08 juin 2011

Salade hédoniste

On connaît la tendance à la pléthore qui caractérise l'écriture philosophique de Michel Onfray. On pourrait remplir des rayonnages entiers avec ses ouvrages...
Certes, à côté des tièdes platitudes de la pseudo-littérature qui dégouline des têtes de gondoles, à côté de la philosophie de comptoir que les camelots du showbiz font dégorger de tant de pseudo-débats, à côté de tout ça, les thèses de Michel Onfray détonnent quelque peu.
Car son style ne laisse pas indifférent. Même s'il peut parfois être jugé un peu trop rutilant, voire pédant, sa lecture est en général plaisante, et son propos servi par une dialectique bien aiguisée, s'avère incisif et décapant.
S'agissant de la pensée, c'est autre chose, hélas. Lapidaire, voire assassine, elle ne s'embarrasse guère de nuances et souvent détruit au vitriol de la partialité, ce à quoi le vernis de la culture conférait de prime abord, un éclat alléchant.

On retrouve toutes ces qualités et ces défauts dans un curieux petit opuscule récemment publié sous le nom de "Manifeste hédoniste*".
Divisé en deux sections, il se compose d'une sorte de bréviaire exposant l'essentiel de la doctrine, complété par une compilation de contributions émanant d'amis ou de disciples, censées enrichir à partir d'expériences personnelles la théorie du Maître. Laissons de côté cette deuxième partie, qui hormis quelques illustrations intéressantes, notamment de Titouan Lamazou, et deux ou trois anecdotes, n'apportent pas grand chose.

Cette profession de foi – si l'on peut dire – se positionne comme une sorte d'apologie du bonheur terrestre, lui même subordonné à "l'épanouissement des sens".
A première vue il s'agit d'une philosophie dans l'acception la plus radicale du terme, invitant à "faire la paix entre soi et soi, soi et les autres, soi et le monde, soi et le cosmos...". On pourrait presque penser aux préceptes de Voltaire proposant « le bonheur terrestre autant que la nature humaine le comporte » ou bien au vœu de Montesquieu de « parvenir à la sagesse et à la vérité par le plaisir ».

Malheureusement le gros, l'énorme défaut de cette louable entreprise est de s'inscrire dans une pensée qu'on pourrait littéralement qualifier de bornée, en ce sens qu'elle ne s'épanouit qu'entre deux étroites limites idéologiques : l'athéisme le plus intransigeant d'une part, et l'engagement "à gauche" non moins irrévocable d'autre part. Ces prises de positions quasi obsessionnelles enferment de fait, le propos dans une logique étriquée, où l'outrance tient lieu de perspective et où l'esprit de système sert de raisonnement. De toute évidence, l'art de la nuance est ici banni.

Afin qu'il n'y ait aucun doute, Onfray commence tout de suite par déblayer le terrain en éradiquant toute préoccupation spirituelle, et particulièrement, les "presque mille ans de théologie, de scolastique, de pensée fumeuse, soucieuse d'asseoir culturellement le christianisme devenu religion d'Etat".
Emporté par l'élan il en vient même, par pure réaction, à forger un concept nouveau, l'athéologie, qui est selon lui, "la discipline qui serait à la négation de Dieu ce que la théologie est à son affirmation." Autrement dit, non seulement il démolit les cathédrales, mais il nie l'existence du principe indicible qu'elles célèbrent.
Une seule phrase suffit d'ailleurs à donner la mesure de sa rage anti-religieuse, lorsqu'il détruit d'un coup tout l'enseignement chrétien, qualifié de "dépréciation du corps, des sensations, des émotions, de la chair, des passions, des pulsions, des femmes, du plaisir, de la jubilation, surestimation de l'ascétisme, du dolorisme, du renoncement, d'où misogynie et phallocratie..."
Se rend-t-il compte ce faisant, qu'il tombe exactement dans le travers qu'il dénonce si vigoureusement, bien que par une voie strictement opposée ?

Son attitude exprime une intolérance semblable à celle qui caractérise les fanatiques de tous poils et de toutes obédiences, bien qu'il tente de la parer d'affriolants mais creux attributs en forme de truismes : "matérialisme, sensualisme, atomisme, hédonisme". Et bien qu'il cherche à la magnifier de manière grandiloquente en prétendant "qu'elle célèbre la pulsion de vie", et "qu'elle se bat pour une égalité solaire entre les sexes..."
Ce zèle iconoclaste anéantissant d'un coup tout un "corpus idéologique" et des siècles de culture et d'histoire, est d'autant plus choquant que de son propre aveu, sa proposition hédoniste "suppose un système". Et qu'il se croit autorisé à en décliner le primum movens, en l'appliquant comme vérité révélée à toutes les préoccupations susceptibles d'assaillir l'esprit.
Après avoir jeté aux orties l'idée même de Dieu avec l'eau-du-bain-bénite, il rétablit de manière triviale ses propres encensoirs célébrant la chair et ses plaisirs, et lance de nouveaux anathèmes qui ne valent pas mieux que les anciens.

Il aplatit par exemple à coups de massue, la théorie freudienne à laquelle il a déclaré récemment une guerre sans merci.
On éprouverait presque un peu de tendresse pour les thèses fumeuses de la psychanalyse, tant il est difficile d'adhérer à la rhétorique caricaturale, suggérant par exemple de "retrouver la voie du matérialisme psychique contre l'idéalisme de l'inconscient freudien...", ou "d'inscrire la psychanalyse dans une logique progressiste contre le pessimisme freudien ontologiquement conservateur..." Les ficelles sont tellement grosses qu'elles font sourire. Voilà le vieux Sigmund rangé de manière expéditive dans la catégorie des "ennemis de classe", par ce Fouquier-Tinville des temps nouveaux de la psychologie...

Il emploie une manière un peu plus circonstanciée en matière d'analyse esthétique, à laquelle il consacre un chapitre  ambigu. A propos de l'Art Contemporain, il n'ose par exemple, pas trop attaquer les mystifications de Marcel Duchamp, dans lesquelles il voit "la mort du Beau" faire écho à celle de Dieu, ce qui l'enchante en tant que disciple de Nietzsche... Et sa fibre populaire s'émeut même du fait qu'avec de tels artistes, ce ne sont plus les matières nobles et riches qui trônent dans les musées, mais "la matière véritable, celle du monde", humble, fruste composée pêle-mêle de plâtre, fil de fer, plastique, verre velours, feutre, voire substances organiques, déjections...
En somme, "Il ne faut pas dupliquer mais dépasser" ces expériences jugées révolutionnaires dans le même temps qu'elles révèlent une époque "plus esthète qu'artistique". Comprenne qui pourra...
Notons qu'au passage, il se livre à un monumental contresens esthétique, en faisant sienne la thèse de Duchamp selon laquelle, "c'est le regardeur qui fait le tableau". C'est précisément cet oxymoron insane qui est la cause de l'insignifiance et du nihilisme dans lesquels s'asphyxie l'art de nos jours !

