vos frères mourants contemplant les naufrages,
Vous recherchez en paix les causes des orages:
Mais du sort ennemi quand vous sentez les coups,
Devenus plus humains, vous pleurez comme nous.

16 janvier 2010

La Connaissance Inutile


« La première de toutes les forces qui mènent le monde est le mensonge. »
C'est ainsi que débute l'un des essais les plus décapants de Jean-François Revel : La Connaissance Inutile. Écrit en 1988, il s'attaque au paradoxe moderne très étonnant, qui voit se multiplier les sources d'informations, et s'en généraliser l'accès, tandis que persiste et semble même s'amplifier, la tendance aux rumeurs, aux interprétations, et à la méconnaissance générale des réalités tangibles.
Lorsque les faits sont exposés au grand jour, que la pluralité des médias permet de croiser les informations pour en vérifier la véracité, et qu'ils restent malgré tout méconnus voire niés, peut-on encore parler d'ignorance ? Ne s'agit-il pas de négligence à s'informer, voire de mauvaise foi ? Il n'est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, dit-on...
« Nul n'est méchant volontairement », prétendait de son côté Socrate, ajoutant «qu'on ne commet de faute que par ignorance ». Mais si cette dernière est devenue quasi impossible à plaider dans une démocratie moderne, la notion de mal reprend alors toute sa signification... Et c'est vers le concept de mal radical kantien qu'il faudrait alors se tourner, pour restaurer un certain Bien, fondé sur la morale et la responsabilité.
Si le propos du livre concerne essentiellement la seconde moitié du XXè siècle, force est de constater que les faits récents semblent confirmer de manière éclatante l'analyse. Un seul exemple: la polémique sur les attentats du 11 septembre 2001. Ces tragiques évènements ont fait l'objet d'une médiatisation extrême. Tout ou presque a été décortiqué, filmé, et rendu public. Des Commissions d'Enquête multipartites ont été formées pour analyser et reconstituer l'enchainement des faits. Leurs conclusions sont aisément disponibles pour tout un chacun. Pourtant, c'est peu de dire que le doute quant aux évènements et plus encore à leurs causes reste solidement installé dans une frange importante de la population.
Dans cette faillite de l'esprit critique, les citoyens sont en l'occurrence naturellement visés par Revel : « Chacun de nous doit savoir qu'il possède en lui cette capacité redoutable de construire un système explicatif du monde et en même temps une machine à rejeter tout effet contraire à ce système », et « Chaque homme incline à penser que sa cause, politique, religieuse ou idéologique, justifie moralement toutes les tromperies. »
Au surplus, c'est le public qui conditionne peu ou prou la qualité de l'information, par l'usage qu'il en fait. C'est par exemple « en chacun de nous, qu'il faut chercher la cause de la suprématie des journalistes peu compétents peu scrupuleux. L'offre s'explique par la demande. »
Cela dit, les Intellectuels, les Enseignants, les Journalistes, les Politiciens sont évidemment les plus sévèrement tancés. Schématiquement, ils devraient mieux assumer la responsabilité morale qui leur incombe (on dit aujourd'hui « l'éthique ») et s'astreindre au devoir d'objectivité. Revel détaille ainsi un certain nombre des missions qui s'imposent à eux et qu'ils remplissent pour l'heure très insuffisamment, voire pas du tout.
En premier lieu, faire en sorte de pérenniser la démocratie.
« La démocratie ne peut pas vivre sans la vérité, le totalitarisme ne peut pas vivre sans le mensonge ; la démocratie se suicide si elle se laisse envahir par le mensonge, le totalitarisme s'il se laisse envahir par la vérité. »
L'essayiste fustige ici tout particulièrement la tendance marquée à la complaisance vis à vis de régimes abjects et plus généralement vis à vis de gens exprimant en paroles ou bien en actes, une haine profonde de la démocratie. Force est de reconnaitre que l'indulgence est particulièrement marquée pour des régimes soi disant "progressistes", revendiquant leur orientation politique à gauche. L'auteur émaille son analyse de nombreuses illustrations, mais une des plus percutantes et des plus actuelles concerne la crédulité opiniâtre manifestée vis à vis de certains dictateurs accusant le monde occidental de tous les maux tout en appelant sans vergogne à sa générosité. Les grandes famines des années passées en Afrique, donnent lieu à une diatribe virulente démontant la mécanique perverse qui trop souvent les sous-tend : « Vous attendez que se mette en route une bonne famine, ce qui, par l'effet stérilisant de votre propre politique agricole, ne saurait manquer de se produire, pour peu que le ciel vous vienne en aide en retenant la pluie. Trois quarts de socialisme et un cas de sécheresse feront l'affaire. Quand la famine est bien installée, vous commencez par la dissimuler un an ou deux au reste du monde, ce qui vous est d'autant plus facile que vous contrôlez tous les déplacements des étrangers sur votre territoire. Vous la laissez se développer, grandir, exploser jusqu'à ce qu'elle atteigne à l'ampleur et à l'horreur qui commotionneront l'opinion internationale. À ce moment-là, vous frappez le grand coup : vous accordez un scoop à une équipe de télévision étrangère. Elle filme un lot de ces enfants décharnés que vous avez savamment multipliés. Diffusée à une heure de grande écoute par une BBC ou une CBS quelconque, le reportage plonge les téléspectateurs capitalistes dans l'épouvante et la compassion. En 48 heures, il fait le tour des écrans de la planète. Simultanément et c'est un élément essentiel de la préparation, vous accusez avec véhémence les gouvernements capitalistes d'avoir intentionnellement refusé ou retardé les secours, parce qu'il ne voulaient pas aider un pays progressiste. Ce réquisitoire est aussitôt repris et orchestré par les organisations de gauche dans les pays démocratiques et par les églises. Les gouvernements occidentaux se retrouvent, en un clin d'oeil, mués en vrais responsables de la famine que vous avez provoquée. L'argent et les dons, publics et privés, affluent du monde entier. »
En réalité Revel pointe ici l'exploitation de la mauvaise conscience de l'Occident. A l'occasion du prétendu réchauffement climatique, sur le dos duquel certains profitent pour mettre pas mal de leur propre incurie et négligence, on peut assister à la mise en branle d'une mécanique somme toute assez proche.
L'intoxication partisane et l'asservissement à l'Idéologie
Revel s'attaque principalement à la sympathie injustifiée dont continue de jouir le Socialisme, et à la tendance durable à occulter les méfaits de cette idéologie et les forfaits des régimes dont il se réclame. Selon son appréciation, il fut un temps ou la malhonnêteté intellectuelle s'exprimait plutôt à droite ou, du moins, était équitablement répartie. « Depuis 1945, cet élément essentiel du bonheur humain est égoïstement monopolisé par la gauche.../.. Quel marxiste songe à constater qu'au long du XXe siècle les injustices sociales se réduisent dans les sociétés capitalistes et s'aggrave dans les sociétés socialistes ? »
Probablement, l'idéal révolutionnaire auquel le socialisme est parvenu à attacher ses étendards explique la mansuétude avec laquelle on le considère généralement, en dépit des horreurs commises en son nom : « les circonstances dans lesquelles s'installe un régime révolutionnaire sont toujours exceptionnelles et défavorables, ce qui interdit de le juger sur ses actes, tout en justifiant ceux-ci. »
Même un authentique rénovateur, tel que Gorbatchev, reconnaissant implicitement par son action, l'échec du régime soviétique, croit bon de le dédouaner quand même, de ses responsabilités écrasantes : « Ce n'est pas au Socialisme que l'on doit imputer les difficultés rencontrées dans leur développement par les pays socialistes » écrivait-il dans son livre publié en 1987, « Perestroïka ». Autant dire que ce n'est pas à l'excès d'eau qu'on doit les inondations...
En définitive, à travers l'histoire du Socialisme, c'est l'assujettissement à l'idéologie que Revel condamne sévèrement : "Qu'est-ce qu'une idéologie ? C'est une triple dispense : dispense intellectuelle, dispense pratique et dispense morale."
"La première consiste à retenir les seuls faits favorables à la thèse que l'on soutient, voire à en inventer de toutes pièces, et annihiler les autres, à les omettre, à les oublier, à empêcher qu'ils soient connus."
"La dispense pratique supprime le critère de l'efficacité, ôte toute valeur de réfutation aux échecs."
"La dispense morale enfin, abolit toute notion de bien et de mal pour les acteurs idéologiques ; ou plutôt, chez eux c'est le service de l'idéologie qui tient lieu de morale."
Il rejoint ainsi la thèse de Camus, développée dans L'Homme Révolté.
Parmi les transgressions de la vérité, Revel flétrit également la manière qu'ont certains d'exploiter une cause juste mais en la dévoyant, jusqu'à attiser les haines et in fine aggraver les choses. Il prend ainsi l'exemple du mouvement SOS Racisme, créé à des fins stratégiques douteuses, et qui a « souvent mené des campagnes dont le message principal était moins l'obligation morale de la compréhension mutuelle entre Français et Africains que l'excommunication des Français en tant qu'infâmes racistes tout juste bons à s'inscrire aux sections d'assaut hitlériennes. »
