30 octobre 2015

Big Brother Is Watching You

C'est fou comme d'une même réalité, il est possible de tirer des interprétations tellement opposées ! 
L'un des éditoriaux récents de La Lettre de Galilée, site web consacré au décryptage de l'actualité en santé, dresse un tableau édifiant en la matière, de l'arrivée des techniques de l'internet. Nous serions selon l'auteur, Philippe Rollandin, sur le point d'être ni plus ni moins livrés en pâture aux nouveaux géants de l'informatique, tels que Google, Doctissimo et autres assureurs privés, avides de colliger et de traiter à leurs seuls bénéfices, nos données individuelles, notre code génétique, tout notre patrimoine le plus intime en quelque sorte...

Pourtant, pour paraphraser le titre de l'article, en fait d'ubérisation de la santé, n'est-ce pas avant tout d'une étatisation dont il s'agit ?
En France, ce n'est pas compliqué, tout ou presque est désormais encadré, quadrillé soumis à la tutelle universelle et « bienveillante» du gouvernement. Du monopole étatisé, obligatoire de la Sécurité Sociale, à l'organisation hypercentralisée des soins, avec agences d'état à tous les niveaux, en passant par les plans quinquennaux des Schémas Régionaux d'Organisation des Soins (SROS), les régimes ubuesques d'autorisations d'activité et d'équipements, la planification de la formation, de la spécialisation et bientôt de l'installation des médecins...

Le pire est qu'on ne peut pas dire qu'il s'agisse de l’œuvre d'un pouvoir politique plutôt que d'un autre. Tous y ont contribué depuis des décennies avec la même ingénuité, avec la même ferveur, et sans dictature s'il vous plaît. A la seule faveur du consensus mou qui ramollit les esprits et transforme les élections en « piège à c... ». Le tout, assaisonné de leurres idéologiques qui voudraient faire croire au bon peuple « le plus éclairé du monde », mais aussi un des plus dépensiers en matière de santé, que celle-ci serait gratuite, qu'elle ne serait pas une marchandise, que le rapport coût/efficacité, on s'en tape, et que l'éthique et la morale peuvent se décréter en comité de salut public, ce dont les entreprises privées sont par nature, totalement dépourvues...

Force est de constater qu'année après année cette emprise étatique grandit. Il n'est que de voir la soviétisation molle des établissements de santé, dont la réforme Touraine en gestation et ses horribles Groupes Hospitaliers de Territoires constituent une nouvelle étape, les mutuelles d'entreprises obligatoires, les oppressantes campagnes de dépistages tous azimuts, le DMP (Dossier Médical Personnel), l'identifiant patient national, sans oublier la centralisation jalouse des bases de données médicalisées du PMSI (Programme de Médicalisation des Systèmes d'Informations).
Bref, en France, le Big Data sera d'Etat ou ne sera pas...

Heureusement qu'en définitive l'Internet lève un pan de cette chape étouffante, qu'il contribue à faire sauter quelques verrous, et qu'il s'attaque aux innombrables privilèges et rentes de situations que notre système a érigés pour protéger des gens ou des professions, qu'en réalité il asphyxie sous les charges, règles et taxes en tous genres.

En définitive, même s'il est à craindre que cela n'aille pas très loin, on peut se réjouir de voir l'herbe de la liberté fissurer le béton de la bureaucratie. De l'air, vite !

27 octobre 2015

Qu'est-ce que l'empirisme radical ?

La pensée philosophique de William James (1842-1910) est toujours des plus stimulantes. Frappée au coin du pragmatisme, elle se veut efficace et porteuse d'applications pratiques dans la vie quotidienne. Quoique son approche puisse apparaître au premier abord comme très « terre à terre », elle n'est pas dénuée de prolongements psychologiques très pénétrants et n'élude en rien les problèmes spirituels, notamment la force et le mystère de la foi (la volonté de croire).
En un mot, elle est assez humble pour se plier de bonne grâce aux réalités tangibles et suffisamment élevée pour intégrer quelques supputations métaphysiques.

Cependant, comme le titre de cet ouvrage le rappelle, le maître mot de cette philosophie reste avant tout l’expérience. C’est elle qui conditionne toute connaissance et tout progrès. C’est elle qui nous donne une idée du monde qui nous entoure. Et c’est d’elle que nous tirons tout ce qui peut nous être utile, et tout ce que nous jugeons vrai ici bas.
Cette conception empirique n’est pas réellement nouvelle puisqu’on la fait habituellement remonter tantôt à l’antiquité avec la Tabula Rasa d’Aristote, tantôt au Moyen-Age avec Guillaume d’Ockham et son fameux rasoir, ou bien encore à la Renaissance avec Francis Bacon et sa doctrine des Idoles de l’Esprit. On sait également qu’elle trouva ses développements les plus lumineux avec John Locke au XVIIè siècle et avec David Hume quelques décennies plus tard.

Qu’est-ce donc que l’empirisme radical auquel cet ouvrage, assez ardu, il faut bien le dire, fait allusion dans son titre ?
C’est en quelque sorte le règne  de “l’expérience pure” qui est ici consacré par le philosophe, mais encore ?
Précisons d’emblée qu’en matière d’expérience, William James va plus loin que Hume en affirmant que “Pour être radical, un empirisme ne doit admettre dans ses constructions aucun élément dont on ne fait pas directement l’expérience, et n’en exclure aucun dont on fait directement l’expérience.” En bref, ne rien ajouter à l’expérience, aucune croyance, aucune superstition, mais ne rien lui retirer non plus, dans la mesure où son champ serait universel.
De fait, James considère que font partie de l’expérience, outre les termes de l'expérience, également les relations qui l’entourent. Ce qui l’amène à préciser ce qu'il entend par là : “L’expérience pure est le nom que j’ai donné au flux immédiat de la vie, lequel fournit la matière première de notre réflexion ultérieure avec ses catégories conceptuelles…” et plus loin : “Le champ instantané du présent est à tout moment ce que j’appelle expérience pure.”