Peu de commentaires à faire à propos de sa conception de l'érotisme, qu'il résume à une formule, assez jolie, mais vaine : "il est à la sexualité ce que la gastronomie est à la nourriture : un supplément d'âme.." Pour le reste, sans prôner ouvertement le pont-aux-ânes soixante-huitard de la libération sexuelle, il rejette avec horreur, mais on l'avait déjà compris, tout ce qui lui rappelle de près ou de loin la conception chrétienne, notamment "les fantasmes du prince charmant, de l'épouse idéale, de la moitié à trouver, de la perle rare, autant de variations sur le thème de l'impossible..."
Guère plus à dire au sujet de l'éthique et de la bioéthique qu'il croit résoudre en proposant de répondre à une seule question, d'un utilitarisme auquel même Bentham n'aurait pas osé céder : "ce geste, cette technique, cette proposition thérapeutique, ce projet chirurgical, cette molécule médicamenteuse, augmentent-ils l'hédonisme de l'individu et de la société ?"
Un mot tout de même sur l'affreux et mal nommé testament de vie qui dans sa conception béotienne et faussement irénique, "permet de déléguer à un être aimé la charge de décider pour nous ce qu'on aura avec lui voulu en amont pour nous : il sera sinon le bras armé, du moins le facilitateur de notre mort volontaire ." Où se trouve la fameuse "pulsion de vie" dans une aussi noire résolution ?

Dernier volet du manifeste, et non des moindres, celui consacré à la politique, qui confirme envers et contre tout, l'engagement à gauche de ce philosophe qui se plaît à rappeler ses racines prolétariennes.
Plus ou moins rallié, sans qu'on sache trop pourquoi, à la notion de capitalisme, il flétrit en revanche le libéralisme, qu'il accuse d'être "un système économique et politique dans lequel le marché fait la loi partout – dans la culture, la santé, l'éducation, la défense, la sécurité", et où il voit que "la satisfaction hédoniste triviale et vulgaire d'une poignée de privilégiés se paie par l'humiliation, l'exploitation, la soumission, la domestication, la subordination et la servitude du plus grand nombre."
Il serait assez facile de montrer que cet affligeant rabâchage révèle une méconnaissance profonde de l'esprit de liberté, et qu'il est indigne d'un penseur prétendu libertarien, donc ultra-libéral, tel que lui.
Mais il serait encore plus aisé de retourner a contrario l'argumentation sur le socialisme, qui investit autoritairement tous les rouages de la société, au bénéfice d'une étroite nomenklatura dotée de tous les droits et parée de toutes les vertus...
Comme nombre de Socialistes désenchantés, Onfray tente de récupérer le procédé éculé consistant à proposer de "rompre non pas avec l'idée socialiste mais avec sa seule formule marxiste, ou communiste autoritaire." Mais le stratagème a fait long feu. Sa vision qui confine comme on l'a vu au matérialisme athée, solidement ancré à gauche, s'inscrit bien qu'il s'en défende, dans une lignée on ne peut plus marxienne de la pensée. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, tout porte à penser qu'en dépit de ses accents suborneurs et de son ton lénifiant, son discours soit voué aux tragiques impasses dans lesquelles tant de ses prédécesseurs ont emmené leurs affidés.
Ce qui est proprement stupéfiant, c'est de le voir in fine reprendre sans vergogne à son compte ce qui fait l'essence de la pensée libérale, à savoir "la vieille proposition utilitariste des Lumières : il faut vouloir le plus grand bonheur du plus grand nombre...". Sait-il qu'il s'agit d'un des vœux les plus chers des Pères Fondateurs des Etats-Unis d'Amérique, toujours aussi vivace dans le cœur des Américains, et somme toute pas si mal accompli ?

En définitive, Michel Onfray fait penser à ces missiles dotés d'énormes réacteurs, capables de déployer des quantités fabuleuses d'énergie, mais condamnés à passer à côté de leur cible à force d'être trop contraints par leur programmation, et de ne pouvoir infléchir leur trajectoire...
Rien ne saurait mieux définir cette ambition, mélange d'angélisme et de mégalomanie, qu'un éclair d'humilité tiré de son propre discours :"les glissements de l'éphémère sur le miroir d'une mare d'eau croupie résument le destin de chacun qui se croit monde à lui tout seul..."


* Michel Onfray. Manifeste hédoniste. Autrement 2011
Illustration : Séverine Assous

24 mai 2011

Misère du Socialisme

Sale temps pour les Socialistes.
C'est une avalanche de mauvaises nouvelles qui s'abat sur eux. 
Mais d'en face, là où l'on souffre depuis si longtemps de la sécheresse imposée des idées, on veut croire que les orages tant désirés se lèvent enfin. On espère qu'ils foudroient les thuriféraires pantelants d'une idéologie décidément à bout de souffle, et qu'ils nettoient le débat démocratique de ses miasmes.
Dans la conjoncture climatérique qui bouleverse le paysage politique, il est difficile de retenir un soupir d'aise au spectacle de tous ces raminagrobis aigris, ces grippeminauds en mal de revanche, obligés de ravaler leur morgue et de faire profil un peu moins hautain.

A travers ce qu'il est convenu d'appeler "l'affaire DSK", les archaïsmes de l'esprit de gauche éclatent au grand jour. La mauvaise foi, l'esprit de clan, les mensonges, les complaisances, les faux-semblants, savamment entretenus grâce à un réseau de médias asservis par des décennies de propagande, tout ça est en train de voler en éclat. La mécanique infâme dévoile ses sordides et artificieux mécanismes. La charpente de la société tout à coup montre sa structure et c'est avec effarement qu'on découvre qu'elle est rongée de toute part par une sorte d'odieuse mérule, qui en pervertit jusqu'à la moindre fibre.
Pour illustrer cela, quoi de plus beau que cette adresse de Jean-François Kahn* en exergue de son énième diatribe dirigée contre le Président de la République : "Tout était d'emblée sur la table. S'il y a une responsabilité, elle est collective. Comment a-t-on pu accepter ça ? Et pourquoi ? "
Comme son torve propos sonne juste, aujourd'hui qu'il fait irrésistiblement penser à quelqu'un d'autre... L'arroseur est enfin arrosé ! L'accusateur public est flétri par son propre discours ! Le moralisateur est démoralisé.

