17 janvier 2011

Vae Victis

L'affaire du Mediator n'en finit pas de défrayer la chronique.
Après plusieurs semaines de surenchère médiatique, elle a pris la tournure d'une catastrophe sanitaire de grande ampleur (plus de 2000 morts selon les projections théoriques les plus outrancières).
Dans la foulée, et selon la bonne vieille habitude, les Pouvoirs Publics aux abois ont cru bon, pour circonscrire l'incendie, de se délester par IGAS* interposée, d'un "rapport".
Ce rapport est "accablant" pour le Laboratoire, coupable de négligence voire de "manœuvres" ou de "tromperie". Pour lui, c'en est donc probablement fini, maintenant qu'il est ainsi cloué au pilori. La curée peut commencer. Au moment où la crise transforme tous les entrepreneurs qui réussissent en salauds, que dire de ceux qui sont présentés comme n'hésitant pas à vendre des produits mortifères pour satisfaire leur cupidité ? Alors qu'aucune vraie enquête judiciaire n'est commencée, M. Servier, est déjà cité à comparaître devant le Tribunal Correctionnel. Et tout le monde veut déjà se servir sur la bête. Les patients d'abord, poussés par le "sens de l'histoire", et de zélés avocats, constituent leurs dossiers de doléance. La demande de création d'un fonds d'indemnisation est sollicitée d'urgence. L'Assurance Maladie n'est pas en reste. L'avocat de la CNAM souhaite que cette dernière soit indemnisée par Servier à hauteur de 220 millions d'euros pour la période 2000-2009...

Ce rapport est accablant également pour les organismes publics, non moins sévèrement pointés du doigt pour leur "lenteur", leur "lourdeur", leur "manque de réactivité", et leur "inefficacité". Pourtant , dans ce contexte, cela va de soi, personne en particulier ne sera selon toute probabilité, inquiété (sans doute, l'adage "responsable mais pas coupable" fera jurisprudence). Au contraire, on peut déjà prévoir que la machinerie étatique pourtant gravement mise en défaut, renforcera encore son emprise. On procédera à une nouvelle réforme interne, on changera sans doute une fois de plus le nom des institutions chargées de "réguler" et "d'encadrer" la commercialisation des médicaments. On peut s'attendre également à un alourdissement de la bureaucratie déjà très complexe supposée autoriser, réglementer, contrôler. M. Bertrand commence déjà à invoquer pour protéger les organismes d'état, le principe très commode du "renversement de la preuve"...
Etrange histoire pour un médicament dont le rapport bénéfice/risque était d'emblée médiocre et connu de tous, et qui fut pourtant trente ans durant, avalisé par toutes les autorités dites compétentes, remboursé par une Sécurité Sociale complaisante, prescrit par des médecins pas trop regardants, et consommé par des patients très demandeurs, surtout dans ses indications non reconnues, à savoir celle de coupe-faim...
Mais le fait est que lorsque le scandale est là, malheur aux vaincus...

La Tunisie s'embrase.
La Tunisie était le pays du Maghreb le plus souvent cité en modèle. Celui qui quoique sans ressources naturelles avait les meilleurs indicateurs socio-économiques, qui s'était le plus modernisé, qui pouvait afficher les meilleurs chiffres en matière d'alphabétisation et d'éducation. Un des pays musulmans enfin, où la religion semblait manifester le moins d'agressivité (au fil des siècles, toutes les autres avaient tout de même été à peu près complètement éradiquées de son sol...)
Aujourd'hui, ce pays sombre brutalement dans la révolution. Hélas, même avec le doux nom du jasmin, et même si elle est présentée comme une entreprise de libération, elle compte déjà des dizaines de morts, et à l'instant présent, montre au monde le visage hideux des lynchages, des saccages, des pillages, des accusations à l'emporte-pièce...
Certes le régime établi depuis 23 ans par le président Ben Ali désormais déchu, n'était pas un parangon de démocratie. Elu et réélu depuis 1987 avec des scores généralement supérieurs à 90%, il témoignait d'une absence quasi totale d'opposition et d'un quadrillage policier permanent.
Tout n'était certes pas au beau fixe dans ce pays, mais cela n'empêchait pas des millions de touristes joyeux et insouciants d'affluer chaque année sur ses plages idylliques. Certains commençaient même à s'y faire soigner, preuve des progrès accomplis en la matière ! Cela n'empêchait pas non plus les entreprises d'y délocaliser leurs chaines de production, et une nombreuse clientèle d'acheter les produits qui y étaient fabriqués, en raison de leur prix très attractif. Cela n'empêchait pas enfin, l'Internationale Socialiste de compter avec beaucoup de mansuétude dans ses rangs, le parti au pouvoir à Tunis, à savoir le RCD (au même titre que celui de Laurent Gbagbo d'ailleurs...)
Personne n'a donc de leçon de vertu à donner et il n'y a guère de raison d'ironiser sur l'attitude quelque peu gênée aux entournures, du gouvernement français, observant dans un premier temps sans mot dire (si ce n'est des maladresses) le soulèvement populaire.
Ce fut de toute manière le lot de la plupart des pays. Et d'ailleurs que pouvait-on dire ou faire de plus que pour la Côte d'Ivoire où se déroule depuis plusieurs semaines, une pitoyable mascarade. Où l'on voit un président clairement rejeté par la volonté populaire, narguer la communauté internationale, et se maintenir en place par la force, après avoir, lui aussi, fait tirer sur ses compatriotes...
S'agissant de la Tunisie, plus rien n'empêche maintenant que le dictateur est en fuite, les langues de se délier subitement. Désormais, la France exprime "un soutien déterminé" au peuple tunisien, elle réclame "au plus vite des élections libres", et dixit la Presse en chœur : "La quasi-totalité de la classe politique française a salué la chute du régime tunisien".
Encore une fois malheur aux vaincus...

Ces deux histoires n'ont strictement rien en commun, cela va de soi. Mais dans les deux cas,  il faut bien évidemment souhaiter que le droit sorte renforcé de ces désordres, et qu'on y gagne plus de responsabilité et de liberté. Mais on peut hélas avoir quelques doutes...

*IGAS : Inspection Générale des Affaires Sociales

13 janvier 2011

Chine morte, Chine transfigurée

Lorsque Pierre Loti (1850-1923), à la fin du mois de septembre 1900, aborde le golfe de Petchili, par où l'on accède  par voie maritime à Pékin, un été terrible s'achève. Quelques mois auparavant, la révolte furieuse des Boxers avait en effet mis cette région à feu et à sang.
Né au sein d'une confrérie influente d'adeptes du Kung Fu, et dirigé initialement contre les derniers héritiers de la dynastie des empereurs mandchous, accusés d'avoir laisser déchoir le pays, ce brusque soulèvement se tourna avec une particulière violence vers les étrangers et par extension vers les Chrétiens, jugés coupables de piller les ressources du pays depuis près d'un siècle.

En ce début d'automne, au terme du fameux siège de Pékin, long de 55 jours, la rébellion vient d'être matée et sévèrement réprimée par l'alliance conjoncturelle de huit nations, dont la France.
Le monde que va découvrir Loti porte encore la marque nauséabonde de ces horreurs. Le spectacle est consternant. Dans les jardins de l'évêché de la ville impériale par exemple, "les puits dévastés remplissent aujourd'hui le voisinage d'une odeur de mort. C'étaient trois grands puits ouverts, larges comme des citernes, fournissant une eau si pure qu'on l'envoyait de loin chercher pour le service des légations. Les Boxers les ont comblés jusqu'à la margelle avec les corps mutilés des petits garçons de l'école des frères et des familles chrétiennes d'alentour. Les chiens tout de suite sont venus manger à même l'horrible tas qui montait au niveau du sol; mais il y en avait trop; aussi beaucoup de cette chair est-elle restée, se conservant dans la sécheresse et dans le froid, et montrant encore des stigmates de supplice. Telle pauvre cuisse a été zébrée de coupures, comme des entailles faites sur les miches de pain par les boulangers. Telle pauvre main n'a plus d'ongle. Et voici une femme à qui l'on a tranché avec quelque coutelas une partie intime de son corps pour la lui mettre dans la bouche, où les chiens l'ont laissée entre les mâchoires béantes..."

