22 novembre 2010

A l'Est, Du Nouveau !

La Chine constitue un passionnant modèle expérimental en terme d'organisation sociale. Elle fut plongée durant plusieurs décennies dans le paradigme socialiste, dans sa version la plus pure, la plus aboutie, à savoir le communisme. De nos jours, elle opère une nouvelle révolution, qui la conduit à s'approprier le modèle capitaliste, de façon sauvage, quasi caricaturale.

A l'origine de ce bouleversement, il est facile d'identifier deux causes toutes simples : le retour de la propriété privée et de la liberté d'entreprendre.
Sous leur effet conjugué, la mue s'avère extraordinaire à plusieurs titres. En même temps qu'elle transfigure le pays à la vitesse de la lumière, elle met à nu, à mesure que la carapace se déchire, les rouages intacts de l'implacable mécanique collectiviste. Et notamment l'absence complète de tout système de protection sociale.
Dans le régime maoïste qui faisait pourtant de "la cause du peuple" sa raison d'être, l'individu était totalement assujetti au Parti, pour ainsi dire nié en tant que dimension. Les travailleurs transformés en une gigantesque masse uniformisée, au service d'un objectif collectif intangible, n'avaient en définitive qu'un seul droit : celui de travailler ! Ni élection, ni syndicat, ni juridiction d'aucune sorte ne pouvait permettre à la moindre revendication d'éclore. En toute circonstance et à tout moment, le Parti était réputé savoir ce qui était bon pour le peuple, lequel se voyait privé de tout moyen de s'exprimer.

Libérée du carcan rigide qui maintenait cette effroyable usine à l'abri des regards et empêchait toute contestation interne, elle explose littéralement sous la pression de la liberté. Celle-ci se rue dans le système entrouvert, à la manière d'un fleuve en crue. Elle fait sauter une à une les digues et promet d'ébranler sous peu les fondements du Parti Unique, tout en submergeant le mythe de la Dictature du Prolétariat.
Aujourd'hui, faisant craquer le glacis archaïque, on voit surgir un peu partout les gratte-ciels d'un nouveau monde. La Chine se redresse et le spectacle est grandiose. Il n'a sans doute pas fini de nous étonner.

Les dirigeants chinois qui ont voulu cette inflexion, montrent pour le moment une grande habileté dans la manœuvre du colossal vaisseau dont ils ont rompu deux des principales amarres. S'ils poursuivent le mouvement entamé, et rien ne permet de penser le contraire, il est probable que la Chine retrouve bientôt le rang qu'elle mérite dans le monde, eu égard à sa population et à son histoire.
Probablement rencontrera-t-elle des écueils, peut-être même de graves tempêtes, au cours de cette aventure. La problématique du Tibet fait partie de ces drames. Et au cœur même du système, les premières manifestations du mécontentement ouvrier préfigurent la soif de vrai progrès social, qui pourrait se transformer en révolte de grande ampleur.
Face à ces formidables défis, s'il paraît clair que la volonté des dirigeants est de n'accorder les libertés que très progressivement, on voit non moins clairement que le libéralisme, même limité au seul domaine économique, en même temps qu'il apporte la prospérité, va offrir la possibilité d'améliorer la condition du prolétariat. Superbe leçon que peu de gens, et sûrement pas les affidés au marxisme, peuvent apprécier à sa juste valeur.

Le capitalisme avance à pas de géant dans ce pays paradoxalement vierge de tout acquis social. Il est naturel de s'en inquiéter car dans un monde de libre échange, c'est source de déséquilibre. Mais il y a fort à parier que cette progression ralentisse peu à peu, d'elle-même. Car si le communisme en mourant offre un fabuleux terreau pour l'éclosion du système capitaliste, ce dernier comme le prédisait en son temps Schumpeter, voit sa course progressivement freinée par l'aspiration grandissante au bien être social. Car la négation des droits élémentaires au bonheur individuel, qui était permise sous la férule monolithique et implacable de l'Etat Communiste, ne l'est plus dans un système ouvert et concurrentiel.
La Chine est évidemment encore très loin de l'Etat Providence qui commence à plomber mortellement le dynamisme des sociétés occidentales, mais un jour peut-être, ça sera aussi son problème, comme ça l'est devenu pour le Japon, la Corée du Sud, Les USA, et bien sûr l'Europe occidentale...

Serait-ce opportun pour la Communauté Internationale de fustiger trop violemment le gouvernement de Pékin, au moment précis où il change aussi radicalement de cap ? On a vu par le passé tant de complaisance, tant d'indulgence, tant de candeur irresponsable envers le régime maoïste qui imposait la terreur et l'enfermement à tout un peuple, qu'il paraîtrait incroyable de jouer les censeurs intransigeants au moment où ses successeurs entreprennent d'en déconstruire enfin les effroyables murailles. Hélas, le Monde Libre n'est pas à une inconséquence près. Entre mille excès, on se souvient de Valery Giscard d'Estaing comparant la mort du tyran à "un Phare de l'Humanité qui s'éteint..."

Le plus sage n'est-il pas plutôt de s'efforcer d'accompagner ce grand chambardement, comme le président Reagan sut admirablement le faire face à la Perestroïka mise en oeuvre par Gorbatchev en URSS; avec sympathie mais détermination, qui sont les bases du respect mutuel. Les Chinois sont plus que jamais des partenaires à part entière de l'organisation du monde à venir. Il serait vain de les mépriser ou de trop leur faire la leçon.
Pour accomplir pleinement leur challenge, ils ont besoin d'un monde occidental compréhensif, mais également fort et uni, comme l'affirme Tony Blair auquel il me paraît opportun de donner le mot de la fin :
"Nous devons offrir à la Chine le partenariat qui répondra aux intérêts de chaque partie. Mais il vaut toujours mieux des partenaires puissants plutôt que faibles. Un Occident divisé, rivalisant pour s'attirer les faveurs des nouvelles puissances, ne présente nul avantage pour personne..." (A Journey, postface, 2010)

19 novembre 2010

Exercice de Style

Dans la récente prestation télévisée du chef de l'Etat, ce qui frappait, ce n'était pas tant le fond que la forme.
Car en somme, on n'a pas appris grand chose d'essentiel à l'issue de ce speech, censé commenter un remaniement ministériel de pure circonstance.
En revanche, l'exercice a permis de constater une fois encore, la sclérose de notre pays, aussi frondeur que conservateur.