Le candidat putatif de la gauche est hors jeu. Exit le colosse au pied d'argile devant lequel toute cette faune grimaçante faisait moultes génuflexions et contorsions, en perspective de juteuses prébendes.
Un seul être disparaît et tout est dépeuplé. La mousse des illusions retombée le spectacle est pitoyable. François Hollande, qui a perdu son profil de VRP à la jovialité bedonnante, apparaît dans la lumière blafarde des lendemains qui déchantent, comme ce qu'il est : le croque-mort décharné d'un programme sans substance et sans espérance. Celui dont la plus grande originalité était de "n'aimer pas les riches" se retrouve pauvre comme Job en idées, et pour l'heure, surnage dans une solitude stupide.
Autour de cette figure hagarde en costume noir, c'est la débandade. De l'aveu même de Manuel Valls, "personne" au Parti socialiste ne peut à ce stade remplacer Dominique Strauss-Kahn, les autres candidats à la primaire socialiste risquant, selon lui, d'apparaître comme "des choix par défaut"...

Mais si certains ont au moins la décence de se taire, ou tentent de faire amende honorable, d'autres n'ont pas encore pris la mesure du cataclysme. La jeunesse ne prémunit pas contre la ringardise. Benoit Hamon par exemple, continue mécaniquement comme une vieille crécelle, de mouliner les amalgames grinçants, dont le caractère grotesque est de plus en plus criant : "le sarkozysme et le lepénisme sont deux déclinaisons du même projet politique"...

La Gauche archaïque est en passe de perdre définitivement les derniers restes de soutien populaire, à force d'avoir tant floué le peuple, au fil de tant de générations. La situation prend des allures désespérées.
C'est même un vrai naufrage.
En dépit de la prétendue crise du libéralisme et du capitalisme, au sujet de laquelle les Socialistes de tout poil ne cessent de radoter comme des perroquets, et qui devrait paraît-il redorer leur blason, ils ne sont désormais à la manœuvre quasi nulle part en Europe. Scrutin après scrutin, leur incapacité à "changer le monde", sauf pour l'empirer, les contraint d'abandonner le terrain.
Dans un de leurs derniers bastions l'Espagne, ils viennent de prendre une pilée monumentale et sont en passe de perdre le pouvoir. Il faut dire qu'ils l'avaient acquis d'une bien médiocre manière en 2004, après une hideuse campagne de calomnies jetées à la face de leurs adversaires, à l'occasion des meurtriers attentats de Madrid. Il faut dire aussi que depuis cette date, entre autres résultats brillants, on a vu dans ce malheureux pays le chômage, passer de 10 à près de 21%!

Pis que tout, non seulement les révolutions se font désormais sans eux, mais elles se font contre eux. Après les grands effondrements de la fin des années 80 en Europe de l'Est, c'est aujourd'hui le monde arabo-musulman qui secoue sans ménagement les régimes autocratiques qui l'étouffent. De l'Irak à la Libye, en passant par la Tunisie, l'Egypte, et peut-être bientôt le Yemen, la Syrie, l'Algérie, voire un jour l'Iran, les républiques totalitaires battant pavillon socialiste mordent la poussière les unes après les autres. Que restera-t-il de l'Internationale du même nom lorsque tous les tyranneaux l'auront désertée ? "Un grand cadavre à la renverse", comme le suggérait dans un rare éclair de prescience Jean-Paul Sartre au cours des années soixante (et rappelé avec un délicieux sens de l'a propos par BHL**) ? Ou bien une sorte de marécage d'eau tiède, la social-démocratie, si tant est que le poison collectiviste, par une ironie cruelle, finisse par se dissoudre dans l'hydromel de la liberté !
Ce jour là, enfin, on pourra caresser l'espoir de débattre sans tabou, sans idéologie, sans doctrine, avec pour seul souci le pragmatisme, et pour seul objectif la fameuse poursuite du bonheur, chère aux vraies Lumières et aux Pères Fondateurs du Nouveau Monde... Sauf à sombrer dans le ridicule et la honte, la France ne saurait passer à côté de cette perspective.


* Petit César. Comment a-t-on pu accepter ça ? J. -F. Kahn. Fayard 2011
** Ce grand cadavre à la renverse. Bernard-Henri Levy. Grasset 2007

20 mai 2011

Question de repères

En ces temps troublés, le désappointement manifesté par nombre de gens est compréhensible. Et il est normal qu'à la faveur des péripéties actuelles, la théorie du déclin de l'Occident revienne en force. C'est un thème récurrent, tout comme celui de la déchéance de l'Empire Américain.
Fort heureusement jusqu'à preuve du contraire, et en dépit de quelques fissures, ce jour fatidique est sans cesse repoussé. Évoqué par un blogueur ami, le Pr Poindron, je me permets humblement d'y revenir aujourd'hui, avec mon optique personnelle, sans doute éminemment critiquable.
Si je partage largement son analyse clairvoyante, pleine de bon sens et son souci d'équité, il me semble tout de même essentiel de souligner le péril qu'il y aurait d'emprunter, par désillusion, des chemins de traverse, ou bien de trop céder à l'émotion de l'instant, qui fait parfois prendre les vessies pour des lanternes.
Précisément, sous des apparences excessives, le système américain nous donne en ce moment, une magistrale leçon de vraie démocratie. Il est certain que les images que nous voyons ont une force terriblement dévastatrice, décuplée par leur répétition insensée. Mais sauf erreur judiciaire monumentale, elles sont en définitive fort utiles pour faire sauter le couvercle doré des privilèges, complaisances, arrangements et acoquinements qui protègent trop souvent les élites et certains idéologues imbus de leurs principes soi-disant intangibles. Car ces tares minent dangereusement l'esprit de liberté et l'égalité des droits indispensables à la pérennité de notre modèle de société. Contrairement à ce que l'ineffable BHL voudrait, M. Strauss-Kahn est à New-York, un justiciable comme les autres, et c'est tant mieux.
Certaines procédures peuvent paraître étranges ou inappropriées. Elles ont parfois plus d'importance qu'il n'y paraît et les condamner trop vite pourrait amener des catastrophes bien pires que le triste spectacle auquel on assiste. Rappelons-nous l'histoire du soldat romain qui ne comprenant pas la nature des cercles tracés sur le sable par Archimède, lui-même indifférent au tohu bohu accompagnant la chute de Syracuse, tue le savant d'un coup de glaive.