Vaste sujet sans conteste, mais il est indéniable qu’une telle conception déroute un peu celui qui considérait le pragmatisme comme quelque chose de simple, et qui comprenait l’empirisme comme étant le contraire du rationalisme !
En réalité, sans doute faut-il comprendre cette apparente dématérialisation du concept expérimental comme une tentative faite pour exprimer le fait que “les choses et les pensées ne sont point fondamentalement hétérogènes, mais qu’elles sont faites d’une même étoffe, étoffe que l’on ne peut définir comme telle, mais seulement éprouver, et que l’on peut nommer, si on veut, l’étoffe de l’expérience en général…”

L’intérêt de cette approche plutôt complexe, autant qu’on puisse en juger, est surtout de déboucher sur une conception originale de la conscience, qui fait partie intégrante pour James du monde, donc du champ de l’expérience, et qui de ce fait, n’est plus vraiment une “entité”, mais seulement une “fonction”. Cette fonction c’est de connaître...
Pour préciser sa pensée, James livre une comparaison selon laquelle “objets et conscience sont comme les pigments et le liant de la peinture." On pourrait en somme conclure avec lui que “La conscience n’existe pas en tant que telle, mais qu’elle se définit avec les choses avec lesquelles elle forment la même étoffe.”

Autour de cette ligne directrice, s’inscrivent toutefois des définitions ou assertions beaucoup plus nébuleuses. Par exemple, lorsqu’il explique que “le paradoxe de la même expérience qui figure dans deux consciences semble donc n’être en rien un paradoxe", et que "l’acquisition de la qualité consciente, de la part d’une expérience, dépend d’un contexte qui vient à elle", ce dont il découle que "que la somme des expériences n’ayant aucun contexte, ne peut en toute rigueur être dite consciente. C’est un Cela, un Absolu, une expérience pure sur une échelle gigantesque, indifférenciée et indifférenciable en pensée et en chose.” 

Gageons que ces écrits, rassemblés sous formes d’essais posthumes, auraient gagné à être mis en forme de manière un peu plus limpide par l’auteur si la destinée lui en avait laissé le temps...

Gardons en tout cas, quelques citations plus concrètes glanées de ci de là, telle celle qui stipule que “la conscience est atemporelle. Elle n’est que le témoin de ce qui arrive dans le temps, où elle ne joue aucun rôle.”
Ou bien des réflexions témoignant d’une conception empirique plus classique. Par exemple celle selon laquelle “Nous vivons vers l’avant mais nous comprenons à rebours”, celle en forme de pierre dans le jardin du rationalisme : “Toute vérité invérifiable est vaine, c’est à dire inutile ou dangereuse.”
Ou cette controverse “relativiste” qu’il eut avec John E. Russell, sur une réalité très triviale : “le pain nous nourrit-il parce que c’est un aliment ? Ou alors, est-ce un aliment parce qu’il nous nourrit ? Ou encore être un aliment et nourrir ne sont-ils que deux manières de nommer les mêmes évènements physiologiques ?"
Et pour finir : “C’est une chose pour une idée d’être vraie, c’en est une tout autre de prouver que cette idée est vraie.../… La vérité et la vérification sont par conséquent des choses différentes…”

En guise de conclusion, et de manière sans doute un peu trop simpliste mais tant pis, on peut être tenté de prendre en compte le désir exprimé par William James, derrière sa soif d’expérience “pure”, de comprendre l’humanisme “à la fois comme un théisme et un pluralisme”. Devant cette assertion lourde selon laquelle, sans conscience l'expérience n'est rien et réciproquement, qu’il soit donc permis de suggérer que l’empirisme repousse l’âme au delà de la conscience avec laquelle on a tendance à la confondre mais qu’il ne l’exclut pas, pas plus qu’il n’exclut Dieu… En somme, ce n'est que repousser les limites de la métaphysique.

23 octobre 2015

Orages bureaucratiques, ô désespoir !

Il y a des moments où l’on se sent las. Las de l’insipidité du réel ou bien de sa désespérante inanité.

Notre univers quotidien se trouve plongé dans tant de contradictions, s’épuise en tant de vaines controverses, et recèle tant de futilités !

Jouissant d’un confort matériel qui paraîtrait inouï à nos ancêtres, bénéficiant de progrès techniques qui leur sembleraient incroyables, nous sommes quant à nous blasés, et jamais le bel idéal de la démocratie supposé magnifier la Liberté, si chèrement acquise, n’a paru plus se rapprocher d’une affligeante médiocratie…

Les mots perdent chaque jour un peu plus de leur sens et les idées se réduisent à des lieux communs. En dépit de fabuleux moyens de communication et d’un accès toujours plus aisé à l’information, l’impact des rumeurs infondées ne cesse de croître, et contrairement aux recommandations du vénérable Kant, de moins en moins de gens donnent l’impression de penser par eux-mêmes. Les repères s’estompent, le vrai et le faux se diluent dans un vague consensus tiède. Tout et son contraire peut être soutenu dans cet informe magma idéologique qui se répand de proche en proche en flaques gluantes.

Reflet de ce désastre spirituel, les Pouvoirs Publics et leurs représentants se confondent dans la même nullité satisfaite. Ni conviction, ni inspiration, ni détermination ne les caractérisent.
Par leur faute, nous sommes littéralement ensevelis sous une bureaucratie monstrueuse qui secrète sans fin ses règles, ses normes, ses ukases, en asphyxiant toujours plus l’esprit d’initiative, le libre arbitre et la volonté. Les usines à gaz législatives qui sortent de l’esprit dérangé des satrapes rassis du socialisme s’inscrivent toutes dans le même mouvement catastrophique :
- Loi Touraine dite de modernisation de la santé, qui va poursuivre le lent processus de soviétisation du système et l’irresponsabilité générale,
- Dé-culturation de l’éducation nationale et renforcement de la calamiteuse carte scolaire qui enferme l’enseignement public dans un carcan générateur d’inégalités et d’injustice,
- Encadrement féroce de l’immobilier locatif dont le principal effet sera de renforcer la pénurie de logements,
- Laisser aller pseudo-libéral sur la justice, l’immigration, la sécurité, qui livre le pays à des flambées de plus en plus nombreuses et violentes de délinquance,
-Et pour finir, taxations tous azimuts, sous des prétextes oiseux, afin de nourrir l’incommensurable et toujours croissant trou noir de l’étatisation.