Après un début de mandat quelque peu "exotique", les gardiens du protocole ont tout lieu de se réjouir : le président est revenu par la force de médias bégueules, à un style ultra-classique : costard sombre, cravate bleu de prusse, décor laqué du palais élyséen, ton calme, policé, très politiquement correct (il a même rendu un hommage veule et immérité aux syndicats...).
Face à lui, se recroquevillait une brochette de journalistes amidonnés, dont la préoccupation essentielle semblait de tout faire pour ne pas rentrer au cœur des problèmes. Craignant sans doute de passer pour des "laquais", ou des "larbins" ils ont tenté tour à tour de déstabiliser l'auguste interviewé, par des artifices aussi torves que dérisoires. Mais ils en ont été pour leurs frais, faisant plutôt figures de dindons de la farce. Très en forme, et à l'aise dans ce jeu, Nicolas Sarkozy s'est joué de leurs questions, supposées embarrassantes mais dans l'ensemble très futiles, et il s'en est servi avec délectation pour lustrer son discours.

On se souvient, il n'y a pas si longtemps, de la remarque aussi audacieuse que stupide de Patrick Poivre d'Arvor comparant Nicolas Sarkozy à "un petit garçon fébrile dans la cour des grands".
Le niveau n'était guère meilleur ce 16 Novembre, tant le but du jeu restait d'asticoter le président sur des bricoles dont tout le monde parle, mais sans vrai rapport avec les difficultés réelles rencontrées par le pays, lesquelles furent systématiquement abordées par le petit bout de la lorgnette.
Un des clous du spectacle fut l'interpellation insistante des journalistes au sujet des ordinateurs volés dans les salles de rédactions de certains journaux, attirant cette réponse sarcastique, du berger à la bergère : "Pensez-vous vraiment M. Pujadas, que je doive m'en occuper personnellement ?".

Le plus croustillant, on le trouva toutefois dans les réactions rituelles qui suivirent l'intervention.
Évidemment à l'UMP on était satisfait. Rien d'étonnant et pas grand chose à redire.
Au centre "d'opposition", M. Bayrou trouvait que Nicolas Sarkozy avait "beaucoup parlé de lui" et qu'il n'avait pas de "stratégie crédible pour remettre de la production en France ". Bigre. Pour un peu on aurait dit qu'il faisait son autoportrait...
Un mot au sujet de Cécile Duflot, raillant ce qu'elle jugeait comme la mise au rebut du Grenelle de l'Environnement : "L'écologie c'est pas une mode, la crise climatique, l'augmentation du coût de l'énergie, c'est une réalité". Interpellée sur le plateau d'Arlette Chabot le lendemain par M. Daubresse, à propos de l'indigence des mesures prises  en son temps par Dominique Voynet, elle fut contrainte d'avouer que cette dernière s'était trouvée "bien seule" dans le gouvernement Jospin...
La palme est cependant revenue à cette décidément balourde de Martine Aubry parlant "d'un président en panne", "déboussolé". Non seulement la critique pourrait aussi bien s'appliquer au PS, complètement à la ramasse depuis des années, mais elle était particulièrement mal venue en la circonstance. Le chef de l'Etat est apparu en effet plutôt en verve, expliquant de manière à la fois détendue et déterminée les raisons de ses décisions, et annonçant au passage deux nouveaux chantiers de réformes (dépendance, fiscalité). Au surplus il s'est payé le luxe, comme pour repousser toujours plus le PS dans l'impasse de gauche, de s'appuyer pour valoriser son action, sur des expériences socialistes "éclairées", du passé (Rocard) ou de l'Etranger.


Moralité : Bien qu'impopulaire, et loin d'être intouchable, Nicolas Sarkozy ne devrait pas avoir trop de souci à se faire, face à des gens aussi versatiles, inconséquents et si peu imaginatifs...

11 novembre 2010

Les vérités révélées de Martine Aubry

Au Parti Socialiste, Martine Aubry est une doctrinaire parmi les doctrinaires. S'inspirant de son goût pour les superlatifs, on pourrait même dire qu'elle est une ultra-doctrinaire...
On connaît le ton péremptoire et la constance avec lesquels elle répète depuis des décennies tous les slogans socialistes, y compris les plus rétrogrades.
On se souvient, lorsqu'elle était au gouvernement, de la brutalité avec laquelle elle mit en oeuvre les fameuses 35 heures, décrétant ex cathedra que le travail était un gâteau dont il fallait réduire les parts de chacun pour en donner à tout le monde.
On se souvient plus récemment, comment, lors du débat sur les retraites, elle se crispa sur le système monolithique dit "par répartition", et sur le seuil intangible des 60 ans, qu'elle soutint mordicus contre le gouvernement, jusqu'à faire cause commune avec les revendications les plus obtuses des syndicats.

Quelle ne fut pas ma surprise en l'entendant récemment (10/11/2010 Matins de France Culture), de percevoir au détour de quelques phrases, comme une fissuration dans le bloc de certitudes qui la définit si bien.
Premier aveu extraordinaire dans sa bouche : "L'Etat ne peut pas tout faire."
Je me pince, mais non c'est bien ça car elle explique ensuite que le rôle de ce dernier est  seulement de "fixer un cap", et que "la société civile, les chercheurs, le système éducatif, les entreprises doivent s'emparer du reste..."

Après ce premier boulet fumant lancé dans la forteresse de l'Etat-Providence, elle élargit la brèche, autour de la notion à la mode de "care", en définissant le nouveau concept "d'égalité réelle".
Là aussi, il s'agit d'une petite "révolution de pensée", selon ses propres mots : "l'Etat doit mettre des protections, mais il doit laisser la place à la liberté individuelle".
Je me repince, mais au cas où les auditeurs comme moi n'auraient pas bien compris, elle met les points sur les i, en annonçant la rupture avec les idées anciennes, qui voulaient "que quand on fait tout pareil pour tout le monde, on accroisse l'égalité"; qui considéraient en matière d'éducation "que mettre des enseignants tous les mêmes, et des programmes tous les mêmes, au même moment, c'est l'égalité".
Un peu plus tard, elle renchérit encore : "Le PS ne dit pas : on veut augmenter le budget de l'éducation". Non, il cherche plutôt "à faire en sorte que chacun des enfants puisse réussir, [en jouant] sur la formation des maitres, les rythmes scolaires..."
Elle termine, avec la cerise sur le gâteau, au sujet des retraites : "nous voulons un système qui met des protections mais qui laisse le choix aux gens..."

