31 janvier 2007

Le livre de raison d'un roi fou


Pour tenter de sortir un peu du marais végétant et plutôt nauséabond dans lequel patauge la campagne présidentielle, je propose aujourd'hui aux personnes qui me font le grand honneur de lire ma médiocre littérature, une promenade de l'esprit un peu inhabituelle : je voudrais évoquer ce soir, au coeur de l'hiver, la vie extravagante de Louis II de Bavière (1845-1886) !
Il peut paraître étonnant de traiter un tel sujet ici.
Il s'agit d'un destin aristocratique en diable, qui paraît à mille lieues des concepts démocratiques et pragmatiques auxquels je suis si profondément attaché et que je tente d'explorer dans ce blog.
Mais il y a des choses qui ne s'expliquent pas... « Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas. »
Je suis tombé sous le charme de cet être lunatique en découvrant le portrait magnifique et désespéré que Luchino Visconti fit de lui dans son film Ludwig ou le Crépuscule Des Dieux.


Il se trouve que je viens de relire l'ouvrage étonnant d'André Fraigneau, qui servit selon toute probabilité de guide poétique au cinéaste, et qui raconte de l'intérieur si je puis dire, l'errance de cet ultime représentant des monarques de droit divin, égaré à la lisière de la civilisation technique et industrielle.
Et cette lecture fait remonter une nuée de souvenirs éblouis.
Ce livre de raison d'un roi fou, conçu comme un journal intime, retrace l'itinéraire magique de ce « règne pur », enchâssé dans la neige et dans la glace, ivre d'horizons montagneux, empli de l'indicible clameur wagnérienne, en quête d'un absolu de beauté.

Ce roi était-il fou ? La question ne sera probablement jamais tranchée tant sa folie toucha souvent au sublime, et tant elle interrogera longtemps encore du haut de ses châteaux extravagants, la médiocrité du quotidien, faite de banalité et de confort.
De quelqu'un qui se prend pour un roi, on dit qu'il est fou; mais Louis II, si d'aucun le jugent fou n'en était pas moins roi, doté malgré lui de fantastiques pouvoirs : « Je ne connaissais pas la force de mon coeur, ni que ma puissance de sentir fût sans limite. »
Ce fatum vertigineux qui échut à cet enfant de la Lune, sans qu'il l'ait demandé, il le prit très au sérieux. Et il fit le serment de l'accomplir de manière exemplaire.
Louis fut amoureux intransigeant de la beauté. Comme il eut le malheur de n'être pas doué pour la création artistique, mais qu'il bénéficia du privilège d'être roi, il voulut que son règne fusse donc l'apothéose de l'art : « Sous tous les cieux, dans toutes les races, les hommes pourront parvenir par la liberté réelle à une égale force, par la force au véritable amour, par le véritable amour à la beauté. Et la beauté active, c'est l'art. »

Il se vit en messie de l'Art, avec Wagner comme instrument de son ambition. Et puisqu'à l'Art il faut au moins des palais, il décida d'être bâtisseur comme Louis XIV. Si possible en surpassant en magnificence son modèle.
Mais cette quête se révéla vite insensée car elle le conduisit à chevaucher en dehors des voies de la sagesse. Elle l'écarta inéluctablement de la réalité. En faisant des cimes de l'esprit son royaume, il se condamna à mépriser tout ce que sa charge comportait de trivial. Il épuisa son entourage à force d'exiger d'eux ce qu'ils ne pouvaient donner tout en raillant la mesquinerie de leur existence.
Ses ministres le lachèrent bien sûr, mais aussi Wagner, l'Ami comblé qui le trahira, ses valets qu'il choisissait pour leur beauté et pour lesquels il éprouvait une trouble attirance, et même Elisabeth sa cousine adorée, qui le comprit, mais qui refusa de l'accompagner dans son odyssée féérique.
Il finit par répudier l'acteur Kainz dont il s'était entiché jusqu'à lui faire réciter jour et nuit et en tous lieux les grands classiques, mais dont il ne supportait plus la lassitude et la fatigue trop humaines : « avec ce visage malingre, banal, éperdu, je prenais congé pour toujours de l'humanité courante, celle qui s'efforce vers le meilleur, retombe recommence, émeut, irrite, se croit sauve vis-à-vis du Ciel et pavera l'Enfer, jusqu'à la fin du Monde, de ses bonnes intentions. »
Il comprit sans doute la déchéance vers laquelle il était irrémédiablement attiré, et selon l'opinion de Fraigneau, il se reprocha même de s'être abandonné à la malédiction : « Je ne suis plus qu'une poussière d'éclats brisés où rien ne se réfléchit plus et plus dangereux qu'un poison ou qu'une arme. Cette poudre de glace, brillante et coupante, ne sait plus que détruire. Par un bénéfice bizarre, elle est indestructible. Satan, c'est peut-être, au creux du Monde, au creux de l'infini, une pincée de verre pilé. »
Cependant, au moment de basculer dans l'infini, c'est l'espoir de rédemption qui fut le plus fort : « Je me sentirai réintégré, absous, admis. Et comme le promet Platon, je pourrai voir à la fin le soleil, non seulement dans les eaux et dans les objets où il se réfléchit, mais lui-même, à la place où il se trouve. »


Louis II qui avait 41 ans à peine, fut retrouvé noyé, avec son médecin le docteur Von Gudden, dans le lac du château de Berg où il avait été interné à peine 48 heures auparavant...

Il ne fut pas vraiment un mauvais roi puisqu'il n'avait aucune répugnance à déléguer les tâches dans lesquelles il ne s'estimait pas compétent. Il avait en horreur la guerre, et accepta de bonne grâce le grand dessein de l'unification allemande, sous la férule de Bismarck.
S'agissant de son parcours artistique, le bilan en fut plutôt éclatant. Il procura à Wagner toutes les facilités dont il pouvait avoir besoin pour exprimer son talent, il parsema son petit pays d'incroyables ouvrages architecturaux qui le ruinèrent temporairement mais qui font sa fortune touristique aujourd'hui encore : le charmant pavillon baroque de Linderhof et sa grotte romantique rococo, le monumental Herrenchiemsee aux proportions versaillaises, et l'inexpugnable nid d'aigle Neuschwanstein où il se retrancha avant d'être destitué.
Paul Verlaine fut sensible à la passion de Louis II, à son rêve inaccessible, qu'il évoqua dans un sonnet :
Roi, le seul vrai roi de ce siècle, salut, Sire,
Qui voulûtes mourir vengeant votre raison
Des choses de la politique, et du délire
De cette science intruse dans la maison,
De cette science, assassin de l’Oraison
Et du Chant et de l’Art et de toute la Lyre,
Et simplement ,et plein d’orgueil en floraison,
Tuâtes en mourant, salut, Roi ! bravo, Sire !
Vous fûtes un poète, un soldat, le seul Roi
De ce siècle où les rois se font si peu de chose,
Et le Martyr de la Raison selon la Foi.
Salut à votre très unique apothéose,
Et que votre âme ait son fier cortège, or et fer,
Sur un air magnifique et joyeux de Wagner.

26 janvier 2007

De la Démocratie active

Une fois n'est pas coutume, je me fends de propos élogieux pour l'émission de France-Inter animée par Nicolas Demorand (le Sept-Neuf Trente).
Elle fut le régal intellectuel de mon petit déjeuner ce matin, grâce à l'invité Stephen Breyer, juge à la Cour Suprême des États-Unis, qui avec douceur, humour, et en français, a donné aux auditeurs qui voulaient bien l'entendre, une lumineuse leçon de démocratie (à propos de son nouvel ouvrage : Pour Une Démocratie Active).