C’est sans doute folie que d’écrire pour tenter de s’opposer aux insanités pondues frénétiquement par un gouvernement de gnomes maléfiques qui vous racontent n’importe quoi, qui mentent à longueur de temps et disent un jour le contraire de ce qu’ils affirmaient la veille.
Tant pis, ça soulage un peu quand même. Advienne que pourra…

Le récent épisode tragi-comique de l’émission avortée “Des Paroles et des Actes” donne la mesure de la déroute politique dans laquelle s’est engagé notre pays. Totalement désemparés par leur incapacité à proposer des solutions convaincantes, les dirigeants des partis traditionnels, dans une stratégie désespérée, unissent leur forces de plus en plus dérisoires pour tenter d’interdire à Marine Le Pen l’accès aux grandes tribunes médiatiques de la télévision. Peine perdue ! Les sondages enflent irrésistiblement en faveur du Front National. Une tornade se prépare sous l’horizon lénifiant de la démagogie.

L’apothéose de ce piètre spectacle en forme de bouffonnerie fut la torve alliance de circonstance entre Nicolas Sarkozy et Jean-Christophe Cambadelis, saisissant le CSA en invoquant un prétendu déni de démocratie de la part de France 2.
Imaginent-ils sérieusement influencer l’opinion publique en prétendant que madame Le Pen soit un danger pour le pays, vu l’état dans lequel eux-mêmes l’ont mis ?
Pensent-ils impressionner les gens en la comparant à Wladimir Poutine, seul chef d’état donnant à ce jour l’impression de savoir ce qu’il veut ?
Croient-ils sérieusement convaincre les foules en affirmant qu’elle a peur du débat, après qu’elle se soit payé le luxe d’annuler elle-même sa prestation, suite à toutes ces manigances ?

C’est décidément un boulevard qui s’offre désormais au parti incarnant aux yeux d’un nombre grandissant de Français, la seule alternative crédible à la mascarade politique qui semble commencer à les lasser pour de bon...

02 octobre 2015

Oldies But Goldies

C'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes prétend le dicton. Et ça pourrait s'appliquer à quelques récentes productions musicales émanant de vieux de la vieille de la génération pop-rock, celle-là même qui jeta ses plus belles contributions durant les années soixante.
A tout seigneur tout honneur, Johnny Winter, mort en 2014, laissa avec son album Step Back sorti juste après sa disparition, un chant du cygne qu'on n'attendait plus guère eu égard à l'état de faiblesse qu'il manifestait lors de ses dernières apparitions publiques. Mais le bougre avait encore du ressort et un sacré jus, qu'il exprima de toutes ses forces dans cet ultime hommage au Blues.
Pour magnifier l'éclat de ces reprises, il s'entoura de quelques pointures : Eric Clapton, Billy Gibbons, Joe Bonamassa, Ben Harper, Brian Selzer, Dr John et j'en passe. Ça donne un ensemble très pêchu où l'émotion court intacte au fil des ensorcelants slides que délivre avec rage et passion le plus fameux guitariste albinos que la Terre ait porté...

De son côté Keith Richards, parvenu au terme de maintes péripéties, au seuil de la sagesse et du grand âge, veut également manifestement laisser son empreinte en nom propre.

L'âme damnée des Rolling Stones, sur le visage duquel le temps a buriné ses sillons vengeurs, ce guitariste hors norme, aussi foutraque qu'inspiré, ne veut pas rester seulement l'ombre sardonique de Mick Jagger. Émergeant des dernières fumées des fêtes stoniennes, son opus en solo tente de démontrer qu’il ne fut pas qu’une puissance occulte. Sous ses airs quelque peu démoniaques, on découvre qu'il sait aussi donner de la voix. Et pour ceux qui en doutaient, quoi qu'ayant cosigné tous les grands tube du groupe, il prouve qu'il sait aussi faire des chansons.
On dira peut-être qu'il envoie la purée sans ménagement. Que ses rocks sont un peu bourrins. Qu'il assène parfois la rythmique avec un marteau pilon... Mais au diable les esprits chagrins. Derrière l'infanterie lourdement armée, il y a plus que des nuances. Et celles-ci sont puisées aux sources du bon vieux blues dont un des exemples les plus purs est le titre Crosseyed Heart, qui ouvre humblement à la seule guitare acoustique et au chant cette session.
Il y a du rock également, très massif, très dense qui déboule avec la puissance d’une rivière en crue (Heartstopper, Amnesia, Trouble, Substantial Damage), mais aussi un lot de balades mélancoliques ou quelque peu désabusées (Robbed Blind, Nothing On Me, Sucpicious, Illusion, Just A gift, Goodnight Irene, Lovers Plea) et même quelques échos moelleux de reggae (Love Overdue). Au total, un amalgame musical savamment dosé, homogène et juste un brin toxique pour ne pas faire mentir la réputation...

Autre aficionado de la note bleue, Sonny Landreth sort plus discrètement sa contribution personnelle.

Bound by the Blues dit un des morceaux originaux de cet album noyé dans les slides à l’acidité décapante. La voix haut perchée a des stridences de fond de gorge, auxquelles les effets de réverbération confèrent un mordant aux accents désespérés.

Beaucoup de compositions originales ici aussi dont un émouvant hommage à Johnny Winter (Firebird Blues) et de brillantes reprises de quelques grands classiques inépuisables (Walkin Blues, Key To The Highway, Dust My Broom…)


Dans un style plus sophistiqué, David Gilmour, revient en majesté. Après avoir piloté une compilation un peu fade de fragments musicaux retrouvés dans les vieux tiroirs du Pink Floyd, le voici qui se déleste d'un superbe album, entièrement de novo.
Derrière la trouvaille amusante consistant à broder une belle petite rengaine autour de l’accroche musicale de la SNCF (Rattle That Lock), on retrouve intacte, une bonne partie de l’inspiration dont il fit preuve pour donner au groupe dont il incarna la guitare, ses sonorités si planantes, si éthérées, autour des mélodies envoûtantes qui firent les belles heures de la musique psychédélique.