Cette tactique « va tout à fait à l'encontre du but recherché, si toutefois le but recherché est bien d'améliorer les relations entre groupes d'origines différentes et non de les envenimer pour les exploiter politiquement. »
Comme Julien Benda dans son fameux ouvrage La Trahison des Clercs, Revel ne condamne pas pour autant l'engagement. Ce qu'il demande, c'est que ceux qui s'engagent et qui mettent leur notoriété ou leur influence au service de leurs convictions le fassent avec honnêteté : « Eux surtout, eux avant tout, doivent subordonner l'engagement à la vérité et non la vérité à l'engagement. Ce devoir s'impose encore davantage à l'Enseignant, dont l'auditoire n'a pas le choix entre l'écouter et ne pas l'écouter. Le professeur infidèle à son devoir, ajoute au péché contre l'esprit, celui d'abus de position dominante. »
S'agissant des médias, Revel n'est pas moins clair, mais ce qu'il souhaite, coule de source pour toute personne douée d'un peu de bon sens : « Il serait grand temps que tous les journalistes, et non pas seulement une poignée d'entre eux, se décident à faire enfin pleinement leur seul véritable métier : donner des informations exactes et complètes, et ensuite toutes les opinions, analyses, exhortations et recommandations qu'ils voudront, pourvu qu'elles soient fondées sur ces mêmes informations exactes et complètes. »
Parmi les recommandations, peuvent également s'inscrire les appels à la lucidité et à la capacité d'anticiper. Beaucoup de catastrophes arrivent parce qu'on ne veut pas en voir les signes annonciateurs. Soit par lâcheté, soit par insouciance, combien n'ont pas pu être évitées : « Si la presse américaine des années 30 avait fait mieux connaître à ses lecteurs les textes de Lénine sur l'irréversibilité des conquêtes communistes, les dirigeants occidentaux n'auraient peut-être pas livré aussi facilement à Staline l'Europe centrale et la Corée du Nord, en se contentant de la promesse que l'Union soviétique évacuerait ces territoires après y avoir procédé à des élections libres ou après la signature d'un traité de paix.../... Les mêmes, qui avaient refusé de prendre au pied de la lettre le programme exposé par Hitler avec une grande clarté dans Mein Kampf, se fondaient, pour bâtir l'après-guerre, sur une vision idyllique de l'Union soviétique. »
Enfin, comme pour rappeler de manière obsédante l'incipit de son ouvrage, Revel insiste régulièrement sur l'abomination du mensonge, particulièrement lorsqu'il est inspiré par une attitude partisane et par l'intolérance, ou pire encore, commis au nom du Bien. En matière d'opinion, personne n'est au dessus des autres et « l'intervention de l'intellectuel dans les affaires publiques se déroule sous l'empire de considérations, de pressions, d'intérêts, de passions, de lâchetés, de snobismes, d'arrivismes, de préjugés, d'hypocrisies en tous points semblables à ceux qui meuvent les autres hommes. Les trois vertus nécessaires pour y résister, à savoir la clairvoyance, le courage et l'honnêteté, ne sont ni plus ni moins répandues chez les intellectuels que dans les autres catégories socio-professionnelles. »
« Si par exemple, entre les deux guerres, on retranche les intellectuels qui ont cédé ou bien à la tentation fasciste ou bien à la tentation stalinienne, il ne reste plus grand monde... »
Suivent alors les citations des propos édifiants, issus de nombre de personnes, qui à l'époque faisaient figure de leaders d'opinions bien pensants et ont honteusement abusé des privilèges de leur position pour tenter de tromper le Peuple :
De Gabriel Garcia Marquez, écrivant par exemple, que « les boat people vietnamiens sont de vulgaires trafiquants et se livrent en réalité à l'exportation frauduleuse de capitaux ». Il ne pouvait ignorer que c'était faux. « Sa contrevérité n'est donc pas une erreur de jugement, elle est d'une autre nature. »
Comme l'était « celle de Jean Genet lorsqu'il faisait l'éloge des assassins de la bande à Baader en première page du Monde en 1977. »
De Marguerite Duras, « avertissant dans ces termes le peuple français en 1985 de ce qu'il attend s'ils ne vote pas socialiste en 1986 : « je suis là pour vous le dire : si vous continuez, vous allez vous retrouver devant les épouvantails Gaudin – Pasqua – Lecanuet, et seuls avec eux, et ce sera trop tard. » Ce sera poursuit-elle, l'avènement « d'une société que nous ne voulons plus connaître, plus jamais.../... sans hommes véritablement et profondément intelligents, sans intellectuel, sans auteur, sans poète, sans romancier, sans philosophe, sans vrai croyant, vrai chrétien, sans juif...»
De Berthold Brecht dramaturge adulé par l'intelligentsia, qui à propos des vieux Bolcheviks fusillés au moment des procès de Moscou, n'hésitait pas à déclarer : « ceux là, plus ils sont innocents, plus ils méritent d'être fusillés. »
Des Savants enfin, qui selon Revel n'ont pas de supériorité en dehors du domaine étroit de leur compétence.
De Joliot-Curie par exemple : N'avait-il pas abdiqué toute autonomie intellectuelle, lui qui disait en 1951 : « Placé au centre même des luttes, disposant grâce à ses militants d'une information complète, et armé de la théorie du marxisme, le Parti ne peut manquer de savoir mieux que chacun d'entre nous. »
ACTUALITE
Il est cocasse de trouver dans cet essai datant de plus de 20 ans, des remarques dont l'écho se propage jusqu'à l'actualité la plus récente.
Au sujet des théories portant sur les dérèglements climatiques, Revel faisait notamment allusion aux sornettes décrivant le survenue quasi certaine, vue la dissémination des armes atomiques, d'un hiver nucléaire terrifiant. Il se lamentait sur le fait que seuls de très rares scientifiques osaient remettre en cause ces prévisions hasardeuses. Tout de même, il relevait que : « dans son numéro du 23 janvier 1986, Nature, la première revue scientifique britannique et l'une des premières dans le monde, déplorait le déclin croissant de l'objectivité dans la manipulation des données scientifiques et la désinvolture alarmante de plusieurs chercheurs dans l'affirmation de théories dépourvues de bases solides.../... Nulle part, poursuivait Nature, cette tendance n'est plus éclatante que dans la littérature récente sur l'hiver nucléaire, recherche qui est devenue tristement célèbre pour son manque de probité scientifique. » Aujourd'hui, on sait qu'une bonne partie des experts du GIEC et de l'Université d'East Anglia procèdent de même, au sujet de la théorie du réchauffement climatique...
Ailleurs il brocardait les évidences dignes de monsieur Jourdain, pondues en grande pompe, par soixante-quinze Prix Nobel réunis en 1988 à l'instigation du président de la République François Mitterrand, pour réfléchir sur « Les menaces et les promesses à l'aube du XXIe siècle ». Tirées des 16 conclusions de cette auguste assemblée Revel épinglait quelques savoureuses lapalissades. D'abord, que « toutes les formes de vie doivent être considérées comme un patrimoine essentiel de l'humanité et que nous devons donc protéger l'environnement. » Plus loin, « Que l'espèce humaine est une, et que chaque individu qui la compose à les mêmes droits. », que « La richesse de l'humanité est aussi dans sa diversité. » ou encore que « Les problèmes les plus importants qu'affronte l'humanité aujourd'hui sont à la fois universels et interdépendants.... »
Le plus indulgent commentaire que l'on puisse faire sur cette conférence ironisait Revel, est que, « si elle avait réuni 75 concierges, où 75 coiffeurs, où 75 garçons de café, le résultat aurait probablement été plus original... » Le dictionnaire des idées reçues, des clichés et des pseudo-évidences n'a pas cessé de grossir depuis cette date.
Pour terminer, sur une note presque optimiste, il faut quand même évoquer le paragraphe relatif à la la manière dont fut gérée la crise économique de 1973, « qui montre que les gouvernements des pays les plus développés avaient assimilé en partie les leçons des erreurs commises lors de la crise ouverte en 1929. Ils n'ont pas, comme leurs prédécesseurs, fermé les frontières, relevé les tarifs douaniers, ni joué sans mesure avec les monnaies, toutes fautes qui durant les années 30, avait transformé en cataclysme une simple panne. Voilà donc un exemple où l'expérience acquise a été incorporée à l'action.
Notons cependant que de nombreux dirigeants durant la crise, s'efforcèrent de recourir au keynésianisme dont la science économique avait pourtant dès les années 60 démontré l'inadéquation aux situations nouvelles, et de propager l'hostilité au marché, considéré comme néfaste pour les faibles et les pauvres alors qu'il se révéla seul capable de les sauver de la profonde misère... »
Rien de plus adapté en somme à la situation de ces derniers mois, dont le management par les Grandes Nations et le FMI n'a pas été si mauvais, tandis qu'on assistait à un déluge de réactions véhémentes, largement colportées par les médias, relatives aux méfaits du Mondialisme, du Capitalisme, du Libre-Echange, et exhortant de manière perverse et irresponsable à revenir au protectionnisme et à la centralisation bureaucratique par l'Etat.