J'en ai retenu 3 points essentiels car transposables immédiatement dans le cloaque conceptuel qui caractérise actuellement la France :
-Dans une société libre et par nature responsable, il est vain et inutile de proposer des lois interdisant d'exprimer certaines thèses, notamment négationnistes. Les Américains, en avance sur nous, n'ont peur d'aucune opinion. Ils pensent en effet qu'il n'y a rien de tel pour montrer l'inanité d'un point de vue, que de le confronter aux autres.
-Les vertus du débat d'opinion : La peine de mort a peu de chances d'être abolie aux États-Unis tant que le peuple n'y est pas favorable dans son ensemble, même s'il n'y a rien de figé pour autant en la matière, comme le passé l'a montré, et pas de religion universelle. Tout est affaire de contexte. En France c'est le fait du prince qui s'est imposé, et ce dernier pour marquer son empreinte, veut désormais le rendre irréversible...
-La sanction par le vote : Dans un pays où l'information circule librement, il est idiot de reprocher à George Bush ses mensonges au sujet de l'Irak. Contrairement à ce qui se passe habituellement chez nous, le président n'a pas décidé seul l'intervention militaire. Tout comme Kennedy au Vietnam, il lui a bien fallu emporter la conviction de ses compatriotes. Le congrès dans son immense majorité a trouvé convaincante l'argumentation proposée, ainsi que les électeurs au moins jusqu'en 2004. Au demeurant, comme pour le Vietnam, si la raison immédiate invoquée était discutable, les arguments de fond ne manquaient pas.
On peut toujours gloser ou se répandre en vitupérations haineuses, la seule question qui vaille aujourd'hui est : comment faire pour éviter en Irak l'échec cuisant du Vietnam ?
Enfin, Mr Breyer a terminé avec un élégant hommage à Tocqueville, qui pourrait flatter les Français si seulement ils mesuraient à sa juste valeur l’œuvre de cet illustre compatriote...

25 janvier 2007

Un pont entre écologie et business


L'écologie et le business sont miscibles !
C'est la bonne nouvelle du jour, apportée par l'excellente émission de M6, CAPITAL (21/01/07).
C'est du « pratico-pratique » comme disent les amateurs de redondances sonnant bien creux !

J'aime la manière très cool adoptée par le sympathique présentateur Guy Lagache (qui manie infiniment mieux l'anglais que notre ministre des affaires étrangères) pour montrer à l'aide de quelques exemples « vécus », que l'Amérique qu'on dit si pollueuse et si cupide, se préoccupe tout de même à ses moments perdus, un peu d'écologie !
J'aime comme il constate, l'air de rien, que c'est la Californie de Schwarzenegger (autrefois de Reagan) qui est à la pointe de cette « civilisade » étonnante :
Dans une dizaine d'années, l'enjeu pour cet état est de produire 20% de la consommation électrique de manière propre. Profitant des mesures incitatives mises en place par le gouverneur, la société Power Light (je mets un lien mais je n'ai pas d'actions) est en train de faire fortune avec le concept de panneaux solaires ultra-légers et performants, dont elle commence à couvrir dès à présent les toits des maisons. Comme Apple, comme Google, comme tant d'autres aux Etats-Unis, cette entreprise a fait ses débuts dans un garage il y a quelques années.
En attendant, certains font rouler leur auto à l'huile de friture ou à l'éthanol (on apprend au passage que ce type de carburant est interdit en France parce qu'il échappe à la taxe sur les produits pétroliers...).
Rien qu'à San Francisco, on compte à ce jour pas moins de 20.000 véhicules hybrides (mi électriques, mi thermiques), soit le double de ce qui est immatriculé à ce titre dans notre pays entier. Saperlotte, les Français ne seraient donc pas les seuls à avoir des idées en matière d'énergie renouvelable ?
Monsieur Yvon Chouinard, Californien d'origine québécoise, s'est quant à lui lancé dans le recyclage des bouteilles en plastique. Il fabrique avec elles des vêtements qu'on s'arrache bien qu'ils soient plus chers que les autres. Son meilleur argument publicitaire : sa société Patagonia a pris l'engagement de reverser au moins 1 % de son chiffre d’affaires à des centaines d’associations environnementales dans le monde entier... En plus il paie à ses salariés le luxe de pouvoir travailler en horaires libres, de disposer d'une crèche pour leurs enfants, et autres menus avantages sociaux. Diable, les Américains auraient-ils donc une conscience ?
Pour couronner le tout, dans son discours sur l'Etat de l'Union du 23 janvier, le président américain (« cow-boy obstiné » selon l'éditorial du Monde) a fixé au pays l'objectif de réduire de 20% la consommation d'essence, ce qui signifie une baisse de 75% sur 10 ans des importations de pétrole en provenance du Moyen-Orient. Mince alors, mais que vont faire les Yankees de l'or noir qu'ils sont paraît-il allés chercher en Irak ?

Moralité : lorsque l'on n'a ni Corinne Lepage, ni Dominique Voynet, ni Nicolas Hulot, ni José Bové pour servir de guide sur le sentier lumineux du « développement durable », il reste le choix de recourir au simple bon sens...

24 janvier 2007

La mer est ronde

Une pensée pour Jean-François Deniau qui vient de s'éteindre, après une vie mouvementée. Cet homme politique discret avait comme on dit " de la classe". Diplomate, marin, écrivain, politicien, il aura goûté à beaucoup de choses et navigué sur nombre d'océans. Certains diront qu'ils s'agissait d'un dilettante (il fut ministre des réformes...).
Je me contenterai de le saluer avec la définition qu'il donnait de lui-même dans un de ses livres les plus attachants, la mer est ronde : «Amateur, cela veut dire «qui aime», et c'est bien de cela qu'il s'agit. J'aime la mer et j'aime être en mer. J'aime partir, larguer l'amarre et passer les feux ; j'aime naviguer, voir le vent tourner, la brise adonner, le ciel changer, la mer se former et se déformer ; j'aime le bouillon chaud dans le thermos au pied du barreur et l'étoile qu'on prend un temps pour cap la nuit entre hauban et galhauban ; j'aime quitter une côte en vue, et, après un jour, huit jours, un mois, en voir apparaître une autre, qu'on attendait ; j'aime arriver, entrer, mouiller, et quand tout est en place, fixé, tourné, amarré, ferlé, rabanté, être à terre. Je suis un amateur.»

Le Nouveau Monde


Terence Malick est un cinéaste étrange. Extrêmement discret, c'est tout juste si l'on dispose d'un portrait photographique de lui alors qu'il tourne des films depuis plusieurs décennies ! Il est vrai que sa production s'inscrit hors des sentiers battus par les médias, son dernier opus n'étant que le quatrième d'une oeuvre aussi rare que magnifique.

Hélas, ce Nouveau Monde est une déception d'autant plus cruelle.
D'un titre riche de promesses, ne sort qu'une longue fresque un peu compassée.
Elle reprend pourtant un certain nombre des recettes utilisées précédemment dans ce qui reste à ce jour le principal chef d'oeuvre du cinéaste, la Ligne Rouge : scènes aquatiques, nature omniprésente, voix off interrogeant l'indicible, personnages un peu étrangers à leur propre destinée...
On y retrouve également la magnificence des images et une mise en scène très travaillée. Mais il manque quelque chose, comme l'âme de cette aventure tirée de faits réels.
C'est désolant, mais tout ce qui faisait merveille dans la Ligne Rouge tombe ici à plat. Tous ces questionnements dont Malick est si friand s'avèrent désespérément fades. Les personnages n'ont pas d'existence propre. Colin Farrell est complètement à côté de ses pompes. Christopher Plummer est absent. Quant à l'héroïne, interprétée par Q'Orianka Kilcher, elle dégage une aura charmante mais reste dans un registre trop contraint et artificiel. On ne sait si ces êtres là savent ce qu'est l'amour. Plus grave on ne sait s'ils ont envie de le savoir. Ils planent sur la vie mais sans donner l'impression de vraiment « comprendre le langage des fleurs et des choses muettes. »

Et c'était justement ce qu'on attendait d'eux dans ce monde sauvage et pur, à l'aube d'une véritable transfiguration, peuplée de terribles drames mais aussi de vertigineuses espérances...


23 janvier 2007

Déposez vos hommages*...


Vite, je m'empresse de déposer mon hommage à l'Abbé Pierre.
Je suis toutefois sans illusion. Malgré tous mes efforts je n'ai aucune chance de prendre de vitesse les politiciens qui étaient dans les starting blocks pour se ruer dans la course à la célébration rituelle.
A tout seigneur tout honneur, le président Jacques Chirac, probablement le mieux informé, et grand spécialiste de la larme à l'oeil, s'est avéré le plus rapide dans l'exercice et surtout le plus dégoulinant de mièvrerie empathique : faisant mine d'être surpris par un événement sans doute à ses yeux aussi inattendu, et contre nature, il s'est déclaré « bouleversé » par la mort, lundi matin, du grand homme. Peu avare de superlatifs, le chef de l'Etat a exprimé son "immense respect" et sa "profonde affection" pour le prêtre, ainsi que sa "grande peine" et "toute sa solidarité" envers le mouvement Emmaüs. "C'est toute la France qui est touchée au coeur", a-t-il encore souligné, ajoutant que celle-ci perd "une immense figure, une conscience, une incarnation de la bonté."
Loin de moi l'idée de minimiser l'action et la stature de l'Abbé Pierre. Sa fondation est devenue quelque chose d'aussi naturel d'aussi évident que la Croix-Rouge ou l'Armée du Salut. Elle a su rester humble, indépendante des Pouvoirs Publics et des médias, et bien gérée à ce que je sache.
Elle est pour tout dire à l'image de l'homme qui l'a conçue, qui a toujours su se faire entendre mais n'a guère abusé des faveurs que lui faisaient les flatteurs et les pharisiens, avides de profiter d'un peu de sa sainteté. Il a su résister aux amicales pressions des gens qui cherchaient à récupérer son message ou qui tentaient de lui faire dire sur moult sujets de société ce qu'ils auraient tant aimé entendre.
Sa simplicité, sa droiture et la force de ses convictions forcent à tout jamais l'admiration.
* expression trouvée ce jour à la une du Figaro.