Pas de rupture donc avec le passé, mais quelques resucées savoureuses qui rappellent le bon temps.

Dès l’ouverture, le babil matinal des oiseaux en été, fait place à de somptueuses harmonies qui donnent le ton (5 A.M.). On s’abandonne ensuite complètement aux chansons extrêmement peaufinées pleines de tendresse et d’émotion dans lesquelles le chant déchirant se conjugue avec les extatiques envolées guitaristiques (Faces Of Stone, A Boat Lies Waiting, In any Tongue)
Après une ou deux digressions jazzistiques inattendues, l’ensemble se referme sereinement sur un magnifique instrumental, qu’il faut sans doute prendre comme un message subtil. On veut croire que les chaînes de la temporalité s’estompent devant un flot de promesses : And Then…

Pour terminer, encore un nouvel opus de Bob Dylan imprégné de doux effluves de nostalgie...

Est-ce parce qu'il s'agit ici, non de compositions personnelles, mais de reprises de standards d'une époque paraissant tout à coup bien lointaine ?

Sont-ce les chuintement plaintifs de la pedal steel guitar, noyant ces mélodies dans un ineffable et languide lamento ?

Est-ce cette voix pathétique qui tente mais sans trop se faire trop d'illusions, d'amadouer la cruelle pulsation du destin, au moment d'entrer, à reculons, dans le mystérieux clair obscur séparant l'existence du néant ?

Toujours est-il qu'un troublant sentiment s'empare de celui qui se laisse envahir par ces mélopées répétitives et monocordes, quasi murmurées avec humilité, par un artiste qui n'a plus rien à prouver, mais encore quelque chose à exprimer...

Peut-être faut-il comprendre que rien ne sera plus comme avant, ou bien que tout recommence à jamais…

25 septembre 2015

Un vrai faux scandale

L’affaire Volkswagen, quelle aubaine pour les médias en mal d’inspiration, avides de la moindre actualité un peu croustillante, sur laquelle ils fondent comme la vérole sur le bas clergé…
Cette histoire de tricherie concernant le premier constructeur mondial d’automobiles, c’est du nanan !

Au surplus, au plan idéologique tous les ingrédients sont réunis pour faire une bonne mayonnaise. C’est tellement tendance de cracher sur le capitalisme, sur les entreprises qui réussissent, sur celles qui dégagent des profits, bref sur tout ce qui bouge encore un peu dans ce monde englué dans la morosité et la bureaucratie normative. Et l’Allemagne est tellement énervante avec son industrie inébranlable, sa position dominante qui lui permet de se donner des airs supérieurs…

Pour l’heure, il est encore bien difficile de comprendre vraiment la cause d’un tel emballement mais qu’importe, lorsque les charognards attaquent, ils n’ont pas d’état d’âme et l’instinct grégaire le dispute à la voracité.
Objectivement, jamais les automobiles n’ont été plus performantes, plus économes en carburant et plus sûres pour leurs occupants. Pourtant, jamais on a été aussi exigeant pour en demander plus. Dès que les constructeurs parviennent à un nouveau progrès en matière d’indicateurs qualitatifs, les Pouvoirs Publics, si peu efficients quant aux leurs, se plaisent à monter d’un cran les normes qu’ils leur imposent avec une délectation d’autant plus exquise qu’elle est irresponsable. Qu’il est doux de contraindre les autres à faire ce à quoi on évite de se soumettre ! Cela donne un doux sentiment d’efficacité à peu de frais…

Dans cette affaire, on comprend vaguement que les ingénieurs avaient intégré aux véhicules un logiciel optimisant dans certaines conditions le fonctionnement des moteurs, afin de minimiser la production de rejets polluants.
La belle affaire ! N’est-ce pas précisément le but de la sophistication croissante des automobiles, que de réguler au mieux, en fonction du contexte, leur fonctionnement.
On connaissait la direction assistée qui facilite les manoeuvres du volant à basse vitesse et en durcit le mouvement lorsque cette dernière croît. On connaissait l’assistance au freinage, les systèmes de parking automatiques et les correcteurs de trajectoires, qui minimisent les conséquences d’un mauvais pilotage.
Chacun sait enfin que la plupart des véhicules modernes disposent désormais d’un ordinateur de bord proposant plusieurs modes de conduite et de consommation : économique, urbain, sportif… A l’arrêt, leur moteur est même automatiquement stoppé puis redémarré.
Alors ? Quand donc doit on mesurer les rejets toxiques par leur pot d’échappement ? Quand faut-il mesurer la consommation de carburant ?
Tout est affaire de définition, de but recherché, et d’esprit pratique.

L’optimisation est elle nouvelle ? Se présenter au contrôle sous son meilleur jour : est-ce si choquant ? Est-ce pour autant le reflet exact de ce qu’on est réellement ? Où est la vérité ? y a-t-il seulement une vérité ?
L’Etat, grand falsificateur n’est-il pas le premier à truquer les statistiques qui le concernent. On connaît les controverses sur les chiffres du chômage : faire varier les règles ou bien créer des succédanés d’emplois, autant d’exemples des stratagèmes couramment exploités pour donner l’impression la plus favorable possible aux analystes.
Le citoyen quant à lui, même le plus vertueux, lorsqu’il fait sa déclaration fiscale, ne cherche-t-il pas avant tout à minimiser ses revenus en profitant de tous les artifices et autres niches fiscales à sa portée ?
Le candidat, même le plus honnête, qui se présente pour un emploi ou une fonction est-il en mesure de réaliser en toute circonstance et à tout moment toutes les performances dont il se targue dans son curriculum vitae ?

