Et à ce jour, la plus grande partie des Essais est dores et déjà disponible sur internet.
En me plongeant dans l'oeuvre, je redécouvre avec délectation dans le chapitre 13 du Livre III les réflexions que faisait le grand humaniste, à propos des lois, et notamment de la nécessité de ne pas les faire en trop grand nombre. Je ne résiste pas au plaisir de les reproduire ici, tant elles paraissent actuelles.
Je suis souvent étonné d'entendre tant de gens se référer à Montaigne sans manifestement bien mesurer la portée de sa parole. Débarrassée des délicieuses vieilleries qui lui conféraient un caractère sibyllin, elle semble plus que jamais limpide...
Il ne se rendait pas compte du fait qu'il y a autant de liberté et de latitude dans l'interprétation des lois que dans leur rédaction.
Et ils ne sont pas sérieux, ceux qui s'imaginent affaiblir nos débats et y mettre un terme en nous ramenant à la lettre de la Bible : le champ qui s'offre a notre esprit pour examiner la pensée d'autrui n'est pas moins vaste que celui dans lequel il expose la sienne ; et pourquoi y aurait-il moins d'animosité et de méchanceté à commenter qu'à inventer?
Nous voyons donc a quel point ce législateur se trompait : nous avons en France plus de lois que n'en a le reste du monde tout entier, et plus qu'il n'en faudrait pour réglementer tous les mondes d'Epicure « si autrefois on souffrait, des scandales, maintenant c'est des lois que nous souffrons », et nous avons pourtant si bien laissé nos juges discuter et décider qu'il n'y eut jamais autant de liberté ni de licence. Qu'ont donc gagné nos législateurs a distinguer cent mille espèces de faits particuliers et à y associer cent mille lois? Ce nombre est sans commune mesure avec l'infinie diversité des actions humaines. La multiplication de nos inventions ne parviendra pas à égaler la variété des exemples.
Ajoutez-y encore cent fois autant : vous ne pourrez pas faire que dans les évènements a venir, il s'en trouve un seul qui, dans ces milliers d'évènements repérés et répertoriés, en rencontre un autre auquel il puisse se joindre et s'apparier si exactement qu'il ne reste plus entre eux la moindre particularité et différence, et qui ne requiert de ce fait un jugement particulier. Il y a peu de rapport entre nos actions, qui sont en perpétuelle évolution, et des lois fixes et immobiles.
Les plus souhaitables sont les plus rares, les plus simples, et les plus générales : et je crois même qu'il vaudrait mieux ne pas en avoir du tout, plutôt que d'en avoir autant que nous en avons. »