Derrière ces décombres fumants, les vestiges d'une civilisation vieille de trente siècles vont pourtant s'imposer au nouvel arrivant à la manière d'une révélation sublime et tragique.
La Chine à l'orée du XXè siècle est un paysage étrange, où la mort et la désolation côtoient sans cesse les merveilles du passé.
La mort est en effet partout. Celles des récents massacres avant tout. Mais aussi les tombeaux qui peuplent cet univers laqué : "Des tombeaux, toujours beaucoup de tombeaux; la Chine, d'un bout à l'autre, en est encombrée".
Et d'une manière plus générale, la poussière "soufflée par les déserts de Mongolie", qui envahit l'atmosphère et semble couvrir le pays d'une sorte de linceul : "la poussière, l'éternelle et souveraine poussière, confond les objets, les gens, la foule d'où s'échappe un bruit d'imprécations, de gongs et de clochettes, dans un même effacement d'image estompée."

Mais dans ce monde qui semble désespéré, au sein de la confusion et du désastre, se dessinent pourtant peu à peu des formes d'une surprenante beauté. Et pour le bonheur du lecteur, l'écrivain excelle dans l'art de dépeindre les sensations qui croissent en lui à mesure qu'il fait la connaissance de cet environnement stupéfiant auquel tant de "barbares d'Occident" sont restés hermétiques : "Au-dessus de l'invraisemblable poussière, rayonne une clarté blanche et dure, et resplendit cette froide et pénétrante lumière de Chine, qui détaille les choses avec une rigueur incisive. Tout ce qui s'éloigne du sol et de la foule se précise par degrés, prend peu à peu en l'air une netteté absolue. On perçoit les moindres petits monstres, au faîte de ces arcs de triomphe, si haut perchés sur leurs jambes minces, sur leurs béquilles, sur leurs échasses qui semblent se perdre en dessous, se diffuser, s'évaporer dans le grouillement et dans le nuage. On distingue les moindres ciselures au sommet des stèles, au sommet des hampes noir et or qui montent piquer le ciel de leurs pointes; et même on compterait toutes les dents, les langues fourchues, les yeux louches de ces centaines de chimères d'or qui jaillissent du couronnement des toits."

En découvrant les temples et les palais de la ville impériale, Loti est ébahi. Il a "la révélation d'un art chinois, que l'on ne soupçonne guère en Occident, d'un art au moins égal au nôtre, bien que profondément dissemblable. Portraits d'empereurs en chasse ou en rêverie solitaire dans des forêts, dans des sites sauvages qui donnent l'effroi et le nostalgique désir de la nature d'autrefois, du monde inviolé des rochers et des arbres. Portraits d'impératrices mortes, peints à l'aquarelle sur des soies bises, et rappelant un peu la grâce candide des Primitifs italiens; portraits pâles, pâles, presque incolores, comme si c'étaient plutôt des reflets de personnes, vaguement fixés et prêts à fuir; la perfection du modelé, obtenue avec rien, mais toute l'intensité concentrée dans les yeux que l'on sent ressemblants et qui vous font vivre, pour une étrange minute, face à face avec des princesses passées, endormies depuis des siècles sous les mausolées prodigieux... Et toutes ces peintures étaient des choses sacro-saintes, que jamais les Européens n'avaient vues, dont ils ne se doutaient même pas. "

Il s'émerveille du talent, de l'imagination et de la précision diabolique dont ont fait preuve les artistes chinois pour faire parler les matières : "même dans les mille détails des broderies, des ciselures, dont la profusion ici nous entoure, combien cet art est habile et juste, qui, pour rendre la grâce des fleurs, en exagère ainsi les poses languissantes ou superbes, le coloris violent ou délicieusement pâle, et qui, pour attester la férocité des êtres quels qu'ils soient, voire des moindres papillons ou libellules, leur fait à tous des griffes, des cornes, des rictus affreux et de gros yeux louches... Elles ont raison, les broderies de nos coussins : c'est cela, les roses, les lotus, les chrysanthèmes! Et, quant aux insectes, scarabées, mouches ou phalènes, ils sont bien tels que ces horribles petites bêtes peintes en reliefs d'or sur nos éventails de cour... "

"Le grand luxe inimitable de ces salles de palais, c'est toujours cette suite d'arceaux d'ébène, fouillés à jour, qui semblent d'épaisses charmilles de feuillages noirs. Dans quelles forêts lointaines ont poussé de tels ébéniers, permettant de créer d'un seul bloc chacune de ces charmilles mortuaires? Et au moyen de quels ciseaux et avec quelle patience a-t-on pu ainsi, en plein bois, jusqu'au cœur même de l'arbre, aller sculpter chaque tige et chaque feuille de ces bambous légers, ou chaque aiguille fine de ces cèdres, — et encore détailler là dedans des papillons et des oiseaux"

Au printemps 1901, au moment de quitter cette Chine dans laquelle le sentiment dramatique se mariait si étroitement à l'extase, Loti fait un constat déchirant : "Cette « Ville impériale », c'était un des derniers refuges de l'inconnu et du merveilleux sur terre, un des derniers boulevards des très vieilles humanités, incompréhensibles pour nous et presque un peu fabuleuses."

Le titre de l'ouvrage le dit sans détour, pour l'auteur la Chine millénaire avait vécu ses dernières heures et il faut bien dire que sa vision de l'avenir avait de quoi inquiéter : "Mon Dieu, le jour où la Chine, au lieu de ses petits régiments de mercenaires et de bandits, lèverait en masse, pour une suprême révolte, ses millions de jeunes paysans tels que ceux que je viens de voir, sobres, cruels, maigres et musclés, rompus à tous les exercices physiques et dédaigneux de la mort, quelle terrifiante armée elle aurait là, en mettant aux mains de ces hommes nos moyens modernes de destruction!... Et vraiment il semble, quand on y réfléchit, que certains de nos alliés aient été imprudents de semer ici tant de germes de haine et tant de besoins de vengeance. "

De fait, après la terrible révolte des Boxers, vint l'écroulement définitif de l'Empire, les débuts très tourmentés de la République, la défaite humiliante face au Japon, puis l'avènement monstrueux du communisme, et de nouveaux morts, cette fois par dizaines de millions.
Même si les sombres prévisions se sont donc révélées assez justes, il est difficile de déterminer dans quelle mesure l'analyse de l'écrivain, qui contenait en germe la culpabilité du monde occidental, le fameux "sanglot de l'homme blanc", était juste. Même si elle eut à souffrir de certaines menées impérialistes européennes, la Chine ne dut la plupart de ses malheurs qu'à elle-même.
Que dirait Loti, aujourd'hui que se dresse fier et arrogant, sur les ruines de l'ancien, et après tant de misères, un nouvel Empire ? Le verrait-il avancer en paix vers plus de liberté et de maturité, et en capacité de contribuer à nouveau au progrès du Monde ? Le croirait-il en mesure de tirer parti des merveilles de civilisation dont témoignent les vestiges de son passé, si lumineusement et si amoureusement évoqués ici ?