Curieusement dans la salle personne ne semble moufeter en entendant ces révélations édifiantes. Ni le maitre de séance Marc Voinchet, ni Alain-Gérard Slama, ni Alexandre Adler. C'est dire l'amortissement de la capacité à débattre qui caractérise aujourd'hui notre pays (pour être juste M. Colombani lui demanda si elle avait conscience qu'il lui faudrait tôt ou tard s'attaquer à la montagne de principes de l'Education Nationale)...

Evidemment, on ne saurait être dupe de mots. Surtout quand d'autres les contredisent quasi simultanément, ou bien que le comportement de celui qui les prononce les infirme quotidiennement. On se demande bien par exemple, pourquoi madame Aubry continue de stigmatiser avec autant de hargne toutes les actions du président de la république, si elle pense ce qu'elle dit.
Et pourquoi elle fustige aussi opiniâtrement le Libéralisme vers lequel on sent confusément que le Socialisme ne fait que tendre peu à peu, bon gré, mal gré.
Depuis le credo communiste des débuts, force est de constater en effet que c'est un long chemin d'abandons et de reculades. La Social Démocratie est une étape mitigée sur le parcours, mais en définitive il faudra bien un jour s'y résoudre : rien n'incarne mieux l'amour de la liberté et de l'égalité réelle, à savoir celle des chances et des droits, que le Libéralisme...
Au sein de l'Internationale Socialiste, pour l'instant seul Tony Blair l'a compris et a eu le courage de l'affirmer sans complexe.
Hélas dans notre bon vieux PS hexagonal, il y a peu de chances qu'un changement véritable de mentalité se fasse jour avant longtemps. De l'aveu de Martine Aubry : "s'il y avait quelqu'un qui s'impose dans notre génération nous le saurions. Ce n'est pas le cas".
Le sombre réalisme de cette dernière révélation n'a d'égal que le désespoir de voir les plus jeunes renouer plus que jamais avec les archaïsmes...

05 novembre 2010

Bye Bye Obamania

Deux ans ! Il n'aura donc fallu que deux ans pour que l'énorme baudruche de l'Obamania se dégonfle piteusement !
Attention, en disant cela, je ne me fais pas le critique primaire du président américain, à la manière de certains, s'ébrouant dans un anti-bushisme totalement décérébré.
Ce n'est pas la personne évidemment qui fait l'objet d'un affalement risible. C'est cette incroyable bulle spéculative qui accompagna l'élection du sénateur de l'Illinois en 2008, et qui monta, monta, emportant tout sur son passage y compris le Prix Nobel de la paix. C'est un euphémisme de dire que cet engouement insensé n'a en définitive pas servi l'intéressé. Plus dure est la chute...

Dans le genre mauvaise foi angélique, je ne peux m'empêcher de citer avec tendresse Memona Hinterman, la si délicieusement tendancieuse journaliste du service public, "excellente connaisseuse" paraît-il, de l'Amérique.
Invitée de France Musique le 3 novembre au matin, au moment où les résultats électoraux tombaient, elle minimisait avec candeur la déroute des Démocrates : "les Américains ne se déjugent pas".../... "non, ils veulent juste par réalisme, mettre en contrepoids, des gens peut-être un peu plus brutaux".
Pleine d'indulgence pour Obama, elle se demandait "qui aurait pu faire mieux que lui dans cette période de si fortes turbulences", et se plaisait à rappeler "la formidable campagne, pleine du rêve américain, épidermique, absolument sublime" de 2008, et ce fameux 4 novembre consacrant l'avènement du premier président noir de l'histoire des Etats-Unis : "j'en ai encore la chair de poule..."
Je me souviens pour ma part qu'en 2004, elle avait carrément pris ses désirs pour des réalités en annonçant un peu prématurément la victoire de John Kerry, une coupe de champagne à la main...

Sans épiloguer sur un scrutin somme toute assez logique, il faut insister sur le fait que la défaite du camp démocrate doit sans nul doute beaucoup à cette arrogance du camp des "Progressistes", à ce manque d'humilité assommant de la Gauche bien-pensante, à cette sacralisation quasi insoutenable d'un homme avant même qu'il n'ait rien prouvé.
Barack Obama reste un homme respectable, qui saura peut-être tirer, il faut l'espérer, des leçons de cette sévère sanction.
Rien ne serait pire en tout cas que d'invoquer de mauvaises raisons à son échec, comme on les entend déjà dans la bouche des supporters désappointés :
Non il n'est pas "habituel" pour un président de perdre les élections du mid-term. George W. Bush les avait remportées en 2002, alors qu'il avait été élu "de justesse" en 2000. Certes il y avait eu le 11 septembre, mais cela aurait du plutôt lui nuire, si les électeurs avaient pensé comme beaucoup de détracteurs très médiatisés, qu'il avait affreusement mal géré ces tragiques évènements.
Non la crise économique n'apporte aucune excuse au camp démocrate, qui contrôlait le Congrès depuis 2006, et dont le candidat crut bon de répéter à tous vents le fameux slogan "Yes We Can".
De fait, les mesures prises se sont révélées très largement inefficaces, et le plan de relance n'a eu aucune influence sur le chômage. A ceci s'ajoute la démagogique mais calamiteuse réforme du Système de Santé, qui ne convainc pas et promet de creuser encore davantage le déficit de l'Etat Fédéral.
De ce point de vue, il est faux de prétendre comme on le fait en France que la majorité des Américains n'ont pas compris les réformes audacieuse du président américain. Ils ont au contraire trop bien compris où cela pouvait les mener et ils s'y opposent avec fermeté. Facteur aggravant, l'idolâtrie que les Français manifestent vis à vis d'Obama, et le lamentable spectacle que donne à voir notre pays, agissent comme des repoussoirs puissants. "Surtout ne pas devenir comme les Français", entend-on fréquemment outre-atlantique...