22 janvier 2007

De la liberté


Depuis Bentham, on accuse souvent l'utilitarisme de conduire au sacrifice de l'indépendance individuelle au motif de la satisfaction d'un standard de bien-être collectif.
John Stuart Mill (1806-1873) revendique l'utilitarisme comme fil conducteur de sa pensée sans ambiguïté : « Je considère l'utilité (dans son sens le plus large) comme le critère absolu dans toutes les questions éthiques. »
Pourtant, son ouvrage traitant de la Liberté démontre un attachement sincère à défendre avant tout l'individu, face à toutes les oppressions et contraintes notamment celles de l'Etat. Il analyse également avec beaucoup de pertinence et de prescience la nature et les limites du pouvoir que la société peut légitimement exercer sur l'individu et livre de fortes pensées sur la société moderne libre et responsable telle qu'il l'imagine idéalement.
La primauté de l'individu
Pour Mill, inspiré par le principe de l'habeas corpus, « sur lui-même, sur son corps et son esprit, l'individu est souverain ». Aucun pouvoir n'a donc de légitimité pour lui imposer des contraintes sauf pour une seule raison : l'empêcher de nuire aux autres.
Le philosophe juge toute autre coercition contraire à l'esprit de liberté, notamment celles qui s'exerceraient « sous prétexte que ce serait meilleur pour lui, que cela le rendrait plus heureux ou que dans l'opinion des autres agir ainsi serait sage ou même juste »
Certes, une personne peut nuire aux autres par sa seule inaction. La contrainte doit être exercée dans ce cas avec beaucoup de prudence : « rendre quelqu'un responsable de ne pas avoir empêché un mal c'est l'exception. »
Eloge de la contestation et de la dissidence
Il est nécessaire que les individus se servent de la liberté à bon escient. Elle doit avant tout leur servir à conserver un jugement critique en toute chose : « La tendance fatale de l'humanité à laisser de côté une chose dès qu'il n'y a plus de raison d'en douter est la cause de la moitié de ses erreurs. » A bien des égards, le droit de contester s'apparente à un devoir : « s'il était interdit de remettre en cause la philosophie newtonienne, l'humanité ne pourrait aujourd'hui la tenir pour vraie en toute certitude. » Cette opinion était d'autant plus méritoire à l'époque où elle fut écrite que personne n'aurait sérieusement douté du caractère intangible de la physique de Newton.
Autrement dit, même face à des idées quasi établies, il convient de rester critique car quoique « le bien être de l'humanité pourra presque se mesurer au nombre et à l'importance des vérités arrivées au point de n'être plus contestées », il importe de poursuivre aussi longtemps que possible, à l'instar de la dialectique socratique, « une discussion négative des grandes questions de la philosophie et de la vie » visant à remettre en question, ne serait-ce que pour garder la capacité de démonter leur bien-fondé, « les lieux communs de l'opinion reçue ».
Ceci amène Mill à défendre par principe, les avis minoritaires et à plaider pour que la plus grande diversité possible règne en matière d'opinions, au moins tant que l'esprit humain se trouve en un « état imparfait » :
« Lorsqu'on trouve des gens qui ne partagent pas l'apparente unanimité du monde sur un sujet, il est toujours probable – même si le monde est dans le vrai – que ces dissidents ont quelque chose de personnel à dire qui mérite d'être entendu, et que la vérité perdrait quelque chose à leur silence ».
Par voie de conséquence Mill, dont la nature anglo-saxonne transparaît ici de manière évidente, attache la plus grande importance à l'originalité et à l'excentricité : « Les individus capable d'apporter originalité et idées nouvelles sont le sel de la terre. Sans elles la vie deviendrait une mare stagnante. » Ou bien encore : « L'excentricité et la force de caractère vont toujours de pair, et le niveau d'excentricité d'une société se mesure généralement à son niveau de génie, de vigueur intellectuelle et de courage moral. »
Par anticipation il voit déjà le péril représenté par la pensée unique : « A présent les individus sont perdus dans la foule. En politique c'est presque un lieu commun de dire que c'est l'opinion qui aujourd'hui dirige le monde »
Prenant l'exemple de la Chine, dont il admire la civilisation très précoce, il déplore qu'elle se fusse figée depuis si longtemps dans un formalisme stérilisant : « elle a réussi à uniformiser un peuple en faisant adopter par tous les mêmes maximes et les mêmes règles pour les mêmes pensées et les mêmes conduites.../... Si l'individualité n'est pas capable de s'affirmer contre ce joug, l'Europe, malgré ses nobles antécédents et le christianisme qu'elle professe, tendra à devenir une autre chine »
Si John Stuart Mill est intransigeant s'agissant de la liberté d'opinion, il se garde bien d'en avaliser certaines conséquences pratiques : « Personne ne soutient que les actions doivent être aussi libres que les opinions. Au contraire, même les opinions perdent leur immunité lorsqu'on les exprime dans des circonstances telles que leur expression devient une instigation manifeste à quelque méfait. » On peut se demander ce qu'il aurait pensé des ayatollahs de l'alter-mondialisme qui se croient autorisés au nom de leur croyance et fort du principe de la « désobéissance civile », à détruire des champs de maïs transgéniques ou à démonter des restaurants fast-food...
A cet égard il fustige également l'attitude de nombre d'autorités religieuses ayant édicté des idées en dogmes, poussant notamment les hommes à abandonner leur liberté et leur esprit de contestation. Par exemple, « Selon la théorie calviniste le plus grand péché de l'homme c'est d'avoir une volonté propre. Tout le bien dont l'humanité est capable tient dans l'obéissance. La nature humaine étant corrompue il n'y a de rachat pour quiconque n'a pas tué en lui la nature humaine. » « Nombreux sont ceux qui croient sincèrement que les hommes ainsi torturés et rabougris sont tels que les a voulus leur créateur, tout comme beaucoup croient que les arbres sont bien plus beaux taillés en boule ou en forme d'animaux que laissés dans leur état naturel »
Or, « Il existe un modèle d'excellence humaine bien différent du calvinisme, à savoir que l'humanité n'a pas reçu sa nature seulement pour en faire l'abnégation. » Car « si l'homme a été créé par un Être bon, il est alors logique de croire que cet Être a donné à l'homme ses facultés pour qu'il les cultive, les développe, et non pour qu'elles soient extirpées et réduites à néant. »
De la relativité des opinions
En vrai sage, Mill se méfie de la prétendue vérité de certaines opinions tant elle s'avère relative et sujette à variation en fonction de l'endroit et de l'époque : « Les causes qui font de quelqu'un « un anglican à Londres sont les mêmes qui en auraient fait un bouddhiste ou un confucianiste à Pékin. »
Chaque époque professe nombre d'opinions « que les suivantes ont estimé non seulement fausses, mais absurdes. »
Au surplus, « le caractère impressionnant d'une erreur se mesure à la sagesse et à la vertu de celui qui la commet » : Mill cite à l'appui de cette thèse les exemples édifiants de Socrate, et de Jésus, jugés coupables de méfaits imaginaires alors qu'ils incarnaient au contraire des modèles de justice et de moralité, il évoque également Marc-Aurèle, si sincèrement soucieux du bien et qui pourtant laissa persécuter tant de gens.
« Les chrétiens qui sont tentés de croire que ceux qui lapidèrent les premiers martyrs furent plus méchants qu'eux-mêmes devraient se souvenir que Saint-Paul fut au nombre des persécuteurs. » En réalité, « ils auraient agi exactement de même s'ils avaient vécu à cette époque et étaient nés juifs. »
Les hommes et les gouvernements doivent donc « agir du mieux qu'ils le peuvent. Il n'existe pas de certitude absolue, mails il y en a assez pour les besoins de la vie » et « l'histoire regorge d'exemples de vérités étouffées par la persécution », mais « lorsqu'une opinion est vraie, on a beau l'étouffer une fois, deux fois et plus encore, elle finit toujours par réapparaître dans le corps de l'histoire pour s'implanter définitivement. »