03 janvier 2011

Lumières dans la nuit

Avec un poème, je terminais 2010, avec un autre, je voudrais saluer ce nouvel an. Avec juste un poème, écrit par quelqu'un dont je ne connaissais guère que le nom il y a quelque jours encore.
Avec quelques vers d'un poète, né et mort dans une cité légendaire : Alexandrie. Une ville qui fut une sorte de trait d'union entre le monde antique et le monde moderne, et qui embrassa au cours de siècles tumultueux, les religions aussi bien que les civilisations. Une ville autrefois splendide, cosmopolite, éclairante, et qui aujourd'hui même se trouve ensanglantée par une barbarie sans nom. Un monde de sortilèges magnifiés par Lawrence Durrell, et qui est en train de déchoir, de s'éteindre, entrainé dans une mortelle et désolante dérive.
C'est par l'auteur du Quatuor que j'avais entendu parler de Constantin Cavafy (1863-1933), auteur très secret et très subtil, égyptien de villégiature, helléniste d'inspiration, et européen de culture. Et c'est par un heureux hasard, que dans le doux asile d'une librairie parisienne, j'ai pu en approfondir ma connaissance, en faisant l'acquisition d'un recueil de poésies nouvellement traduites*. Elles ont un charme difficile à définir, un mélange de grâce et de légèreté, de nostalgie et de désinvolture. Une sorte de fragile et lointaine élégance.

Alors qu'une nouvelle orbite astrale commence et nous emmène vers je ne sais quel destin, j'ai trouvé dans ce livre, quelques strophes délicates, qui pourraient constituer une charnière idéale entre deux années. Dans la pénombre dévorante de l'univers, soyons attentifs aux étoiles qui scintillent... Elles sont les repères de notre espérance.

Les jours de l'avenir se tiennent devant nous
Comme une rangée de petits cierges allumés, -
Petits cierges dorés, chauds et lumineux.

Les jours passés restent en arrière,
Morne rangée de cierges éteints;
Les plus proches fument encore,
Cierges froids, fondus et courbés.

Je ne veux pas les voir; leur aspect m'attriste
Et m'attriste aussi le souvenir de leur clarté.
Je regarde devant moi mes cierges allumés.

Je ne veux pas me retourner, ne pas voir avec effroi
Combien vite s'allonge la ligne sombre
Combien vite augmentent les cierges éteints.

Constantin Cavafy Poèmes traduits du grec par Ange S. Vlachos, Editions Héros-Limite 2010.

22 décembre 2010

Une femme disparaît

En saluant devant les portes de l'éternité, la mémoire de Jacqueline de Romilly (1913-2010), c'est évidemment un bel et noble esprit que je voudrais honorer.
C'est aussi le souvenir ébloui de la merveilleuse épopée que toute sa vie durant, elle chercha à faire revivre par la pensée et par l'écriture : la Démocratie Athénienne.
Il y aurait sans doute une foule de choses à dire sur cette œuvre monumentale, pas toujours facile d'accès, mais une de ses forces fut de montrer avec éclat, l'importance que revêt l'éducation dans l'édification et la pérennisation d'une société de liberté et de justice.
Dans un de ses ouvrages traitant des "Problèmes de la Démocratie Grecque*", elle évoquait superbement ce point de vue en s'appuyant sur certains penseurs de l'antiquité. Isocrate par exemple, qui dans l'aréopagitique soulignait que "c'est par l'effet d'une mauvaise éducation que l'on prend l'indiscipline et la licence pour la liberté démocratique".
A contrario, "les gens qui ont été élevés dans la vertu savent obéir aux plus imprécises des lois".
On ne saurait rêver plus belle vision, ô combien prophétique du rêve de self-government qui pourrait caractériser selon certains Libéraux, une société parvenue à l'âge de raison et donc de liberté et de responsabilité.
Cette conception frappe en tout cas, par son intrépide modernité.
Lorsque, forte de sa connaissance du monde ancien, Jacqueline de Romilly affirme que "l'éducation est la condition de la vertu, qui seule permet le bonheur et la liberté des Etats", on ne peut s'empêcher de faire le parallèle avec l'idéal des pères fondateurs de la démocratie américaine, tel qu'il apparaît notamment dans la déclaration d'indépendance.
Il y a plus qu'un écho entre ces deux expériences, l'américaine et la grecque, séparées par deux millénaires, mais une chose est sûre : toutes deux furent caractérisées par de spectaculaires progrès dans tous les domaines de ce qu'on peut appeler la civilisation.
Hélas, l'aventure athénienne périclita, si je puis dire, à la fin du siècle de Périclès. Beaucoup de malheurs s'ensuivirent pour l'humanité et beaucoup de siècles de régression se succédèrent avant de renouer avec l'idéal démocratique. J'ignore si le fait de ne plus cultiver l'amour de l'antiquité et d'abandonner la pratique des langues mortes constituent des signes prémonitoires du déclin de la démocratie occidentale. S'agissant de l'éducation, il est certain qu'elle bat de l'aile. Il est non moins sûr qu'il s'agit d'un mauvais augure, eu égard au délitement de la pensée, et au navrant galvaudage de l'idée de liberté auxquels on assiste en parallèle. Plus que jamais il y a lieu de se souvenir de l'avertissement d'Isocrate, relayé par Jacqueline de Romilly.

Pour conclure, il me vient l'idée d'évoquer ici le souvenir du grand poète français André Chénier (1762-1794), qui fut la victime innocente des "bourreaux barbouilleurs de lois" de la Révolution. Il aimait passionnément l'antiquité, et voulait la réconcilier avec son temps à travers le syncrétisme de la poésie : "Sur des pensers nouveaux, faisons des vers antiques".
Sans nul doute cet extrait délicieux des Bucoliques, pourrait s'adresser à cette femme, écrivain magnifique, esprit irradiant, qui vient de nous quitter...

Vierge au visage blanc, la jeune Poésie
En silence attendue au banquet d'ambroisie,
Vint sur un siège d'or s'asseoir avec les Dieux,
Des fureurs des Titans enfin victorieux.
La bandelette auguste, au front de cette reine
Pressait les flots errants de ses cheveux d'ébène;
La ceinture de pourpre ornait son jeune sein,
L'amiante et la soie, en un tissu divin,
Répandaient autour d'elle une robe flottante,
Pure comme l'albâtre et d'or étincelante.
Creux en profonde coupe, un vaste diamant
Lui porta du nectar le breuvage écumant.
Ses belles mains volaient sur la lyre d'ivoire.
Elle leva ses yeux où les transports, la gloire,
Et l'âme et l'harmonie éclataient à la fois
Et, de sa belle bouche, exhalant une voix
Plus douce que le miel ou les baisers des Grâces,
Elle dit des vaincus les coupables audaces,
Et les cieux raffermis et sûrs de notre encens,
Et sous l'ardent Etna les traîtres gémissants...