Même la plus belle femme du monde éprouve le besoin de se maquiller pour se présenter au regard des autres. Pourquoi ?
Une chose est sûre, le fameux ordinateur du véhicule, véritable deus ex machina, peut faire beaucoup de choses mais il ne peut pas encore modifier le fonctionnement des dispositifs de contrôles qui mesurent bel et bien ce qui sort du pot d’échappement…

Que va-t-il advenir de Volkswagen, placé du jour au lendemain sur le banc des accusés ? Va-t-elle s’effondrer dans un grand fracas comme certains le prédisent déjà vue la volatilité soudaine du cours de son action en bourse ? Va-t-elle entraîner dans la tourmente d’autres marques sans doute aussi compromises qu’elle ?
Ou bien tout cela va-t-il finir en eau de boudin, dans un pschiiit amorti, au terme duquel on verra se détourner peu à peu de l’affaire les projecteurs médiatiques, attirés par d’autres scandales...Wait and see...

24 septembre 2015

Investigation douteuse

En matière de falsification, Elise Lucet n'en est pas à son coup d'essai.
Son esprit partisan ne manque pas une occasion de s'exprimer. La dernière en date lui fut donnée le 14 septembre dernier au sujet de certains aspects financiers du système de santé, lors de l'émission intitulée subtilement Cash Investigation, et diffusée par France 2.
Ce jour là, elle a appuyé fort sur le piston de la seringue...

Dans cette prétendue enquête, c'est simple : tout est faux, tronqué ou présenté de manière tendancieuse. Et madame Lucet conduit sa prétendue investigation avec la légèreté d'une éléphante en tutu dansant la polka, au service d'une cause idéologique univoque, annoncée dès le début : en France, la santé serait assujettie à la Loi du Marché.
Évidemment dans la bouche de la journaliste c’est hautement péjoratif, car on comprend vite qu’il s’agit pour elle de la loi de la jungle ou pire encore, de la loi du pognon qui corrompt.

C’est pourquoi dès l’introduction, avant même la moindre démonstration, tout est dit ou presque : “Le diagnostic fait froid dans le dos et le modèle que le monde entier nous enviait est à bout de souffle”.
En cause, la tarification à l'activité, dite également T2A, qui alloue les recettes aux établissements de soins en fonction de la nature des prestations qu’ils délivrent aux patients. Selon le témoignage liminaire d’un médecin hospitalier, présenté comme vérité intangible, “on est dans un dilemme affreux : l'aspect financier et l'aspect soignant; c'est incompatible…”

Fondée sur ce genre d’axiome, l’émission s’apparente donc à un réquisitoire dirigé contre ce mode de rémunération. A la manière des procès soviétiques, tous les artifices du genre y sont exploités pour servir une thèse à charge, de laquelle nulle contradiction ne peut émerger.
Passons sur les raccourcis racoleurs, propres à suggérer des associations d’idées, en mêlant par exemple des images de casses, de cambriolages ou de filouteries, aux pesants truismes partisans. Ils suffiraient certes à démontrer le peu de sérieux de la méthode, mais il y a plus grave et pernicieux :


Par exemple le procédé qui consiste à faire parler les chiffres dont on ne nous montre qu’une partie ou bien des valeurs en pourcentage, sans préciser à quoi ils se rapportent. C'est classique autant que fallacieux.
Autre procédé, celui qui consiste à tirer une vérité générale d’un cas particulier dont on ne nous donne à voir qu’un résumé des plus sommaires. Surtout lorsqu’il s’appuie sur un témoignage “anonymisé” qu’on nous prie de croire sur parole, et d’autant plus qu’il sert sans réserve la cause.
S’agissant de ceux qui sont recueillis à visage découvert, à chaud, à la hussarde, et sur un ton accusateur, c’est pire encore. La victime, surprise au sortir d'une réunion ou en pleine activité, est ainsi sommée de se justifier sans délai, sans défense, sans préparation, devant une caméra et des micros inquisiteurs,
sur les affirmations péremptoires qui lui sont jetées à la figure. C’est peu dire que madame Lucet harcèle ses proies. Elle les poursuit, elle les traque comme du gibier…

Dans ce micmac grotesque asséné sans nuance, on voit ainsi des soignants suggérer qu’ils sont contraints de prescrire des médicaments ou faire des actes dont les patients ont nul besoin, uniquement pour “renflouer les caisses…”
On voit des professionnels affirmer qu’il serait illégal de facturer à l’Assurance Maladie des prestations inter-établissements, ou bien qu’il serait malhonnête pour un hôpital et déloyal au plan du secret médical, de faire vérifier et optimiser le codage des prestations qu’il réalise, par un cabinet d'expertise extérieur. 

Certes s'agissant de la mise en oeuvre du fameux Programme de Médicalisation des Systèmes d’Informations (PMSI), la réglementation est particulièrement ubuesque, et les sujets de controverses sont  légions, mais enfin, quel mal y a-t-il à vouloir vérifier deux fois une procédure qui conditionne les recettes financières ? Hélas, tenter de faire comprendre cette problématique à Elise, c'est peine perdue…

Tout cela témoigne de beaucoup d’incompréhension, d’ignorance voire de lâcheté, et ne révèle en définitive pas grand chose du système lui-même, dont on occulte, entre autres, le fait qu’il soit surveillé strictement par le payeur, à savoir la Sécurité Sociale. Tous les établissements qui ont eu à rendre des comptes à ses contrôleurs zélés et à payer des indus et des sanctions, savent ce qu’il en coûte de frauder et combien il est souvent difficile de distinguer les erreurs ou imprécisions de bonne foi des malversations caractérisées...


Bref, s’agissant de la santé comme de tant de domaines ici bas, la tarification à l’activité est sans doute le pire des systèmes, mais à l'exception de tous les autres comme disait Winston Churchill...
Madame Lucet crie au scandale sur un quart d'heure en plus ou en moins lors de l'enregistrement du décès d'un patient (qui doit de toute manière rester deux heures dans sa chambre avant de descendre à la morgue), mais se souvient-elle des abus relatifs aux durées de séjours lorsque la facturation se faisait sur la base des prix de journées !
Elle assène que la T2A pousse à faire de l'activité, ce qui est une tautologie à laquelle M. de La Palisse lui-même n'aurait sans doute pas oser confronter sa logique irréfutable ! Et ce qui laisse entendre qu'elle regrette le temps béni du Budget Global où la règle était "A rémunération constante, moins j'en fais, mieux je me porte..."
Sait-on seulement qu’à ce jour, l'inénarrable "mille-feuilles" du système français cumule les trois systèmes en strates superposées. Tout le monde devrait donc être heureux !