10 janvier 2010

Débat or not débat


Doux plaisir que de voir certains intellectuels émérites, d'obédience anti-libérale, s'insurger tout à coup contre l'omnipotence étatique, à l'occasion du débat sur l'identité nationale !
Par l'intermédiaire, de sa chronique au magazine Le Point, le cher Bernard-Henry Lévy a manifestement décidé de s'inscrire en tête de ce nouveau bataillon de la Liberté. Et comme à son habitude, il met généreusement les pieds dans le plat. L'éléphant BHL dans le magasin de porcelaines libérales ça vaut assurément le détour, mais ça ne trompe guère...
Tout de même, quelle jubilation, que de voir l'ardeur avec laquelle il fustige cette nouvelle immixtion étatique ! A ses yeux le débat peut naitre de partout : des comités d'experts, des forums de citoyens, des partis politiques, mais surtout pas de l'Etat. Ce qui le choque : « que ce dernier se substitue à tous ces acteurs, qu'il se réveille un beau matin pour, avec tous ses réseaux, ses préfets, ses moyens, claironner à l'attention des « forces vives » de la nation : « voici le débat qui s'impose, voici de quoi je décide moi, Etat, qu'il convient dorénavant de débattre; et voilà enfin dans quelles limites, sur quel ton, jusqu'à quand ce débat doit se tenir »
Eh oui ! Lui qui avec tant d'autres, recommandait il y a peu le renforcement des régulations pour lutter contre les débordements du Capitalisme, lui qui réclame toujours plus d'Etat pour plus de justice sociale, plus d'égalité, plus de solidarité et tout le toutim, refuse cette fois ce « débat dirigé, encadré, bordé de tous côtés, contrôlé... »
Aurait-il enfin compris l'essence du libéralisme ? Serait-il acquis aux concepts magnifiés par Tocqueville ?
Bien évidemment non. Cette indignation est circonstancielle, visant clairement certains dirigeants avec lesquels il a des comptes à régler, et non le Pouvoir Central en lui même.
D'ailleurs même piloté par l'Etat, l'ancien Nouveau Philosophe trouve le débat encore trop libre. Comme d'autres, s'il souhaite l'arrêter, c'est parce qu'il se focalise sur l'immigration, sujet tabou s'il en est. Pas question, même si les débatteurs en font une si forte préoccupation, d'y accorder la moindre importance. Et honte à ceux qui seraient tenté de le faire. Il faudrait donc occulter les problématiques jugées gênantes par quelques censeurs de la bonne pensée. On voit bien que l'obsession dirigiste n'est pas bien loin...
Qu'à cela ne tienne. Il est possible, une fois n'est pas coutume, d'être presque d'accord avec lui. Quelles pourraient être en somme, les mesures pragmatiques découlant de ce grand défouloir ? Rien hélas. Les problèmes resteront les mêmes et une fois encore, comme BHL le souligne à bon escient, l'idée européenne est éclipsée par ces gesticulations grotesques dont notre pays et si friand.
Comme dans tant d'autres domaines, l'intervention de l'Etat est vaine en matière de débat. On assiste ici à un remue-méninges assez démagogique dans lequel on dit tout et surtout n'importe quoi et où l'on voit comme d'habitude, se radicaliser les positions, la haine et la bêtise, qui plus est, pas forcément issues des citoyens moyens, mais plutôt des « personnalités » (cf les interventions vindicatives d'Emmanuel Todd,
de Badiou, de Cambadélis...)
Evidemment on pourrait quand même être tenté de demander à ces docteurs qui recommandent que cesse le débat d'Etat, ce qu'il faut faire lorsqu'il n'y a de vraie controverse et de réflexion sans tabou nulle part, notamment pas là où on est en droit de les attendre. Lorsque la Presse, les Intellectuels et les Médias se cantonnent aux lieux communs, où pire encore, qu'ils servent de système d'amplification à toutes les niaiseries du conformisme contemporain. Que faire, lorsqu'en guise de débat on ne voit surgir que des polémiques futiles, fondées sur les bévues récupérées avec délectation des bouches célèbres, ou bien montant en épingle de médiocres faits divers ...

06 janvier 2010

De quatre, un tout

Faire des voeux tous azimuts c'est probablement bien. Prenez donc les miens je vous en prie. Mais commencer l'année tout doucement, avec les quatuors de Beethoven, c'est encore mieux : un plaisir rare, propice à faire naitre une nouvelle vigueur et à rêver de bonheurs modestes mais distingués et pénétrants. C'est celui donné en tout cas par le Alban Berg Quartett (abq) qui a enregistré en public ces oeuvres à Vienne en 1989, et qu'on peut réentendre par DVD interposé.