Enfin, il est regrettable que soit systématiquement caricaturé le camp adverse, et notamment le mouvement Tea Party. La plupart des critiques traduisent d'ailleurs une méconnaissance profonde et tenace de l'esprit américain.
On entend des accusations en tous genres ("ultra-conservateurs", "racistes", "exaltés", "xénophobes," "homophobes"...), mais la pire est d'assimiler ce courant à un "fascisme local" comme le fit Michel Rocard (France-Culture 4/11). Il s'agit véritablement d'une insulte, et très mal venue, car s'il est pays qui a toujours su se tenir à l'abri du totalitarisme ce sont bien les USA. Proférée par des Européens qui n'ont vraiment aucune leçon à donner sur le sujet, ce genre de sottise est franchement méprisable.
En réalité, même si certains excès peuvent se manifester ici ou là, la mouvance Tea Party incarne surtout un magistral et passionnant retour aux sources qu'on aurait bien tort de méconnaître et plus encore de mépriser. Sa caractéristique dominante est de s'opposer à la montée sans fin des prérogatives de l'Etat Fédéral et à la centralisation excessive du Pouvoir. Il s'agit en somme d'une aspiration profonde au Self-Government, ce qui est l'essence même de la démocratie ("le premier devoir d'un gouvernement devrait être d'apprendre aux citoyens à se passer de lui" écrivait en substance Tocqueville). Rien de plus antinomique avec la politique poursuivie par Obama...
Une des figures montantes et prometteuses de ce mouvement est Marco Rubio, jeune Républicain d'origine cubaine, qui vient d'être brillamment élu sénateur de Floride. Peut-être préfigure-t-il l'Amérique des prochaines années. Peut-être représente-t-il avec toute son ardeur juvénile, cette formidable capacité à se renouveler qui fait l'originalité et la force de la Société Ouverte.

02 novembre 2010

Les joueurs de flûte

On voit par les temps troublés qui courent, prospérer d'étranges gourous, rappelant par leur petite musique doucereuse, le fameux joueur de flûte de Hameln. Ils proposent en effet aux maux bien réels dont souffre la société, des remèdes salvateurs, si simples et si séduisants, qu'un nombre croissant de ceux qui les écoutent paraissent littéralement envoûtés.
Abandonnant tout esprit critique et tout bon sens, ils se mettent soudain à ânonner en chœur les  rengaines magiques de ces mirobolants guides "alternatifs" et à les suivre vers je ne sais quelle destinée...
On connaissait déjà par exemple les nouveaux prophètes de la finance, qui déclament que la dette est un mythe inventé par les banquiers. Qu'il suffit pour y remédier de laisser l'Etat fabriquer autant d'argent que de besoin, afin de n'avoir plus à leur emprunter. Selon les plus audacieux, il faudrait même accroitre massivement les dépenses publiques, seul moyen selon eux de résorber la dette, grâce à la relance qui est supposée s'ensuivre mécaniquement.
On sait aussi les belles théories stipulant que le chômage serait un fléau inexistant. Qu'il suffirait pour faire cesser les délocalisations, cause première de nombre de disparitions d'emplois, de revenir au protectionnisme. On sait que certains vont encore plus loin, en affirmant qu'il n'est que d'interdire les licenciements pour résoudre définitivement le problème...
On découvre aujourd'hui, à l'occasion de la problématique des retraites, de nouvelles idées révolutionnaires auxquelles manifestement personne n'avait pensé auparavant tellement elles sont évidentes. Il en est ainsi de celles émises par M. Bernard Friot, sociologue et membre fondateur de l'I.E.S (Institut Européen du Salariat), dans son ouvrage récent : "L'enjeu des retraites".

Pour commencer, M. Friot affirme tranquillement  que contrairement à l'argument principal de la réforme en cours, il n'y a pas de souci démographique. Non seulement il le réfute, mais il prétend qu'il s'agit d'un "bobard" inventé par le Gouvernement à seule fin de diminuer les droits et les acquis sociaux, "de fragiliser une population"...
On quitte dès lors le registre de la douce plaisanterie, et  un artifice de raisonnement particulièrement désagréable se démasque, assez caractéristique de tous les penseurs affiliés peu ou prou à cette nouvelle école.  Outre la tendance au raccourci simplificateur, la démonstration dérape  en effet assez invariablement dans le procès d'intention. Et cet état d'esprit partisan dérive même assez vite vers le militantisme le plus caricatural, en parlant notamment du Président de la République : "on se fait bourrer le mou par un petit excité".
Avec de telles prémisses et des a priori aussi grossiers, tout devient évidemment très facile : "il n'y a de problème que dans nos têtes". 

S'ensuit une alternance savamment dosée de propos tantôt lénifiants quant aux périls, tantôt accusateurs contre le Pouvoir en place. Par exemple pour ce prédicateur béat, l'avenir du financement des retraites est assuré du seul fait de l'augmentation régulière du PIB, qui permet selon lui de redistribuer largement les abondantes richesses produites par le pays. 
Il va sans dire qu'il se pose en défenseur intransigeant du système par répartition n'évoquant même pas la capitalisation, mot qui lui écorcherait manifestement la bouche. D'ailleurs il exclut par principe dans le PIB, toutes les richesses produites par le Capitalisme honni... Il faut préciser que pour lui, la productivité de type capitaliste ne génère de richesses qu'artificiellement, au profit d'une petite minorité de nantis, en dévastant sans vergogne l'environnement, et en pillant les ressources naturelles...

La suite de la démonstration est un modèle, dans le genre qu'affectionnait le savant Cosinus : puisqu'en 1970 il fallait 4 actifs pour payer pour un retraité, et qu'en 2010 deux suffisent, pourquoi un seul ne ferait-il pas l'affaire en 2050 ? CQFD...
Au passage, M. Friot qui n'est pas une outrance près, semble d'ailleurs trouver qu'il y a encore trop d'actifs. Il n'hésite pas en effet à affirmer que le tiers des emplois sont "nocifs" (par exemple la police, évoquée de manière elliptique, et avec force mauvais esprit : "ceux qui attendent dans un camion le dérapage d'une manifestation qui ne se produit pas, sauf si on l'organise").
 
Evidemment, à aucun moment de son discours, ce brillant esprit ne prend en considération l'endettement massif imposé par l'Etat aux malheureux actifs qui produisent le fameux PIB. D'ailleurs, ni le déficit annuel croissant des caisses de retraite, ni la fabuleuse dette nationale qui s'est accumulée au fil des prétendues "conquêtes sociales" ne sont évoqués ne serait-ce que d'un mot. Probablement estime-t-il qu'il s'agit comme tout ce qui contrevient à sa théorie lumineuse, de vilains mensonges...
De même à aucun moment il ne semble interpellé par le fait que tous les pays alentour semblent avoir anticipé la "fallacieuse logique démographique" suivie par l'actuel gouvernement français. Faut-il en déduire que le monde entier soit aussi sot que nos dirigeants ?