Mais sans doute, les adversaires de la fameuse Loi du Marché, ceux qui s’époumonent à hurler que "la santé n'est pas une marchandise", notamment madame Lucet et son compère Sylvain Louvet en tête, imaginent-ils qu'il existe une corne d'abondance dans laquelle on pourrait puiser sans compter. Sans doute croient-ils également que le personnel qui représente 70% des dépenses hospitalières, travaille bénévolement et vit d'amour et d'eau fraîche…

18 septembre 2015

Périls en la demeure

Dans la sphère médiatique un problème chasse l'autre et tout se confond dans un déprimant magma mélodramatique.
Oubliée la banqueroute grecque qui faisait les gros titres des journaux il y a quelques semaines à peine, et opposait les généreux contempteurs de l'austérité aux cruels partisans de la rigueur budgétaire. Dans cette affaire, l'Allemagne dont l'insolente réussite économique en irritait plus d'un, faisait figure de censeur sans cœur, et la faute était une nouvelle fois imputée à l'Europe par les perroquets de l'anti-libéralisme.
Profitant des circonstances, notre opportuniste président, pensant peut-être au pays qu'il conduit benoîtement à la ruine, se donnait la posture d'un go-between attentif au sort des plus ruinés.

Mais aujourd'hui tout le monde semble se moquer du sort des Grecs.
Une photo a suffi pour déclencher un déluge sentimental, sous-tendu par une problématique déjà ancienne hélas, mais que nul ne voulait voir. Ramenée brutalement à la réalité, l’opinion publique qui ne prêtait qu’une attention distraite aux abominations commises par des êtres humains sur leurs semblables, se réveille à la vue du corps sans vie d’un enfant, victime d’un naufrage...

Le désastre moyen-oriental étalait pourtant ses horreurs depuis des lustres sous les yeux de ceux qui voulaient les voir, et la montée des périls se profilait depuis des années. Tant qu’ils semblaient éloignés géographiquement, leur impact était relatif.
Patatras ! A la manière d’une subite vague de fond, des légions de réfugiés s’abattent sur la vieille Europe, dans une pagaille monstre et tragique.
Qu’y a-t-il donc de nouveau ? Ce n’est pourtant pas hier que la Syrie a commencé de s’effondrer dans l’horreur, et que le Soudan et l’Érythrée furent livrés à des dictatures infâmes, massacrant les enfants aussi bien que leurs mères.
En quoi ces misérables qui affluent diffèrent-ils des sans papiers, des clandestins, des étrangers en situation irrégulière, des migrants auxquels les médias nous ont habitués depuis des années ? Y a-t-il un évènement nouveau derrière cette valse sémantique ?

Certains continuent rituellement d'accuser George W. Bush d’avoir semé les ferments du fanatisme et de la haine qui dévastent aujourd'hui ces régions.
Le débat ne sera donc jamais clos et plus que jamais, il semble difficile de tirer des leçons de l’histoire
Pendant des années, Saddam Hussein nargua la Communauté Internationale, menaça les pays voisins de l’Irak et opprima son peuple, dans une quasi indifférence générale, notamment en France.
Pendant des années, on vit impunément les Talibans sévir en Afghanistan, réduire les femmes en esclavage, démolir le patrimoine artistique millénaire et se livrer à toutes sortes d’atrocités. Toujours sans déclencher de réaction.

Jusqu’au jour où, après les terribles attentats du World Trade Center, quelqu’un décida de prendre des mesures concrètes, massives, ambitieuses.
Des milliers de jeunes soldats moururent pour permettre à ces peuples de recouvrer la liberté, que certains n’avaient jamais vraiment connue.
Dans cette reconquête, il y eut des erreurs sans aucun doute, il y eut des fautes, mais le but était louable et d’incontestables succès furent obtenus. Il n’y eut pourtant guère d’objectivité pour apprécier les efforts accomplis, peu d’émotion pour saluer le sacrifice consenti par ces armées de libération, et les fragiles acquis se sont bien vite effrités, suite à l’abandon démagogique de cette stratégie. Aujourd’hui l’impression qui domine est que tout est à refaire ! Quel gâchis !
Comment ne pas faire le parallèle entre la Syrie d’Assad et l’Irak de Saddam ? Même si le premier est plus rusé que le second, il y a bien peu de différence entre ces deux dictatures socialistes néosoviétiques. Comment ne pas comparer Daesh et les Talibans ? Même cause, même effets pourrait-on dire...

Y a-t-il encore quelque chose à faire d’autre que de se battre la coulpe en sanglotant face à cet exode massif, inexorable, intarissable, qui est en passe de nous submerger ? Y a-t-il une volonté d’agir ? Peut-on encore imaginer reconstituer une coalition internationale pour entreprendre une action de longue haleine dans ces contrées dévastées ?
On peut hélas en douter.
Les Etats-Unis ont quitté la scène internationale, et le président américain préfère amuser la galerie dans les dîners mondains et les émissions de télé-réalité que de prendre le moindre risque à l’extérieur de ses frontières.
La France, sans ressort ni aspiration, sinistrée par une politique insane, endettée jusqu’au cou, rongée par le chômage, minée par les déchirements sociaux et l’appauvrissement généralisé, peut-elle résister encore longtemps à cette nouvelle épreuve ? Derrière elle, le château de cartes européen, sans dessein, sans ambition, sans unité, va-t-il pouvoir tenir debout ?
Le plus étonnant est peut-être que tout n’ait pas déjà éclaté...
Illustration: La vision de Tondal. Ecole de Hieronymus Bosch

13 septembre 2015

Europe égarée

Europe, Ô nostalgie, Ô vestiges fanés,
Humides d'émotions mais sans foi et sans âme.
Ô souvenirs confits dans lesquels on se pâme
Ou bien que l'on vomit en se bouchant le nez.