Rarement l'idéal en musique, n'a semblé si proche. L'interprétation est superbe et s'agissant des oeuvres, elles constituent l'un des sommets, probablement insurpassables, du génie humain tout simplement. Comment décrire ces délicates constructions musicales qui s'insinuent dans l'âme, au gré des subtils glissandos des archets, virevoltant au dessus des cordes ? Comment parler de ces térébrantes mélodies, et que dire sinon qu'elles touchent au sublime ? Ces oeuvres distillent une telle grâce, qu'on voudrait pouvoir entrer en osmose avec elles pour atteindre une intemporelle et chaude béatitude. Hélas, même avec des notes issues d'un moule portant l'empreinte de l'infini, le temps s'écoule inéluctablement et le drame existentiel continue de peser même s'il se joue durant quelques instants, des vanités matérielles. Un fragment tombé du Paradis en quelque sorte...

Les derniers quatuors sont sans doute les plus beaux, les plus profonds, ceux qui vont le plus loin dans l'introspection de l'esprit humain. A leur écoute on est saisi d'une mystérieuse émotion, comme si au fond de soi s'épanchaient les pleurs de la mélancolie qui furent aux dires du compositeur lui-même, la source de la bouleversante cavatine de l'opus 130. Beethoven n'était-il donc comme d'aucuns le prétendent, qu'un paquet de chairs mues par un hasardeux mélange d'automatismes électriques et de protéines hormonales ? Fadaise assurément.

Comment ne pas comprendre qu'ici réside à l'évidence une force surnaturelle, liant le génie de l'Homme à l'Indicible, à l'image du doigt d'Adam effleurant celui de Dieu dans le fameux dessin de Michel-Ange ? Comment rester insensible à la magie suave qui émane du long adagio de l'opus 127 ? Plus de dix-sept minutes d'intenses variations sur un thème, au sein desquelles s'interpénètrent les chants extatiques des violons et violoncelle :

Ces violons sont comme des caresses Qui dans le cours ténébreux du temps Portent un message miroitant, Rempli de larmes et de promesses.

Par dessus les terrestres faiblesses Les chants des cordes en s'imbriquant Répandent un baume coruscant Au parfum des célestes sagesses.

Et qui sait si ces accords parfaits Ne sont pas l'avant-goût de bienfaits Tombant d'une adorable immanence,

Et dans la prison du quotidien, S'ils ne sont pas le signe aérien D'une enchanteresse délivrance ?

29 décembre 2009

Méditation


Je suis bien loin d'être un bon Chrétien : ni habité par la douce certitude de la Foi, ni même pratiquant le rite. Mais j'avoue avoir un faible pour les petites églises romanes qui peuplent la Saintonge. Je me suis d'ailleurs fait un objectif personnel de toutes les connaître et de les photographier.
Lorsqu'aux beaux jours le soleil fait régner une chaleur entêtante, j'aime à pénétrer à l'intérieur de ces petits asiles tranquilles. Alentour, tout n'est que silence. C'est à peine si par la porte entrouverte on entend le chant des oiseaux, le crissement opiniâtre des grillons, et quelques bruits familiers mais lointains venant du village ou des champs. Et par les fenêtre et les vitraux, la lumière tombe droite comme l'espérance des âmes simples. Une sereine tranquillité règne.

Pendant ces instants assez éphémères, des foules de pensées traversent ma tête. Je me sens comme si j'étais hors du temps, confronté aux mystères du Monde, au souvenir de ceux qui sont disparus, et au bout du compte à moi même, là en somme, où ni le hasard ni la nécessité semblent n'avoir de sens...


Les églises que je préfère sont les plus petites. Leur humilité les tient à l'écart des trop éclatantes manifestations de dévotion et des vaines célébrations de la comédie humaine. Outre le charme de leur architecture, elles sont l'expression d'une foi rustique et véhiculent une émotion inusable. Que seraient les paysages, que serait l'univers quotidien des hommes sans ces repères discrets et bienveillants qui rappellent le passé tout en éclairant l'avenir ?
Les noms sont à eux seuls une poésie : Aulnay, Ecoyeux, Cherminiac, Corme l'Ecluse, Fontcouverte, Saint Georges des Cloteaux, Retaud, Sainte Gemme, Saint Vaize, Thaims, Villars des Bois...
A Talmont, l'église juchée à flanc de falaise surplombe l'estuaire de la Gironde et fait face au vignoble du Médoc, à Saint-Sauvant il faut gravir une colline qui semble monter au ciel, et emprunter la rue du Paradis, pour atteindre le monument, et de là, dominer la vallée... du Coran !



Détail délicieux enfin, ce sont les myriades de modillons placés sous les corniches comme pour les soutenir et qui narguent le Malin, mais aussi désarment tout sentiment de sérieux ou de vanité que pourrait nourrir celui qui s'apprête à entrer. L'imagination et la liberté d'expression manifestée par les artisans qui au cours des siècles ont illustré ces édifices, ne laissent pas de surprendre. Avec naïveté et humour ces petites figures disent les peurs et les joies. Tantôt des visages grimaçants, tantôt des silhouettes séraphiques, alternent avec un bestiaire fantasmagorique.
Avec à l'esprit ces êtres facétieux, avec ces petits monuments pleins de grâce dédiés à l'Indicible, ces clochers modestes, et ces délicates archivoltes arc-boutées sur les piliers d'une exquise sagesse, je me glisse en douceur et sur la pointe des pieds, le long des derniers jours de l'année... En espérant que ces témoins ancestraux auxquels tant de gens de bonne volonté ont apporté avec le cœur une petite pierre, accompagnent encore longtemps leurs descendants et les aident à surmonter les aléas de la vie et à affronter l'inconnu terrible du destin.

22 décembre 2009

Much ado about nothing

Ouf ! Copenhague est terminé.

Une fois encore les mots de Shakespeare s'avèrent les plus à propos. Tout ce bruit pour rien ou presque. Si encore toutes ces gesticulations affolantes faisaient un peu de vent dans les éoliennes...
En tout cas, ce grand barnum (pour reprendre les mots de Nicolas Hulot) a donné l'occasion de relever un certain nombre de sentences et de contradictions qui méritent de rester dans le bêtisier universel de la politique.
Tout d'abord naturellement, l'endroit et le moment choisis pour parler du réchauffement climatique : Copenhague, à l'orée de l'hiver, au moment même où, comme pour narguer les experts et les chefs d'états réunis dans les salons feutrés du Bella Center, on annonçait une
vague de froid sur l'Europe et les Etats-Unis, (jusqu'à -33°C en Allemagne !), les premiers blocages sur les routes, sur les voies ferrées, les pannes gigantesques d'électricité, et les premiers morts...

Et puis, les pitreries involontaires de certains responsables imbus de leur mission au point d'oublier la triviale réalité. Madame Duflot par exemple, qui s'embarque pour le Danemark en train (15 heures de voyage), sous les flashes des journalistes, avec à la bouche des mots dignes de Tartarin : "Vous ne me verrez jamais dans un avion lorsqu'il m'est possible de prendre le train"... et qui revient discrètement... en jet, pour ne pas manquer d'autres caméras, sur le plateau de France 2...

La comédie grinçante d'autres dirigeants, beaucoup moins drôles assurément. Les déclarations d'Ahmadinejad, président en exercice de l'Iran, classé troisième plus gros vendeur de pétrole au monde, vantant « l'énergie verte » de l'uranium, tandis qu'il prépare au vu et su de tous, la fabrication de bombes atomiques.
Les leçons arrogantes de Chavez, à la tête d'un abject régime marxiste, assis sur les royalties de l'or noir dont son pays regorge, et qui réclame sans rire d'en limiter de manière drastique la consommation. Tout en ânonant son
sinistre couplet néo-stalinien : « Le capitalisme, ce modèle de développement destructeur, est en train d’en finir avec la vie, il menace de détruire définitivement l’espèce humaine.../... Cette planète est régie par une dictature impériale, et depuis cette tribune, nous continuons de le dénoncer. A bas la dictature impériale, et vivent les peuples, la démocratie et l’égalité sur cette planète! »
Lula, le Brésilien ne vaut guère mieux lorsqu'il juge « inacceptable que les nations les moins responsables du changement climatique en soient les premières victimes ». Son pays est en effet le champion de la déforestation depuis des années, laquelle serait responsable de 18 à 20% des émissions de gaz à effet de serre. Dans le même temps, s'il s'avère assez rentable, le fameux pétrole vert qui est produit à partir de la canne à sucre sur les terres débarrassées des arbres, n'a pas fait la preuve d'un quelconque bénéfice en terme de pollution.