Eloge de la responsabilité citoyenne
Selon Mill, « La liberté comme principe ne peut s'appliquer à un état de chose antérieur à l'époque où l'humanité devient capable de s'améliorer par la libre discussion entre individus égaux. » Autrement dit, « Le despotisme est un mode de gouvernement légitime quand on a affaire à des barbares, pourvu que le but vise à leur avancement. »
La liberté se mérite donc et il n'y a aucune gloire à vivre dans un pays libre. Au contraire, il s'agit d'un bien fragile qu'il est de la responsabilité citoyenne de faire fructifier. Plus une société fait bon usage de la liberté, plus elle mérite que celle-ci soit étendue.
Ces notions sont fondamentales pour tenter de répondre à certaines interrogations très actuelles:
-La liberté de travailler le week end à laquelle le philosophe anglais ne voit guère de raison de s'opposer : « le plaisir et la récréation d'une majorité de gens vaut bien le travail d'une minorité, pourvu que leur occupation soit choisie librement et puisse être librement abandonnée. » Après avoir évoqué la légitimité d'un surcroît de salaire proportionnel et l'établissement d'un jour compensatoire de congé dans la semaine, la seule raison qui reste pour justifier les restrictions sur les amusements du dimanche, c'est de dire « qu'ils sont répréhensibles du point de vue religieux. » Mais lorsqu'on refuse à certains le droit de faire ce que leur religion leur permet au motif que c'est interdit par sa propre religion, « c'est croire que non seulement Dieu déteste l'acte du mécréant, mais qu'il ne nous tiendra pas non plus pour innocents si nous le laissons agir en paix. »
-La vente libre de produits toxiques notamment des drogues, n'est pas davantage choquante dans une société éclairée : « Si l'on achetait de poison ou si l'on en s'en servait jamais que pour empoisonner, il serait juste d'en interdire la fabrication et la vente. » On peut en revanche invoquer sans violation de liberté une précaution telle que d'étiqueter la drogue de façon à en spécifier le caractère dangereux, « car l'acheteur ne peut désirer ignorer les qualités toxiques du produit. »
-Idem pour la vente d'armes, légitime à condition de proposer une réglementation minimale avec la date de la vente, le nom et l'adresse de l'acheteur, la qualité et la quantité précises vendues ainsi que l'usage prévu de l'objet.
-Idem enfin pour les établissements de jeux ou pour ceux destinés par nature à un public restreint : « les contraindre à entourer leurs affaires d'une certain degré de secret et de mystère, afin que personne ne les connaisse hormis ceux qui les recherchent. »
Parmi les lois que Mill pense légitimes, il en est toutefois certaines qui paraissent discutables, tant elles semblent inspirées par un malthusianisme désuet : celles « qui interdisent le mariage aux couples qui ne peuvent pas prouver qu'ils ont les moyens de nourrir une famille, n'outrepassent pas le pouvoir légitime de l'Etat. » car « dans un pays trop peuplé ou en voie de le devenir, mettre au monde trop d'enfants, dévaluer ainsi le prix du travail par leur entrée en compétition, c'est faire grand tort à tous ceux qui vivent de leur travail. »
Hormis cette exception un peu étonnante mais compréhensible dans l'Angleterre du XIXè siècle, pour Mill, « toute contrainte en tant que contrainte est un mal », et il faut se méfier des bonnes intentions en matière de prévention, car « Il est beaucoup plus aisé d'abuser de la fonction préventive du gouvernement au détriment de la liberté que d'abuser de sa fonction punitive. »
Dans cet ordre d'idées, les restrictions imposées au commerce, à la production commerciale ou à l'industrie, sont des contraintes inutiles puisqu'il est prouvé que « le seul moyen de garantir des prix bas et des produits de bonne qualité c'est de laisser les producteurs et les vendeurs parfaitement libres, sans autre contrôle que l'égale liberté pour les acheteurs de se fournir ailleurs. » pour John Stuart Mill, la doctrine dite de libre-échange repose donc sur « des bases non moins solides que le principe de liberté individuelle. »
Contre la toute puissance de l'Etat
John Stuart Mill, tout comme Tocqueville avec lequel il entretint une amitié et une grande communauté de vues, se méfiait des doctrines étatistes : « L'argument le plus fort contre l'intervention du public dans la conduite purement personnelle, c'est que lorsqu'il intervient il y a fort à parier que ce soit à tort et à travers. »
« Nous n'avons qu'à supposer une diffusion considérable d'opinions socialistes pour voir qu'il peut devenir infâme aux yeux de la majorité de posséder davantage qu'une quantité très limitée de biens... »
« Toute fonction ajoutée à celle qu'exerce déjà le gouvernement diffuse plus largement son influence sur les espoirs et les craintes et transforme davantage les éléments actifs et ambitieux du public en parasites ou en comploteurs. »
« Si tous les meilleurs talents du pays pouvaient être attirés au service du gouvernement une proposition visant à ce résultat aurait assurément de quoi inquiéter. »
S'agissant de la fonction publique, Mill développe une conception à l'évidence minimaliste. En matière d'éducation par exemple, il n'accorde guère à l'Etat qu'un rôle d'incitation et de contrôle : « Si le gouvernement prenait la décision d'exiger une bonne éducation à tous les enfants, il s'éviterait la peine de leur en fournir une. »
En réalité, la diversité de l'éducation lui parait au moins aussi essentielle que celle d'opinions. Or « une éducation générale dispensée par l'Etat ne peut être qu'un dispositif visant à fabriquer des gens sur le même modèle. » Et comme le moule ne pourrait être que celui satisfaisant le pouvoir dominant au sein du gouvernement, « plus cette éducation serait efficace, plus elle établirait un despotisme sur l'esprit qui ne manquerait pas de gagner le corps. »
Dernier argument incitant à limiter les pouvoirs et l'influence de l'Etat, c'est celui qui part du constat que dans un pays où il a pris trop d'importance, les citoyens ont tendance à tout attendre de lui mais aussi à le rendre responsable de tout ce qui leur arrive de fâcheux. Lorsque les maux excèdent leur patience, ils se soulèvent et font ce qu'on appelle une révolution. Après quoi le gouvernement change de mains mais « tout reprend comme avant sans que la bureaucratie ait changé et que personne soit capable de la remplacer. »
A l'inverse remarque Mill, laissez n'importe quel groupe d'Américains sans gouvernement et « il serait capable d'en improviser un et de mener cette affaire ou toute autre affaire civile, avec assez d'intelligence, d'ordre et de décision. Voilà comment devrait être tout peuple libre. »
En définitive, « Un Etat qui rapetisse les hommes pour en faire des instruments dociles entre ses mains, même en vue de bienfaits, un tel Etat s'apercevra qu'avec de petits hommes rien de grand ne saurait s'accomplir, et que la perfection de la machine à laquelle il a tout sacrifié n'aboutit finalement à rien, faute de cette puissance vitale qu'il lui a plus de proscrire pour faciliter le jeu de la machine. »
Pour conclure, la vision de ce philosophe modeste paraît extrêmement percutante et moderne. Sa conception de la liberté, très humaine, très humble constitue un modèle pour les démocraties modernes soucieuses de s'améliorer.
Un de ses points forts est de placer l'individu au coeur de la problématique, et d'en faire le premier bénéficiaire en posant qu'assortie de la responsabilité, la liberté de chacun débouche naturellement sur la liberté et le bien-être de tous.
Toutefois, à l'instar des chrétiens avec leur morale, il faut souvent trouver un compromis entre ce qu'on estime juste et bon et ce qu'on est capable de s'imposer à soi-même. Plus la distance est grande entre les deux et moins la condition humaine a de chances de progresser.
En définitive il est probablement raisonnable de ne pas avoir un idéal trop haut, mais de s'y tenir et d'y tendre de manière pragmatique et critique.