* Jacqueline de Romilly. Problèmes de la démocratie grecque. Editions Hermann 1975. Réédité en poche : Agora Pocket 1996

20 décembre 2010

Larmes d'Ivoire

J'avais pensé intituler cette chronique Guignol's Band tant la situation actuelle en Côte d'Ivoire, avec ses deux présidents élus, pourrait parfois prêter à rire.
Malheureusement, c'est un drame qui semble se nouer derrière cette pantomime électorale. Le peuple de ce pays risque d'en faire les frais, mais la Communauté Internationale joue gros également.
L'ONU qui a cru bon (et qui pourrait le lui reprocher ?) de se porter garante du bon déroulement du dernier scrutin destiné à élire le président de la république, se trouve aujourd'hui dans une situation inconfortable.
Il est clair que le despote qui revendique une souveraineté devenue illégitime aux yeux du monde entier, ne manifeste aucune intention de faire machine arrière.
Que peut dorénavant faire la Communauté Internationale ?
S'en tenir à des avertissements musclés mais verbaux, et brandir la menace d'hypothétiques sanctions comme l'a déjà fait le président Sarkozy ? Il y a peu de chance que Laurent Gbagbo n'obtempère avant longtemps à ces pressions. Au point où il est rendu, il perdrait tout, et serait sans doute passible de poursuites judiciaires. Son acharnement a déjà causé la mort de plusieurs dizaines de ses concitoyens.
Faire tenir aux Casques Bleus la position de plus en plus intenable et absurde d'observateurs dans ce pays en proie à l'instabilité et à un début de guerre civile ? Ce serait proprement ridicule et indigne.
Ou bien menacer de déloger manu militari le gouvernement indésirable ? Ce serait évidemment l'engrenage infernal, et le risque de se trouver confronté à une situation rappelant fâcheusement l'intervention en Irak. Pire sans doute, car Gbagbo n'est pas accusé de détenir des armes de destruction massive, ne menace pas les pays voisins, et ne s'est pas rendu coupable d'une oppression sur son peuple, comparable à celle de Saddam Hussein.
On lui reproche surtout d'avoir truqué le résultat d'élections et bien qu'il ne fasse guère de doute qu'il soit mis en minorité, il conserve des appuis nombreux et puissants dans son pays. Une intervention extérieure ne serait donc vécue comme libératrice que par une partie de la nation. Contexte explosif s'il en est.
Pour l'heure, toutes les parties semblent jouer le pourrissement de la situation, espérant un improbable et heureux dénouement "à l'amiable", mais certains signes font craindre un abandon progressif du terrain par la Communauté Internationale.
On apprenait le dimanche 19/12 par Le Monde que le Royaume Uni avait recommandé à ses ressortissants de quitter le pays et que le Département d'Etat américain "avait ordonné aujourd'hui aux employés non-essentiels de leur ambassade en Côte d'Ivoire et à leurs familles de quitter le pays" en raison d'une "détérioration de la situation politique et sécuritaire" à Abidjan et d'un "sentiment anti-occidental croissant" dans le pays...
Un sombre pressentiment commence à étreindre tous ceux qui espèrent encore une résolution pacifique à cette affaire. L'ONU y joue sa crédibilité. Une fois encore la question se pose : jusqu'où peut aller le fameux droit d'ingérence ?

Jusqu'à présent en tout cas, les Droits-de-l'hommistes sont plutôt discrets. C'est pourtant dans ces moments qu'on aimerait qu'ils proposent de belles et bonnes solutions...

16 décembre 2010

Mark Twain et les Français

On connaissait l'humour décapant et le talent picaresque de Samuel Langorne Clemens dit Mark Twain (1835-1910), on savait moins qu'il entretenait une liaison plutôt contrastée avec la France. Relevant de l'amour vache en quelque sorte.
Les Editions de Paris ont pris l'initiative de réunir récemment quelques textes caustiques* dans lesquels l'auteur des aventures de Huckleberry Finn, s'épanche au sujet de notre pays. Certains étaient inédits, d'autres sont extraits du récit de voyage The Innocents Abroad. D'une manière générale, ils valent leur pesant de cacahuètes.
On y trouve notamment une violente satire des Français qu'il prend la liberté de comparer aux Comanches ! C'est d'autant plus iconoclaste qu'il donne à bien des égards, l'avantage aux Indiens...

En gros, il fait le reproche aux citoyens de l'Hexagone de nourrir un penchant aussi avéré que détestable pour les luttes fratricides : "Les Comanches occupent un rang supérieur aux Français au moins sur un point : ils ne se battent pas entre eux, alors que le passe-temps favori des Français, depuis toujours, consiste à s'exterminer mutuellement par le fer et par le feu".
Sur ce plan selon lui, "la Saint-Barthélemy, fut incontestablement le modèle le plus accompli jamais réalisé dans le monde". Vient ensuite la Révolution pendant laquelle "l'ingéniosité française a atteint son point culminant, quand les Révolutionnaires attachèrent des femmes nues à des hommes nus, et les jetèrent dans le fleuve..."

Évidemment, Mark Twain cultive avec délectation la caricature. N'empêche, à bien y réfléchir, il n'a pas complètement tort. Les haines assez binaires qu'on voit encore de nos jours s'exprimer lors de maintes confrontations idéologiques ou sociales, témoignent de cet esprit de querelle et de détestation réciproque. Le renvoi permanent de tout débat, aux sombres références des années quarante, est également un stigmate de cette tendance à diaboliser l'autre, de cette vraie névrose qui consiste à s'obséder de manière manichéenne et ridicule sur la distribution des rôles de salauds et de héros. Au plan politique enfin, peu de pays cultivent encore avec autant d'obstination que nous, le fantasme rétrograde de la lutte des classes, et du Grand Soir.

L'autre sujet d'étonnement de l'écrivain américain est l'aptitude apparente du peuple français à se soumettre aux dirigeants "à poigne", et d'une manière générale aux grands principes intangibles.
Capables de se muer en tigres s'ils sont contrariés ou simplement laissés un peu trop libres, les Français sont des lapins faciles à dresser pour ceux qui savent s'y prendre. Ainsi Louis XVI, trop faible et dont ce n'était pas "le style de faire les choses au bon moment" se trouva submergé par un torrent de violence, qui lui fit perdre la tête en même temps qu'il mit à bas l'ancestrale monarchie dont il était l'héritier maudit. Napoléon en revanche, "qui porta l'esprit militaire jusqu'aux cimes de la perfection, lorsqu'il le jugea bon, fit reprendre à la nation son ancienne peau de lapin, lui mit son pied sur le cou, et les Français le glorifièrent pour cela.
Au passage, Mark Twain observe que "s'il est convenablement discipliné et entrainé" le Français peut devenir "le plus redoutable des soldats", et que si on exploite habilement sa vanité on le rend "capable de tenter des miracles dans tous les domaines, art, industrie, politique, littérature..."
Là encore Mark Twain subodorait avec justesse certaines propensions du tempérament gaulois. Enclins à rechigner, à revendiquer et à faire la révolution, les Français s'en remettent en général avec une stupéfiante docilité à l'Etat omnipotent, et aux Lois produites en quantités industrielles,  qu'ils se plaisent à interpréter "à la lettre", avec un zèle quasi fanatique, faisant bien souvent fi du bon sens et du pragmatisme.
Les Français aiment manifestement être administrés et ont un besoin naturel de tutelle. En définitive, c'est sans doute pour ça qu'ils sont si opposés aux concepts du libéralisme et à l'objectif de "self-government" chers aux Anglo-Saxons.

C'est pour ces raisons en tout cas, que Mark Twain pour sa part, s'autorisait à attribuer à la France "une place éminente parmi les peuples incomplètement civilisés de notre planète."
Et qu'avec un mélange cruel de tendresse et de sarcasme il proposait de nous apporter une aide narquoise : "Essayons de venir en aide aux Français. Laissez-nous prendre en charge affective ce lien déprécié entre l'homme et le singe, et élevons-le jusqu'à nous fraternellement."

* Mark Twain. Damnés Français. Les Editions de Paris, traduction Max Chaleil 2010.

