03 septembre 2015

Dieu joue-t-il aux dés ?

S'agissant de la conscience humaine, la seule dont nous avons la certitude, puisque chacun de nous en fait quotidiennement l’expérience, force est de constater avec Werner Heisenberg que "ce sont les mêmes forces régulatrices qui ont construit la nature dans toutes ses formes, qui sont à l’origine de la structure de notre âme, donc aussi de notre intelligence…"
Certes, le concept de conscience n’existe pas en physique et en chimie, et l’on ne peut guère imaginer qu’un tel concept puisse être déduit de la mécanique quantique. Cependant, pour Heisenberg, “dans une science qui inclut également les organismes vivants, la conscience doit tout de même trouver une place, car elle appartient à la réalité..."
Encore une fois se trouve conforté le point de vue de Kant, qui faisait de la loi morale, consubstantielle a la notion de conscience, une réalité aussi certaine et merveilleuse que la voûte céleste étoilée !

De la conscience et du dessein qui la caractérise, jusqu’à Dieu, il n'y a qu'un pas.
Le savant se garde bien de le franchir mais il livre une réflexion roborative sur le sujet, empreinte de pondération et de modestie...
Elle part pourtant de l'opinion très tranchée de Paul Dirac, pour lequel la science se conjugue naturellement avec l'athéisme.
Pour celui-ci, l’hypothèse de Dieu amène en effet "à se poser des questions absurdes, par exemple la question de savoir pourquoi Dieu a permis le malheur et l’injustice dans notre monde, l’oppression des pauvres par les riches, et toutes les choses horribles qu’il aurait pu, après tout, empêcher.”
On peut souscrire aisément à cette critique d’une vision trop bornée, trop humanisée du principe divin, et qui en outre signifierait que l’homme y serait assujetti comme une marionnette. Mais on peut également avoir une autre conception de Dieu que celle de Dirac, résumée par la célèbre formule lapidaire de Lénine, qui en faisait “l'opium du peuple”, distillé et entretenu par des gouvernants soucieux de faire taire l'envie de révolte…

Albert Einstein qui n'était pas connu pour être un dévot affirmait quant à lui que "Dieu ne joue pas aux dés". Ce faisant, il instituait de manière implicite ce dernier comme principe immanent, tout en manifestant sa réticence à s'en remettre au hasard ou au principe d'incertitude comme fin en soi.

On se souvient également de son raccourci fameux : "Dites moi ce que vous entendez par Dieu, je vous dirai si j'y crois..."
Ce positionnement à mi-chemin entre le déterminisme athée et la foi ennemie des réalités, est peut-être en définitive ce qui est le plus raisonnable, si pour paraphraser Pascal, Dieu “a ses raisons que la raison ne connaît pas…”
 
Des propos de Heisenberg, on peut finalement déduire qu'il ne serait pas très éloigné de la notion d'"Intelligent Design" assez en vogue actuellement. Sans doute avait-il en tout cas une préférence pour un monde gardant une aspiration spirituelle, à un autre résolument matérialiste.
Il redoutait d’ailleurs l'avènement de ce dernier, comme en témoignent les lignes suivantes, écrites en 1927, comme si elles avaient été inspirées par un sombre pressentiment : “Il se pourrait que les paraboles et images de la religion perdent leur force de conviction même aux yeux des gens simples. Je crains qu’à ce moment là, notre éthique actuelle ne s’écroule également très rapidement et qu’il ne se produise des choses d’une horreur que nous ne pouvons même pas imaginer à l’heure actuelle.”

S’il faut retenir quelque chose de magique dans le spectacle de la nature, on pourrait évoquer avec Heisenberg, “le miracle de la stabilité de la nature” devant lequel s’émerveillait Niels Bohr.
Précisons que par stabilité, il entendait que “ce sont toujours les mêmes substances avec les mêmes propriétés qui apparaissent, que ce sont toujours les mêmes cristaux qui se forment, les mêmes composés chimiques qui se créent… Ainsi, même après de nombreuses modifications dues à des influences extérieures, un atome de fer redevient un atome de fer, possédant les mêmes propriétés qu’auparavant…”
C’était selon lui, paradoxalement incompréhensible selon la mécanique classique, basée sur un strict déterminisme causal des phénomènes.
Ce serait précisément à cause de la stabilité de la matière, que la physique newtonienne ne peut pas être correcte à l’intérieur de l’atome et qu’il ne peut y avoir de description visuelle de sa structure. En effet, une telle description - parce que visuelle justement - devrait se servir des concepts de la physique classique, concepts qui ne permettent plus de saisir les phénomènes. Autrement dit, “les atomes ne sont pas des objets de l’expérience quotidienne.”

Ainsi, après avoir donné des explications rationnelles à de nombreux phénomènes naturels, l’être humain en affrontant les nouvelles frontières de la connaissance, se rapproche tout à coup de l’indicible. Même un cerveau aussi puissant que celui de Werner Heisenberg manifestait un certain désarroi devant la complexité croissante des concepts manipulés par la science. Il prévoyait que pour progresser, celle-ci exigerait "une pensée ayant degré d’abstraction qui n’a jamais existé à ce point, du moins en physique". Dans le même temps, il s'avouait dépassé, supposant que pour lui, "une telle tâche serait serait sûrement trop difficile"...