On n'est pas couché devant la pensée unique


Laurent Ruquier a beau être un animateur pétulant, un humoriste talentueux, dans le registre des idées, il manifeste malheureusement un conformisme et une étroitesse d'esprit affligeants.
Comme les paons font la roue il affiche fièrement ses opinions politiques « de gauche », alors que personne ne les lui demande, et tolère hélas difficilement tout avis contraire surtout de droite.
Nous avons pu nous en rendre compte une fois encore samedi 20 janvier.
Abusant sans vergogne de sa position dominante, Laurent Ruquier s'est livré au lynchage médiatique en règle du malheureux porte-parole de Philippe de Villiers.
Il s'en est donné à coeur joie, aidé par un public docile, applaudissant comme une claque sans cervelle la moindre de ses réparties et huant l'accusé dès qu'il ouvrait la bouche. Un feu d'artifice de quolibets et de vannes à deux balles pour tenter de couvrir de ridicule « l'invité » pris au piège. Pensez donc, il le tenait par où ça fait vraiment mal : le jeune homme avait milité quelque temps au Front National avant d'adhérer au MPF !
Je n'ai pas grand chose en commun avec Mr de Villiers mais cette morale à la petite semaine est usante. Lorsqu'il invita Mr Besancenot, porte parole de la Ligue Communiste Révolutionnaire, Laurent Ruquier, s'aplatit en questions crémeuses et réserves ouatées sur les mesures insensées que ce dernier se propose de mettre en oeuvre s'il parvenait à la tête du pays. Mais à aucun moment, il ne lui demanda de s'expliquer au sujet des quelques 100 millions de morts causés par l'application de la doctrine dont il se réclame...
Autre manière de faire impérialiste, au sujet de l'abolition de la peine de mort, qu'il considère comme un « progrès social » irréversible, Laurent Ruquier se croit autorisé à décréter désormais tout débat superflu.
La belle affaire ! Autant proclamer en se tapant le cul sur la glace, que les crimes n'existent plus...
C'est un peu facile et surtout c'est idiot et pharisien tant qu'on a rien à proposer de nouveau pour sanctionner la barbarie.
Bien sûr il brandit en la circonstance l'argument qui tue si je puis dire, celui consistant à invoquer le risque de condamner un innocent. C'est effectivement le seul, le vrai, surtout dans un pays comme le nôtre, où le système judiciaire s'avère régulièrement si partisan, si mauvais !
Mais ce faisant, il occulte comme souvent, le risque opposé, plus grand encore, qui conduit à relâcher un coupable pressé de continuer ses méfaits.
Hélas, comme beaucoup de gens « de Gauche », Mr Ruquier n'a de la démocratie qu'une idée très approximative. Il la considère comme un bienfait lorsqu'elle permet de limiter les scores de Villiers à 3%, mais il s'assied dessus dès qu'il s'agit de remettre en cause ce qu'il met définitivement au rang des « progrès ».
Le plus beau c'est quand ce grand coeur nous dit sans aucune gêne qu'il serait prêt à se faire justice lui-même si on touchait à sa famille, en appliquant à titre personnel, je vous le donne en mille, la peine de mort !

19 janvier 2007

Comment parler des livres qu'on n'a pas lus ?


Un livre épatant. Facile à lire, d'autant plus qu'on peut en parler sans l'avoir lu comme son titre provocateur y encourage...
Trève de plaisanterie, cet essai recèle une vraie originalité, sous-tendue par une question simple : qu'appelle-t-on lire ?
Les réponses sont en réalité complexes et dépassent la réalité triviale.
Car on peut avoir lu consciencieusement un livre et n'en avoir qu'un souvenir imprécis ou une compréhension approximative. On peut lorsqu'il s'agit d'un ouvrage en langue étrangère, en avoir une connaissance erronée par une mauvaise traduction. Et, comme le constate l'auteur, il est même « par moments difficile de savoir si l'on ment ou non quand on affirme avoir lu un livre. »
Reste que dans bien des cas, il faut pourtant bien en évoquer le contenu. Et ceux dont c'est le métier, les commentateurs, les critiques, les enseignants, ne peuvent humainement être tenus de connaître précisément la substance de tout ce dont ils sont obligés de parler.
Heureusement d'ailleurs car comme le démontre Pierre Bayard, il s'avère « tout à fait possible de tenir une conversation passionnante à propos d'un livre que l'on n'a pas lu ou qu'on a rapidement parcouru ».
D'ailleurs le raisonnement pourrait être tenu dans d'autres cas de figure : lorsqu'il s'agit par exemple de parler des films qu'on n'a pas vu, de raconter des évènements qu'on n'a pas vécu. L'ère des mass-médias permet désormais de faire tout cela sans trop d'état d'âme. Qui n'a jamais eu l'impression de pouvoir faire l'économie d'un film ou d'un livre après avoir subi un matraquage télévisé à son sujet ? Qui n'a jamais confirmé ce sentiment après coup en se disant qu'il n'avait rien découvert qui ne fut déjà dans l'impression initiale ?
Qui peut affirmer avoir pris connaissance « en profondeur » de Joyce, Hegel, Kant, Heidegger, Lowry... ou du dernier et pesant Goncourt : « les bienveillantes » ? Qui a été vraiment surpris par le contenu de films tels que « les bronzés 3 », « Camping », « King Kong » ou « Les dents de la mer »?
Enfin qui peut prétendre avoir une vision parfaiitement objective d'un livre qu'il a lu ou d'un événement qu'il a vécu ?
La morale de l'histoire c'est peut-être de conclure que la lecture, même superficielle - quoique intelligente - permette de se constituer une sorte de « livre intérieur » fait de « l'amoncellement hétéroclite de fragments de textes remaniés par notre imaginaire ».
Car en définitive, être cultivé, « ce n'est pas avoir lu tel ou tel livre, c'est savoir se repérer dans leur ensemble, donc savoir qu'ils forment un ensemble et être en mesure de situer chaque élément par rapport aux autres. »
Mais je crains d'en avoir déjà trop dit. Il serait trop bête de décourager ceux qui voudraient découvrir cet ouvrage. Lavater (que je n'ai pas lu) avait un souhait : « que Dieu préserve ceux qu'il chérit des lectures inutiles. » Cet adage ne s'applique pas au livre de Pierre Bayard...

18 janvier 2007

L'arène de France

Un jeu de mots, non pas pour aborder la gentillette émission de Stéphane Bern, mais pour qualifier la campagne présidentielle. Ne pas y voir une allusion fine à l'une des candidates, mais plutôt au joyeux bordel qui s'étale sous nos yeux.
A l'heure actuelle, environ quarante candidats potentiels, cherchent chacun les 500 rituelles signatures d'élus de la République : plus de 20.000 personnes sollicitées ! Un vrai délire...
Ce d'autant qu'on assiste par la force des choses, à une bipolarisation du débat.



D'un côté Nicolas qui met en branle une machine de compétition bien huilée, magnifiquement organisée, mais dont les chromes un peu trop rutilants, font douter de la fiabilité du moteur. Il y a comme un je ne sais quoi qui cloche dans le discours. Le candidat de l'UMP se veut libéral et moderne, mais revendique avec insistance l'héritage de Blum et de Jaurès. Il veut s'attaquer aux tabous dont le pays crève, notamment fiscaux mais se garde de remettre en cause l'impôt le plus stupide qui soit, à savoir l'ISF et reprend à son compte la notion de « bouclier fiscal » inventée par Dominique de Villepin. Comme si l'Etat, parvenu au bout de son raisonnement par l'absurde, en était réduit à prôner le principe d'une cuirasse pour protéger les contribuables de ses propres agressions !
Enfin il se dit ami de l'Amérique mais l'ensevelit dans le même temps sous les torts et l'accuse même de « violer le droit des nations ou le droit des gens !»


De l'autre côté Ségolène, dont l'ascension évoque celles des Montgolfières : c'est élégant, c'est impressionnant, c'est léger, ça paraît se jouer des lois du genre... L'ennui c'est que c'est rempli de vide, c'est fragile, ça part on ne sait trop où et ça finit parfois en torche. Il suffit d'un mari pas vraiment en phase, une déclaration douteuse de patrimoine, un mot malheureux vantant par exemple la qualité et la rapidité de la justice en Chine, ou bien d'une communauté de vue affichée au sujet des USA avec un club aussi pondéré et éclairé que le Hezbollah et patatras, la belle enveloppe se fissure, le vernis craque. Et que voit-on derrière ? Du vent. Peut-être même de la tempête...
Hélas madame Royal qui voudrait faire croire qu'elle avance sur les traces de Tony Blair a oublié un détail : ce dernier avait patiemment et en profondeur rénové son parti. Il était parvenu à en gommer tous les archaïsmes avant de pouvoir le mettre en ordre de bataille, au service d'un vrai programme, clair et pragmatique...