Nicolas Sarkozy enfin, accouru à la fin du sommet, n'a pas lésiné dans la surenchère, en annonçant ni plus ni moins, la fin du monde : "L'échec de Copenhague serait catastrophique pour chacun d'entre nous", "Nous sommes la dernière génération à pouvoir faire quelque chose. On ne pourrait plus ensuite, arrêter le processus de destruction complet".
Quelle mouche a donc piqué le président pour qu'il se laisse aller à de si noires prédictions ? Comment prendre au sérieux ces politiciens qui ont tant de mal à anticiper les crises économiques ou à contrôler les dépenses publiques, et qui prétendent pouvoir maîtriser la météo et parvenir à en réglementer les caprices à coup de taxes et de normes bureaucratiques ? Tel un sublime Don Quichotte des temps modernes, N. Sarkozy martèle qu'il faut absolument « Réduire de moitié la production de CO2 avant 2050 », en espérant ainsi « limiter la hausse des températures à 2° dans le siècle qui vient, sinon c'est la catastrophe absolue ».
Evidemment, il ne risquait pas grand chose à s'avancer avec tant de témérité. Tout au plus, d'apparaître comme un des plus sincères défenseurs de l'environnement, seul ou presque contre tous... Il a peut-être aussi quelques arrières pensées pratiques, à quelques semaines des élections régionales. Sans doute se sentirait-il mieux s'il parvenait par exemple enfin, à désolidariser les Ecologistes des Socialistes qui exercent on ne sait trop pourquoi sur eux un si fort magnétisme...

10 décembre 2009

Napoléon Obama


Le 8 décembre étaient réunis chez Frédéric Taddeï, un joli plateau de beaux esprits pour discuter entre autres, de la stratégie afghane de Barack Obama.
Inutile de dire qu'elle se heurta ce soir là, comme souvent la politique américaine, à une hostilité générale.
Passons sur le discours assez confus du philosophe radical, plus ou moins marxisant, Jacques Rancière. Sur le sujet il se déclara de toute manière incompétent. Tout comme les écrivains "de gauche" (ils s'en vantent), Philippe Besson et Saphia Azzedine.
Dominique de Villepin, quant à lui épancha ses convictions les plus profondes, à l'occasion d'une longue et onctueuse digression dont il a le secret. Naturellement il dit surtout ce qu'il ne fallait pas faire et resta très évasif quant aux propositions d'actions concrètes...
Il faut dire que pour lui l'affaire est réglée comme du papier musique : l'opération afghane ne peut désormais plus être autre chose qu'un échec. Reprenant une antienne bien connue, dans ce conflit qui s'éternise, l'Occident selon lui s'embourbe. Tous les symptômes du désastre vietnamien sont réunis. Les contingents militaires sont ressentis comme des forces d'occupation par la population. Pire encore : faute d'avoir mis en place une « coopération sociale et culturelle », et à cause de la « méconnaissance des réalités locales », et de « l'injustice que nous faisons régner », « nous contribuons à entretenir la corruption ».
C'est bien simple, « en croyant agir pour le bien, c'est le mal que nous faisons... »
Pour ce Politique si audacieux, il faut donc partir au plus vite, afin d'aiguillonner le gouvernement afghan pour qu'il s'organise vraiment, en espérant que les pays avoisinants deviennent « acteurs et partenaires » d'un hypothétique renouveau régional.
Le clou de la soirée fut toutefois l'intervention de Jean Tulard, qui argua de son statut d'historien pour tenter de convaincre un auditoire quasi conquis d'avance. Ça tombait bien, l'autre partie du débat devait porter sur le projet d'abandon de l'enseignement de l'Histoire en classe de terminale !
De manière un peu prétentieuse, il commença par se lamenter sur le fait qu'à l'évidence et pour son malheur, le président américain n'avait lu ni ses livres à lui, ni ceux de M. de Villepin.
Pour M. Tulard en effet, le parallèle avec l'expédition espagnole de
Napoléon s'impose clairement. Pas plus que ce dernier, Obama ne peut gagner, car les analogies foisonnent à ses yeux : Napoléon en Espagne « apportait les principes de la révolution et la démocratie »... mais à la force des baïonnettes. Il installa un gouvernement à sa botte; il rencontra des difficultés liées à un terrain accidenté et montagneux, et pour finir une rébellion armée par des puissances étrangères, en l'occurrence l'Angleterre.
Evidemment tout ça peut faire mouche au premier abord.
Mais au fond même si, comme le fit remarquer finement M. de Villepin, « les mêmes causes produisent souvent les mêmes effets », l'Histoire se répète rarement à l'identique. Ça serait un peu trop facile.
Premièrement M. Tulard dans son élan, se livre à quelques approximations et raccourcis. Prétendre que Napoléon était porteur de la démocratie est un peu fort de café. Certes, comme il le dit, il supprima l'inquisition, abolit les droits féodaux, et ferma les couvents, mais est-ce suffisant pour faire d'un dictateur un vrai démocrate ?
Comparer d'autre part, le népotisme de l'Empereur, qui plaça sur le trône d'Espagne son propre frère Joseph, avec les conditions qui ont permis l'accès d'
Hamid Karzaï au pouvoir à Kaboul, est également excessif, en dépit d'une réélection entachée d'irrégularités.
Enfin, même si la guérilla en Afghanistan est sans doute alimentée de l'extérieur, aucune nation n'apporte officiellement son soutien armé aux Talibans. Autre différence notable, les armées de l'Empire se livraient en Espagne à une vraie agression. Faut-il le rappeler, la coalition en Afghanistan, répond à l'horreur du 11 septembre 2001, et aux actions terroristes menées par les Talibans et leurs amis. D'ailleurs il faut souligner que Napoléon était très isolé face à une coalition internationale, tandis que c'est l'inverse pour Obama, même si hélas, ses alliés manquent singulièrement de détermination.
Non content de sa démonstration, Jean Tulard va encore plus loin, en évoquant par contraste avec les infortunes napoléoniennes, le succès de l'expédition française de 1823 pour rétablir sur son trône, Ferdinand VII malmené par les Cortès à dominance libérale. Mais d'emblée, ce féru d'Histoire commet une imprécision, en faisant référence au Congrès de Vienne, alors que l'intervention fut décidée par le Congrès de Vérone. Surtout, il oublie de mentionner qu'elle n'était pas une initiative isolée, mais le fruit d'une coalition internationale, placée sous l'égide de la Sainte-Alliance. Ce qui n'empêcha pas Chateaubriand, qui était alors le ministre des Affaires Etrangères, de s'en attribuer sans vergogne comme à son habitude le mérite : «Enjamber d'un pas les Espagnes, réussir là où Bonaparte avait échoué, triompher sur ce même sol où les armes de l'homme fantastique avaient eu des revers, faire en six mois ce qu'il n'avait pu faire en sept ans, c'était un véritable prodige !» ( Mémoires d'Outre Tombe).
Ce fut certes un succès facile, mais peu glorieux et en tout cas impopulaire en Espagne, puisqu'il s'appuya sur les forces les plus rétrogrades du pays, et qu'il permit au roi rétabli dans ses prérogatives, de se livrer à des représailles sanglantes sur les élus du peuple.
Dernier point discutable, Jean Tulard laisse entendre que l'expédition fut pacifique ce qui est faux. Elle nécessita la mise sur pied d'une armée de 100.000 hommes, « prêts à marcher en invoquant le nom de Saint Louis pour conserver le trône d'Espagne à un petit-fils d'Henri IV », pour reprendre l'exclamation de Louis XVIII. Autrement dit un vrai « surge »... Précisons également qu'après la victoire, il fallut laisser sur place un contingent de 45.000 hommes durant 5 ans, jusqu'en 1828...
Tout ceci montre qu'en matière d'analogie historique, la prudence devrait être la règle. S'il faut tenir compte des enseignements du passé, rien n'est jamais écrit à l'avance et l'art du copier-coller peut s'avérer très vain.
Le succès de l'intervention afghane dépendra surtout de la capacité du peuple et de ses dirigeants à s'organiser, et de la conviction et de la détermination dont fera preuve la coalition internationale.
Il est vrai, s'agissant du Vietnam, que l'aventure s'est terminée par un échec cuisant. Ce n'est pourtant pas d'un manque de légitimité que les Américains, à l'époque très seuls hélas, ont le plus souffert, mais d'une stratégie trop hésitante, et d'un mouvement d'opinion international dévastateur, orchestré de main de maître par la propagande soviétique. Le malheur de ce pays (et du Cambodge à la suite), n'a en tout cas, pas été causé par la présence occidentale mais avant tout par son retrait, brutal et définitif. En revanche, là où la détermination fut plus forte, comme en Corée et à Taiwan, les populations n'eurent qu'à s'en féliciter.
En tout état de cause, déclarer comme on l'entend si souvent, qu'il est strictement impossible d'imposer la démocratie par la force, est un non sens absolu. L'exemple de l'Allemagne et du Japon, entre autres, sont là pour en témoigner...
PS : La pétition subite au secours de l'enseignement de l'Histoire en terminale S me suggère dans le contexte plus général de l'enseignement classique, l'image de jardiniers zélés, accourus pour prendre soin d'un petit arbuste moribond dans un champ de ruines. Autour, ils semblent ne pas voir que rien n'a survécu et que tout est à reconstruire...
Quand même : quel est le conseiller qui a soufflé au ministre de promouvoir une telle mesure ?