Ses réflexions restent en tout cas passionnantes, car outre leur limpidité explicative, elles contribuent à donner une signification à des notions qui de prime abord défient l'entendement. En deçà ou bien au delà de l’échelle de nos sensations, dans l’infiniment petit ou dans l’infiniment grand, nous perdons facilement pied. Il est plus que jamais nécessaire d’avoir des guides inspirés pour nous aider à réfléchir, et à trouver du sens dans ce qui relève de plus en plus de la spéculation ou de l’abstraction.
Au cours d’un de ses entretiens avec Bohr, Heisenberg eut cette interrogation anxieuse : “Si la structure interne des atomes est aussi peu accessible à une description visuelle que vous le dites, et si au fond nous ne possédons même pas de langage qui nous permette de discuter de cette structure, y a-t-il un espoir que nous comprenions jamais quelque chose aux atomes ?”
Le célèbre savant Danois eut un moment d’hésitation, avant de répondre : “Tout de même, oui. Mais c’est seulement ce jour là que nous comprendrons ce que signifie le mot comprendre…”
Le Tout et la Partie. Werner Heisenberg. Champs Sciences. Flammarion 2010

30 août 2015

Des quantas à la conscience

Un des grands mérites du recueil de réflexions de Werner Heisenberg, sobrement intitulé "la Partie et le Tout", est de donner une perspective philosophique à la mécanique quantique, et de déboucher même sur certaines considérations métaphysiques.

En son temps, Newton avait influencé beaucoup de penseurs. Pourquoi n'en serait-il pas de même à notre époque pour les savants qui nous emmènent, par la seule force de leur raisonnement, vers les terres nouvelles de la connaissance ?
Trop souvent les philosophes se croient autorisés à faire fi de la rigueur des démonstrations scientifiques. Résultat, ils jargonnent, se fondant sur des principes ex nihilo, et la philosophie finit, comme le disait narquoisement l'un des amis de Heisenberg, par "constituer l'abus systématique d'une nomenclature inventée précisément en vue de cet abus..."

Un des principaux enseignements de la mécanique quantique, déroutante par ses incertitudes, est qu'il faut "rejeter a priori toute prétention à l'absolu". Cette précaution vaut aussi bien pour le domaine scientifique que pour celui des idées en général. La division du monde en une face objective et une face subjective paraît beaucoup trop radicale.
En dépit de son aspect révolutionnaire, la nouvelle physique atomique n'invalide ni ne tue les théories qui l'ont précédée. Si les conceptions de Ptolémée, d'Archimède ou de Newton sont aujourd'hui dépassées, elles gardent une part de vérité et les prédictions qu'elles permettent de faire sont toujours valables dans le contexte pour lequel elles ont été conçues. Elles ne sont plus suffisantes pour décrire le monde des particules élémentaires, mais constituent des étapes sur le chemin du savoir.

Heisenberg tire de cette évolution par ajustements successifs l'idée "qu'une révolution bienfaisante et fructueuse ne peut être réalisée que si l'on s'efforce d'introduire le moins de changements possible, et si l'on se consacre de prime abord à la solution d'un problème limité, nettement circonscrit. Une tentative consistant à abandonner tout l'acquis antérieur ou à le modifier arbitrairement ne peut conduire qu'à l'absurdité pure."
Bien que les Scientifiques ne soient pas tous exempts d'a-priori ou de certitudes excessives, Heisenberg a la faiblesse de penser que les Philosophes et les Politiciens seraient bien inspirés parfois de solliciter leurs conseils car "ils pourraient [les] seconder en leur apportant une coopération constructive, caractérisée par la précision du raisonnement, une vue large des choses et un réalisme incorruptible..."

Évoquant le concept d’évolution, tel que la popularisé Charles Darwin, Heisenberg exprime un certain scepticisme. S'il ne remet pas en cause la théorie darwinienne d'adaptation et de sélection naturelle, elle ne lui paraît pas suffisante pour expliquer la diversité et l'harmonie du monde. Ainsi, de son point de vue, "Il est difficile de croire que des organes aussi compliqués que l’oeil humain par exemple, aient pu se créer petit à petit uniquement grâce à des modifications fortuites."
Il rappelle même le raisonnement malicieux que le mathématicien John Von Neumann avait tenu à un biologiste, un peu trop convaincu à son goût du rôle du hasard et la nécessité.
En lui montrant à l'occasion d'une promenade une jolie petite maison nichée dans la campagne, il lui tint à peu près ce discours : “Au cours de millions d’années, la colline a été formée par des processus géologiques; les arbres ont poussé, ont vieilli, se sont décomposés et ont repoussé; puis le vent a recouvert fortuitement de sable le sommet de la colline; des pierres ont peut-être été projetées par là bas sous l’effet que quelque processus volcanique, et par hasard aussi elles sont restées en place les unes sur les autres de façon bien ordonnée. Et cela a continué ainsi.../... Une fois, au bout d’un temps très long, les processus désordonnés et fortuits ont produit cette maison de campagne; et maintenant des hommes sont venus y habiter…"

Comment ne pas être frappé par le sens de l'évolution, qui va du simple au compliqué, et des particules élémentaires de la soupe originelle, jusqu'à la conscience humaine ?
Peut-on extraire de l'évolution tout ce qui concerne l'être humain et notamment son génie inventif ?
Ce dernier procède également largement du modèle évolutif. Au fil des idées et des adaptations pragmatiques, les hommes sont parvenus à élaborer des outils et des machines de plus en plus complexes. Et il n'y a qu'une place limitée pour le hasard dans ce processus, l'essentiel étant représenté par la notion de dessein, lui-même sous-tendu par l'intelligence...