Toujours est-il qu'occultant habilement tous ces menus détails, il pourrait sans difficulté entonner l'air  célèbre de la Marquise. Sa rhétorique utopique va d'ailleurs même jusqu'à asséner que sur la tranche des 20-60 ans, nous n'avons jamais été aussi proches du plein emploi, et que la retraite, c'est le bonheur de pouvoir travailler tout en étant "libéré du marché du travail" ! On aurait bien tort de s'en priver...
Et pour finir en beauté, il se paie le luxe de conclure avec une logique toute mélanchonienne, qu'il suffirait pour restaurer tout son sens au travail, "de se débarrasser des employeurs", et pour investir, de faire de même avec les "parasites absolus" que sont les investisseurs.
Dialectique bien huilée en somme, qui fait toujours beaucoup d'effet sur des auditoires crédules, d'autant qu'elle débouche sur la menace, si elle n'était pas suivie d'effets, de voir l'avènement du Front National ou de "Sarkozy au carré", ce qui pour lui est "à peu près la même chose.."

25 octobre 2010

John Mayall, un Croisé du Blues

Côtoyant avec une superbe indifférence le tumulte imbécile qui submerge en ce moment notre pays, le légendaire John Mayall termine tranquillement sa tournée française, avant de continuer son marathon d'automne en Hollande, en Belgique, en Allemagne, en Angleterre et enfin aux USA, où il gagnera fin novembre, le petit paradis d'Hawaï, pour un repos bien mérité.
Par un magnifique hasard j'ai eu la chance de me trouver sur une des étapes de son chemin.
Le bonhomme est superbe. Ses presque 77 ans n'ont pas l'air de peser sur sa longue silhouette efflanquée, toute simple, qui bondit avec légèreté sur ses baskets. L'homme qui autrefois vivait quasi dans les arbres, n'a pas perdu une once de son charme aristocratique un peu déjanté. La longue chevelure est encore solide, bien serrée dans son catogan, et la petite barbiche en feuille d'artichaut qui s'est frotté à tant d'harmonicas, est toujours aussi drue. Certes, le poil a blanchi, mais dans les tripes, c'est manifestement la même ardeur juvénile qu'il y a 45 ans, lorsqu'il fit irruption dans le monde de la Pop britannique, comme un Don Quichotte un peu illuminé. La problématique de la retraite doit lui échapper, le malheureux...
Lorsqu'on arrive un peu en avance pour le concert, il faut le voir à l'entrée tranquillement installé à côté d'une pile de CD qu'il dédicace et vend en toute simplicité aux amateurs ! Pour un peu il contrôlerait aussi les billets...

Depuis les sixties, beaucoup de décibels sont sortis des amplis, et John Mayall s'est imposé comme une sorte de commandeur. Un vrai croisé du Blues comme il aime à se qualifier lui même, avec son groupe inoxydable The Bluesbreakers. On sait quelle magnifique école il fut pour quantité d'artistes. Aujourd'hui encore les musiciens qui l'accompagnent mettent toute la gomme pour jouer une musique pleine de jus, d'énergie et d'émotion. Rocky Athas est à la Gibson. Bien que d'origine texane comme son prédécesseur immédiat Buddy Whittington, son style est très différent. Mais si les riffs sont plus rustiques, ils n'en sont pas moins solides et mordants. A la basse, Greg Rzab balance avec nonchalance de belles et térébrantes vibrations. Enfin Jay Davenport à la batterie assure un canevas rythmique solide à ces succulentes digressions.

Quant à John, il chante bien sûr. La voix de gorge, légèrement aigrelette n'a pas bougé. Elle est tantôt presque gutturale tantôt d'une exquise suavité. Et lorsqu'elle monte dans les aigus, elle sait trouver le chemin des âmes les plus insensibles, en feulant par exemple la complainte indicible de la mort de J.B. Lenoir, un des ses bluesmen chéris.
A l'harmonica bien sûr il reste une référence incontournable, même lorsqu'il se met à improviser avec le minuscule joujou qu'il garde accroché comme un fétiche à son cou. Sans oublier naturellement que l'artiste est un homme orchestre à lui tout seul : claviers, synthé, guitare, rien ne l'arrête, avec une manière unique de faire alterner avec bonheur les sonorités "pure blues", avec celles du jazz, du boogie, du rock...
Ce soir on a eu droit à un sympathique échantillon de sa carrière allant du Parchman Farm de ses débuts, aux compositions très blues-rock de son dernier album Tough. Et entre ces extrêmes, la part belle est faite à Sonny Boy Williamson et à Otis Rush qu'il porte dans son cœur.
Il n'y a rien à faire, cette musique a définitivement marqué l'histoire du blues de son empreinte originale. Du Blues transcendantal en quelque sorte...

23 octobre 2010

Quand Ubu fait la noce avec Dada

Dors tu content André Breton, et tes hideux délires dadaïstes ?
Imaginais-tu vraiment Alfred Jarry,  l'avènement d'Ubu et de sa machine à décerveler ?

Foin de Dada, foin d'Ubu, le fait est que le règne de l'inconséquence, de l'insensé, du fou, que vous redoutiez tout en le désirant, semble arrivé :
Surréaliste évidemment est le débat français sur les retraites, pétri jusqu'au ridicule, d'archaïsmes et de tabous.
Surréalistes ces blocages "citoyens" qui mettent une fois de plus le pays sens dessus dessous, à la merci d'une poignée de péquins hargneux, obsédés par les souvenirs fermentés de la lutte des classes.
Surréaliste la nuée de collégiens et de lycéens qui descendent dans la rue en jappant bêtement comme des chiens andalous, brisant frénétiquement les symboles de la société d'abondance dont ils jouissent pourtant de manière compulsive. Non contents d'obérer leur propre avenir, ils ne se rendent pas compte qu'ils sont les idiots utiles d'une révolte partisane de vieux chnoques, réclamant la pérennité de la rente qu'ils se font déjà sur leurs futurs salaires...
Surréaliste l'attitude des médias, paraît-il vendus au Pouvoir, qui font mine de s'interroger sur les raisons profondes du mécontentement populaire, en donnant la parole complaisamment à des chefs de bandes microscopiques, à peine représentatifs d'eux-mêmes, qui passent leur temps à distiller la même rengaine haineuse. Surréalistes ces médias "d'information" qui s'interrogent rituellement sur le comptage des manifestants en faisant semblant d'accorder quelque crédit aux chiffres monstrueusement boursouflés fournis par les syndicats. Qui font en somme du mensonge et de la désinformation, la nouvelle règle veule du conformisme et de la correction politique.
Surréaliste les Socialistes engraissés au lait du capitalisme, qui continuent envers et contre toutes les évidences, à vouer un culte immodéré au temple idéalisé d'un Moloch sanguinolent, renaissant sans cesse de ses cendres malfaisantes, qu'ils s'ingénient opiniâtrement à parfumer des effluves romantiques de la Révolution.
Surréaliste le Gouvernement qui avec une sorte de morbide jubilation se laisse taxer d'ultra-libéralisme tout en cultivant un sentimentalisme mou sur la prétendue sauvegarde du modèle social "à la française". Surréaliste enfin, le Chef de l'Etat qui alterne de manière incohérente des discours inutilement provocateurs avec des retours hallucinants à un anti-capitalisme rétrograde, ce qui le contraint à faire les choses à moitié ou bien à associer à toute action, son exact contraire, pour faire bonne mesure, ce qui ajoute la grogne à l'inefficacité.