03 décembre 2010

Secrets de Polichinelle

A-t-on vu entreprise médiatique plus stupide que celle qu'il est convenu d'appeler Wikileaks
Y a t-il plus grotesque que cette officine obscure qui, avec des manières de comploteurs tapis dans l'ombre, se donne pour mission de jeter la lumière sur tout et sur rien, sans but, sans raison, sans utilité ?
Encore une fois se vérifie l'adage qui veut que le mieux soit l'ennemi du bien. 
Ce déversement insensé de câbles et courriers diplomatiques en tout genre sur la place publique, n'apprend quasi rien qui ne fusse déjà plus ou moins connu. Il s'abat comme une bourrasque de neige, accaparant l'attention pendant quelques jours, bouleversant le train train quotidien, et disparaissant aussi vite...
Fin octobre déjà, une pluie de révélations provenant de la même source, était supposée éclairer d'un nouveau jour les conflits irakien et afghan. Qu'en reste-t-il un mois à peine après leur diffusion ? Rien. La Guerre n'est pas vraiment jolie, voilà toute la leçon de ce tapage stérile...

A la vérité, ces fuites dans la grosse machine médiatique, révèlent un dysfonctionnement majeur. Le moteur de l'information tourne à vide. Il déforme plus qu'il n'informe, il gave plus qu'il nourrit, et il se montre de plus en plus incapable de susciter de vraies réflexions, ne provoquant même plus de curiosité. En revanche il disperse quantité de pollutions, asphyxiant ce qui reste d'esprit critique. Trop d'informations tue l'information...

On pourrait gloser sur la nature profonde de ces divulgations. Est-ce la fascination du pire qui conduit les auteurs à démolir la crédibilité du modèle de société ouverte qui leur permet de vivre ? Est-ce la veulerie qui les empêche de s'attaquer à des secrets plus terribles et beaucoup mieux gardés, dans des régimes beaucoup moins complaisants que nos molles démocraties ?
Y a-t-il une arrière pensée politique qui fait qu'à chaque fois ce sont les journaux de la pensée unique, phares de la gauche bien pensante, qui ont la primeur de ces fuites ?
La rédaction du journal Le Monde, qui avec le New York Times, Der Spiegel, El Pais, The Guardian, fait office de caisse de résonance à ces pseudo-informations, révélait le 29/11, qu'elle n'était pas vraiment dupe de la manoeuvre : "Ce n'est pas un hasard si ces nouvelles révélations émanent des Etats-Unis, le pays le plus avancé technologiquement et, d'une certaine manière, la société la plus transparente, plutôt que de Chine ou de Russie. Par sa nature ouverte, une puissance démocratique s'expose à plus d'intrusions qu'un pouvoir fermé ou opaque. "
Mais, aiguillonnée par les difficultés financières  et par le souci du scoop vendeur, elle mettait aussitôt une sourdine à cette ébauche de prise de conscience et avec toute sa tartufferie habituelle, expliquait pourquoi elle avait considéré "qu'il relevait de sa mission de prendre connaissance de ces documents, d'en faire une analyse journalistique, et de la mettre à la disposition de ses lecteurs …" Étrangement, un peu plus loin, elle précisait toutefois que par prudence, elle avait cru bon d'en ôter tout ce qui en faisait le piment : "En commun, les cinq journaux ont soigneusement édité les textes bruts utilisés afin d'en retirer tous les noms et indices dont la divulgation pourrait entraîner des risques pour des personnes physiques... "

Dans un autre genre, l'inénarrable Eric Cantona se fendait lui d'une déclaration de guerre aux banques, aussi révélatrice de l'imbécillité suicidaire de la pensée contemporaine, que l'affaire wikileaks («S'il y a 20 millions de gens qui retirent leur argent, le système s'écroule (...). La révolution se fait par les banques» ).
Que ce splendide spécimen de Ducon-La-Joie trouve amusant de profiter de sa notoriété acquise dans le business du football pour émettre une idiotie aussi grosse que lui, passe encore, mais que l'ensemble des médias se croient obligés d'en faire l'écho, au point que même la ministre de l'économie juge nécessaire de réagir, ça dépasse l'entendement...

22 novembre 2010

A l'Est, Du Nouveau !

La Chine constitue un passionnant modèle expérimental en terme d'organisation sociale. Elle fut plongée durant plusieurs décennies dans le paradigme socialiste, dans sa version la plus pure, la plus aboutie, à savoir le communisme. De nos jours, elle opère une nouvelle révolution, qui la conduit à s'approprier le modèle capitaliste, de façon sauvage, quasi caricaturale.

A l'origine de ce bouleversement, il est facile d'identifier deux causes toutes simples : le retour de la propriété privée et de la liberté d'entreprendre.
Sous leur effet conjugué, la mue s'avère extraordinaire à plusieurs titres. En même temps qu'elle transfigure le pays à la vitesse de la lumière, elle met à nu, à mesure que la carapace se déchire, les rouages intacts de l'implacable mécanique collectiviste. Et notamment l'absence complète de tout système de protection sociale.
Dans le régime maoïste qui faisait pourtant de "la cause du peuple" sa raison d'être, l'individu était totalement assujetti au Parti, pour ainsi dire nié en tant que dimension. Les travailleurs transformés en une gigantesque masse uniformisée, au service d'un objectif collectif intangible, n'avaient en définitive qu'un seul droit : celui de travailler ! Ni élection, ni syndicat, ni juridiction d'aucune sorte ne pouvait permettre à la moindre revendication d'éclore. En toute circonstance et à tout moment, le Parti était réputé savoir ce qui était bon pour le peuple, lequel se voyait privé de tout moyen de s'exprimer.

Libérée du carcan rigide qui maintenait cette effroyable usine à l'abri des regards et empêchait toute contestation interne, elle explose littéralement sous la pression de la liberté. Celle-ci se rue dans le système entrouvert, à la manière d'un fleuve en crue. Elle fait sauter une à une les digues et promet d'ébranler sous peu les fondements du Parti Unique, tout en submergeant le mythe de la Dictature du Prolétariat.
Aujourd'hui, faisant craquer le glacis archaïque, on voit surgir un peu partout les gratte-ciels d'un nouveau monde. La Chine se redresse et le spectacle est grandiose. Il n'a sans doute pas fini de nous étonner.

Les dirigeants chinois qui ont voulu cette inflexion, montrent pour le moment une grande habileté dans la manœuvre du colossal vaisseau dont ils ont rompu deux des principales amarres. S'ils poursuivent le mouvement entamé, et rien ne permet de penser le contraire, il est probable que la Chine retrouve bientôt le rang qu'elle mérite dans le monde, eu égard à sa population et à son histoire.
Probablement rencontrera-t-elle des écueils, peut-être même de graves tempêtes, au cours de cette aventure. La problématique du Tibet fait partie de ces drames. Et au cœur même du système, les premières manifestations du mécontentement ouvrier préfigurent la soif de vrai progrès social, qui pourrait se transformer en révolte de grande ampleur.
Face à ces formidables défis, s'il paraît clair que la volonté des dirigeants est de n'accorder les libertés que très progressivement, on voit non moins clairement que le libéralisme, même limité au seul domaine économique, en même temps qu'il apporte la prospérité, va offrir la possibilité d'améliorer la condition du prolétariat. Superbe leçon que peu de gens, et sûrement pas les affidés au marxisme, peuvent apprécier à sa juste valeur.