Si les caméras aujourd'hui ne laissent aucun répit à l'ancien directeur du FMI, c'est parce qu'il occupait une position éminente, qui exigeait de lui une conduite irréprochable et un grand sens des responsabilités.
Tant qu'il était sur son piédestal, il bénéficiait, avec une satisfaction évidente, de l'éclairage flatteur des sunlights et de l'illusion doucereuse des sondages. Il ne peut aujourd'hui, compte tenu des charges qui pèsent sur lui, se plaindre de la cruauté de ces mêmes lumières, qui le poursuivent dans sa descente aux enfers.
Remarquons en tout cas, que c'est la presse qui focalise de manière outrancière l'attention publique sur sa personne. Aucune chaîne de télévision, aucun journal n'est obligé d'exhiber avec autant d'insistance ce fatum consternant, et personne n'est tenu d'en suivre à la minute les sordides détours.
Pendant ce temps de son côté, la justice a commencé sans retard son travail, et semble-t-il avance rapidement, avec efficacité. Et force est de reconnaître qu'elle ne se commet pas à jeter grand chose en pâture à ces meutes avides de scoops, réduites de fait aux supputations et rumeurs stériles... La liberté est à ce prix.

Illustration : Sont-ce des spirales ou bien des cercles ?

19 mai 2011

Tel est pris qui croyait prendre

Sur l'affaire qui ébranle le monde politique, il n'est pas question de faire ici de supputations oiseuses. Dans de telles circonstances, il serait vain de tirer d'avance la moindre conclusion, et inutile d'ajouter des commentaires aux images ressassées en boucle jusqu'à la nausée.

C'est en revanche de ce monstrueux barnum médiatique qui s'est installé autour de l'édifiant fait divers, que je voudrais tirer la substance de mon propos d'aujourd'hui. Du tsunami plutôt que du séisme lui-même en quelque sorte...
Car du torrent de réactions en tous genres qui submerge l'actualité, deux thèmes paraissent révélateurs de l'état d'esprit assez inquiétant dans lequel se trouve notre pays et une bonne partie de la classe politique.

Tout d'abord, la stupéfaction "abasourdie" de la Gauche.
Bien mise en évidence lors de l'émission de Frédéric Taddeï du 16/05, par un saisissant collage vidéo des principales interventions des ténors du PS, elle témoigne soit d'une naïveté ahurissante, soit plus probablement, d'une mauvaise foi vertigineuse. A les entendre tous en chœur, affirmer que rien, absolument rien ne pouvait laisser prévoir une telle affaire, une question brûle les lèvres : Mais dans quel monde vivent-ils ?
Foin des témoignages et révélations qui aujourd'hui commencent à sortir de partout, n'avaient-ils donc tout simplement jamais prêté la moindre attention aux retentissantes satires de Stéphane Guillon, humoriste dit "de gauche", lorsqu'il détaillait avec une cruauté sordide les petits travers supposés du personnage ?

Plus grave encore que cette amnésie de circonstance, c'est l'absence apparemment totale de perspicacité et de curiosité manifestée par des journalistes eux aussi très "engagés", et d'habitude beaucoup plus fouineurs lorsqu'il s'agit des supposées turpitudes du monde politico-financier. "Etrange omerta des médias français", s'interrogeait Christophe Deloire dans le journal Le Monde du 16/05.
En témoignaient, toujours lors de l'émission de Frédéric Taddei, les simagrées ridicules de Nicolas Domenach (Marianne) et d'Edwy Plesnel (Médiapart).
Tous les deux ont en commun d'avoir déversé des années durant, des tombereaux d'insinuations malveillantes, de soi-disant révélations sur le président de la république auquel ils vouent manifestement une haine aussi féroce qu'irrationnelle. Plus fort, l'un vient de publier, un ouvrage décrivant par le menu les confidences qui lui aurait été faites en privé par Nicolas Sarkozy ("Off : ce que N. Sarkozy n'aurait jamais du nous dire"). L'autre parcourt les plateaux télés pour promouvoir le sien, nouvelle charge pachydermique, dirigée contre le Chef de l'Etat ("Un président de trop").
Face à l'incroyable complaisance que ces gens manifestent depuis si longtemps vis à vis de tout ce qui vient du bord politique auquel ils appartiennent, il faut espérer que ces compilations de chiures de mouches aient le destin qu'elles méritent : le pilon.
Puissent-ils eux-mêmes, subir un peu de l'opprobre qui s'abat sur celui devant lequel ils abandonnaient tout esprit critique, dont ils flattaient servilement les prétendus idéaux socialistes, tout en feignant d'ignorer le train de vie de nabab, les liens douteux avec le monde des affaires et celui de la presse.

La seconde illustration de cette mauvaise foi est la manière dont les mêmes censeurs présentent ces derniers jours la justice outre-atlantique, laquelle ose présumer de la culpabilité de leur héraut.
A cette occasion, resurgit de plus belle le vieux fond anti-américain et surtout l'ignorance crasse des mécanismes qui font de ce système un des piliers de la démocratie.
A tout seigneur, tout honneur, madame Guigou, ancien garde des sceaux, estime que la procédure suivie par la justice américaine est " d'une brutalité, d'une violence, d'une cruauté inouies", et elle ose déclarer qu'elle est "heureuse que nous n'ayons pas le même système judiciaire".
Elle est suivie sur ce terrain par Chevènement dont "le coeur ne peut que se serrer devant ces images humiliantes et poignantes" et qui condamne "un effroyable lynchage planétaire", par Jack Lang qui évoque "une justice infernale", par Robert Badinter qui parle "de mise à mort médiatique" et qui voit "la défaillance d'un système entier"...
La contribution la plus révélatrice est toutefois apportée par l'inénarrable BHL, très remonté contre le juge américain "qui, en livrant [DSK] à la foule des chasseurs d'images attendant devant le commissariat de Harlem, a fait semblant de penser qu'il était un justiciable comme un autre."

Sans doute ces gens ne se rendent-ils pas compte qu'avec tant de parti pris et d'outrances, ils risquent surtout de desservir la personne qu'ils sont supposés soutenir. Le précédent de Florence Cassez au Mexique n'a pas servi d'expérience...
Il semble bien en tout cas que la preuve soit faite, une fois encore, de l'arrogance socialiste. Caractérisée par une telle certitude d'incarner la justice, le progrès, la générosité, la solidarité, elle en vient à occulter voire à nier tout ce qui serait susceptible d'entacher son panache. Dans le même temps, elle s'arroge le droit de condamner ex cathedra tout contrevenant à ses rogues parangons.
Puissent enfin ces évènements tragiques, servir de leçon. Puissent ces faux seigneurs rabattre enfin de leur morgue. Puissent les yeux de tant de citoyens abusés, se dessiller...