Plus que Darwin, Heisenberg rejoindrait donc Bergson dans ce qu’il appelait "l'évolution créatrice" et cette sorte d’élan vital qui fait progresser la connaissance.
Devant un paquebot, le physicien s'interroge : "s’agit-il d’une masse de fer avec une installation de force motrice, un système de lignes électriques et des ampoules à incandescence.../… ou bien d’une expression du dessein humain, d’une structure formée en tant que résultat de relations interhumaines ?"
De la même façon, au spectacle de la nature, il se demande s'il est " tout à fait absurde d’imaginer, derrière les structures régulatrices du monde dans son ensemble, une “conscience” dont elles expriment le “dessein”..." (à suivre...)

26 août 2015

La féérie incertaine des particules


"La Science est faite par les hommes" rappelle Heisenberg dans son ouvrage "Le Tout et la Partie". 
Il n’est donc pas étonnant qu’il s’attache à toujours la placer dans un contexte très humain, très palpable en quelque sorte.
Pas de formule ésotérique ici, pas de démonstration savante, mais un souci constant de mettre ce qu'elles contiennent à la portée du lecteur.

Ainsi, ça commence en 1920, par une sympathique promenade pendant laquelle des amis étudiants, entreprennent de débattre de la nature profonde des choses et de la représentation qu’on s’en fait. Vaste sujet n'est-il pas ?
C'est en l'occurrence un certain Robert qui résume la situation d'une manière très kantienne : "C'est de notre pensée seule que nous avons une connaissance immédiate. Mais cette pensée ne se trouve pas auprès des objets.../... Nous ne pouvons pas percevoir les objets directement. Nous devons d'abord les transformer en représentations, et finalement, former des concepts (qui ont un sens) à partir d'eux..."

A l'échelle des atomes, qu'on ne peut ni voir ni percevoir à proprement parler, ce raisonnement semble particulièrement pertinent.
Cela constitue même le coeur de la réflexion sous tendue par l'infiniment petit, non moins déroutante que celle concernant l'immensité de l'univers. A ces extrémités, nos sens sont en effet incapables de nous donner une représentation précise des choses. Nous déduisons leur existence à partir de théories et de raisonnements, et nous tentons de les valider par des observations confirmant plus ou moins bien les théories...
Mais, de même qu'Einstein montra qu'à l'échelle de l'infiniment grand, et dans un monde où tout est en mouvement, le temps et l'espace devenaient des concepts relatifs, l'amélioration des connaissances du monde des atomes montre qu'il est régi par des lois étranges, ne semblant pas s'appliquer à la physique classique ni aux objets qui peuplent notre quotidien. "Les atomes ne sont pas des objets de l'expérience quotidienne" rappelle le savant.

La rupture de la notion de continu est le premier constat dérangeant. Fait au sujet de l'énergie à l'échelon microscopique par Planck, il conduit à considérer qu'elle ne se disperse pas de manière progressive comme on le pensait intuitivement, mais par paquets, qu'il nomma quantas. L'énergie totale d'un système est donc un multiple entier de la quantité élémentaire d'énergie qui le caractérise.

Mais ce n'est qu'un des aspects de cette nouvelle mécanique, car plus bizarre encore est l'incertitude qui vient se mêler aux phénomènes observés. Cette fois, c'est le lien entre un évènement et sa cause qui est mis à mal !
Heisenberg prend l'exemple de la transformation de radium B en radium C par l'émission spontanée d'électrons.
S'il est possible, explique-t-il, d'affirmer pour une quantité donnée de radium, que statistiquement la moitié des atomes seront transformés en 30 minutes, il est impossible de prévoir précisément pour un seul d'entre eux quand et dans quelle direction l'émission d'électrons se produira. Selon Heisenberg, aucun paramètre ne peut modéliser le phénomène car s'il en existait un, alors il en existerait un autre, aboutissant à décrire l'inverse !
Cela choquait beaucoup l'une de ses amies, la mathématicienne Grete Hermann, qu'il soit inenvisageable d'acquérir une connaissance suffisante d'un phénomène, permettant d'en comprendre la cause et de le prédire, et in fine qu'on puisse affirmer d'une connaissance, qu'elle soit à la fois complète et incomplète.
En réalité l'étude des particules, aboutit à remettre en cause le principe de base de la physique newtonienne : à savoir le strict déterminisme causal des phénomènes qui veut que l’état d’un système doive toujours être déterminé de façon unique par l’état qui le précède directement immédiatement.


Avec Planck on découvre donc que l’énergie d’un système atomique varie de façon discontinue. Il y a des positions d’arrêt qu'on appelle états stationnaires, que même le roi de l'atome, Bohr, peinait à se représenter... Quant à Schrödinger, il s'exclama dépité : "si ces damnés sauts quantiques devaient subsister, je regretterais de m'être jamais occupé de théorie quantique..."
Avec Heisenberg on apprend que l'univers des particules est soumis à un principe d'indétermination,et qu'il est possible de l'exprimer mathématiquement. Il montre ainsi que pour une particule, le produit de l'imprécision liée a sa position, par celle liée à sa quantité de mouvement (donc à sa vitesse), ne peut être inférieur au quantum d'action de Planck ! Autrement dit, plus est précise la position d'une particule, moins l'est sa vitesse et réciproquement...