Le capitalisme avance à pas de géant dans ce pays paradoxalement vierge de tout acquis social. Il est naturel de s'en inquiéter car dans un monde de libre échange, c'est source de déséquilibre. Mais il y a fort à parier que cette progression ralentisse peu à peu, d'elle-même. Car si le communisme en mourant offre un fabuleux terreau pour l'éclosion du système capitaliste, ce dernier comme le prédisait en son temps Schumpeter, voit sa course progressivement freinée par l'aspiration grandissante au bien être social. Car la négation des droits élémentaires au bonheur individuel, qui était permise sous la férule monolithique et implacable de l'Etat Communiste, ne l'est plus dans un système ouvert et concurrentiel.
La Chine est évidemment encore très loin de l'Etat Providence qui commence à plomber mortellement le dynamisme des sociétés occidentales, mais un jour peut-être, ça sera aussi son problème, comme ça l'est devenu pour le Japon, la Corée du Sud, Les USA, et bien sûr l'Europe occidentale...

Serait-ce opportun pour la Communauté Internationale de fustiger trop violemment le gouvernement de Pékin, au moment précis où il change aussi radicalement de cap ? On a vu par le passé tant de complaisance, tant d'indulgence, tant de candeur irresponsable envers le régime maoïste qui imposait la terreur et l'enfermement à tout un peuple, qu'il paraîtrait incroyable de jouer les censeurs intransigeants au moment où ses successeurs entreprennent d'en déconstruire enfin les effroyables murailles. Hélas, le Monde Libre n'est pas à une inconséquence près. Entre mille excès, on se souvient de Valery Giscard d'Estaing comparant la mort du tyran à "un Phare de l'Humanité qui s'éteint..."

Le plus sage n'est-il pas plutôt de s'efforcer d'accompagner ce grand chambardement, comme le président Reagan sut admirablement le faire face à la Perestroïka mise en oeuvre par Gorbatchev en URSS; avec sympathie mais détermination, qui sont les bases du respect mutuel. Les Chinois sont plus que jamais des partenaires à part entière de l'organisation du monde à venir. Il serait vain de les mépriser ou de trop leur faire la leçon.
Pour accomplir pleinement leur challenge, ils ont besoin d'un monde occidental compréhensif, mais également fort et uni, comme l'affirme Tony Blair auquel il me paraît opportun de donner le mot de la fin :
"Nous devons offrir à la Chine le partenariat qui répondra aux intérêts de chaque partie. Mais il vaut toujours mieux des partenaires puissants plutôt que faibles. Un Occident divisé, rivalisant pour s'attirer les faveurs des nouvelles puissances, ne présente nul avantage pour personne..." (A Journey, postface, 2010)

19 novembre 2010

Exercice de Style

Dans la récente prestation télévisée du chef de l'Etat, ce qui frappait, ce n'était pas tant le fond que la forme.
Car en somme, on n'a pas appris grand chose d'essentiel à l'issue de ce speech, censé commenter un remaniement ministériel de pure circonstance.
En revanche, l'exercice a permis de constater une fois encore, la sclérose de notre pays, aussi frondeur que conservateur.

Après un début de mandat quelque peu "exotique", les gardiens du protocole ont tout lieu de se réjouir : le président est revenu par la force de médias bégueules, à un style ultra-classique : costard sombre, cravate bleu de prusse, décor laqué du palais élyséen, ton calme, policé, très politiquement correct (il a même rendu un hommage veule et immérité aux syndicats...).
Face à lui, se recroquevillait une brochette de journalistes amidonnés, dont la préoccupation essentielle semblait de tout faire pour ne pas rentrer au cœur des problèmes. Craignant sans doute de passer pour des "laquais", ou des "larbins" ils ont tenté tour à tour de déstabiliser l'auguste interviewé, par des artifices aussi torves que dérisoires. Mais ils en ont été pour leurs frais, faisant plutôt figures de dindons de la farce. Très en forme, et à l'aise dans ce jeu, Nicolas Sarkozy s'est joué de leurs questions, supposées embarrassantes mais dans l'ensemble très futiles, et il s'en est servi avec délectation pour lustrer son discours.

On se souvient, il n'y a pas si longtemps, de la remarque aussi audacieuse que stupide de Patrick Poivre d'Arvor comparant Nicolas Sarkozy à "un petit garçon fébrile dans la cour des grands".
Le niveau n'était guère meilleur ce 16 Novembre, tant le but du jeu restait d'asticoter le président sur des bricoles dont tout le monde parle, mais sans vrai rapport avec les difficultés réelles rencontrées par le pays, lesquelles furent systématiquement abordées par le petit bout de la lorgnette.
Un des clous du spectacle fut l'interpellation insistante des journalistes au sujet des ordinateurs volés dans les salles de rédactions de certains journaux, attirant cette réponse sarcastique, du berger à la bergère : "Pensez-vous vraiment M. Pujadas, que je doive m'en occuper personnellement ?".

Le plus croustillant, on le trouva toutefois dans les réactions rituelles qui suivirent l'intervention.
Évidemment à l'UMP on était satisfait. Rien d'étonnant et pas grand chose à redire.
Au centre "d'opposition", M. Bayrou trouvait que Nicolas Sarkozy avait "beaucoup parlé de lui" et qu'il n'avait pas de "stratégie crédible pour remettre de la production en France ". Bigre. Pour un peu on aurait dit qu'il faisait son autoportrait...
Un mot au sujet de Cécile Duflot, raillant ce qu'elle jugeait comme la mise au rebut du Grenelle de l'Environnement : "L'écologie c'est pas une mode, la crise climatique, l'augmentation du coût de l'énergie, c'est une réalité". Interpellée sur le plateau d'Arlette Chabot le lendemain par M. Daubresse, à propos de l'indigence des mesures prises  en son temps par Dominique Voynet, elle fut contrainte d'avouer que cette dernière s'était trouvée "bien seule" dans le gouvernement Jospin...
La palme est cependant revenue à cette décidément balourde de Martine Aubry parlant "d'un président en panne", "déboussolé". Non seulement la critique pourrait aussi bien s'appliquer au PS, complètement à la ramasse depuis des années, mais elle était particulièrement mal venue en la circonstance. Le chef de l'Etat est apparu en effet plutôt en verve, expliquant de manière à la fois détendue et déterminée les raisons de ses décisions, et annonçant au passage deux nouveaux chantiers de réformes (dépendance, fiscalité). Au surplus il s'est payé le luxe, comme pour repousser toujours plus le PS dans l'impasse de gauche, de s'appuyer pour valoriser son action, sur des expériences socialistes "éclairées", du passé (Rocard) ou de l'Etranger.


Moralité : Bien qu'impopulaire, et loin d'être intouchable, Nicolas Sarkozy ne devrait pas avoir trop de souci à se faire, face à des gens aussi versatiles, inconséquents et si peu imaginatifs...

11 novembre 2010

Les vérités révélées de Martine Aubry

Au Parti Socialiste, Martine Aubry est une doctrinaire parmi les doctrinaires. S'inspirant de son goût pour les superlatifs, on pourrait même dire qu'elle est une ultra-doctrinaire...
On connaît le ton péremptoire et la constance avec lesquels elle répète depuis des décennies tous les slogans socialistes, y compris les plus rétrogrades.
On se souvient, lorsqu'elle était au gouvernement, de la brutalité avec laquelle elle mit en oeuvre les fameuses 35 heures, décrétant ex cathedra que le travail était un gâteau dont il fallait réduire les parts de chacun pour en donner à tout le monde.
On se souvient plus récemment, comment, lors du débat sur les retraites, elle se crispa sur le système monolithique dit "par répartition", et sur le seuil intangible des 60 ans, qu'elle soutint mordicus contre le gouvernement, jusqu'à faire cause commune avec les revendications les plus obtuses des syndicats.