Illustration : Le rat et l'huitre par La Fontaine, illustré par J.J. Grandville

17 mai 2011

Au fou !

Grand chahut au Sénat il y a quelques jours à peine, alors qu'un texte de loi réformant les procédures relatives à l'organisation de la psychiatrie, était en train d'être discuté depuis le 10 mai.
En cause, la réforme des dispositions qui ont notamment pour but de pouvoir soigner contre leur gré les patients souffrant de troubles mentaux, faisant courir un risque immédiat pour eux, ou leur entourage.

Suite à quelques drames retentissants, le gouvernement a en effet décidé de renforcer les dispositions classiques, en les élargissant notamment au contexte de l'ambulatoire. Le projet de loi a dans le même temps pour objectif de faciliter l'hospitalisation demandée par un tiers (HDT), en limitant à un seul au lieu de deux, le nombre de certificats médicaux requis. Il propose également d'instituer une période de surveillance de 72 heures, avant de prononcer l'hospitalisation d'office (HO), relevant elle d'un représentant de la force publique. D'une manière plus générale, il contient également des mesures visant à contrôler plus étroitement la sortie de ces derniers patients, et donne le droit au préfet de s'y opposer s'il estime que le malade représente un danger pour autrui, même si les médecins ont un avis contraire.

Sans rentrer plus avant dans le détail technique du texte, avec lequel il est naturellement permis de manifester des désaccords tant le sujet est complexe et délicat, ce qui frappe c'est la virulence et l'aspect peu rationnel de l'argumentation brandie par l'opposition. Notamment celle d'un groupe de pression, paraît-il animé par des psychiatres, intitulé le Collectif des 39 .

Au premier abord, et à les entendre vociférer qu'il s'agit d'une « extension inadmissible du contrôle étatique des populations », on pourrait imaginer une bande d'énergumènes ultra-libéraux, partant en guerre contre le Big Government.
On constate bien vite qu'il n'en est rien. Sic dixit le journal Le Monde, c'est "la gauche [ qui] est très hostile à un projet qu'elle juge "sécuritaire"...
De fait, on voit dans la rue, des gens habituellement plus enclins à réclamer des régulations, des contraintes, et des lois, surtout lorsqu'il s'agit de lutter contre les dérives de l'horrible libéralisme !

A côté d'outrances verbales ridicules évoquant rien moins qu'une plongée dans la nuit sécuritaire (!), on perçoit une dialectique d'inspiration nettement plus idéologique que scientifique. Par exemple, dans les propos du psychiatre Guy Baillon, relayés par Mediapart: "Cette loi est une campagne de « stigmatisation » de grande envergure! Une loi raciste! Marquant leurs noms du sceau du danger et de la peur."
L'air est connu. Tout comme ce genre de harangue rétrograde, dans le plus pur style syndical : Il est possible de faire reculer le pouvoir ! Un premier pas a déjà été franchi. Continuons notre combat..."

Derrière l'anti-sarkozysme devenu désormais rituel dès que le Président de la République est soupçonné de vouloir faire bouger un tant soit peu l'ordre établi, se profile en réalité, une argumentation assez imbécile qui fait froid dans le dos, venant de praticiens pourtant censés incarner la raison. Elle n'est pas sans rappeler le mouvement de colère insensé et très partisan, des magistrats lorsqu'ils furent tancés par le Chef de l'Etat après le drame de Laetitia.
Le pire est que ces censeurs intransigeants  si prompts à vomir leur fiel, n'ont comme trop souvent, pas grand chose à proposer comme solution alternative.

Sur le fond, même si la problématique s'avère extrêmement délicate, rien ne saurait plus la desservir qu'un rejet sectaire et sans nuance de toute proposition, dicté par un a priori partisan.
On a beau dire par exemple comme certains, que "les personnes ayant des troubles psychiques graves ne commettent pas plus de crimes que la population générale", est-ce une raison pour les laisser livrés à eux-mêmes lorsqu'ils passent à l'acte ou risquent de le faire ? Surtout lorsque l'on prétend dans le même temps que les malades mentaux sont par nature irresponsables, et qu'ils ne doivent en aucun cas relever de l'emprisonnement qui attend tout repris de justice !

En la circonstance, les psychiatres font preuve d'une étrange légèreté pour ne pas dire inconséquence, lorsqu'ils dénient aux préfets le pouvoir de maintenir en internement des patients potentiellement dangereux.
Qui donc, selon eux devrait assumer la responsabilité des délits ou crimes qui seraient commis à la suite d'une erreur ou d'une négligence, puisqu'eux-mêmes s'en dédouanent habituellement ?
Quel psychiatre a émis ne serait-ce qu'un regret à l'occasion de la décapitation au sabre, par un malade sorti un peu vite, de deux infirmières à Pau il y a quelques années ? Quel psychiatre s'est interrogé lorsqu'un détraqué en permission n'a rien trouvé de mieux, que de découper sa pauvre mère en morceaux, puis de les balancer à tous vents par le balcon de son appartement ?
Quel psychiatre a fait état du moindre doute lorsque la malheureuse Laetitia a subi à peu près le même sort atroce il y a quelques mois ?

Une fois encore, on ne peut qu'être effaré par l'emballement idéologique et la politisation manichéenne qui empoisonne désormais tout débat dans notre pays. En témoigne encore, la récente affaire concernant le RSA, au cours de laquelle une malheureuse proposition d'astreindre à 5 heures hebdomadaires de "service social" les allocataires, déclencha une levée de boucliers hallucinante de la part de gens qui se gargarisent à tout bout de champ de solidarité et d'altruisme...

11 mai 2011

Deux poids, deux mesures

Le verdict du procès en appel concernant l'affaire dite de l'hormone de croissance est tombé il y a quelques jours : relaxe générale !