24 août 2015

Un léger parfum d'aporie


Après l’intrigante beauté d’une cétoine, c’est le parfum d’un arbuste qui m’inspire.
Celui-ci repéré il y a déjà quelques années dans un jardin public de la ville de Saintes en Charente Maritime, dégage lors de la floraison, un délicat parfum rappelant le jasmin.
Au mois d’août, son dôme constellé de fleurs blanches étoilées me ravit chaque fois que je passe auprès de lui. J’ai eu quelque peine à trouver son nom, mais grâce au Web, j’ai appris qu’il s’agissait d’un Clerodendrum Trichotomum. On l’appelle aussi arbre du clergé...
Le mélange de rusticité bien terrestre et de saveur immatérielle qui émane de cet arbre se conjugue merveilleusement avec les réflexions rassemblées par Werner Heisenberg (1901-1976) dans son ouvrage “La Partie et le Tout”, consacrée à la physique atomique et qui va bien au delà…

Lorsqu'un savant entreprend de vulgariser la science dont il fait son miel pour tenter d’en faire comprendre les arcanes aux béotiens, cela donne souvent un résultat peu éclairant. Soit trop ésotérique il lasse rapidement le lecteur, soit trop simplificateur, il n’apporte rien de nouveau par rapport aux vulgarisations de la Presse Grand Public.
L’ouvrage du physicien allemand, lauréat du prix Nobel en 1932, échappe à ces deux stéréotypes. Le foisonnement des idées se confronte aux réalités de la vie quotidienne et s'enrichit des débats et discussions qu'il a avec des amis, lors de congrès scientifiques ou de rencontres informelles.
Sachant qu'il s'agit des grands penseurs qui ont révolutionné la conception qu’on avait de la physique des particules, ce témoignage s’avère passionnant car il offre un angle de vue original sur de fabuleux progrès scientifiques tout en leur donnant une portée philosophique très accessible.

Tout au long de l’ouvrage on côtoie avec ravissement des personnages aussi illustres et fascinants que Max Planck, Niels Bohr, Max Born, Albert Einstein, Paul Dirac, Wolfgang Pauli, Erwin Schrödinger…
Au gré des réunions de travail, des débats, mais aussi des promenades, des voyages s’égrènent les principes déroutants de la mécanique quantique en train de naître. Le congrès scientifique dit Solvay de Bruxelles en 1927 et les cinq années qui suivirent figurent comme l’âge d’or de ces nouvelles avancées.

En toile de fond, l'Histoire du XXè siècle déroule une partie de ses terribles tragédies. Communisme, socialisme, national-socialisme inscrivent leurs ravages, faisant fi de toute logique scientifique et de tout bon sens, mais cherchant à s'accaparer les fruits des recherches....
Par un troublant paradoxe, Heisenberg qui avait très tôt décelé les noirs desseins du nazisme, resta en Allemagne et s'accommoda du règne d'Hitler, tandis que nombre de ses collègues et amis s'enfuyaient et le poussaient à faire de même. Pareillement, alors qu'il connaissait de longue date la nature maléfique du communisme, il n'évoque à aucun moment dans ses souvenirs, qui courent jusqu'à 1965, le partage horrible de son pays après la guerre, qui en livra la moitié à la dictature de Staline...

En revanche, il fut bouleversé lorsque les Etats-Unis eurent recours à la bombe atomique, pour mettre fin au conflit qui les opposait au Japon. Il est vrai que contre toute attente, ce fut un pays démocratique qui utilisa la première fois cette arme terrifiante !
Toujours aussi surprenant c'est sans doute à la dissuasion nucléaire qu'on dut la paix relative du monde après1945 ! (A suivre...)

20 août 2015

Cetonia Aurata

Trouvée hier matin en cueillant des mûres, cette superbe cétoine d'un vert minéral aux reflets dorés (cetonia aurata). 
Dans la boite destinée à recueillir les fruits, le spectacle est splendide. Les agrégats de perles noires qui serviront bientôt à faire des confitures, servent pour l’heure d’écrin à la bestiole et renforcent son apparence de bijou. Même le plastique du récipient prend des tonalités irisées pour faire vibrer ce microscopique spectacle.

Bien que celui-ci soit tombé sous mes yeux par pur hasard au gré de la cueillette, je pense évidemment à Ernst Jünger, qui passa lui, sa vie à poursuivre les fascinants coléoptères et leurs étranges beautés aux quatre coins du monde, au fil de ce qu’il appelait ses chasses subtiles.

Je pense également au livre que je termine, de Werner Heisenberg, un des pères de la mécaniques quantique, et qui m’inspire pour l’heure des divagations philosophiques à mille lieues des petits tracas quotidiens, “des ennuis et des vastes chagrins qui chargent de leur poids l’existence brumeuse ” comme les décrivait Charles Baudelaire…
J’aurais l’occasion de revenir sur l’ouvrage extrêmement pénétrant du savant allemand qui donna son nom au fameux Principe d’Incertitude, et dont le titre à lui seul est un programme excitant : La Partie et le Tout. N’est-ce pas en somme toute la question ? On peut voir dans un animal minuscule à la fois un tout parfaitement organisé, et évidemment beau, et à la fois une infime partie du monde qui s’éparpille en mille formes, en mille existences, en mille pensées...

A la lumière de la théorie des quantas, tout vacille. On peut concevoir les particules élémentaires comme des ondes impalpables, et aussi bien comme des corpuscules de matière, puisque la trace de leur passage démontre qu'elles en épousent simultanément les deux natures. Mais ne cherchez pas à en voir une de plus près. Car alors elle ne sera plus que l'une ou l'autre, et le charme sera rompu ! 

