25 avril 2020

Le Déclin des Astres

Tout est confus, tout est instable
En ce pathétique moment
Qui s'imprime comme un tourment
Sur nos pauvres fronts qu’il accable

L’avenir est indécidable
Dans le mortel confinement
Où s'effondre languissamment
Ce qu'on croyait inébranlable

Tandis que défilent des jours
Faits de stupeur et d’indolence
Naît une muette souffrance

Ponctuée d’impuissants discours
Elle évoque de vieux désastres
Et signe un lent déclin des astres.

16 avril 2020

Pandémie

D’un virus devenu soudain la plaie du Monde
Que dire et ne pas dire et que penser du mal
Qui échut à la Chine en ce jour automnal
Pour essaimer dès lors à l’image d’une onde ?

Sans doute ne faut-il rien y voir qui abonde
Telle croyance en Dieu ou dans le Capital
Ou dans la perfidie d’un diable libéral
Ni même dans le fait que la Terre soit ronde !

La pauvre a enduré cent fois par le passé
Ce type de fléau, d’orage épidémique
Mais pris de vanité, nous l’avions oublié

Et tandis qu’on suppute une issue théorique
Ou qu’on pense déjà tout révolutionner
La planète, aussi bleue, continue de tourner...

05 avril 2020

Le Chemin de la Liberté

Quel beau titre que celui donné au documentaire consacré à Raymond Aron (1905-1983), récemment rediffusé sur le Canal Parlementaire (LCP 02/04/20) !
Il retrace avec sobriété la vie discrète et laborieuse mais moralement irréprochable et d’une grande rectitude, d’un de nos grands intellectuels, sans doute trop méconnu, et plus que jamais d’actualité en ces temps d’errance idéologique.

Issu d’un milieu, “imprégné d’hégélianisme et de marxisme”, il se débarrassa progressivement de cet heritage encombrant sans toutefois perdre son attachement au triptyque résumant selon lui les valeurs de gauche : liberté, rationalité, égalité… Valeurs perdues à ses yeux, après les monstruosités que la plupart des grandes consciences engagées furent amenées à proférer, à soutenir, à encourager jusqu’au totalitarisme, au mépris de tout bon sens et de toute honnêteté intellectuelle.

L’affrontement qui opposa Aron à Sartre fut la pierre d’achoppement sur laquelle se heurta durant des décennies tout le débat politique en France, et le malheur voulut qu’on préférât les dangereuses illuminations sartriennes à la sagesse clairvoyante de son calme contradicteur...
Par un étonnant paradoxe, Aron ne s’est étrangement jamais totalement affranchi de Marx qu’il avait étudié comme personne. S’il répudia totalement le marxisme-léninisme, il persistait à se dire “marxien” et avouait même avoir été plus sensible à l’alchimie pleine de “mystères” du philosophe allemand qu’à la “prose limpide mais triste” de Tocqueville. Cela ne l’empêcha pas de promouvoir avec force le message de ce dernier et de grandement contribuer à lui donner la place qu’il mérite dans l’histoire des idées. Le cœur a ses raisons que la Raison ne connaît pas, mais à la fin c’est quand même bien cette dernière qui doit triompher....

Sans doute la pénombre médiatique relative dans laquelle est resté Aron tient-elle à sa modestie. Sans doute tient-elle également à l’expression un peu lourde et contournée avec laquelle il a exprimé sa pensée. Des plus de 35 ouvrages qu’il a publiés, c’est à peine si l’on connaît “L'opium des Intellectuels”, paru en 1955, et qui résume l’essentiel de ses convictions. Il faut bien se résoudre à l’évidence: Sartre avait le talent littéraire mais c’était un songe creux. Aron voyait juste et sa pensée était forte mais il eut du mal à l’exprimer, ce qui lui valut de la part de ses détracteurs l’accusation vile de “manquer de style”...
Mais en définitive, on peut se demander si la raison principale du discrédit dont a souffert son œuvre ne réside pas dans le fait qu’il lui fallut naviguer vent debout, très seul, contre une intelligentsia omniprésente monopolisant tous les canaux médiatiques...