Autour de ces deux mastodontes, c'est la pagaille. Bayrou pérore, critique, s'insurge, brasse de l'air mais ne convainc guère. Villiers et Le Pen ressortent leur argumentaire un peu usé. L'extrême gauche encore plus rétrograde se débande derrière une multitude de petits chefs à la manière d'une armée mexicaine. Même les écologistes ne parviennent à trouver un socle commun pour se construire une crédibilité.
Bref, à mesure que le temps passe, la crainte monte que le pays soit à nouveau privé d'un vrai débat. Bis repetita non placent. Quand donc sortira-t-on de cette foutue mélasse démagogique ?

17 janvier 2007

L'Irak entre espoir et chaos


En France, rarissimes sont les voix pour croire encore à une évolution heureuse. Même Nicolas Sarkozy semble un peu lâchement s'être rallié à la position dominante, puisqu'il a cru bon dans son discours d'investiture comme candidat à la présidence de la république, de rendre hommage à Jacques Chirac pour avoir refusé d'engager la France dans ce challenge, qu'il qualifie dorénavant de « faute ».
Il n'empêche, on trouve encore quelques esprits courageux ramant contre la marée défaitiste de la pensée unique. Par exemple Ivan Rioufol dans sa chronique au Figaro (12/01) dans laquelle il se prend à imaginer « qu'une raison, une seule, peut faire réussir l'ultime plan Bush, qui veut responsabiliser les Irakiens : ceux-ci ne peuvent se reconnaître dans la caricature qu'ils donnent au monde, d'un peuple musulman s'entretuant et refusant la liberté et la démocratie. »
Autre voix, celle d'Alexandre Adler qui dans le même Figaro (14/01) se fait l'avocat du président américain. Il constate en premier lieu que si les critiques pleuvent dans le camp occidental, pas un pays proche de l'Irak ne proteste contre l'envoi de nouvelles troupes américaines. Probablement parce qu'en réalité, aucun d'entre eux n'a intérêt à ce que la situation tourne à la guerre civile totale. Et aucun n'a les moyens d'intervenir avec plus de succès que l'Amérique dans ce terrain miné.
Adler voit en revanche se dessiner l'ébauche d'un consensus de raison.
D'un côté, « le bloc sunnite modéré tout d'abord qui se groupe autour du roi d'Arabie et inclut la monarchie jordanienne, les orphelins de Hariri au Liban, le Fatah en Palestine ». De l'autre, « les modérés iraniens, qui procèdent calmement et systématiquement à l'encerclement politique de leur président énergumène Ahmadinejad », et qui pourraient « accepter tacitement l'écrasement des hommes de Sadr qui n'ont de rapport à Téhéran qu'avec l'extrême droite chancelante des hodjatieh ».
Dans ce contexte, selon Adler, « si les Américains agissent à présent non pas en missionnaires allumés d'une démocratie inexistante mais en brokers honnêtes des intérêts à long terme des modérés saoudiens et iraniens, ils peuvent encore se sortir d'Irak la tête haute. »
Puissent ces observateurs avoir raison.


Leur analyse paraît en tout cas conforme à la logique développée par madame Rice lors de son récent voyage dans la région, qui esquisse les contours « d'un autre Moyen-Orient, dans lequel il y aurait véritablement un réalignement des forces », entre d'un côté « des réformateurs et des dirigeants respon­sables » en Israël, Jordanie, Égypte, Irak, Arabie saoudite ou les Territoires palestiniens et, dans le camp adverse, « des extrémistes de tout calibre qui utilisent la violence pour propager le chaos, saper les gouvernements démocratiques et imposer leurs programmes de haine et d'intolérance ».

En définitive, dans cette douloureuse affaire, l'attitude de notre pays, notamment de ses gouvernants attachés aux sondages d'opinion comme des toutous à leur gamelle, est décidément désolante. Il ne suffit pas de dire que les Américains ont fait une faute. Il ne suffit pas de clamer qu'on veut parler « toujours à l’Amérique comme une amie », et prendre un ton un peu supérieur pour lui dire « toujours la vérité » et « lui dire non quand elle a tort », « quand elle viole le droit des nations ou le droit des gens qu’elle a tant contribué à forger, quand elle décide unilatéralement, quand elle veut américaniser le monde alors qu’elle a toujours défendu la liberté des peuples. »
On sait bien que c'est dans les difficultés qu'on reconnaît ses vrais amis. Je ne sais si l'Amérique finira par obtenir un succès dans l'objectif ambitieux qu'elle s'est donné. Ce qui est certain c'est qu'elle ne devra rien à la France...

15 janvier 2007

Morituri te salutant


Plusieurs évènements récents amènent à se pencher une fois encore sur la légitimité de la peine de mort, en essayant d'éviter de tomber dans les lieux communs de la sensiblerie ou dans des a priori par trop idéologiques :
- Saddam Hussein au terme d'un long procès a fini sa vie au bout d'une corde.
- Aussi incroyable que cela paraisse, dans notre bonne ville de Rouen, un détenu après avoir tué son voisin de cellule s'est livré sur lui à des actes de cannibalisme !
- Enfin, le président de la République s'est donné parmi ses dernières missions régaliennes, celle d'inscrire dans le marbre de la constitution française l'abolition « définitive » de la peine capitale.
La France est bien vertueuse. Certaine de détenir la vérité intangible en la matière, elle se répand en leçons à qui veut les entendre. Peut-être est-elle d'autant plus arrogante qu'elle a beaucoup à se faire pardonner.
N'est-ce pas elle qui scella il y a deux siècles à peine, avec le « sang impur » de gens trop bien nés, les fondations de sa grotesque première république ?
N'est-ce pas elle qui en 1793, fit de la terreur un système de gouvernement, et qui en abandonna la responsabilité à une bande d'abrutis « barbouilleurs de lois » avides avant tout d'ordonner « l'interruption de vie » de tous les malheureux dont le seul crime était de penser différemment d'eux. Les colonnes infernales de Vendée, les ignobles mariages républicains de Carrier à Nantes, les tribunaux expéditifs de Fouquier-Tainville, la folie purificatrice des Robespierre, Saint-Just et autres Marat, tout cela n'est pas si loin.
Pour paraphraser l'infortunée madame Rolland, combien de crimes l'Etat a-t-il commis au nom de la Liberté chérie ?
Il n'y a guère plus de 50 ans, après la libération du pays de l'occupation nazie, n'est-ce pas en France encore qu'on vit, suite à des accusations non vérifiées, ou à des ragots inspirés par le plus vil des désirs de vengeance, des femmes humiliées, violées, tondues, des exécutions sommaires, et le retour de sinistres tribunaux d'exception assassinant « légalement » à tour de bras des gens au motif le plus souvent douteux « d'intelligence avec l'ennemi » et des écrivains pour simple délit d'opinion : Paul Chack par exemple fusillé parce qu'il était anti-bolchévique, ou encore Robert Brasillach, condamné à mort pour quelques phrases insensées, le jour même de l'ouverture de son procès, après une délibération de vingt minutes !
Très indulgente avec son passé, la France condamne aujourd'hui avec la plus ferme intransigeance les Etats-Unis qui avaient pourtant aboli la peine de mort depuis beaucoup plus longtemps qu'elle (dès 1840 pour le Michigan !) et qui de toute manière en avaient toujours fait un usage plus parcimonieux que l'ensemble des pays européens.
L'Amérique a cru bon de rétablir ce châtiment en 1976. Encore faut-il préciser que l'application de cette décision résulte d'un processus parfaitement démocratique, qu'elle ne concerne que 38 états et qu'elle est toujours susceptible d'être revue en fonction des circonstances. Ce qui fait en effet la particularité des Etats-Unis, c'est qu'ils évitent d'ériger en loi de simples préjugés, et surtout qu'ils respectent autant que faire se peut, la volonté populaire.

L'arrogance de nos dirigeants actuels apparaît bien éloignée de l'humilité de ceux qui envoyèrent Tocqueville en Amérique en 1830 pour analyser sans a priori son système pénitentiaire et qui virent revenir un sage, heureux d'avoir découvert... la Démocratie !

Chacun sait qu'en France la peine de mort a été abolie contre l'opinion majoritaire des Français.