Cimetière peuplé d’idéaux surannés
Où le présomptueux côtoie parfois l'infâme,
Où trop souvent l'honneur pourrait valoir le blâme,
Et où les grands espoirs sont des enfants morts-nés.

Europe désaxée, où vas-tu chancelante,
Indifférente à tout, et même à ton destin ?
Où t'emmène ta course utopique et sans dessein
Que la liberté même épuise et désenchante ?
La Méditerranée fut ton berceau doré,

Sera-t-elle un tombeau pour ton rêve égaré ?

Illustration : Europe enlevée par Zeus, sculpture devant le siège de l'Union européenne

03 septembre 2015

Dieu joue-t-il aux dés ?

S'agissant de la conscience humaine, la seule dont nous avons la certitude, puisque chacun de nous en fait quotidiennement l’expérience, force est de constater avec Werner Heisenberg que "ce sont les mêmes forces régulatrices qui ont construit la nature dans toutes ses formes, qui sont à l’origine de la structure de notre âme, donc aussi de notre intelligence…"
Certes, le concept de conscience n’existe pas en physique et en chimie, et l’on ne peut guère imaginer qu’un tel concept puisse être déduit de la mécanique quantique. Cependant, pour Heisenberg, “dans une science qui inclut également les organismes vivants, la conscience doit tout de même trouver une place, car elle appartient à la réalité..."
Encore une fois se trouve conforté le point de vue de Kant, qui faisait de la loi morale, consubstantielle a la notion de conscience, une réalité aussi certaine et merveilleuse que la voûte céleste étoilée !

De la conscience et du dessein qui la caractérise, jusqu’à Dieu, il n'y a qu'un pas.
Le savant se garde bien de le franchir mais il livre une réflexion roborative sur le sujet, empreinte de pondération et de modestie...
Elle part pourtant de l'opinion très tranchée de Paul Dirac, pour lequel la science se conjugue naturellement avec l'athéisme.
Pour celui-ci, l’hypothèse de Dieu amène en effet "à se poser des questions absurdes, par exemple la question de savoir pourquoi Dieu a permis le malheur et l’injustice dans notre monde, l’oppression des pauvres par les riches, et toutes les choses horribles qu’il aurait pu, après tout, empêcher.”
On peut souscrire aisément à cette critique d’une vision trop bornée, trop humanisée du principe divin, et qui en outre signifierait que l’homme y serait assujetti comme une marionnette. Mais on peut également avoir une autre conception de Dieu que celle de Dirac, résumée par la célèbre formule lapidaire de Lénine, qui en faisait “l'opium du peuple”, distillé et entretenu par des gouvernants soucieux de faire taire l'envie de révolte…

Albert Einstein qui n'était pas connu pour être un dévot affirmait quant à lui que "Dieu ne joue pas aux dés". Ce faisant, il instituait de manière implicite ce dernier comme principe immanent, tout en manifestant sa réticence à s'en remettre au hasard ou au principe d'incertitude comme fin en soi.

On se souvient également de son raccourci fameux : "Dites moi ce que vous entendez par Dieu, je vous dirai si j'y crois..."
Ce positionnement à mi-chemin entre le déterminisme athée et la foi ennemie des réalités, est peut-être en définitive ce qui est le plus raisonnable, si pour paraphraser Pascal, Dieu “a ses raisons que la raison ne connaît pas…”
 
Des propos de Heisenberg, on peut finalement déduire qu'il ne serait pas très éloigné de la notion d'"Intelligent Design" assez en vogue actuellement. Sans doute avait-il en tout cas une préférence pour un monde gardant une aspiration spirituelle, à un autre résolument matérialiste.
Il redoutait d’ailleurs l'avènement de ce dernier, comme en témoignent les lignes suivantes, écrites en 1927, comme si elles avaient été inspirées par un sombre pressentiment : “Il se pourrait que les paraboles et images de la religion perdent leur force de conviction même aux yeux des gens simples. Je crains qu’à ce moment là, notre éthique actuelle ne s’écroule également très rapidement et qu’il ne se produise des choses d’une horreur que nous ne pouvons même pas imaginer à l’heure actuelle.”

S’il faut retenir quelque chose de magique dans le spectacle de la nature, on pourrait évoquer avec Heisenberg, “le miracle de la stabilité de la nature” devant lequel s’émerveillait Niels Bohr.
Précisons que par stabilité, il entendait que “ce sont toujours les mêmes substances avec les mêmes propriétés qui apparaissent, que ce sont toujours les mêmes cristaux qui se forment, les mêmes composés chimiques qui se créent… Ainsi, même après de nombreuses modifications dues à des influences extérieures, un atome de fer redevient un atome de fer, possédant les mêmes propriétés qu’auparavant…”
C’était selon lui, paradoxalement incompréhensible selon la mécanique classique, basée sur un strict déterminisme causal des phénomènes.
Ce serait précisément à cause de la stabilité de la matière, que la physique newtonienne ne peut pas être correcte à l’intérieur de l’atome et qu’il ne peut y avoir de description visuelle de sa structure. En effet, une telle description - parce que visuelle justement - devrait se servir des concepts de la physique classique, concepts qui ne permettent plus de saisir les phénomènes. Autrement dit, “les atomes ne sont pas des objets de l’expérience quotidienne.”

Ainsi, après avoir donné des explications rationnelles à de nombreux phénomènes naturels, l’être humain en affrontant les nouvelles frontières de la connaissance, se rapproche tout à coup de l’indicible. Même un cerveau aussi puissant que celui de Werner Heisenberg manifestait un certain désarroi devant la complexité croissante des concepts manipulés par la science. Il prévoyait que pour progresser, celle-ci exigerait "une pensée ayant degré d’abstraction qui n’a jamais existé à ce point, du moins en physique". Dans le même temps, il s'avouait dépassé, supposant que pour lui, "une telle tâche serait serait sûrement trop difficile"...