Pour paraphraser Jean-François Dortier, on pourrait structurer la pensée aronienne selon deux axes déterminants. De sa longue fréquentation avec Emmanuel Kant, il avait retenu l’attitude critique. De la tradition positiviste française, il conserva le respect des faits, qui conduit à ne pas se laisser emporter par ses jugements. Bien qu’il ne soit pas si éloigné qu’on l’a dit de penseurs radicaux tel Hayek, il serait à ranger parmi les libéraux modérés, conservateurs, pour lesquels selon sa propre appréciation "La réalité est toujours plus conservatrice que l’idéologie."
Tout l’oppose donc à la Gauche soi-disant progressiste dont l’inexplicable aveuglement fut parfaitement résumé par cette interrogation qu’il livra lui-même lors d’une émission télévisée : “Est-il si difficile pour de grands intellectuels d’accepter que deux et deux font quatre et que le goulag, ce n’est pas la démocratie ?”
De fait, on croit rêver lorsqu’on pense à Sartre, qui parvenu à la fin de sa vie, continuait de soutenir mordicus, en contextualisant ses prises de positions, “qu’il avait eu raison d’avoir tort !”
Cette perversion incurable du raisonnement explique l’indulgence dont fit preuve avec obstination, une bonne partie de l’élite intellectuelle vis à vis du totalitarisme socialiste pourvu qu’il s’inspirât d’une idéologie bien pensante. C’est en prétendant que “la fin justifie les moyens”, ou “qu’on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs” que ces clercs condamnèrent des peuples entiers à l’une des tyrannies les plus abjectes que l’Homme ait engendrées. Encore de nos jours cette falsification reste admise, ce qui permit au journal Libération de titrer sans vergogne en 2017: “Raymond Aron avait raison, hélas...
Il faut préciser qu’avant les horreurs du communisme, Raymond Aron avait débusqué très tôt la nature pernicieuse du National-Socialisme, dont il avait vu les prémices lorsqu’il étudiait en Allemagne dans les années 30. Sartre, quant à lui n’avait rien perçu jusqu’en 1939 et s’accommoda plutôt confortablement à l’occupation allemande…

Parmi les nombreux sujets sur lesquels Aron eut l’occasion de s’exprimer, le film rappelle ses prises de position sur Israël. Certes son ascendance fut un facteur important le conduisant à choisir son camp. Tout en comprenant les souffrances et les revendications de chaque bord, il ne pouvait se résoudre à voir disparaître l’État israélien, et raisonna comme Camus avec sa mère, en expliquant que sur ce type de conflit, “inévitablement la prise de position est affective...”
Sur l’Algérie française, il se démarqua d’une bonne partie de la Droite à laquelle on le rattachait habituellement, jugeant la décolonisation inévitable, ne serait-ce que pour des raisons ethno-religieuses.
Sur mai 68 enfin, quoique opposé à l’élitisme universitaire, il assimila ces troubles à une “une farce”, un “grand n’importe-quoi”. On a dit à l’époque qu’il n’avait pas compris le sens de cette "révolution". Pourtant, une fois encore il se bornait surtout à ne pas accepter l’inacceptable. S’il trouvait "des éléments sympathiques" à ce désordre, d’autres l’étaient à ses yeux beaucoup moins, comme ces “crève salope” adressés sous forme de graffitis au recteur de la Sorbonne...

En forme de conclusion, on pourrait avancer que le principal titre de gloire de Raymond Aron reste d’avoir été un des rarissimes penseurs français du XXè siècle à avoir vu juste, ce qui n’est déjà pas si mal. Il est de ce point de vue condisciple d’Albert Camus ou de Jean-François Revel et sa discrétion, sa droiture n’ont pas de meilleure illustration que cette phrase, rapportée par un proche, alors qu’il venait de témoigner au procès de Bertrand de Jouvenel: “Je crois que j’ai dit ce qu’il fallait dire...”

02 avril 2020

Incohérences françaises

Même pendant les crises les plus graves, telle cette terrible épidémie, on retrouve hélas la France, dans ses constantes les plus médiocres.

Certes, il y a les séances d’applaudissements enthousiastes adressés aux soignants, devenues un rituel, le soir à 20h à partir des fenêtres d’immeubles. Certes il y a de nombreuses actions de dévouement et de courage de la part de beaucoup de professionnels exposés au risque de la maladie et leur volonté de se battre envers et contre tout pour soigner, faire leur devoir et plus généralement faire survivre leur entreprise dans cette période des plus difficiles.

Mais à côté de ces actions louables voire admirables, l’actualité révèle également de nombreuses exactions, incohérences, contrevérités ou petites lâchetés.
Il y a tout d’abord le Gouvernement, manifestement dépassé par les évènements, qui cherche à masquer son impéritie derrière des faux-semblants, voire des contre-vérités flagrantes. On peut comprendre qu’il cherche chaque jour par la voix de ses ministres et du Directeur Général de la Santé à faire valoir ses efforts pour essayer de rattraper une situation qui a dangereusement dérapé. On est presque malheureux pour le professeur Salomon, contraint d’égrener chaque soir une litanie mélodramatique, tristement répétitive et de moins en moins crédible, à force de pieux mensonges et d’injonctions contradictoires.
On nous a dit que les contrôles aux frontières étaient inutiles puisque le virus "n’avait pas de passeport". On a affirmé ensuite que les tests n’avaient d’intérêt que pour les patients symptomatiques. Puis on a répété que les masques étaient inutiles pour la population générale, qu’ils ne protégeaient nullement contre le risque d’être contaminé. On a même recommandé aux gens qui en disposaient de les remettre à leur pharmacien ou bien à leur médecin !