08 décembre 2009

Retour de boomerang


L'actualité dans ses fantaisies et sa versatilité renvoie parfois de drôles de hoquets au visage des adeptes de l'Histoire à sens unique.

Alors que s'ouvre le sommet international de Copenhague, le débat sur le climat prend un tour nouveau. Hormis la voix isolée de Claude Allègre, on n'entendait en France depuis quelques années qu'un seul son de cloche, véhiculé par le biais de personnalités très médiatisées ou par la bouche des politiciens, tous plus ou moins enclins au suivisme démagogique. Une cloche quant à elle alarmiste, puisqu'elle sonne tous azimuts le tocsin de la fin du monde prochaine, en l'attribuant aux méfaits du progrès scientifique et économique.
Et puis tout à coup, à l'occasion de fuites en provenance du site internet d'une université influente, on prend conscience que ce discours reposait en partie sur un gigantesque bluff. Première révélation, le fameux GIEC qui soi disant s'inspirait des travaux convergents de l'immense majorité des scientifiques mondiaux, prenait en pratique ses informations à une source quasi exclusive, celle du Centre de Recherche sur le Climat de l'université britannique d'East Anglia !
Et quelle source ! Peu scrupuleuse sur l'objectivité, elle « arrangeait » manifestement les constats scientifiques pour qu'ils puissent coller au mieux à la thèse dominante. Les chercheurs convertis à la nouvelle religion écologique, mettaient en somme de côté les évidences scientifiques qui les dérangeaient, à la manière de ceux qui opposaient aux découvertes de Pasteur, le credo de la génération spontanée. De fait, l'argument massue mille fois lu et entendu, ressemblait étrangement à celui des docteurs d'autrefois, faisant foi scientifique d'un consensus, qui dit en substance : « Plusieurs milliers de chercheurs pensent la même chose, à savoir qu'il y a un réchauffement climatique, qu'il est forcément néfaste et qu'il a 9 chances sur dix d'être lié à l'activité humaine. » CQFD.
Coïncidence,
un sondage réalisé avant cet épisode, et publié par le magazine The Economist, révèle que les mentalités sont justement en train de changer. La question posée était : "Faut-il privilégier la protection de l'environnement au prix d'une baisse de la croissance économique, ou bien donner la priorité à cette dernière au risque de dégrader l'environnement". Depuis 1999 la première option de l'alternative était préférée par la majorité des sondés, en 2009 les proportions s'inversent (Gallup).
Évidemment, faut-il le préciser, la réponse qui s'impose, et qui n'est pas proposée au choix, se situe au milieu, consistant à trouver un compromis entre la croissance et le respect de l'environnement...
Certes la Crise qui est une réalité tangible, a tendance à influencer les avis, pourtant, il n'était pas vraiment besoin de cette affaire de mails détournés pour douter de la véracité du nouveau diktat malthusien, prônant la décroissance. Avec force arguments, certains pointaient déjà depuis quelque temps, les
méthodes peu rigoureuses des tenants du réchauffement climatique. Il n'est d'ailleurs que de voir le comportement outrancier et sectaire des militants de Greenpeace, qui encore dernièrement n'ont pas hésité à prendre d'assaut l'Assemblée nationale, pour mesurer le degré de fanatisme atteint par certains écologistes. Ils discréditent leur cause bien plus qu'ils ne la défendent.
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La votation suisse sur les minarets, envoie dans les gencives des tartufes de la démocratie, le verdict de l'opinion publique. Du coup, ceux qui il y a peu, brandissaient victorieusement les résultats du référendum européen à l'appui de leur philosophie, se mettent tout à coup à douter du bien fondé du scrutin populaire et nient purement et simplement ses enseignements. Vérité en deçà des Alpes, erreur au delà...
Il est bien connu que chez nous, où le bon sens prévaut, « la question ne se pose même pas », pour reprendre les termes de M. Colombani sur France Inter le 4 décembre. Et de citer à l'appui de sa démonstration le débat escamoté sur la peine de mort. Sur un vrai sujet de société, la question n'a effectivement pas été posée, au simple motif qu'on redoutait que la réponse ne soit pas politiquement correcte. On a donc préféré imposer le principe de l'abolition par la force des godillots des « élus de la république », et pour être à peu près certain qu'il ne puisse jamais être rediscuté, le graver dans le marbre de la Constitution. Curieuse conception de la démocratie...
Évidemment, la radicalisation du débat religieux est inquiétante. Mais en l'occurrence, qui a peur de qui et qui rejette qui ? La vraie question est sans doute de savoir pourquoi et comment on en est arrivé là. Plutôt que de jeter l'opprobre sur le peuple, plutôt que de s'insurger contre le poujadisme de certains politiciens, il conviendrait d'affronter la réalité sans tabou ni a priori. Aux yeux d'une quantité croissante de gens, l'islam apparaît sous un jour de plus en plus intolérant, dogmatique et conquérant. La plupart des pays à dominance musulmane affichent sans vergogne leur mépris pour les autres croyances et veulent ériger les leurs comme lois de gouvernement. Il y a de quoi s'alarmer. Il est plus que temps pour les Musulmans raisonnables de parler clairement et de montrer leur ouverture d'esprit qui conduira à chasser ces craintes dignes du Moyen Age.
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Enfin, la problématique de l'Afghanistan revient elle aussi en boomerang. Les défaitistes et pacifistes qui exigeaient de la coalition internationale qu'elle quitte au plus vite ce pays, et qui déclaraient que cette guerre « n'était pas la leur », sont brutalement désavoués par celui en qui ils voyaient le chantre universel de la paix.
Avec la décision d'y envoyer un contingent de 30.000 hommes supplémentaires, c'est un triplement des effectifs que le nouveau président américain aura ordonné depuis son élection ! Ils étaient 35.000 il y a un an, ils seront près de 100.000 soldats sous peu.
On pourrait s'amuser de la modération des réactions en provenance de ceux qui auraient agoni d'injures George W. Bush s'il avait fait la moitié de ce que met en oeuvre son successeur. On pourrait être dubitatif devant la stratégie qui consiste à accroitre très progressivement la présence militaire, et les hésitations à prendre les décisions en les accompagnant de moultes précautions de langage, qui pourrait
rappeler le Vietnam sous Johnson. On pourrait s'interroger sur le besoin éprouvé par M. Obama de préciser à l'avance la date de repli de ces troupes. S'il s'agit comme il le soutient, d'un objectif vital, comment peut-il être certain de pouvoir si rapidement s'en désengager ?
On pourrait enfin savourer à sa juste valeur l'appel pressant des USA à l'Europe pour envoyer conjointement un renfort d'au moins 7000 hommes. Comment va réagir la France qui adule tant le président américain ?
Objectivement, l'Afghanistan ne peut être abandonné après tous les efforts consentis pour le libérer de l'oppression des Talibans. Et à l'évidence, plus le nombre de nations engagées sera grand, plus forte sera la légitimité de la présence militaire. Le choix de M. Obama est donc logique et pas trop surprenant, sauf pour les gogos prompts à s'enticher de n'importe quelle faribole pour peu qu'elles soit couverte d'effets de style clinquants...
En définitive, il est assez clair que toutes ces problématiques tireraient meilleur profit d'une approche raisonnable, modérée, réfléchie, plutôt que des excès partisans, des a priori et des certitudes erronées, inhérentes aux idées reçues, qu'on entend trop souvent...