De mystérieuses intrications lient les choses, et plusieurs états concomitants peuvent les caractériser. Un vertige vous prend lorsque les certitudes établies s’estompent et que l’incertain devient démontrable, sans qu’il soit besoin d’affirmer qu’un effet dépende d’une cause ! 
La rencontre avec cette cétoine est en tout cas l’occasion de reprendre le cours de ce blog, quelque peu interrompu par une sorte de léthargie intellectuelle, où le manque d’inspiration le dispute sans doute à la lassitude du quotidien. Mais lâcher le fil, c’est toujours courir le risque de ne jamais pouvoir le reprendre… Merci Cetonia Aurata…

31 juillet 2015

La Liberté de Penser

Pour clore en forme de triptyque les commentaires au sujet des ouvrages consacrés à la liberté par les éditions Berg International, voici, après ceux consacrés à Edmond About et Victor Cousin, quelques mots au sujet d’un texte de Paul Janet (1823-1899), intitulé “La Liberté de Penser”, et réédition d’un article paru en 1866 dans la Revue des Deux Mondes.

Bien qu’il soit difficile de porter un ouvrage majeur au crédit de ce philosophe, qui fut l’élève puis le secrétaire de Victor Cousin, on peut lui reconnaître une manière de penser plutôt sensée et pragmatique, digne d’intérêt.
L’originalité de ce texte est sans doute de présenter la liberté intellectuelle sous un jour relativiste, assez novateur pour l’époque.

Janet commence notamment par écarter soigneusement toute conception excessive de la liberté qui pourrait la rapprocher de l’anarchisme ou d’une sorte de nihilisme intellectuel. Ainsi il rejette l’idée selon laquelle “la libre pensée serait synonyme de scepticisme et d’incrédulité”, qui selon l’auteur conduit à considérer comme libre penseur “quiconque ne croit à rien”, et conclure que “moins l’on croit, plus on est réputé capable de penser librement…”, ou pareillement affirmer que “celui qui nie tout principe en politique sera plus libre penseur que celui qui en reconnaît quelques uns, par exemple la liberté et la justice…”
Il pondère également le fameux principe cartésien qui recommande de “ne reconnaître pour vrai que ce qui paraît évidemment être tel, c’est à dire ce que l’esprit aperçoit si clairement et si distinctement qu’il est impossible de le révoquer en doute.”
Car selon lui, c’est une application trop zélée de ce principe qui a “ouvert la voie à toutes sortes d’interprétations hasardeuses laissant la liberté à chacun d’apprécier où se trouvait la vérité. Or si chacun ne peut juger qu’avec son jugement, s’il ne peut que penser avec sa pensée, il ne s’ensuit pas que la vérité soit individuelle et qu’il n’y a pas en soi une vérité absolue que chacun atteint dans la mesure où il le peut, et qu’il transmet aux autres dans la mesure où ils sont capables de la recevoir…”
C’est aussi cette conception qui conduit à l’étrange paradoxe qui fait “qu’en matière de philosophie, de politique et de religion, on puisse continuer de prétendre tout et son contraire, tandis qu’en matière scientifique il ne viendrait à l’idée de personne de combattre un calcul ou une expérience par un nom, par un texte, par une autorité…” En d’autres termes, “On ne serait guère accueilli à l’Académie des Sciences en invoquant l’autorité d’Aristote ou de Saint Thomas contre une démonstration de Laplace ou d’Ampère…”
En somme, “ce n’est pas parce qu’on admet le principe cartésien, qu’on en déduit que l’homme ait le droit de penser, selon sa fantaisie et selon son caprice, tout ce qui peut lui passer par la tête, et que je puis volontairement et à mon gré déclarer vrai ce qui est faux et faux ce qui est vrai.”

Si la liberté ne doit donc pas mener au laisser-aller en matière de pensée, elle ne doit pas davantage être le moyen de promouvoir des croyances ou des principes ne reposant sur aucune preuve tirée du réel.
S’il ne rejette pas totalement l’existence de vérités surnaturelles ou inexplicables, Janet met toutefois en garde contre celles qu’on prétend révélées, c’est à dire “lorsque la pensée rencontre la parole divine, l’autorité de la révélation”. Trop souvent pour les dévots en effet, la foi s’apparente à l’ignorance et lorsqu’ils évoquent Dieu, “s’il s’agit d’une fausse religion, ils prennent pour vérité surnaturelle ce qui n’en est pas; leur foi n’est que superstition, leurs espérances ne sont qu’illusions, leur culte n’est qu’idolâtrie…”

Cette remise en cause des a priori irrationnels et de l’absolu des principes n’est pas franchement nouvelle puisqu’elle est l’essence même de la pensée des Lumières, mais elle annonce le concept du “trial and error” développé par certains penseurs libéraux modernes comme Karl Popper, notamment lorsqu’on lit sous la plume de Janet que “L’erreur n’est souvent qu’un moyen d’arriver à la vérité : ce n’est que par des erreurs successives, chaque jour amoindries, que se font le progrès des lumières et le perfectionnement des esprits…”
C’est également une manière de réaffirmer la prééminence de la raison :”Combien donc faudra-t-il de temps jusqu’à ce que cet instrument des instruments, j’entends la raison, soit assez cultivé et perfectionné pour être manié par tous les hommes !”
Associée à la raison, la liberté de penser constitue le meilleur rempart contre les fanatismes, les totalitarismes et d’une manière générale l’obscurantisme : “Dans ce va-et-vient des puissances de ce monde, dans ces oscillations de principes qui se renversent l’un l’autre et viennent successivement se déclarer principes absolus, il n’y a qu’une garantie pour tous, c’est la liberté réciproque.”
Et dans cet ordre d’idées, si la liberté de penser est un droit, elle ne peut occulter la nécessité du devoir, car “Tout droit suppose un devoir, le devoir d’écarter toutes les causes d’erreur et d’illusion qui nous captivent et nous égarent...”