Terrible paradoxe, tandis que la France s'enfonce dans le marasme, et se laisse glisser sur la pente qui mène à la faillite, la plupart des pays alentour semblent avoir pris acte de l'agonie de l'Etat-Providence, et remisé les doux rêves d'un pays de Cocagne auquel les sociétés libres avaient pu croire, un peu naïvement.
Le Royaume Uni annonce un plan de rigueur exceptionnel qui enterre de belles illusions mais permettra peut-être à la patrie de Beveridge de redevenir une Nation responsable et prospère.
L'Espagne suit douloureusement le même chemin, le Portugal, l'Irlande et bien d'autres font de même.
L'Allemagne quant à elle, non contente d'avoir enduré le fardeau colossal d'une réunification avec sa moitié moribonde, a entamé ces réformes depuis déjà quelques années. A l'instant présent, elle enregistre une croissance record, quasi "asiatique" (+3,4%) et peut se vanter d'avoir réduit son déficit dès 2010, au delà des espérances (4% Le Figaro).

«Aujourd’hui marque le jour où le Royaume-Uni s’éloigne du bord du précipice» déclarait il y a quelques jours George Osborne, Chancelier de l'Echiquier (Libération).
La France elle, s'en approche de plus en plus dangereusement.

16 octobre 2010

Quelqu'un de bien

S'agissant de Tony Blair, une chose est sûre : il a l'art de prendre les gens par les sentiments. Qu'on en juge par la manière dont il introduit ses mémoires pour le public français : "J'adore la France. Et plus surprenant peut-être pour un Britannique, j'aime les Français..."
Évidemment, ces exquises politesses ne suffiraient pas à donner une vraie crédibilité à un homme politique, même s'il les traduit en action en parlant français à chaque fois qu'on l'invite sur les plateaux télés. Mais, voilà, il a bien d'autres choses à proposer, et c'est bien là ce qui constitue sa vraie originalité.
Oublions donc un instant ce charisme quasi irrésistible, ce regard intense avec lequel il avale goulument ses interlocuteurs, ce sourire dévastateur qui désarme par avance les questions pernicieuses, cette silhouette agile et élégante qui lui donne l'air de voler au dessus des miasmes, et ce parler direct, clair et simple que chacun comprend aisément.

Car il écrit aussi. Et plutôt bien si l'on en juge par les près de 800 pages dans lesquelles il raconte la fabuleuse épopée que fut son parcours politique, de la conquête du Labour à la tête de la Grande Bretagne.
Ce livre interpelle, tant on est habitué dans le genre, à tomber sur des récits amidonnés par la langue de bois et assaisonnés de mélasse démagogique, dont la seule fin est de glorifier leur auteur.
Rien de cela dans ces confessions, quoiqu'au bout du compte, l'image de l'ancien premier ministre anglais n'en sorte assurément pas moins magnifiée. Le style est libre, l'expression concise, et le ton familier. On croirait presque lire les aventures d'un ami, tant il est économe d'artifices pour livrer à chaque instant le fond de sa pensée et ses sentiments d'être humain. Il sait dire aussi avec des mots simples et vrais, comment l'affection qui le lie à son épouse et à sa famille le soutient dans les épreuves.
Tony Blair parle sans détour des gens qu'il a côtoyé, de ses compagnons, de ses adversaires. Jamais il n'emploie l'invective, ou le mépris. Il aborde sans tabou les choix qu'il fit ou préconisa, en expliquant de manière posée et très convaincante, les arguments qui ont pesé pour lui dans la balance. Il n'élude aucune question, pas même celles qui sont les plus sujettes à polémique. On n'est pas obligé d'approuver mais on comprend ses motivations et le mécanisme qui aboutit aux décisions.

Premier tour de force : celui d'avoir réussi à transformer en profondeur le Parti Travailliste, totalement sclérosé et abonné aux échecs électoraux durant 18 années ! Il faut dire qu'à l'époque, au début des années 90, alors que tombait en poussière l'Union Soviétique, les statuts du parti travailliste continuaient par exemple, d'intégrer l'incroyable clause IV, faisant de la collectivisation complète de l'économie, un impératif incontournable ! A peu près le niveau d'arriération où se situe à l'instant présent notre vieille Gauche hétéroclite...