A ce jour, 120 enfants sont pourtant morts des conséquences directes des injections destinées à les faire grandir dans les années 70 et 80 (la France à elle seule totalise près de 60% de tous les cas enregistrés dans le monde!).
A chaque fois, ce fut un calvaire effroyable pour les petits malades et leurs familles, caractérisé par l'installation d'une démence d'évolution rapide et constamment mortelle.
Malheureusement, le bilan n'est sans doute pas définitif. Le temps d'incubation de la maladie étant parfois très long, le nombre de victimes potentielles de cette calamité est susceptible de s'accroître.
Entre autres contributions à charge, un reportage diffusé sur France 3 en 2005 (Pièces à Conviction), mettait en évidence les graves négligences qui émaillèrent ce triste épisode. Jusqu'en 1988, faute de pouvoir la synthétiser, l'hormone était prélevée sur des hypophyses de patients décédés. Or, pour satisfaire les espérances qu'on avait fait naître chez de nombreux parents, l'association France-Hypophyse, avec le soutien de l'Etat, alla prélever ces organes jusque dans des hôpitaux psychiatriques de Bulgarie et de Hongrie à raison de plusieurs milliers de glandes par an ! Le risque de contamination à partir de tissus provenant du système nerveux prélevés post-mortem, par des agents à l'origine de graves démences (Creutzfeldt-Jakob, Kuru), était pourtant parfaitement établi à l'époque...

Comment s'empêcher de faire le parallèle avec le scandale du Mediator qui agite depuis plusieurs mois le landerneau...
Sous la loupe grossissante des médias, il paraîtrait à première vue bien pire.
Avant même d'avoir donné lieu à un quelconque procès, l'histoire est d'ailleurs quasi jugée. Songez-donc : les experts parlent déjà de 500 à 2000 morts ! Plus grave que le sang contaminé selon les accusations du Dr Gérard Bapt, cardiologue et député socialiste, et celles du Dr Hélène Frachon, la femme par laquelle le scandale est arrivé.

En réalité face aux cas certains liés à l'hormone de croissance, ces chiffres ne constituent pour l'heure, que des extrapolations.
Jusqu'en 2009, la toxicité rapportée aux molécules de la famille du Mediator (benfluorex) concernait avant tout l'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). Ce risque était connu mais avait été considéré comme négligeable avec le benfluorex. C'était d'ailleurs tout l'intérêt de la molécule. 
Il fallut d'ailleurs attendre 1999 pour voir le premier cas relié avec certitude au produit.
S'agissant des valvulopathies cardiaques, les premières descriptions furent encore plus tardives, puisqu'elles datent de 2006 et l'imputabilité au benfluorex ne fut établie qu'en 2009 (tout comme la réversibilité possible de la maladie à l'arrêt du traitement).
Rappelons que la molécule fut commercialisée en 1976 et qu'en plus de 30 ans, environ 3 millions de personnes reçurent le traitement durant au moins 3 mois.
Précisons également que les deux pathologies en cause étaient connues bien avant le médicament, et qu'elles relevaient souvent de causes multi-factorielles, voire idiopathiques. Leur évolution est d'ailleurs loin d'être constamment mortelle. La chirurgie constitue notamment un traitement très efficace des valvulopathies.
En Janvier 2011, dans un rapport resté plutôt confidentiel par comparaison au tintamarre de l'accusation, le professeur de cardiologie Jean Acar se montrait plutôt circonspect à propos des premiers cas mortels rapportés au Mediator : "Sur les 64 décès, 7 observations manquent de tout diagnostic cardiologique, 11 fois le benfluorex ne paraît pas vraiment en cause et 46 fois il pourrait être mis en cause au même titre qu’une autre étiologie..."

Dans de telles circonstances, entachées d'évidentes négligences et légèretés, il est bien rare que les torts et les mérites soient répartis de manière manichéenne. Et l'accusation a posteriori est toujours plus facile que la clairvoyance a priori. L'excès de précaution peut s'avérer aussi nuisible que l'insouciance vis à vis des risques.
A quelle aune peser la gravité d'une affaire par rapport à une autre ? Comment juger en toute sérénité ?

La toxicité brute d'un médicament est certes un problème. Aucun produit efficace n'en est exempt. L'aspirine elle-même est concernée, et nul doute que des patients en sont morts.
Mais plus grave est le fait que dès sa mise sur le marché, le Mediator ne pouvait être crédité que d'un médiocre rapport bénéfice/risque. Plus grave est le fait que tout le monde savait cela. Le Laboratoire Servier bien sûr. Mais aussi les autorités compétentes en matière de régulation, de contrôle et d'autorisation. L'Assurance Maladie également.
Aucun médecin digne de ce nom ne pouvait davantage l'ignorer, pas plus qu'il ne pouvait ignorer que le médicament n'avait reçu d'autorisation que comme traitement adjuvant du diabète "avec surcharge pondérale", et de certaines hyperlipidémies, jamais comme anorexigène, qui fut pourtant le motif de la plupart des prescriptions.

Dans ce jeu complexe et pervers, dans ce cercle vicieux, chacun s'est senti protégé sinon couvert par l'échelon supérieur. Pour aboutir à l'Etat, représenté par ses innombrables officines, par nature omnipotentes et irresponsables.
Aujourd'hui, après avoir exonéré les Pouvoirs Publics de toute vraie sanction concernant les affaires du sang contaminé puis de l'hormone de croissance, il y a donc beaucoup d'hypocrisie à jeter l'anathème de toutes parts sur le seul laboratoire Servier. Les responsabilités sont à l'évidence multiples et un peu d'humilité ne nuirait pas. Une chose est sûre : une fois encore, les instances de régulation étatiques s'avèrent particulièrement peu efficaces et leur irresponsabilité, consubstantielle à leur nature même, fait froid dans le dos...

06 mai 2011

La fin d'un monstre

La fin du sombre épisode Ben Laden est évidemment un soulagement pour tous ceux qui ont souffert dans leur chair des atrocités dont il fut le diabolique instigateur. D'une manière plus générale, elle rassérène tous ceux qui étaient horrifiés par la rage destructrice insensée qui nourrissait jusqu'à la moindre de ses fibres.
En associant à sa folie meurtrière, le nom de Dieu, il a commis la pire infamie qui soit, qu'on soit croyant, agnostique ou même athée. C'est tellement monstrueux que cela confine à l'absurde, ce qui est la négation même de l'humanité. Hélas, force est de se rendre à la sinistre évidence : l'humanité, c'est aussi cela...

La longue et patiente traque qui a enfin permis d'empêcher de nuire cette immonde crapule, prouve que rien n'est jamais définitivement perdu, tant qu'on n'a pas cessé de chercher. Elle prouve également qu'à mille lieues des fantasmes sur les pouvoirs supposés des services secrets et la haute sophistication de leurs moyens techniques, c'est la constance, la discrétion et la rigueur qui finit par payer.
Et le courage de ces hommes dépêchés sur place, qui avec un grand sang froid, une audace extraordinaire, et une organisation quasi parfaite, ont eu raison de cet impitoyable ennemi, après s'être assurés d'avoir vu le blanc de ses yeux.