01 décembre 2009

L'introuvable réforme de la santé


En France, on s'extasie volontiers et par avance, sur les vertus supposées du projet de réforme du système de santé proposé par le président Obama. Pensez-donc ! Il va enfin offrir une couverture maladie à 46 millions d'Américains qui en sont à ce jour scandaleusement dépourvus.
Et il est de bon ton de fustiger au passage l'abominable système ultra-libéral en vigueur là bas, qui empêche paraît-il les pauvres gens de se soigner, et de condamner vigoureusement le lobbying forcené et forcément très « réactionnaire » qui s'oppose au noble dessein présidentiel.
UN DEBAT SOUVENT TRONQUE
Il n'est pourtant pas besoin de parcourir très longtemps la presse américaine, pour se rendre compte qu'en réalité le débat est beaucoup plus complexe qu'on ne le présente habituellement, et surtout moins imprégné des clichés idéologiques dans lesquels certains tentent plus ou moins consciemment de l'enfermer.
Je ne me souviens plus comment j'ai échoué dans mes pérégrinations à travers le Web, sur un article du Pr Jeffrey Flier, doyen médical de la prestigieuse Harvard School. J'ignore en tout cas totalement de quel côté politique il penche, et le Journal of Clinical Investigation dans lequel il s'exprime, n'est pas connu pour le caractère partisan de ses prises de position. Mais le fait est qu'il donne en la circonstance, un point de vue plutôt décapant sur la question.
A partir de ce fil conducteur, j'ai découvert et pas par les traditionnels canaux néo-conservateurs si honnis, que nombre de voix s'élevaient pour dénoncer sans tabou, et avec force argumentation, les tares du système de santé actuel en proposant des solutions assez éloignées du projet « obamanien »,.
Je serai sans doute accusé de prendre un parti sectaire puisque mon propos, à la lumière de ces derniers, s'inscrit dans la réticence vis à vis de cette initiative louée presque unanimement dans l'Hexagone, et pour laquelle le Sénat US après beaucoup de tergiversations, vient d'ouvrir le débat. Tant pis.
UN CONSTAT CONSENSUEL
S'agissant des défis auxquels sont confrontés les pays développés, tout le monde est pourtant à peu près d'accord. Il faut dire qu'ils relèvent de l'évidence et n'épargnent aucune nation. Ils se concentrent schématiquement autour de trois constats : l'inflation vertigineuses des dépenses de santé, les difficultés croissantes pour pérenniser des systèmes d'assurances abordables pour tous, et les disparités de plus en plus flagrantes entre le coût et la qualité des soins.
Aux USA, les dépenses de santé, qui représentaient 5% du PIB en 1960, ont atteint 16% en 2007 selon l'OCDE, et les projections les fixent à 37% pour 2040. La part des fonds publics dans ces dépenses ne cesse de croitre. Les deux grands programmes Medicaid et Medicare, pour les personnes les plus démunies d'une part et âgées de l'autre, auxquels le gouvernement fédéral consacrait 1% de son budget en 1966, en absorbent désormais plus de 20.
La France est dans la même logique. Avec 11% du PIB, elle s'inscrit désormais dans les statistiques de l'OCDE, en deuxième position des nations les plus dépensières au monde.
DERIVES ASSURANTIELLES
Parallèlement, les systèmes d'assurance maladie sont de plus en plus dépassés par l'inflation de la demande de soins. Comme chacun sait, aux Etats-Unis, une frange croissante de la population vit plus ou moins durablement sans vraie couverture. Il faut toutefois préciser qu'elle n'est pas obligatoire et qu'un bon tiers des personnes concernées, souvent jeunes et en bonne santé, auraient les moyens de s'offrir cette protection mais font le choix d'y surseoir.
En France, le régime de l'Assurance Maladie obligatoire, couvre la majeure partie des frais de santé, mais son périmètre a tendance à se restreindre, en laissant un pan grandissant aux Assurances Privées, auxquelles il n'est pas non plus obligatoire d'adhérer. Pourtant, en dépit de la hausse régulière des cotisations et du désengagement ou du déremboursement d'un nombre croissant de prestations et de médicaments, la Sécurité Sociale patine de plus en plus dans les déficits.
Pour tenter d'endiguer ces dérives, l'Etat un peu partout, croit bon de s'immiscer toujours davantage, dans l'organisation et la prise en charge des soins. La composante publique dans les dépenses de santé représentait déjà 60,5% en moyenne pour les pays de l'OCDE en 1960. En 2007, elle s'établissait à près de 72% (passant de 23,2 à 45,4% pour les USA, de 62,4 à 79% pour la France). En France, avec la dernière réforme dite HPST, c'est un réseau quasi soviétique, que l'Etat met sur pied pour quadriller sous sa tutelle, le secteur de la santé. Les réglementations pleuvent et la bureaucratie est devenue pléthorique. Même si cette tendance est moindre aux Etats-Unis, la régulation gouvernementale n'a jamais cessé de s'accentuer depuis le New Deal de Roosevelt. Un récent article paru dans le magazine The Atlantic Monthly révélait que l'administration de la santé employait à ce jour une personne pour deux médecins !
DES RISQUES NON REEVALUES
Parmi les principales causes identifiées par les quelques observateurs dont j'ai lu les analyses, figure avant tout le caractère pervers de l'organisation du système d'assurance maladie.
Tout d'abord, on assiste à un dévoiement pur et simple du principe même, de l'assurance. Celle-ci pour bien fonctionner, doit couvrir un risque dont la probabilité de réalisation pour l'individu est faible mais dont le coût de réparation est très élevé. La mutualisation raisonnée de ce risque permet à l'assureur de ne demander à tous ses clients que des cotisations modestes, pour couvrir les frais énormes, destinés à indemniser les quelques victimes de sinistres.
Hélas, en matière de santé, la définition du risque a considérablement évolué au fil des ans. L'extension par l'OMS du domaine caractérisant la « bonne santé », à celui du « bien être total et permanent », et le consumérisme galopant, conduisent à recourir de plus en plus facilement aux services des prestataires de santé.
Chacun estimant de son bon droit de se faire rembourser les frais liés à des soins, en règle courants, et qu'il aurait le plus souvent les moyens de payer, le système confine à l'absurde. Les assurances n'ont pas d'autre choix que d'augmenter drastiquement les cotisations ou bien de devenir déficitaires. Imaginez, écrit David Goldhill, que nous demandions à notre assurance auto de prendre en charge l'entretien courant du véhicule et le carburant qu'on met dedans !
TROP D'INTERMEDIAIRES