Pour achever son discours de manière résolument libérale, Janet s’en prend enfin directement à l’Etat, notamment lorsque ses représentants manifestent la volonté d’imposer au peuple ce qu’ils croient vrai, oubliant “qu’une vérité dont on n’a pas douté est une vérité problématique…” Il se désole également “qu’il se trouve encore des esprits qui, même dans l’ordre de la foi, voudraient que l’Etat intervint pour fixer ce qu’il faut croire et ce qu’il est permis de ne pas croire...”
On pourrait donc avec Damien Theillier, soutenir comme il le fait en guise de postface à l’ouvrage, qu’il découle des idées défendues par Paul Janet, “que l’Etat n’est pas juge du vrai ni du faux, et qu’il est seulement garant des droits de chacun, la liberté de penser n’étant donc susceptible de répression qu’en tant qu’elle porte atteinte aux droits des individus…”

28 juillet 2015

La Société Idéale

La liberté semble si galvaudée de nos jours, elle a tellement perdu de son sens, tout particulièrement en France, que le retour aux textes du passé apparaît comme un réconfort, faute hélas de pouvoir servir à l’édification des esprits.
Aussi, il faut saluer l’initiative des éditions Berg International, patronnée par Damien Theillier, de rééditer les écrits de penseurs quelque peu oubliés.
Après Edmond About, dont j’ai relaté il y a quelque temps la vision de La Liberté , voici “la Société Idéale” selon Victor Cousin (1792-1867).

Étrangement, c’est par un impératif quasi moral que l’auteur choisit de commencer son propos, affirmant d’emblée pour tout système de pensée, toute déclaration des droits et des devoirs du citoyen, la nécessité de reposer sur deux piliers : la justice et la charité.
C'est en effet selon lui, à partir de cette indissociable dualité que se pose la problématique de la liberté de la condition humaine, et de la volonté de toujours progresser.

Certes l’Homme est faible. Très faible même face à la nature qui l’entoure. 

Mais sa force est ailleurs.
Victor Cousin rappelle cette fameuse citation de Blaise Pascal : “L’homme n’est qu’un roseau, mais c’est un roseau pensant. Quand l’Univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue : car l’avantage que l’Univers a sur lui, l’univers n’en sait rien...”
Complétant la pensée de Pascal, Cousin ajoute que si l’Univers ne connaît pas sa puissance, il n’en dispose pas non plus, il suit en esclave des lois irrésistibles.
A contrario, l’Homme est conscient et libre d’agir : “Le peu que je fais, je le fais parce que je le veux !”

Pour Victor Cousin, c’est précisément ce qui confère une position unique à l’être humain : “La liberté qui élève l’homme au dessus des choses, l’oblige par rapport à lui-même.”
La contrepartie de cette liberté l’oblige cependant à se soumettre à la hiérarchie des droits et devoirs, que Victor Cousin énonce de la manière suivante : “Envers les choses, je n’ai que des droits; je n’ai que des devoirs envers moi-même; envers vous j’ai des droits et des devoirs qui dérivent du même principe..”
Autrement dire et pour résumer : “Le devoir et le droit sont frères. leur mère commune est la liberté. Ils naissent le même jour, ils se développent et ils périssent ensemble...”

A la lumière de ces principes qu’il juge cardinaux, Victor Cousin définit en quelque sorte sa conception du libéralisme et se livre à toutes sortes de constats roboratifs.
S’agissant par exemple de l’égalité, il affirme que la seule qui vaille est celle d’être libre (“Nul homme n’est plus libre qu’un autre”).
En revanche, s’agissant de l’égalité des conditions telle que l’a prêchée Rousseau, il considère qu’elle relève du leurre : “il n’est pas vrai que les hommes aient le droit d’être également riches, beaux, robustes, de jouir également, en un mot d’être également heureux.../… Rêver une telle égalité est une méprise étrange, un égarement déplorable…”

S’agissant de la propriété, il rejoint peu ou prou la pensée des pères fondateurs du libéralisme anglo-saxon tels Locke ou Hume, en s’exclamant que “la propriété est sacrée car elle représente le droit de la personne elle-même. Le premier acte de pensée libre et personnelle est déjà un acte de propriété. Notre première propriété c’est nous mêmes…”
En évoquant la légitimité de la propriété privée, Cousin n’est pas non plus très éloigné de Turgot, notamment lorsqu’il réaffirme après lui le fondement du capitalisme : “la propriété préexiste à la production.../… Je ne produis qu’à l’aide de quelque chose que je possède déjà…”