Chacun sait désormais que ces propos ne visaient qu’à minimiser le fait que la France se trouvait gravement dépourvue de toutes ces ressources si nécessaires en contexte épidémique.

Passons sur la sous-estimation initiale de la probabilité de voir le pays soumis à une déferlante infectieuse.
Passons sur l’inertie des pouvoirs Publics face à l’expérience que vivaient les pays asiatiques et leur apparente absence d’intérêt pour les solutions qui furent mises en œuvre précocement à Taiwan, en Corée, au Japon et même en Chine...
Passons sur les atermoiements fâcheux concernant la politique de confinement, tantôt laxiste, tantôt rigoriste…


Que dire aujourd'hui des commandes faramineuses annoncées : plus d’un milliard de masques, 10.000 ventilateurs, des millions de tests diagnostics... Pour la plupart, ces ressources ne sont pas même fabriquées, étant donné la saturation des lignes de production ou les difficultés techniques pour les mettre au point… Quant aux 14.000 lits de réanimation promis sous peu par le ministre, on se demande bien avec quel personnel ils pourraient fonctionner, sachant que la France n’en a que pour un tiers...

Dans un autre registre, que penser de la condescendance affichée pour les actions therapeutiques proposées par le Professeur Raoult à Marseille? 

Certes nos dirigeants sont influencés par le scepticisme radical d’une partie de la communauté médicale. Et peut-être s’apercevra-t-on en fin de compte qu’ils avaient raison, mais si c’est l’inverse, que de temps aura été perdu à tergiverser et à ergoter sur la rigueur des études publiées…
Et que dire dans ces conditions de la demande impérative faite par le ministre de la santé de ne plus utiliser les anti-inflammatoires tel l’ibuprofène au motif qu'ils aggraveraient le pronostic des patients atteints par le COVID-19 ? 

Aucune étude ne fut présentée à l’appui de cette thèse qui fut contredite sans ambiguïté par l’Agence Européenne…
On peut également s’interroger ces derniers jours sur les transferts tous azimuts de patients très gravement atteints des régions les plus touchées vers celles qui le sont un peu moins. Espérons qu’il ne s’agisse pas d’une nouvelle erreur d’appréciation des Pouvoirs Publics mal conseillés par la panique. La logistique imposée par ces transferts est en effet coûteuse à tous points de vue, elle prive potentiellement les hôpitaux d’accueil de toute solution en cas d’afflux de patients issus de leurs propres régions, et fait peser le risque de dissémination du virus, via le personnel soignant et leurs familles…

On pourrait enfin s’interroger sur la curieuse propension de notre pays à appeler à la solidarité tout en critiquant les gens auprès de qui elle la réclame. Ainsi, c’est au moment où l’on demande à la Chine de nous livrer des masques en grande quantité qu’on l’accuse d’avoir falsifié ses chiffres de mortalité due au coronavirus. C’est au moment où l’on implore l’Allemagne - qui semble s’en sortir mieux que nous - de bien vouloir prendre les patients du Grand Est débordé, qu’on insinue qu’elle fait cavalier seul et qu’à l’instar de la fourmi de la fable, elle montre quelque réticence à partager le fardeau budgétaire avec les pays cigales…

Pendant ce temps le Gouvernement s’étonne de l’explosion du chômage partiel, qui touche dès à présent plus de 3,6 millions de personnes. Après avoir annoncé généreusement qu’il financerait sans limite le dispositif tout en insistant sur la nécessité de rester chez soi, il s’aperçoit un peu tard de son erreur d’appréciation. Du coup, la ministre du travail a cru bon de sermonner les entreprises et de leur donner des leçons de civisme assez mal venues.
Parallèlement, l'État se voit confronté à une levée croissante de boucliers par de nombreux professionnels et leurs syndicats, qui se plaignent de l’absence de protection lors de leur activité. On a pu ainsi apprendre incidemment, que pas moins de 10.000 postiers avaient fait valoir leur droit de retrait, expliquant les défaillances multiples des services postaux.
Enfin,  si la situation n'était pas aussi sérieuse, on pourrait sourire des revirements idéologiques des gouvernants dans ces situations de crise. On se souvient des discours violemment anti-capitalistes de Nicolas Sarkozy en 2008, lui qui affirmait résolument le contraire un an auparavant. Aujourd’hui c’est Emmanuel Macron qui fait mine de devenir soudainement souverainiste et qui promet au pays de retrouver son indépendance en matière de ressources sanitaires. Hélas, il ne suffit pas de faire des vœux pieux pour qu’ils se réalisent. Hier encore un reportage vantait les mérites d’un laboratoire français, capable sous peu de produire des tests sérologiques fiables et rapides, qui seront précieux lorsque le confinement sera levé. Le Directeur de cette entreprise avouait toutefois que s’il avait la capacité technologique de mettre au point de tels dispositifs, il serait contraint de passer par la Chine pour mettre en œuvre leur production industrielle, impossible en France pour des raisons de coûts. CQFD...