Évidemment certains auraient souhaité qu'il soit pris vivant afin qu'il soit jugé. Mais comment juger de tels forfaits, non seulement avoués, mais revendiqués haut et fort, avec une répugnante délectation ? Qu'aurait gagné la justice à traîner pendant des mois ce fauve devant les tribunaux ? Pour aboutir à quoi d'autre qu'un enfermement à vie ou bien une exécution ? Ce sort, qui fut réservé à Saddam Hussein s'est révélé particulièrement éprouvant, sans être contributif à la justice ou à quoi que ce soit. Primum non nocere, dit-on en médecine... Faire cesser la nuisance est la priorité des priorités. La mission consistant à anéantir cet odieux péril qui narguait le monde depuis si longtemps, ne devait en aucun cas échouer.

Évidemment, il y a ceux pour qui toute action est toujours en inadéquation avec l'objectif qui la motive. Pour eux, le renforcement des mesures de sécurité lors des flambées de terrorisme est inutile et nuit gravement aux libertés. Pour eux, l'intervention en Afghanistan était inopportune, et celle en Irak fut une grossière erreur... Ils estiment donc aujourd'hui qu'il s'agit d'un coup pour rien. Que Ben Laden était déjà hors d'état de nuire, ou bien que cette opération ne saurait éteindre le terrorisme, voire qu'elle ne peut que le raviver...

Évidemment, les adeptes du complot de leur côté, ressortent les arguments classiques visant à remettre en cause le fait même : pas de corps, pas de photo, tout est truqué, le refrain est connu. Déjà ils accusent l'administration américaine d'avoir fomenté une machination pour redorer le blason terni du président Obama, à l'approche des élections...

Évidemment, on entend aussi les pires inepties. Du genre de celle qui consiste à ergoter sur les moyens utilisés pour faire disparaître la dépouille du vaincu, jugés non conformes au rite islamique ! Mais de quel rite pourrait se prévaloir un tel ogre ? Ne serait-ce pas une vraie ignominie pour toute religion, que de réclamer dans de telles circonstances, une cérémonie en son nom ?

Évidemment les médias, une fois encore, ont le plus souvent utilisé le petit bout de la lorgnette pour observer, puis commenter cet événement. Tout a été produit faute de mieux, pour satisfaire le besoin morbide de scoop : du photomontage grotesque, complaisamment diffusé urbi et orbi sans vérification, aux suppositions oiseuses, en passant par les questions ou sondages idiots ("Faut-il publier l'image du cadavre ? " interroge le Figaro, en précisant qu'elle est "atroce"...).

Il n'empêche. Si le monde a peu de chances de devenir plus paisible, du seul fait de l'élimination de cet individu, il fallait quand même le faire.
Lui n'aura su faire que du mal durant son existence. Mais malgré sa violence sans limite, son combat est un échec. Nulle part le terrorisme islamique n'est parvenu à imposer autre chose qu'une terreur sans lendemain et une image abjecte de l'islam...
De l'autre côté, la lutte s'est organisée et l'hydre a été démantelée, laminée, repoussée. Sa capacité de nuisance n'a pas disparu, mais elle s'est éloignée. Contrairement à ce qu'on entend ânonné si souvent, l'espoir et la liberté, même fragiles, se sont installés en Irak, rien n'est perdu en Afghanistan où les journalistes semblent se plaire à ne montrer que ce qui ne va pas. Dans le monde arabo-musulman, nombre de tyrannies vacillent sous le choc des révolutions, et pour l'heure ce ne sont pas les fanatiques qui en profitent. Un monde nouveau se dessine peu à peu, et il est loin d'être tout noir et sans futur. Dans ce lent bouleversement, la disparition de Ben Laden clôt un chapitre baigné de sang et de larmes. Puisse l'avenir s'éclairer un peu plus encore.

En définitive, c'est Condoleeza Rice, l'ancienne secrétaire d'État de George W. Bush, qui a trouvé les mots les plus justes, sur lesquels il me semble opportun d'achever cette chronique : "cette opération montre clairement que le président et son équipe ont fait un superbe travail pour réunir toutes les pièces du puzzle .../... Le succès du commando des "Navy Seals" est une "belle histoire qui fait le lien entre deux présidences", a-t-elle estimé. "Cela montre que les Etats-Unis sont capables de patience et de persévérance"...

26 avril 2011

Fausse bonne idée


Encore une fois le président Sarkozy démontre que sa politique est d'inspiration bien plus étatiste que libérale. Son idée d'imposer aux entreprises le versement à leurs salariés d'une prime indexée sur les dividendes, sort tout droit du catalogue des bonnes intentions dont l'enfer de l'Etat Providence est pavé.
Il s'agit d'une sorte d'ersatz de la règle des trois tiers selon laquelle une entreprise devrait répartir ses bénéfices à parts égales entre les salariés, les actionnaires et l'investissement.

Certes, en apparence, cette mesure est susceptible de donner un coup de pouce au pouvoir d'achat, en ne pesant que sur les royalties des actionnaires. Parfaitement dans la ligne de "la moralisation du capitalisme"... Et moindre mal pour les entreprises dont les versements à ce titre seront exonérés de charges.

Malheureusement le caractère obligatoire de cette initiative et son application uniforme à toutes les entreprises de plus de 50 salariés, en font le type même de fausse bonne idée.
Tout d'abord, parce que la plupart des sociétés gérées avec bon sens distribuent depuis longtemps des primes à leurs employés, souvent basées sur les bénéfices, et modulées en fonction des états de service individuels.
Ce nouveau dispositif, avec sa froide et bureaucratique rigidité, est au mieux inutile. Au pire, il risque de prendre la place des initiatives spontanée, et devenir en raison de son caractère légal, un acquis social systématique qu'il sera bien difficile de refuser, même en temps de vaches maigres.

On peut craindre de toutes manières que se mettent en place chez les plus réfractaires, des stratégies d'évitement : certains chercheront par tous les moyens à masquer les dividendes, d'autres à limiter les embauches en dessous du seuil fatidique de 50 salariés.
Plus généralement, les entreprises françaises, devenues par la force de la loi moins généreuses pour leurs actionnaires, risquent de se trouver dépréciées et donc délaissées par les investisseurs au profit des valeurs étrangères.

A défaut de satisfaire les patrons et les actionnaires, cette disposition plaira-t-elle aux salariés ? Rien n'est moins sûr...
Les syndicats ont vite fait en tout cas, de lui trouver quantité de défauts.
Selon M. Chérèque de la CFDT, il s'agit d'un nouveau "cadeau au patronat" qui va "diviser les salariés", et qui risque de se traduire en raison de la défiscalisation des versements, par "moins d'augmentation de salaires, plus de prime".