Quant à la justice, il considère “qu’elle confère à chacun le droit de faire tout ce qu’il veut, sous cette réserve que l’exercice de ce droit ne porte aucune atteinte à l’exercice du droit d’autrui.”
Toutefois, il ne faut pas comprendre qu’il s’agisse là d’une fin en soi mais plutôt d’un pré-requis. Lorsqu’un individu satisfait au devoir de respecter la liberté des autres, “nul n’a rien à lui demander”, mais a-t-il pour autant accompli toute sa destinée ?
Evidemment non. Il reste un champ très vaste dans lequel peuvent se conjuguer beaucoup d’aspirations plus ou moins élevées, plus ou moins altruistes. Au delà de la leur, certains voudront défendre la liberté des autres. D’autres voudront faire régner davantage de justice. Certains feront preuve de dévouement, de charité…
Au sujet de cette dernière, Cousin met toutefois en garde contre les effets pervers d’un trop grand zèle, car il est facile en la matière de prendre des vessies pour des lanternes, tant sont sujettes à cautions les définitions et les conceptions des uns et des autres. En l’occurrence, “le désintéressement et le dévouement sont des vertus d’un ordre différent; l’un se définit avec rigueur, l’autre échappe à toute définition”, et “la charité est souvent le commencement et l’excuse, et toujours le prétexte des grandes usurpations…”
Avec une perception plutôt prémonitoire des choses, Cousin vitupère contre les gens qui voudraient faire de la solidarité et de la charité des vertus d’essence étatique, c’est à dire obligatoire. Pareillement il peste contre ceux qui, abusant le peuple, proclament dans l’absolu des droits imaginaires. Aux premiers, il s’écrie : “Si vous m’arrachez une obole, vous commettez une injustice…”. Aux seconds, il fait observer “qu’il est faux que l’ouvrier ait droit au travail, car tout droit vrai emporte l’idée qu’on peut l’assurer par la force.../… proclamer des droits mensongers, c’est mettre en péril les droits certains” (on pense à Montesquieu condamnant les lois inutiles, qui affaiblissent les lois nécessaires...)
D’une manière générale, si “l’Etat doit aux citoyens que le malheur accable, aide et protection pour la conservation et pour le développement de leur vie physique”, et si on peut sans doute affirmer “l’utilité, et la nécessité même des institutions de bienfaisance”, il est important qu’elles dépendent d’initiatives “le plus possible volontaires et privées.”

S’agissant des religions enfin, il considère qu’elles contiennent plus ou moins de vérité, comme les philosophies (bien que de son aveu, l’une d’entre elles “surpasse incomparablement les autres...”). A ce titre il juge nécessaire que “toutes aient un droit égal à leur libre exercice”, sous réserve qu’elles se tolèrent mutuellement, car “un culte qui, en recommandant à ses fidèles d’observer entre eux la bonne foi et la sincérité, les en dispenserait envers les fidèles des autres cultes, devrait être interdit.”

En somme, ce texte n’est pas dénué d’actualité. Il n’est sans doute pas d’une originalité fracassante, et le portrait de la société idéale n’y est qu’à peine ébauché. Son ton peut être jugé un peu doctoral voire condescendant, mais le raisonnement s’avère simple simple et cohérent.
En postface Damien Theillier rappelle qu’il fut publié en 1848, au moment où s’effondra la monarchie de Juillet et où selon Tocqueville, naquit l’idée du socialisme. Il rappelle à cet effet l’observation pertinente que ce dernier fit au moment de cette nouvelle révolution française, porteuse de folies et de chimères dont nous subissons toujours les conséquences désastreuses : “mille systèmes sortirent impétueusement de l’esprit des novateurs et se répandirent dans l’esprit troublé des foules : l’un prétendait réduire l’inégalité des fortunes, l’autre l’inégalité des lumières, le troisième entreprenait de niveler la plus ancienne des inégalités, celle de l’homme et de la femme; on indiquait des spécifiques contre la pauvreté et des remèdes à ce mal de travail, qui tourmente l’humanité depuis qu’elle existe . Ces théories étaient fort diverses entre elles, souvent contraires, quelquefois ennemies… prirent le nom commun de socialisme (Souvenirs de 1848)

25 juillet 2015

Vincent, François, Paul et les autres



Par une curieuse coïncidence, et une quasi homonymie, l'affaire qui secoue les médias depuis quelques mois rappelle celle qui fit également grand bruit en 2003, à propos de l'infortuné Vincent Humbert.
Aujourd'hui c'est de Vincent Lambert dont tout le monde parle, mais derrière ces deux tragiques histoires, se profilent les mêmes terribles problèmes éthiques et chaque fois le spectre de l'euthanasie apparaît en filigrane.

A chaque épisode en effet, un petit pas est fait en direction de cette extrémité, dont on nous rebat les oreilles et au sujet de laquelle les médias raffolent de sonder l'opinion publique.
De son côté, le législateur, toujours prompt à pondre de la paperasse réglementaire, peaufine sans cesse les textes en forme d'usine à gaz juridique, d'où sortira tôt ou tard The Big One...
Après la loi Leonetti et ses multiples et savantes retouches tournant autour du pot, il ne reste en effet plus grand chemin à parcourir pour parvenir comme certains pays l'ont déjà fait, à un texte légalisant la mise à mort des malades en situation qualifiée de désespérée.

Pourtant, la complexité du problème plaide à l'évidence pour la grande humilité en la matière.
A l'époque de Vincent Humbert, on excipait de la volonté exprimée par le patient, pour légitimer les mesures médicales conduisant au décès. Même si vu le contexte, la réalité de ce choix et la liberté dans laquelle il a pu s'effectuer étaient plus que discutables, dans l'absolu, c'était un argument de poids.
Vincent Lambert lui, plongé dans un état pauci-relationnel, n'est pas en état d'exprimer sans ambiguïté une telle décision et n'a pas eu l'occasion de le faire tant qu'il le pouvait. Seul l'entourage familial le plus proche pourrait donner une indication. Or c'est peu dire qu'il est partagé sur la question : il se déchire littéralement ! 
Une partie de la famille, jugeant la situation absurde, souhaite l'abréger au plus vite , l'autre s'accrochant à la vie, est arc-boutée sur le maintien des soins.
Mais au fond personne ne parvient à imposer son point de vue. Après tout, la conviction des uns vaut bien celle des autres, et en l'occurrence, même la justice est mise en défaut. Ce n'est pas faute pourtant de l'avoir sollicitée. Tribunal Administratif, Comité d'Ethique, Conseil d'Etat et même Cour Européenne ont été saisis du problème sans parvenir à le résoudre à ce jour !