Et bien que les choses soient donc en passe d'être entérinées sans retour par un Pouvoir imbu de ses certitudes, il est permis de continuer à s'interroger sur cette problématique qui confine au fait de société.
Le terrain est plutôt miné si je puis dire, tant il contient de pseudo-évidences qui constituent autant de chausses-trappes sur le chemin d'un raisonnement serein.
Soyons clair : il est a peu près aussi facile d'être contre la peine de mort que d'être contre la guerre et aussi difficile de proposer dans les deux cas des solutions de rechange crédibles. Au surplus, que l'on soit pour ou contre, dans tous les cas, l'horreur est souvent au bout du chemin. Le choix n'est donc pas manichéen et personne ne peut en la circonstance s'accorder par avance de brevet de bonne moralité.
Les abolitionnistes les plus résolus sont souvent les mêmes qui jugent barbare l'incarcération à perpétuité, et qui s'élèvent vigoureusement contre la construction de prisons au motif que cela empêcherait celle d'écoles ou d'hôpitaux.
Si l'on adopte ce point de vue, il ne reste plus guère d'alternative pour empêcher les meurtriers de nuire ! Sans compter que c'est avec de tels principes, pour le moins hypocrites, qu'on aboutit au surpeuplement et à la dégradation des conditions de vie en milieu pénitentiaire, dont notre pays affiche la triste réalité.
En matière de justice, il paraît indispensable d'éviter tout argument instinctif et le citoyen, lorsqu'il raisonne sur le sujet, se doit absolument de tenter d'extraire sa problématique personnelle du débat. Bien qu'il soit vain de gommer toute préoccupation morale, le souci primordial est d'ordre pragmatique et se résume à une question simple : comment protéger la société, et notamment les plus faibles de ses membres, des agissements de criminels odieux ?
Tant qu'il est impossible de parvenir à changer le comportement de ces derniers sans pour autant dégrader leur personnalité donc l'essence de leur individu, il faut bien se résoudre à les tenir à l'écart de leurs victimes potentielles. La récidive apparaît en effet comme un échec cuisant pour tout système de justice digne de ce nom.
Et lorsqu'on est convaincu que ce risque est majeur, il ne reste qu'une alternative : soit les emprisonner à vie, soit les condamner à mort.
Vu le caractère aléatoire des expertises psychologiques, et compte tenu des données de l'expérience, la moins mauvaise méthode pour jauger ce risque est de l'évaluer en proportion de l'énormité et du degré de préméditation des crimes commis.
Il découle de ce constat qu'en tout état de cause le champ d'application des châtiments suprêmes ne peut qu'être extrêmement restreint. Il exclut à l'évidence les délits d'opinion, et la plupart des crimes passionnels. Restent toutefois passibles de telles sanctions dans une société de liberté et de responsabilité, les crimes terroristes ou pervers.
Plusieurs objections cruciales sont habituellement faites lorsqu'on aborde le sujet de la peine de mort :
-le risque de condamner à tort un innocent
-la cruauté du châtiment
-La valeur sacrée de la vie
Il est certain que la perspective de l'erreur judiciaire est épouvantable. C'est probablement l'argument principal contre la peine capitale et comme on peut le lire sur le site Wikipedia à propos de cette problématique aux USA: « Le meilleur espoir des abolitionnistes pour espérer faire basculer l'opinion publique en leur faveur demeure la première preuve formelle d'un innocent exécuté par erreur. »
Ce risque est toutefois à mettre en balance avec son opposé, sans doute plus grand, qui consiste à relâcher un criminel, faute d'avoir pu collecter assez de preuves contre lui. Dans les deux cas, il s'agit d'une grave défaillance de la justice. Bizarrement – probablement parce que les effets désastreux sont directement palpables – elle s'avère beaucoup plus troublante dans le premier cas que dans le second. Pourtant la gravité est la même et surtout les conclusions à en tirer sont similaires : ce n'est pas parce qu'on risque de relâcher un assassin qu'il faut garder emprisonnés tous les suspects, et ce n'est pas davantage parce qu'on craint de condamner un innocent qu'il faut cesser de châtier les coupables.
De toute manière, l'abolition de la peine de mort ne prémunit aucunement contre l'erreur judiciaire. On objectera qu'elle a un caractère moins irréversible. Mais sachant la difficulté qu'il y a de remettre en cause un verdict, la perspective d'emprisonner à vie un innocent n'est-elle pas effroyable ? Il suffit d'imaginer le tourment incessant dans la tête du malheureux pour supposer qu'il puisse en venir à souhaiter plutôt mourir...
Ce sont d'ailleurs parfois les détenus qui réclament davantage de courage et de détermination de la part de ceux qui les jugent.
On se souvient de
Gary Gilmore qui en 1976, au moment où la peine de mort était rétablie aux Etats-Unis, refusa tout recours après son jugement et demanda à être exécuté plutôt que de croupir le restant de ses jours en prison.
En France, en janvier 2006, le journal Le Monde publia la pétition de prisonniers condamnés à de longues détentions, qui demandaient le rétablissement de la peine capitale, qualifiant l'emprisonnement de « cruel et hypocrite »...
On pourrait enfin évoquer le choix de
Socrate, qui bien qu'injustement condamné, préféra la mort à l'exil.
Reste la corde sensible de « la valeur sacrée de la vie » que d'aucuns font vibrer avec émotion. Non sans raison car il est vrai qu'il n'est pas dans la nature de la justice d'être cruelle, ni même vengeresse.
Mais en vérité, lorsque la culpabilité ne fait aucun doute, le respect de la vie peut sembler un piètre argument s'il s'agit de celle de brutes inqualifiables qui méprisent généralement jusqu'à la leur, à la manière des kamikazes.
Il paraît d'ailleurs assez incongru dans la bouche d'abolitionnistes qui affirment dans le même temps qu'ils seraient prêts à se faire meurtriers eux-mêmes si on touchait à l'un de leurs enfants... Ou bien lorsqu'ils en font si peu de cas à propos de l'avortement pour convenances personnelles et de l'euthanasie des personnes âgées ou handicapées au motif que ces dernières auraient donné leur accord...
Ces dérives bien intentionnées font froid dans le dos dans une société qui paraît s'enfoncer dans un hédonisme et un matérialisme croissants.
C'est pour toutes ces raisons qu'il paraît un peu vain aujourd'hui de s'apitoyer sur le sort de Saddam Hussein. Certes les conditions de son exécution furent assez déplorables mais sa culpabilité ne faisait aucun doute, son procès fut correct et en définitive le châtiment fut à la mesure des atrocités auxquelles il s'était livré en toute conscience depuis des décennies.
L'affaire du détenu cannibale incite elle à se poser des questions sur les conditions de détention en France. La survenue d'un tel évènement est une honte pour notre système pénitentiaire. Par la même occasion on peut s'interroger sur le devenir d'un monstre capable de tels actes...
En définitive, devant un monde aussi brutal et chaotique, il semble bien téméraire et présomptueux de décréter qu'on puisse définitivement abolir la peine de mort. Il faut sans nul doute tendre vers ce but comme il faut tendre vers la paix perpétuelle, mais il est hélas illusoire d'en faire dès à présent un acquis.

09 janvier 2007

George W. Bush est-il aussi mauvais qu'on le dit ?


On connaît l'appréciation péjorative et sans nuance portée par nombre de Français sur le président américain. Tellement péjorative qu'elle autorise le Parti Socialiste dans sa torve dialectique, à faire aujourd'hui de Bush un épouvantail anti-Sarkozy ! Degré zéro de la politique...
Mais, s'agissant de ceux qui sont de bonne foi, leurs critères de jugement sont-ils suffisamment objectifs et connaissent-ils vraiment la réalité américaine ?
Quelques chiffres glanés ici ou là dans la presse m'incitent à penser que non. Comme en général le jugement porté en France sur le chef de l'Etat et sur les politiciens n'est guère meilleur, il ne paraît pas inutile de préciser ici quelques faits difficilement contestables dans l'espoir de contribuer à faire évoluer un tant soit peu les mentalités.