Curieusement, en même temps que cette mesure, le gouvernement annonce le gel des salaires des fonctionnaires. N'y a-t-il pas là quelque incohérence ? Surtout lorsque l'on sait que la Fonction Publique souffre précisément, en dépit de volatiles promesses, de l'absence désespérante de primes à l'initiative et au mérite.

Mais le plus grave dans cette affaire, est sans doute l'arsenal administratif qu'elle laisse entrevoir en perspective. Il va falloir encore une fois, contrôler, surveiller, mesurer, évaluer, sanctionner. Toujours plus d'Etat en somme...

19 avril 2011

L'agitation du bocal



Au moment où de sanglantes révolutions ébranlent le monde arabe, où la crise économique mine le bien-être matériel des sociétés développées, et où les colères de la nature secouent dramatiquement le rêve de puissance de l'empire du Soleil Levant, c'est un ouragan lilliputien qui agite tout à coup les médias hexagonaux, si friands de scandales.
Celui-ci est causé par une exposition intitulée « Je crois aux miracles », sise depuis le mois de décembre 2010, dans le Musée d'Art Contemporain de la ville d'Avignon.
Clou du spectacle, si je puis dire, une photo datée de 1987, signée de « l'artiste » américain Andres Serrano, et intitulée crûment Immersion (Piss Christ), représentant un crucifix plongé dans un bocal rempli d'urine (de l'artiste) !
Signalons au passage que ce photographe « majeur » (dixit les Inrocks), élevé paraît-il dans un "strict environnement religieux catholique", s'est également illustré par un remarquable travail sur les excréments, photographiés sous tous les angles et éclairages imaginables, exposé en 2008 sous le titre on ne peut plus évocateur de « Shit ». On peut lui reconnaître de ne pas cultiver l'ambiguïté...

Dans le climat de manichéisme politico-culturel et d'exacerbation des tensions religieuses que traverse actuellement le pays, le moins qu'on puisse dire est que l'initiative avignonnaise, sponsorisée par les Pouvoirs Publics et donc l'argent des contribuables, paraissait plutôt inopportune.
Mais les Chrétiens étant sans doute quelque peu accoutumés à ce genre de vilénie, il a  fallu plusieurs mois pour que s'échauffent les humeurs et que monte l'indignation. Celle-ci s'exprimait depuis quelques semaines, par des manifestations et une vaste pétition signée par plus de 80.000 personnes demandant la suppression de l'image controversée, placardée en forme d'affiche aux quatre coins de la ville.

Mais dimanche dernier, 17 avril, quelques individus déterminés décidèrent de passer à l'acte en saccageant à coups de marteau et de pics à glace l'objet du scandale.
Du coup l'indignation n'est plus chez les Dévots mais chez les Précieux. Ces derniers s'étranglent devant ce forfait, qui révèle selon eux une "France haineuse" (les Inrocks), s'inscrit comme l'expression de la "barbarie" (l'Humanité), ou comme "un acte de régression très inquiétant" (Aillagon)...

Dans cette histoire, que j'ai pour ma part tendance à considérer comme une pantalonnade, je trouve très réactionnaire, voire péjorativement bourgeoise et incohérente, l'indignation (comme dirait Stéphane Hessel...) des gardiens de la culture.
Que pouvaient-ils objectivement espérer de mieux vis à vis de cette grotesque provocation, de plus adapté à la situation ? 
La figure du Christ qui a transcendé de bien pires circonstances, ne pouvait évidemment pas être atteinte par ces niaiseries scatologiques. Quant à l'émotion artistique, elle ne pouvait en rien être sollicitée par d'aussi insignifiantes déjections.
Plutôt que se répandre en imprécations, ne faudrait-il  donc pas se réjouir de l'ardeur déconstructive avec laquelle les audacieux iconoclastes ont salué « l'oeuvre » (qui n'est de toute manière rien d'autre, au sens propre comme au figuré, qu'un cliché...).
En 1993, à l'occasion d'une exposition du fameux et dérisoire ready-made en forme d'urinoir de Marcel Duchamp, un artiste non conformiste, Pierre Pinoncelli, entreprit courageusement de le briser avec beaucoup de théâtralisme d'un coup de marteau bien ajusté, en expliquant son geste de la manière suivante : "Ce n'était pas du tout contre l'urinoir ou contre Duchamp, mais contre l'institution qui a consacré ledit ustensile en veau d'or et son auteur en Toutankhamon de l'art moderne. J'ai cassé l'urinoir au centre des mécanismes de sacralisation et des rituels du pouvoir."
Lorsque l'urine se confond avec le sacré, que les excréments se mélangent aux aspirations les plus hautes de l'art, la « barbarie » devient un acte de salubrité publique et un vrai retour au réel, quasi constructiviste. A travers l'expérience brutale de la démolition, c'est une vraie et radicale restructuration conceptuelle à laquelle on assiste... 
La destruction est une forme d'apothéose, un exutoire sublime.
Mais attention, comme tout jeu, elle comporte un risque de débordement qui peut mener au pire, si l'affaire est prise trop au sérieux...

14 avril 2011

Rameurs

Sur l'eau telle un ciel, des rameurs
Du bout de leurs pelles graciles
Dessinent des lignes fragiles
Exaltant songes et humeurs.

Au sein de ces remous rêveurs
Les souvenirs forment des îles
D'où montent lents et versatiles,
Les parfums d'antiques saveurs.

Le rythme lénifiant de l'onde
Figure la marche du monde
Et la molle avance du temps

Mais un bruit ou bien un nuage
Viennent déchirer cette image
Et tout s’arrête en un instant…
Illustration : Périssoires (Gustave Caillebotte 1848-1894). Détail

02 avril 2011

Nuit sous la pluie


Sous la pluie les pavés se chargent de couleurs
Déteignant dans la nuit le long des rues obscures.
On voit l'ombre rougie de folles aventures
Tanguer avec la foule au rythme des clameurs.

On voit des flaques bleues déchirer les noirceurs
Et jeter vers le ciel des espérances pures,
Tandis que les reflets de quelques devantures
Éparpillent dans l'air de fugaces bonheurs.

On voit sur les trottoirs d'intenses clartés vertes
Tout à coup se dissoudre en blanches floraisons
Comme un printemps éclos sur des prairies offertes.

La ville est un miroir foisonnant d'illusions
Où les réalités transformées en chimères
Renvoient l'écho flottant de mondes éphémères.