Quelle ne fut pas ma surprise en l'entendant récemment (10/11/2010 Matins de France Culture), de percevoir au détour de quelques phrases, comme une fissuration dans le bloc de certitudes qui la définit si bien.
Premier aveu extraordinaire dans sa bouche : "L'Etat ne peut pas tout faire."
Je me pince, mais non c'est bien ça car elle explique ensuite que le rôle de ce dernier est  seulement de "fixer un cap", et que "la société civile, les chercheurs, le système éducatif, les entreprises doivent s'emparer du reste..."

Après ce premier boulet fumant lancé dans la forteresse de l'Etat-Providence, elle élargit la brèche, autour de la notion à la mode de "care", en définissant le nouveau concept "d'égalité réelle".
Là aussi, il s'agit d'une petite "révolution de pensée", selon ses propres mots : "l'Etat doit mettre des protections, mais il doit laisser la place à la liberté individuelle".
Je me repince, mais au cas où les auditeurs comme moi n'auraient pas bien compris, elle met les points sur les i, en annonçant la rupture avec les idées anciennes, qui voulaient "que quand on fait tout pareil pour tout le monde, on accroisse l'égalité"; qui considéraient en matière d'éducation "que mettre des enseignants tous les mêmes, et des programmes tous les mêmes, au même moment, c'est l'égalité".
Un peu plus tard, elle renchérit encore : "Le PS ne dit pas : on veut augmenter le budget de l'éducation". Non, il cherche plutôt "à faire en sorte que chacun des enfants puisse réussir, [en jouant] sur la formation des maitres, les rythmes scolaires..."
Elle termine, avec la cerise sur le gâteau, au sujet des retraites : "nous voulons un système qui met des protections mais qui laisse le choix aux gens..."

Curieusement dans la salle personne ne semble moufeter en entendant ces révélations édifiantes. Ni le maitre de séance Marc Voinchet, ni Alain-Gérard Slama, ni Alexandre Adler. C'est dire l'amortissement de la capacité à débattre qui caractérise aujourd'hui notre pays (pour être juste M. Colombani lui demanda si elle avait conscience qu'il lui faudrait tôt ou tard s'attaquer à la montagne de principes de l'Education Nationale)...

Evidemment, on ne saurait être dupe de mots. Surtout quand d'autres les contredisent quasi simultanément, ou bien que le comportement de celui qui les prononce les infirme quotidiennement. On se demande bien par exemple, pourquoi madame Aubry continue de stigmatiser avec autant de hargne toutes les actions du président de la république, si elle pense ce qu'elle dit.
Et pourquoi elle fustige aussi opiniâtrement le Libéralisme vers lequel on sent confusément que le Socialisme ne fait que tendre peu à peu, bon gré, mal gré.
Depuis le credo communiste des débuts, force est de constater en effet que c'est un long chemin d'abandons et de reculades. La Social Démocratie est une étape mitigée sur le parcours, mais en définitive il faudra bien un jour s'y résoudre : rien n'incarne mieux l'amour de la liberté et de l'égalité réelle, à savoir celle des chances et des droits, que le Libéralisme...
Au sein de l'Internationale Socialiste, pour l'instant seul Tony Blair l'a compris et a eu le courage de l'affirmer sans complexe.
Hélas dans notre bon vieux PS hexagonal, il y a peu de chances qu'un changement véritable de mentalité se fasse jour avant longtemps. De l'aveu de Martine Aubry : "s'il y avait quelqu'un qui s'impose dans notre génération nous le saurions. Ce n'est pas le cas".
Le sombre réalisme de cette dernière révélation n'a d'égal que le désespoir de voir les plus jeunes renouer plus que jamais avec les archaïsmes...

05 novembre 2010

Bye Bye Obamania

Deux ans ! Il n'aura donc fallu que deux ans pour que l'énorme baudruche de l'Obamania se dégonfle piteusement !
Attention, en disant cela, je ne me fais pas le critique primaire du président américain, à la manière de certains, s'ébrouant dans un anti-bushisme totalement décérébré.
Ce n'est pas la personne évidemment qui fait l'objet d'un affalement risible. C'est cette incroyable bulle spéculative qui accompagna l'élection du sénateur de l'Illinois en 2008, et qui monta, monta, emportant tout sur son passage y compris le Prix Nobel de la paix. C'est un euphémisme de dire que cet engouement insensé n'a en définitive pas servi l'intéressé. Plus dure est la chute...

Dans le genre mauvaise foi angélique, je ne peux m'empêcher de citer avec tendresse Memona Hinterman, la si délicieusement tendancieuse journaliste du service public, "excellente connaisseuse" paraît-il, de l'Amérique.
Invitée de France Musique le 3 novembre au matin, au moment où les résultats électoraux tombaient, elle minimisait avec candeur la déroute des Démocrates : "les Américains ne se déjugent pas".../... "non, ils veulent juste par réalisme, mettre en contrepoids, des gens peut-être un peu plus brutaux".
Pleine d'indulgence pour Obama, elle se demandait "qui aurait pu faire mieux que lui dans cette période de si fortes turbulences", et se plaisait à rappeler "la formidable campagne, pleine du rêve américain, épidermique, absolument sublime" de 2008, et ce fameux 4 novembre consacrant l'avènement du premier président noir de l'histoire des Etats-Unis : "j'en ai encore la chair de poule..."
Je me souviens pour ma part qu'en 2004, elle avait carrément pris ses désirs pour des réalités en annonçant un peu prématurément la victoire de John Kerry, une coupe de champagne à la main...

Sans épiloguer sur un scrutin somme toute assez logique, il faut insister sur le fait que la défaite du camp démocrate doit sans nul doute beaucoup à cette arrogance du camp des "Progressistes", à ce manque d'humilité assommant de la Gauche bien-pensante, à cette sacralisation quasi insoutenable d'un homme avant même qu'il n'ait rien prouvé.
Barack Obama reste un homme respectable, qui saura peut-être tirer, il faut l'espérer, des leçons de cette sévère sanction.
Rien ne serait pire en tout cas que d'invoquer de mauvaises raisons à son échec, comme on les entend déjà dans la bouche des supporters désappointés :
Non il n'est pas "habituel" pour un président de perdre les élections du mid-term. George W. Bush les avait remportées en 2002, alors qu'il avait été élu "de justesse" en 2000. Certes il y avait eu le 11 septembre, mais cela aurait du plutôt lui nuire, si les électeurs avaient pensé comme beaucoup de détracteurs très médiatisés, qu'il avait affreusement mal géré ces tragiques évènements.
Non la crise économique n'apporte aucune excuse au camp démocrate, qui contrôlait le Congrès depuis 2006, et dont le candidat crut bon de répéter à tous vents le fameux slogan "Yes We Can".
De fait, les mesures prises se sont révélées très largement inefficaces, et le plan de relance n'a eu aucune influence sur le chômage. A ceci s'ajoute la démagogique mais calamiteuse réforme du Système de Santé, qui ne convainc pas et promet de creuser encore davantage le déficit de l'Etat Fédéral.
De ce point de vue, il est faux de prétendre comme on le fait en France que la majorité des Américains n'ont pas compris les réformes audacieuse du président américain. Ils ont au contraire trop bien compris où cela pouvait les mener et ils s'y opposent avec fermeté. Facteur aggravant, l'idolâtrie que les Français manifestent vis à vis d'Obama, et le lamentable spectacle que donne à voir notre pays, agissent comme des repoussoirs puissants. "Surtout ne pas devenir comme les Français", entend-on fréquemment outre-atlantique...