Ses réflexions restent en tout cas passionnantes, car outre leur limpidité explicative, elles contribuent à donner une signification à des notions qui de prime abord défient l'entendement. En deçà ou bien au delà de l’échelle de nos sensations, dans l’infiniment petit ou dans l’infiniment grand, nous perdons facilement pied. Il est plus que jamais nécessaire d’avoir des guides inspirés pour nous aider à réfléchir, et à trouver du sens dans ce qui relève de plus en plus de la spéculation ou de l’abstraction.
Au cours d’un de ses entretiens avec Bohr, Heisenberg eut cette interrogation anxieuse : “Si la structure interne des atomes est aussi peu accessible à une description visuelle que vous le dites, et si au fond nous ne possédons même pas de langage qui nous permette de discuter de cette structure, y a-t-il un espoir que nous comprenions jamais quelque chose aux atomes ?”
Le célèbre savant Danois eut un moment d’hésitation, avant de répondre : “Tout de même, oui. Mais c’est seulement ce jour là que nous comprendrons ce que signifie le mot comprendre…”
Le Tout et la Partie. Werner Heisenberg. Champs Sciences. Flammarion 2010

30 août 2015

Des quantas à la conscience

Un des grands mérites du recueil de réflexions de Werner Heisenberg, sobrement intitulé "la Partie et le Tout", est de donner une perspective philosophique à la mécanique quantique, et de déboucher même sur certaines considérations métaphysiques.

En son temps, Newton avait influencé beaucoup de penseurs. Pourquoi n'en serait-il pas de même à notre époque pour les savants qui nous emmènent, par la seule force de leur raisonnement, vers les terres nouvelles de la connaissance ?
Trop souvent les philosophes se croient autorisés à faire fi de la rigueur des démonstrations scientifiques. Résultat, ils jargonnent, se fondant sur des principes ex nihilo, et la philosophie finit, comme le disait narquoisement l'un des amis de Heisenberg, par "constituer l'abus systématique d'une nomenclature inventée précisément en vue de cet abus..."

Un des principaux enseignements de la mécanique quantique, déroutante par ses incertitudes, est qu'il faut "rejeter a priori toute prétention à l'absolu". Cette précaution vaut aussi bien pour le domaine scientifique que pour celui des idées en général. La division du monde en une face objective et une face subjective paraît beaucoup trop radicale.
En dépit de son aspect révolutionnaire, la nouvelle physique atomique n'invalide ni ne tue les théories qui l'ont précédée. Si les conceptions de Ptolémée, d'Archimède ou de Newton sont aujourd'hui dépassées, elles gardent une part de vérité et les prédictions qu'elles permettent de faire sont toujours valables dans le contexte pour lequel elles ont été conçues. Elles ne sont plus suffisantes pour décrire le monde des particules élémentaires, mais constituent des étapes sur le chemin du savoir.

Heisenberg tire de cette évolution par ajustements successifs l'idée "qu'une révolution bienfaisante et fructueuse ne peut être réalisée que si l'on s'efforce d'introduire le moins de changements possible, et si l'on se consacre de prime abord à la solution d'un problème limité, nettement circonscrit. Une tentative consistant à abandonner tout l'acquis antérieur ou à le modifier arbitrairement ne peut conduire qu'à l'absurdité pure."
Bien que les Scientifiques ne soient pas tous exempts d'a-priori ou de certitudes excessives, Heisenberg a la faiblesse de penser que les Philosophes et les Politiciens seraient bien inspirés parfois de solliciter leurs conseils car "ils pourraient [les] seconder en leur apportant une coopération constructive, caractérisée par la précision du raisonnement, une vue large des choses et un réalisme incorruptible..."

Évoquant le concept d’évolution, tel que la popularisé Charles Darwin, Heisenberg exprime un certain scepticisme. S'il ne remet pas en cause la théorie darwinienne d'adaptation et de sélection naturelle, elle ne lui paraît pas suffisante pour expliquer la diversité et l'harmonie du monde. Ainsi, de son point de vue, "Il est difficile de croire que des organes aussi compliqués que l’oeil humain par exemple, aient pu se créer petit à petit uniquement grâce à des modifications fortuites."
Il rappelle même le raisonnement malicieux que le mathématicien John Von Neumann avait tenu à un biologiste, un peu trop convaincu à son goût du rôle du hasard et la nécessité.
En lui montrant à l'occasion d'une promenade une jolie petite maison nichée dans la campagne, il lui tint à peu près ce discours : “Au cours de millions d’années, la colline a été formée par des processus géologiques; les arbres ont poussé, ont vieilli, se sont décomposés et ont repoussé; puis le vent a recouvert fortuitement de sable le sommet de la colline; des pierres ont peut-être été projetées par là bas sous l’effet que quelque processus volcanique, et par hasard aussi elles sont restées en place les unes sur les autres de façon bien ordonnée. Et cela a continué ainsi.../... Une fois, au bout d’un temps très long, les processus désordonnés et fortuits ont produit cette maison de campagne; et maintenant des hommes sont venus y habiter…"

Comment ne pas être frappé par le sens de l'évolution, qui va du simple au compliqué, et des particules élémentaires de la soupe originelle, jusqu'à la conscience humaine ?
Peut-on extraire de l'évolution tout ce qui concerne l'être humain et notamment son génie inventif ?
Ce dernier procède également largement du modèle évolutif. Au fil des idées et des adaptations pragmatiques, les hommes sont parvenus à élaborer des outils et des machines de plus en plus complexes. Et il n'y a qu'une place limitée pour le hasard dans ce processus, l'essentiel étant représenté par la notion de dessein, lui-même sous-tendu par l'intelligence...

Plus que Darwin, Heisenberg rejoindrait donc Bergson dans ce qu’il appelait "l'évolution créatrice" et cette sorte d’élan vital qui fait progresser la connaissance.
Devant un paquebot, le physicien s'interroge : "s’agit-il d’une masse de fer avec une installation de force motrice, un système de lignes électriques et des ampoules à incandescence.../… ou bien d’une expression du dessein humain, d’une structure formée en tant que résultat de relations interhumaines ?"
De la même façon, au spectacle de la nature, il se demande s'il est " tout à fait absurde d’imaginer, derrière les structures régulatrices du monde dans son ensemble, une “conscience” dont elles expriment le “dessein”..." (à suivre...)