La remontée de ce courant passéiste, qui charriait des tonnes de rancœur et de nostalgie du Grand Soir lui prit quelques années, mais à leur terme, le parti avait fait peau neuve sous l'appellation de New Labour. Durant ce temps, il avait appris à utiliser en toutes circonstances son charisme naturel. Mais s'il avait aussi engrangé une foule de connaissances sur les jeux de pouvoir, il ne savait pas grand chose sur l'art de gouverner.
Aussi quand ses efforts furent couronnés par le magnifique succès électoral de 1997, qui lui permit d'accéder à la fonction de Premier Ministre, il était comme qui dirait, dans ses petits souliers. Son apparente décontraction cachait en fait une vraie appréhension des terribles responsabilités qui venaient d'échoir sur ses épaules.
La suite de l'histoire on la connaît certes, car elle s'est déroulée sous les yeux du monde jusqu'en 2007. Bien des gens, gênés par les œillères idéologiques qu'ils s'imposent en permanence, ne virent pourtant de sa politique que le petit côté, ou bien l'ombre d'invraisemblables complots, mais jamais le dessein qui s'étalait en pleine lumière sous leurs yeux.
Sans renier les acquis des Tories, lorsqu'il les jugeait avec pragmatisme, bons pour son pays, il réforma un certain nombre d'institutions du secteur public. Le NHS (National Health System), entre autres, que même madame Thatcher n'avait pu faire évoluer, a considérablement amélioré son efficience. Cela ne l'empêcha pas de veiller à moderniser le secteur privé, persuadé qu'"il ne faut pas donner trop de pouvoir à l'Etat".
Une des actions de politique intérieure dont il se dit le plus fier reste la paix en Irlande du Nord.
On entend parfois dire que Tony Blair serait un homme belliqueux adorant les guerres. C'est en l'occurrence faire peu de cas des très périlleuses négociations qu'il mena dans un contexte extraordinairement complexe et douloureux, pour aboutir à cette paix civile.
En politique étrangère, il a toujours été partisan d'une attitude très active. Échaudé par les calamiteuses expériences du passé, lors de la montée du Nazisme et du Communisme, et par la coupable inaction des Nations Unies devant de nombreux drames humains, il préconisa l'intervention armée au Kosovo. Devant l'apathie de ses alliés européens, dont hélas la France, il usa beaucoup d'énergie pour convaincre les Etats-Unis et Bill Clinton, d'entrer dans la bataille. Qu'on le veuille ou non l'intervention musclée de l'OTAN a permis de solutionner le problème et de mettre hors d'état de nuire le tyran Milosevic.

D'une manière générale, Tony Blair, que certains traitent avec une ignorance méprisante de "caniche de l'Amérique", explique pourquoi il fut toujours un fervent défenseur de l'alliance transatlantique, qu'il estime  plus que jamais indispensable, face aux défis du monde actuel. Faut-il être ennemi de l'idéal démocratique, et du modèle de société ouverte, ou bien porté aux tendances suicidaires, pour lui reprocher cette position, frappée au coin du bon sens.
C'est en vertu de cette conviction qu'il se déclara totalement solidaire des USA lors des monstrueux attentats du 11 septembre 2001. Et qu'il le démontra avec détermination et courage, même dans les moments les plus difficiles.
C'est pourquoi il fit cause commune avec George W. Bush pour intervenir militairement en Afghanistan puis en Irak.
Avec humilité il accepte d'être remis en question. Avec une patience angélique il accepte toutes les questions sur le sujet, même les plus virulentes, et même si elles lui ont déjà été posées mille fois... Avec modestie, il assure respecter les avis contraires au sien et affirme qu'aujourd'hui encore, il n'est pas certain d'avoir eu raison.
Attitude à mille lieues de celle du camp d'en face, qui semble vouloir le poursuivre de sa vindicte jusqu'à la fin de temps, sans jamais esquisser la moindre nuance, ni le moindre questionnement, et bien sûr sans se donner la peine d'évoquer de solution alternative aux problèmes terribles qui se posaient alors au Monde Libre.

Rarement un homme politique aura cherché à expliquer avec autant de clarté et de patience, et aussi peu de faux semblants, les ressorts de son action. Cela n'empêche pas certains obtus, qui probablement n'écoutent pas ce qu'il dit et ne lisent pas ce qu'il écrit, de répéter inlassablement les mêmes apostrophes haineuses à propos de ses mensonges, de ses arrières pensées, voire de sa collusion supposée avec la CIA...
Tony Blair est au dessus de ces attaques incessantes. Avec une sérénité déconcertante, il continue d'expliquer à ces dénigreurs grégaires et sans beaucoup de cervelle, comment il affronta les responsabilités qu'il avait choisi d'endosser, et ce, sans jamais montrer d'énervement, ni d'abattement, ni d'aigreur.
Peut-être in petto, se répète-t-il le bon vieil adage : "les chiens aboient, mais la caravane passe..."

13 octobre 2010

De l'indépendance de l'information

Le thème de l'indépendance des médias et des journalistes fait régulièrement l'objet de grands débats. Par un curieux hasard, ce sont souvent les gens les plus engagés politiquement qui réclament le plus fort cette indépendance et crient au scandale lorsqu'à leurs yeux elle est en péril Paradoxe d'autant plus étonnant qu'ils ne font pas mystère de leur engagement : ils l'affichent même fièrement, à la manière des généraux soviétiques qui arboraient d'ébouriffants plastrons de médailles...
Prenons M. Mélenchon, tellement inquiet qu'on puisse ignorer de quel bord il est, qu'il a baptisé "Parti de Gauche", le groupuscule politique auquel il a donné naissance. On a pu le voir récemment, qualifier M. Pujadas, responsable du JT de France 2, de "salaud" et de "laquais du capitalisme", avec des grimaces et une intonation rappelant les rictus sinistres des camarades communistes d'antan. Le motif de cette vindicte : le journaliste avait osé demander à des syndicalistes si les saccages de bureaux et de machines auxquels ils s'étaient livrés devant les caméras, constituaient la meilleure réponse aux licenciements dont ils risquaient d'être victimes.
Prenons maintenant le cas de M. Montebourg, membre éminent du PS, et qui c'est notoire, partage la vie d'une journaliste soi disant d'information. Quelle mouche l'a piqué pour partir en guerre contre TF1, qu'il accuse "d'être de droite", comme s'il s'agissait d'un péché inexpiable ? Soit dit en passant, il est fin limier le bougre, car pour voir un engagement de cette nature dans des programmes que lui-même et ses amis qualifient d'insignifiants, il faut avoir l'oeil exercé. Encore faudrait-il d'ailleurs les regarder, ce que ces gens se vantent de ne jamais faire...