Le principe, habituel aux USA comme en France, qui consiste à interposer l'employeur entre l'assureur et l'assuré aggrave encore cet effet. Puisque le salarié ne paie, quoi qu'il arrive, qu'une faible partie de la cotisation, il ignore bien souvent le prix réel de la protection dont il bénéficie (au point parfois de croire qu'elle est gratuite...). Par voie de conséquence, il ne mesure pas vraiment l'ampleur des dépenses qu'elle couvre. Au surplus, il n'a en réalité pas le libre choix de son assureur, ce qui nuit à l'émulation et à la maitrise des coûts. On sait qu'entre les entreprises et les compagnies d'assurances la concurrence est assez limitée, particulièrement en France où la Sécurité Sociale jouit d'un quasi monopole.
Dernier avatar de ce système, il est susceptible de laisser des vides dangereux lorsque un salarié est amené à changer d'emploi, et se volatilise en cas de chômage.
Le fait de disposer d'une assurance couvrant la presque totalité des frais de santé, entraine une conséquence souvent fâcheuse. Puisque les débours occasionnés par les soins sont pris en charge par l'assurance, le client face aux prestataires de soins, n'est pas le patient lui-même, mais son assureur. La négociation du prix des soins est donc quasi inexistante ou bien très indirecte. Jamais un médecin ne s'entend dire par son malade : « Docteur soignez-moi bien, mais au meilleur compte ».
Les Assurances ont la tentation naturelle de réagir à cet état de fait en instituant un contrôle a priori des prix des prestations, qui se révèle à l'usage très contraignant et assez inefficace. Par exemple, en diminuant le remboursement de certains médicaments, elles poussent en effet mécaniquement les médecins, sous la pression conjointe des patients, et souvent des publicités de l'industrie pharmaceutique, non pas à diminuer les prescriptions mais à proposer les mieux remboursées donc les plus onéreuses... La promotion de génériques, s'avère quant à elle souvent un frein à l'innovation et à la concurrence.
D'une manière générale, on constate sans surprise aux Etats-unis, que pour des soins courants, les patients non assurés ou assurés à titre individuel (souvent avec une franchise), dépensent significativement moins que les autres. En France on observe que les patients sans mutuelle complémentaire dépensent moins que ceux qui en disposent et qu'à l'inverse, les patients pris en charge à 100%, notamment les bénéficiaires de la CMU, dépensent plus que les autres. Ces observations peuvent faire sourire car elles suggèrent qu'il est plus économique de ne pas être soigné, tant on a tendance à confondre absence d'assurance avec absence de soins. Elles objectivent pourtant l'intérêt qu'il y aurait de responsabiliser aussi bien les patients que les prestataires de soins, dans la démarche de maitrise des coûts de santé.
UNE REFORME EN SURFACE
Le projet de loi de Barack Obama, qui étend le champ de la couverture maladie sans en réformer en profondeur l'organisation, pour bien intentionné qu'il soit, ne peut pour nombre d'observateurs, qu'aggraver les maux dont le système souffre aujourd'hui.
Premier d'entre eux, la bureaucratie est condamnée à enfler encore. Rien que le texte préparatoire fait à ce jour 2074 pages !
Son application va mécaniquement augmenter les dépenses pesant sur l'Etat Fédéral, puisque le nouveau plan sera en très grande partie à sa charge. Mille milliards de dollars constituent le surcoût annoncé par les promoteurs de la loi eux-mêmes. Nul doute qu'il sera supérieur si l'on se souvient des prévisions largement dépassées des programmes Medicare et Medicaid. Selon David Goldhill, étendre la couverture tout en contraignant les remboursements, équivaut à gonfler un ballon tout en le comprimant tant bien que mal : il grossit quand même mais avec une forme de plus plus biscornue...
Parallèlement, même si tout le monde ou presque sera assuré, rien ne permet d'affirmer objectivement que la qualité des soins sera meilleure. L'absence de corrélation entre les dépenses de santé et la plupart des indicateurs de « bonne santé » est assez bien établie.
Plus inquiétant encore, ce projet a déjà été expérimenté sous une forme très proche, dans le Massachusetts en 2006. A cette époque, environ un demi million de personnes étaient sans assurance maladie. La nouvelle loi a entériné le principe de l'obligation, sous peine d'amende, et institué des subventions pour permettre aux personnes les plus démunies, de souscrire un contrat, le plus souvent privé.
Or selon un article du Boston Globe, ce plan est un échec. Trois ans après son application, il reste encore plus de 200.000 personnes non assurées. Les dépenses de l'état affectées à la santé ont fait un bond, passant de 1,4 milliards de dollars en 2006 à plus de 2 milliards prévus en 2009. En moyenne le coût moyen des cotisations pour une famille à augmenté de 12% entre 2006 et 2008. Un certain nombre de personnes, pas assez pauvres pour bénéficier de subventions, peinent à s'affranchir du coût élevé des contrats proposés. Il en est de même pour les petites entreprises qui doivent supporter cette charge nouvelle.
Au total, si l'inflation des dépenses de santé s'avère un défi commun à toutes les nations développées, les solutions achoppent peu ou prou sur les mêmes obstacles. Peut-être en partie, pour reprendre l'argumentation du Pr Flier, parce qu'elles s'attaquent prioritairement aux symptômes plutôt qu'à la cause du problème.
Le paradigme de l'assurance « de papa » a vécu, dans le domaine de la santé. La préoccupation n'est donc pas tant d'élargir la couverture que de la responsabiliser et de l'adapter au nouveau contexte. De ce simple changement de cap, devrait s'ensuivre une réduction raisonnée de la demande de prise en charge financière, et une limitation des soins, basée sur une vraie réflexion coût-efficacité. Aujourd'hui on peut certes encore mourir faute de soins, mais aussi sans nul doute d'excès.
Exiger comme on l'entend souvent que la santé soit gratuite, est plus que jamais irresponsable, et fait courir le danger de terribles désillusions. Les acquis sociaux soi-disant garantis par l'Etat semblent solides mais ils cachent de grandes failles et s'ils venaient à péricliter, la chute serait plus cruelle que tout. Il ne resterait plus de toute manière qu'une solution, qu'on veut pourtant éviter à tout prix : la maitrise comptable pure et dure...
REFERENCES
Health care reform: without a correct diagnosis, there is no cure. Jeffrey S. Flier. Journal Of Clinical Investigation. Vol 119, no10, 1/10/09
Health Reform Gets a Failing Grade . Jeffrey Flier Wall Street Journal 17/11/2009
How american health care killed my father. David Goldhill. The Atlantic. September 2009
Obama's unhealthy reform. Robert J. Samuelson. Newsweek. 15/06/2009
Insurance required Laurie Rubiner The Atlantic Janvier 2004
OCDE Eco-Santé 2009, Données fréquemment demandées
Massachusetts health care reform is failing us. Suzanne L. King. Boston Globe 02/03/2009
Massachusetts plan vs Obama plan New York Times. 29/03/09
Commonwealth Care Program guide Guide du nouveau programme santé du Massachusets
Massachusetts Health Care Reform — Near-Universal Coverage at What Cost? Joel S. Weissman, Judy Ann Bigby. New England Journal of medicine 21/10/09