On voit bien ici les limites de la raison raisonnante. Aucune argutie juridique, aucun fait scientifique ne peut apporter une contribution à un débat qui se situe à la lisière de la foi et de la métaphysique. La morale, qu'on appelle désormais éthique et pour laquelle on fait de pompeux comités, résiste à la logique matérialiste. Comme le faisait remarquer Kant pour évoquer la faillite du raisonnement en matière de métaphysique : dans le vide, l'oiseau, même doté des plus belles ailes, tombe comme une pierre...

Dans cette situation ambiguë où un patient se trouve à mi chemin entre la vie et la mort, tout est possible. Comment définir un repère intangible dans le continuum qui relie l'absence totale de conscience et sa plénitude ? Et dans le doute, comment refuser un minimum de soins à quelqu'un qui fut et qui reste une personne humaine, même si elle est considérablement diminuée et en situation de grande vulnérabilité ?
S'il apparaîtrait à l'évidence stupide de promouvoir pour Vincent un acharnement thérapeutique sans objet, faut-il pour autant proposer de le laisser mourir de faim et de soif comme cela fut proposé « éthiquement » et « collégialement » puis validé « juridiquement » ? Et comme on l'a vu mener jusqu'au bout pour Terry Schiavo aux Etats-Unis en 2005.
Est-ce cela, l'aboutissement de la médecine et de la morale modernes ?

Toute considération religieuse mise à part, cette perspective ne manque pas d'effrayer. Pour ce malheureux patient avant tout, mais aussi pour tous ceux qui sont derrière lui, et qui seraient d'après ce qu'on nous dit, pas moins de 1700 en France.

Ce qui frappe de nos jours, c'est ce grand vide moral autour duquel nous tournons désespérément. Face aux enjeux considérables auxquels nos sociétés sont confrontées, force est de faire le constat que l'opinion végète entre lieux-communs moutonniers, contradictions et hypocrisie.
Parmi les paradoxes étonnants figure par exemple celui où l'on voit une société fière d'avoir aboli la peine de mort pour les criminels les plus odieux, promouvoir dans le même temps pour les citoyens malades, le suicide assisté et l'euthanasie légale, et recommander pour ceux qui risquent de le devenir, les directives anticipées d'arrêt ou de limitations de soins...

18 juillet 2015

Canicule


La ville écrasée fond avec mille soupirs
Dont l'haleine brûlante emplit les avenues
Tandis qu'un parfum lourd d'extases éperdues
Semble abolir le temps et tous les souvenirs

Dans cette léthargie mûrissent les désirs
Avec la sensation de voir enfin venues
Les heures tant rêvées, si longtemps attendues
Lorsque vie et chaleur se muent en purs plaisirs

L'abandon signifie ne plus faire aucun geste
Et boire avidement cet instant de bonheur
Versé par le hasard, en oubliant le reste.

Déjà l'ombre allongée d'un vieux saule pleureur
Annonce que le jour incline sa lumière

Au seuil d’une nuit tiède autant qu’hospitalière...

11 juillet 2015

La farce de Maître Tsipras

Il est toujours assez jouissif de voir un Socialiste manger son chapeau idéologique et revenir par la force des choses, tout penaud, au bon sens. En matière économique ça consiste à se résigner à verser un peu de libéralisme et de saine comptabilité dans les doux délires redistributifs du collectivisme communiste, source d'inspiration inextinguible quoique de moins en moins revendiquée...
Ainsi la crise grecque donne l'occasion de voir M. Tsipras, entériner de fait, les austères injonctions des autorités européennes qui sont pour l'heure, les principaux créanciers de la cigale athénienne. 
Lui le tribun désinvolte,  lui l'histrion arrogant, dopé au philtre empoisonné de la dialectique marxiste, lui qui avait annoncé à son malheureux peuple des lendemains qui chantent, il en est réduit aujourd'hui à lui demander d'ingurgiter la potion amère.
Sinistre comédie qui consiste à faire voter le peuple sur des chimères, et quelques jours plus tard à solliciter le parlement pour faire approuver l'inverse! De l'art d'avoir toujours raison comme dirait Schopenhauer. Et de dire tout et son contraire et surtout n'importe quoi.
Comment le camarade Mélenchon va-t-il nous présenter ce tour de passe-passe, qui corrompt joyeusement la démocratie et prend les gens pour des billes ?
Faut-il rire ou pleurer de ces simagrées ? Qui rira le dernier en l'occurrence ?
Pour l'heure on peut considérer comme hilarantes les circonlocutions, périphrases et litotes en tous genres de notre Monsieur Prudhomme national, j'ai nommé le Président de la République en personne !
Le voir donner des leçons de rigueur, et  recommander à son ami de la vieille Internationale, la docilité vis à vis des institutions européennes et des grands financiers ne manque pas de sel !
Hélas il y a fort à craindre que tout cela ne soit qu'une mascarade. Connaissant la filouterie de ces gens, il est vain de croire à leurs promesses. Dans ce theâtre de l'illusion chacun feint de faire confiance à l'autre. Chacun fait semblant de s'engager. Mais au bout du compte, le plus probable est qu'on ne trouve que les épines du rosier et les queues des cerises...
Même en admettant que M. Tsipras soit sincère, les mesures qu'il propose restent très insuffisantes ou inadaptées. Hormis 2 ou 3 privatisations amusantes, elles se bornent en effet à augmenter les impôts et les taxes, ce qui ne constitue pas en soi ce qu'on peut appeler des économies.
Plus dure sera la chute...
Les peuples seront-ils dupes encore longtemps de cette farce ? Et combien de temps faudra-t-il encore pour que les rêves se fracassent vraiment sur la dureté de la réalité ? That is the question....