Ces prises de positions outrancières ont au moins un mérite : celui de révéler toute l'inanité de la problématique (en même temps qu'elles démontrent le sectarisme de leurs auteurs). Quelle personne un peu sensée peut vraiment croire à l'indépendance et à l'objectivité parfaites des médias quels qu'ils soient (à part peut-être l'almanach des marées) ? Et qui peut imaginer en la matière, que la source étatique de l'information offre une quelconque garantie ?
Et d'ailleurs qu'y a-t-il de si choquant ?
Y a-t-il quelque chose de plus insidieusement pervers que de prétendre qu'on soit sans opinion lorsqu'on ressent le besoin d'exprimer publiquement ce qu'on pense ? Contrairement sans doute aux anges ou aux purs esprits, les êtres humains sont caractérisés par leurs opinions autant que par leur sexe...
Pour autant, aucune n'est méprisable pourvu qu'elle ne méprise pas les autres. Les lobbies partisans n'ont rien de répréhensible du moment qu'ils sont en nombre suffisant. Une chose est sûre, les groupes de pression "de gauche" ne souffrent pas d'une sous représentation dans les médias...
Personnellement, je préfère de loin celui qui cherche à me convaincre du bien fondé d'une conviction, avec force arguments, à l'autre qui fort de sa prétendue impartialité, se croit permis d'asséner des affirmations abruptes.
Pour cette raison, il paraît fondamental de veiller à prendre ses informations à de multiples sources et de les confronter entre elles, afin de mesurer à l'aune de son propre jugement, le pour et le contre. Une chose paraît des plus terribles à notre époque : en dépit de la facilité pour tout un chacun d'accéder à une information variée, rares sont les gens qui font l'effort de prêter un peu d'attention à des points de vue qui les dérangent, ou tout simplement contraires à ce que Flaubert appelait des idées reçues...

08 octobre 2010

Question d'identité

Très émoustillante réflexion que celle proposée par le blog ami de Michel Santo, au sujet de l'épineux problème de l'identité nationale. Le sujet a certes été rebattu ces derniers temps, et il a donné lieu à toutes sortes d'excès et de galvaudages. Pourtant lorsqu'il est sous tendu par un texte d'Alain Finkielkraut, il ne laisse pas d'interpeller.

Pour faire simple, l'idée est que le sentiment national reposerait principalement sur les caractéristiques historiques du pays et plus particulièrement sur sa littérature : "Être français, c’est d’abord consentir à un héritage, être le légataire d’une histoire. "
A dire vrai, au terme d'une introspection, et malgré tout l'amour que je porte à l'Histoire et aux beaux textes, je suis conduit à émettre quelques réserves quant à cette vision qui me paraît un peu restrictive voire un brin passéiste.
Même si la langue est un élément fédérateur indiscutable, je ne saurais personnellement faire de la littérature, ni même de l'histoire, le fondement exclusif de l'identité nationale.
Sinon, pourquoi donc devrait-on voir survenir une telle crise identitaire en France, qui possède une histoire si riche et une littérature si puissante ? Certes la société moderne et ses illusoires et vaines sollicitations a tendance à nous détourner de nos racines culturelles, mais est-ce une explication suffisante ?

Je prends à l'inverse, l'exemple du peuple américain qui vibre si fort du sentiment national, et cela bien avant d'avoir une histoire, et a fortiori une littérature. Qu'est-ce donc qui le soude de manière si solide en dépit de la mosaïque incroyable de populations et de cultures qui le compose ?
Sans doute avant toute chose, une aspiration, un grand dessein commun, la fierté de représenter quelque chose d'unique, le sentiment de constituer en définitive une grande communauté, dotée d'une vraie personnalité. E pluribus unum...

De ce point de vue, si je me sens personnellement français de culture et de fibres, je ne ressens pas du tout cette aspiration, cette communauté spirituelle, qui me donnerait envie d'être fier de mon pays.
Est-ce parce que la France a subi trop de déchirements et qu'elle semble se plaire à en rouvrir sans cesse les plaies avec une délectation morbide ? Est-ce parce qu'elle n'a pas ou plus de vraie ambition, pas de grand dessein, autre qu'un égocentrisme trop souvent méprisant ?

S'agissant de sa littérature, elle ne constitue pas davantage un ancrage culturel exclusif ou radical.
De ce point de vue j'ai du mal à comprendre Alain Finkielkraut lorsqu'il s'avoue déprimé en évoquant l'aveu d'une personne d'origine polonaise, qui se sent française bien qu'elle ne connaisse ni Proust, ni madame de La Fayette... Qu'y a-t-il de si choquant ?
J'aime pour ma part la littérature de mon pays, mais hormis la langue qui me permet de l'apprécier immédiatement, je ne la distingue pas vraiment de celle des autres nations, au moins de celles qui ont des racines culturelles proches. J'adore Chénier, Musset ou Verlaine mais j'ai la même fascination pour Keats, Shelley, Dante ou Novalis. Je voue un culte à Montaigne, à Montesquieu ou à Voltaire mais j'éprouve la même chose pour Kant, pour Hume ou pour Locke. J'admire Hugo et Molière mais ils font partie de la même famille que Shakespeare, Goethe ou Cervantès. Il en est de même pour d'autres formes d'expression artistique, la Peinture ou la Musique...

En définitive, le poids de l'histoire, ou la force de la littérature contribuent sans doute assez peu au sentiment d'être français. C'est ce qui fait la civilisation bien davantage que la nation. D'ailleurs réduite à celle d'un seul pays, la culture expose au chauvinisme.
Le coq gaulois est une forme d'expression peu ragoûtante de cette arrogance étriquée, assez éloignée à mon sens de l'idée de culture et d'intelligence.
En France je veux être Français, mais en Amérique j'aimerais être Américain, en Allemagne Allemand, en Espagne Espagnol...

A la fin de son propos Finkielkraut ne peut s'empêcher de revenir à sa douce attirance pour le passé. Il assure que "la culture a la vertu de nous vieillir", mais est-il vraiment opportun de pouvoir "s'émanciper du présent" comme il le recommande, ou "de pouvoir habiter d'autres siècles" comme il en rêve ?
Ce n'est pas nécessairement en étant obsédé par le passé qu'on peut imaginer l'avenir. Encore une fois l'Histoire américaine est édifiante. Sans renier  leurs racines, mais en regardant droit devant eux, les Emigrants du Nouveau Monde ont relevé un formidable défi.
Les Européens de leur côté, ont manifesté beaucoup de mépris pour cette expérience et pour cette nouvelle nation "sans culture ni histoire". Ils auraient pu à l'inverse, en tirer des leçons pour transcender les leurs et régénérer leur vieux continent.
Car à l'évidence, c'est ce qui s'impose aux nations qui constituent ce conglomérat fatigué, si elles veulent survivre et renaitre des cendres dans lesquelles l'auteur de la Défaite de la Pensée les voit avec raison se consumer. Mais pour cela, il faudrait ressentir ce qui fait en somme l'identité européenne, et au delà, être fier de ce qui fait l'essence de la civilisation occidentale...