Enfin, il est regrettable que soit systématiquement caricaturé le camp adverse, et notamment le mouvement Tea Party. La plupart des critiques traduisent d'ailleurs une méconnaissance profonde et tenace de l'esprit américain.
On entend des accusations en tous genres ("ultra-conservateurs", "racistes", "exaltés", "xénophobes," "homophobes"...), mais la pire est d'assimiler ce courant à un "fascisme local" comme le fit Michel Rocard (France-Culture 4/11). Il s'agit véritablement d'une insulte, et très mal venue, car s'il est pays qui a toujours su se tenir à l'abri du totalitarisme ce sont bien les USA. Proférée par des Européens qui n'ont vraiment aucune leçon à donner sur le sujet, ce genre de sottise est franchement méprisable.
En réalité, même si certains excès peuvent se manifester ici ou là, la mouvance Tea Party incarne surtout un magistral et passionnant retour aux sources qu'on aurait bien tort de méconnaître et plus encore de mépriser. Sa caractéristique dominante est de s'opposer à la montée sans fin des prérogatives de l'Etat Fédéral et à la centralisation excessive du Pouvoir. Il s'agit en somme d'une aspiration profonde au Self-Government, ce qui est l'essence même de la démocratie ("le premier devoir d'un gouvernement devrait être d'apprendre aux citoyens à se passer de lui" écrivait en substance Tocqueville). Rien de plus antinomique avec la politique poursuivie par Obama...
Une des figures montantes et prometteuses de ce mouvement est Marco Rubio, jeune Républicain d'origine cubaine, qui vient d'être brillamment élu sénateur de Floride. Peut-être préfigure-t-il l'Amérique des prochaines années. Peut-être représente-t-il avec toute son ardeur juvénile, cette formidable capacité à se renouveler qui fait l'originalité et la force de la Société Ouverte.

02 novembre 2010

Les joueurs de flûte

On voit par les temps troublés qui courent, prospérer d'étranges gourous, rappelant par leur petite musique doucereuse, le fameux joueur de flûte de Hameln. Ils proposent en effet aux maux bien réels dont souffre la société, des remèdes salvateurs, si simples et si séduisants, qu'un nombre croissant de ceux qui les écoutent paraissent littéralement envoûtés.
Abandonnant tout esprit critique et tout bon sens, ils se mettent soudain à ânonner en chœur les  rengaines magiques de ces mirobolants guides "alternatifs" et à les suivre vers je ne sais quelle destinée...
On connaissait déjà par exemple les nouveaux prophètes de la finance, qui déclament que la dette est un mythe inventé par les banquiers. Qu'il suffit pour y remédier de laisser l'Etat fabriquer autant d'argent que de besoin, afin de n'avoir plus à leur emprunter. Selon les plus audacieux, il faudrait même accroitre massivement les dépenses publiques, seul moyen selon eux de résorber la dette, grâce à la relance qui est supposée s'ensuivre mécaniquement.
On sait aussi les belles théories stipulant que le chômage serait un fléau inexistant. Qu'il suffirait pour faire cesser les délocalisations, cause première de nombre de disparitions d'emplois, de revenir au protectionnisme. On sait que certains vont encore plus loin, en affirmant qu'il n'est que d'interdire les licenciements pour résoudre définitivement le problème...
On découvre aujourd'hui, à l'occasion de la problématique des retraites, de nouvelles idées révolutionnaires auxquelles manifestement personne n'avait pensé auparavant tellement elles sont évidentes. Il en est ainsi de celles émises par M. Bernard Friot, sociologue et membre fondateur de l'I.E.S (Institut Européen du Salariat), dans son ouvrage récent : "L'enjeu des retraites".

Pour commencer, M. Friot affirme tranquillement  que contrairement à l'argument principal de la réforme en cours, il n'y a pas de souci démographique. Non seulement il le réfute, mais il prétend qu'il s'agit d'un "bobard" inventé par le Gouvernement à seule fin de diminuer les droits et les acquis sociaux, "de fragiliser une population"...
On quitte dès lors le registre de la douce plaisanterie, et  un artifice de raisonnement particulièrement désagréable se démasque, assez caractéristique de tous les penseurs affiliés peu ou prou à cette nouvelle école.  Outre la tendance au raccourci simplificateur, la démonstration dérape  en effet assez invariablement dans le procès d'intention. Et cet état d'esprit partisan dérive même assez vite vers le militantisme le plus caricatural, en parlant notamment du Président de la République : "on se fait bourrer le mou par un petit excité".
Avec de telles prémisses et des a priori aussi grossiers, tout devient évidemment très facile : "il n'y a de problème que dans nos têtes". 

S'ensuit une alternance savamment dosée de propos tantôt lénifiants quant aux périls, tantôt accusateurs contre le Pouvoir en place. Par exemple pour ce prédicateur béat, l'avenir du financement des retraites est assuré du seul fait de l'augmentation régulière du PIB, qui permet selon lui de redistribuer largement les abondantes richesses produites par le pays. 
Il va sans dire qu'il se pose en défenseur intransigeant du système par répartition n'évoquant même pas la capitalisation, mot qui lui écorcherait manifestement la bouche. D'ailleurs il exclut par principe dans le PIB, toutes les richesses produites par le Capitalisme honni... Il faut préciser que pour lui, la productivité de type capitaliste ne génère de richesses qu'artificiellement, au profit d'une petite minorité de nantis, en dévastant sans vergogne l'environnement, et en pillant les ressources naturelles...

La suite de la démonstration est un modèle, dans le genre qu'affectionnait le savant Cosinus : puisqu'en 1970 il fallait 4 actifs pour payer pour un retraité, et qu'en 2010 deux suffisent, pourquoi un seul ne ferait-il pas l'affaire en 2050 ? CQFD...
Au passage, M. Friot qui n'est pas une outrance près, semble d'ailleurs trouver qu'il y a encore trop d'actifs. Il n'hésite pas en effet à affirmer que le tiers des emplois sont "nocifs" (par exemple la police, évoquée de manière elliptique, et avec force mauvais esprit : "ceux qui attendent dans un camion le dérapage d'une manifestation qui ne se produit pas, sauf si on l'organise").
 
Evidemment, à aucun moment de son discours, ce brillant esprit ne prend en considération l'endettement massif imposé par l'Etat aux malheureux actifs qui produisent le fameux PIB. D'ailleurs, ni le déficit annuel croissant des caisses de retraite, ni la fabuleuse dette nationale qui s'est accumulée au fil des prétendues "conquêtes sociales" ne sont évoqués ne serait-ce que d'un mot. Probablement estime-t-il qu'il s'agit comme tout ce qui contrevient à sa théorie lumineuse, de vilains mensonges...
De même à aucun moment il ne semble interpellé par le fait que tous les pays alentour semblent avoir anticipé la "fallacieuse logique démographique" suivie par l'actuel gouvernement français. Faut-il en déduire que le monde entier soit aussi sot que nos dirigeants ?

Toujours est-il qu'occultant habilement tous ces menus détails, il pourrait sans difficulté entonner l'air  célèbre de la Marquise. Sa rhétorique utopique va d'ailleurs même jusqu'à asséner que sur la tranche des 20-60 ans, nous n'avons jamais été aussi proches du plein emploi, et que la retraite, c'est le bonheur de pouvoir travailler tout en étant "libéré du marché du travail" ! On aurait bien tort de s'en priver...
Et pour finir en beauté, il se paie le luxe de conclure avec une logique toute mélanchonienne, qu'il suffirait pour restaurer tout son sens au travail, "de se débarrasser des employeurs", et pour investir, de faire de même avec les "parasites absolus" que sont les investisseurs.
Dialectique bien huilée en somme, qui fait toujours beaucoup d'effet sur des auditoires crédules, d'autant qu'elle débouche sur la menace, si elle n'était pas suivie d'effets, de voir l'avènement du Front National ou de "Sarkozy au carré", ce qui pour lui est "à peu près la même chose.."