Dans le Figaro : L'économie américaine a plutôt bien fini l'année 2006. Le nombre de créations nettes d'emploi en décembre est de 167.000 portant à 1,9 millions le total pour l'année 2006. Le taux de chômage est de 4,5%. Depuis août 2003 l'économie américaine a ainsi créé 7,2 millions d'emplois, ce qui dépasse le bilan de l'Europe et du Japon réunis !
En dépit d'une certaine récession du marché immobilier et des fluctuations du cours des matières énergétiques, le taux de croissance du PIB s'est maintenu au dessus de 3% à l'issue des quatre derniers trimestres (à peine 2% en France).
S'agissant du pouvoir d'achat (de la « vie chère » comme dirait madame Royal dans son volapük racoleur), le bilan et les perspectives pour 2007 paraissent plutôt flamboyants par rapport à ce qu'on voit chez nous : les salaires ont augmenté en moyenne de 4,6% en 2006, tandis que l'inflation est restée stable autour de 2%.
Sur le plan fiscal, le Trésor Public américain, en appliquant une stratégie inverse de la nôtre, engrange des recettes record :+ 14,6% en 2005 et + 11,8% en 2006 malgré les baisses spectaculaires d'impôts ordonnées par George W. Bush (les économistes français avaient bien ri à l'époque sur les effets selon eux désastreux d'une telle mesure).
Parallèlement et nonobstant les faramineuses dépenses de guerre en Irak et en Afghanistan, le déficit budgétaire fédéral est tombé à 2% et devrait se maintenir à ce niveau en 2007 d'après les experts.

Dans le même temps, on apprend par le Washington Post, guère suspect de connivence avec le président actuel, que ce dernier peut s'honorer d'avoir mis en place le plus ambitieux programme d'aide aux pays sous-développés jamais vu : depuis son entrée en fonction, George W. Bush a tout simplement triplé l'aide aux pays sous-développés, portant la contribution américaine de 1,4 à 4 milliards de dollars/an.
On peut rappeler qu'il l'a amplifiée par un vaste programme de lutte anti SIDA : 15 milliards $ sur 5 ans dans le « President's Emergency Plan for AIDS Relief » (PEPFAR) et anti-paludisme : 1,2 milliards $ en Juin 2005 dans le but de réduire de 50% la mortalité dans 15 pays africains.

On se souvient par comparaison qu'en août 2006 le journal Le Monde a publié les résultats d'une étude réalisée par le Pr Stiglitz (plutôt hostile comme chacun sait à l'administration Bush) pour le Center for Global Development, un think tank américain, visant à classer les pays riches en fonction de l'aide accordée aux pays pauvres. La France était au 18è rang sur 21 ! En outre on pouvait y lire qu'elle accorde son aide à des pays "peu démocratiques et pas si pauvres", et fait partie de ceux qui vendent le plus d'armes aux dictatures..

On pourrait enfin, à condition de faire preuve d'un minimum d'honnêteté intellectuelle, porter également au crédit de l'administration américaine actuelle ses efforts colossaux pour tenter de libérer l'Irak et l'Afghanistan des odieuses tyrannies auxquelles leurs peuples étaient asservis.
Certes la réussite est encore loin d'être acquise, mais ne dit-on pas à la manière d'un proverbe, "qu'il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer"...

De toute manière, il est à craindre hélas dans notre beau pays si crédule, que la mauvaise foi et l'ignorance, cultivées avec opiniâtreté jusqu'au sommet de l'Etat, continuent encore longtemps de nier ces évidences criantes.

Je n'en voeux plus...


De cérémonie de voeux, en cérémonie de voeux, quatre mois avant la fin de son mandat Jacques Chirac ratiocine. Il est content de lui et se délivre des satisfecit de pacotille. Il pourrait pourtant se vanter avant tout de n'avoir rien fait si ce n'est un festival de ratages éblouissants (sauf peut-être son musée du Quai Branly).
Devant la fameuse "fracture sociale" il est resté aussi oisif qu'une andouille attendant d'être fumée. Et il voudrait nous faire croire qu'il a trouvé au moment de son départ, la panacée avec son gadget du « droit au logement opposable »...
En matière économique, il n'est parvenu qu'à faire croître et embellir la pauvreté, le chômage, la dette, les déficits, et la bureaucratie. Maintenant il voudrait refaire avec les charges pesant sur les entreprises, le coup du « trop d'impôt tue l'impôt » !
L'Europe, il a réussi à en démolir jusqu'à l'idée, en prenant de haut tous les pays un peu plus dynamiques et déterminés que « sa » France, ou bien en méprisant ceux qui refusaient de s'aligner sur ses positions égocentriques. Le fiasco du référendum, c'est tout de même à lui qu'on le doit avant tout, à cause de ses atermoiements et de sa vision passéiste.
Quant à l'Irak, pas un instant il ne semble pouvoir imaginer que les choses auraient pu mieux tourner s'il ne s'était ingénié à dresser une partie du monde contre les USA. De toute manière la liberté des Irakiens, ce descendant des Munichois s'en moque manifestement comme de l'an quarante.
Au Proche-Orient il semble ne rêver que d'une chose : que la situation s'envenime pour affermir sa soi-disant stature internationale ! Au point de menacer Israël de tirer sur ses avions lorsqu'ils s'aventurent en mission de reconnaissance au dessus du Liban !
Triste pitrerie... Vivement qu'elle cesse !

02 janvier 2007

Paris est une fête

Au seuil de cette nouvelle année, il paraît légitime de manifester un peu de joie et de bonne humeur. Paris que je voyais si triste il y a quelques jours est aujourd'hui plein d'illuminations. La misère est tapie dans l'ombre certes, mais en levant les yeux, les lumières de la ville sont comme autant de promesses irradiant vers le ciel.


La France est mal en point, mais tout n'est pas perdu. De ses déboires, de ses préjugés, de ses dogmes on pourrait même rire. C'est ce que fait Henri Amouroux dans une récente tribune trouvée dans le Figaro, consacrée à "l'évènement" provoqué par l'évasion fiscale de Johnny Halliday.
Evoquant le nombre croissant de contribuables assujettis à l'ISF, Amouroux constate que tout ne va pas si mal dans notre pays de cocagne puisqu'il peut s'ennorgueillir d'une vertigineuse augmentation du nombre de "riches" en très peu de temps : + 31,7% entre 2003 et 2005 !
Dans ces conditions, pourquoi ne s'offrirait-il pas le luxe d'exporter quelques grandes fortunes pour les remplacer par des nuées de nouveaux pauvres ? Pourquoi se priver d'une aussi belle perspective, qu'on imagine dans l'esprit de ces derniers, comme une sorte de nouvelle version de l'embarquement pour Cythère ? Mieux que l'El Dorado !

Dans la rubrique "Rebonds" de Libération, Arnaud Montebourg qui pratique lui l'humour très involontaire, monte sur ses grands chevaux blancs de Don Quichotte (le personnage est très tendance ces derniers temps) du Fisc. Il ne comprend pas l'attitude ingrate du chanteur vis à vis de la France "qui l'a élevé et chéri". Il ne comprend pas qu'on puisse ainsi remettre en cause à titre personnel, "les choix redistributifs du législateur" !

Pis, il semble découvrir tout à coup que derrière ce coup de Jarnac isolé, c'est un véritable exode qui s'est organisé au nez et à la barbe du Trésor Public.
Il tombe de haut le pauvre ! Citant les légions d'entreprises qui ont établi leur siège social en Suisse, il s'étrangle car dans son imaginaire de sans-culotte dandy mais un tantinet suranné, ça lui rappelle les "cortèges d'émigrés, qui pour défendre les privilèges d'une noblesse dépourvue d'esprit national, ralliaient à Coblence les armées des monarques de l'Europe en lutte contre le sens républicain de l'Histoire."
Puisqu'il est lui certain d'être sur la bonne voie, il n'envisage évidemment aucune remise en question. Au contraire, il s'insurge contre les pays "qui prétendent nous donner des leçons de modérantisme fiscal" et lance un appel solennel et véhément à la Communauté Européenne pour refuser "les abus" de "ces voisins indélicats".
Il va jusqu'à proposer un "blocus" pour "les faire plier l'échine devant les exigences fiscales" de la "République Française".
Lorsqu'on réalise que Mr Montebourg - sans particule - revendique le titre de conseiller et d'inspirateur de Mme Royal - sans couronne -, on sent d'instinct que l'avenir est entre de bonnes mains...

D'autant plus que pendant ce temps, les immeubles vacants de Paris sont "réquisitionnés" en toute impunité par les soi-disant défenseurs des sans-abri et rebaptisés avec un irrésistible sens de la dérision, "Ministère de la Crise du Logement".
Il faut préciser que le ministre de l'intérieur, candidat à la "Grande Election", et l'actuel tenant du titre, rivalisent de leur côté en propositions bien ronflantes et démagogiques "sur le droit au logement opposable". C'est tellement simple ! Comment diable se fait-il qu'ils n'y aient pas songé avant ?
Allons-y gaiement donc. Puisque nos dirigeants ont manifestement trouvé la Corne d'Abondance, il n'y a pas de doute, la vie va être belle et l'année a toutes les chances d'être - comme d'habitude - fort-minable !