30 août 2007

Riches heures en Saintonge


On laisse toujours un peu de son âme dans les lieux qu'on visite, en voyage. Lorsque ce dernier s'achève, c'est une sorte d'amertume qui nous étreint. Le sentiment de devoir, pour revenir à la réalité, arracher aux endroits fraîchement quittés, cette partie de soi qui semble vouloir y rester cramponnée.
Il y a quelques jours à peine je me promenais au coeur de la Saintonge. Cette région me séduit à chacun de mes passages et c'est à grand peine que je dois m'en extraire. J'aime son calme et sa tranquillité. Grossièrement traversée par un axe qui va de Saint-Jean d'Angély à Talmont sur la Gironde, elle a son coeur à Saintes. Cette dernière, lovée dans les méandres de la Charente, semble vivre au rythme tranquille des eaux du fleuve, sous le regard impassible de Bernard Palissy, l'enfant du pays qui ne ménagea pas sa peine pour trouver le secret de la faïence émaillée.


En longeant la rive, le soleil estival donne aux amples perspectives un éclat doré délicat, qui rejaillit de la belle pierre blanche des bâtiments. Dans les rues, les maisons cossues et bien proportionnées abritent de jolis magasins et les principaux services publics sont également richement logés. Sur les rives du fleuve de vastes jardins fleuris invitent au repos et à la réflexion. On trouve dans cette cité la trace de son histoire antique : l'Arc dédié à Tibère et Germanicus, ou bien encore les restes du grand amphithéâtre romain. De ce dernier on aperçoit la flèche de l'église Sainte-Eutrope. Elle rappelle la ferveur religieuse de la ville, qui offrit longtemps l'hospitalité aux pèlerins de St-Jacques de Compostelle. Aujourd'hui, les édifices d'inspiration plutôt romane, sont les centres de gravité des principaux quartiers : outre Saint-Eutrope, il y a la cathédrale Saint-Pierre inachevée quoique très retouchée depuis le Moyen-Age, et surtout sur la rive droite, la magnifique Abbaye aux Dames dont la longue façade s'allonge en majesté jusqu'au noble et austère clocher de pierre, bordée par une claire esplanade juste ombragée par quelques grands arbres.
Dans la ville en fin d'après-midi règne une douce chaleur. On dîne dehors sous les mûriers, d'une salade agrémentée de fois gras et de gésiers. On savoure alors in petto les agréments de cette région privilégiée. A l'est les vignobles de Cognac. A l'ouest l'air de la mer, le réseau inextricable des parcs à huîtres, et les vestiges alanguis des lignes de défense contre les Anglais. Brouage notamment, village insolite aux rues pavées, ivres de soleil. Un axe principal traverse la cité comme une arête et se distribue en impasses bornées par les remparts « à la Vauban ». Mais ils ne veillent plus que sur des salines herbeuses à perte de vue.
Au sud c'est l'estuaire de la Gironde. J'aime me rendre à Talmont, ce petit village juché sur la falaise crayeuse, tout entier symbolisé par son adorable église, Sainte-Radegonde.
Au dessus du flux boueux des eaux, au bout de fragiles échafaudages en bois, les carrelets nostalgiques étendent leurs grandes nasses arachnéennes. Talmont est devenue hélas un haut lieu touristique. Les petites ruelles bordées de roses trémières ont vu leurs maisons peu à peu rénovées. Elles sont rutilantes mais de plus en plus livrées au commerce des babioles et des souvenirs. Je crains que ce genre de réhabilitation, pourtant bien intentionnée, ne fasse tôt ou tard, fuir l'esprit des lieux. Mais comment préserver l'existence de tels sites sans en stériliser l'âme ?

24 août 2007

Expectative


Ambiance un peu vide en France. Le premier ministre et le président se partagent les cérémonies désormais incontournables du rite compassionnel d'Etat. L'un fait des ronds en hélicoptère autour des bananeraies dévastées de la Martinique, après le passage du cyclone Dean. Il se déleste au passage de quelques vagues promesses d'indemnisation. L'autre assiste solennellement aux funérailles d'un malheureux marin-pêcheur en insistant sur sa détermination à punir les responsables de ce tragique accident. Il ne laisse toutefois guère d'espoir de réussite...
Pendant ce temps quels sont les évènements qui font l'actualité ?
Grosse émotion à propos d'une photo parue dans Paris-Match montrant le même Président de la République en vacances, à qui des journalistes bien intentionnés auraient « gommé » quelques replis de chair superflue sur les flancs. Preuve sans doute irréfutable de l'influence du chef de l'état sur la Presse !
Remue-ménage autour d'une invraisemblable prescription de Viagra faite à un délinquant sexuel pédophile récidiviste juste avant sa sortie de prison, comme s'il s'était agi de faciliter le nouveau passage à l'acte dont il n'a pas manqué de se rendre coupable... Ce fait divers relance la polémique du suivi médical des prisonniers et suscite dans l'urgence, entre autres propositions saugrenues, celle d'un « hôpital fermé » dont on ne voit pas bien les tenants et les aboutissants en la circonstance.
Controverse enfin au sujet d'une promesse électorale faite par Nicolas Sarkozy, consistant à déduire fiscalement une partie des intérêts des prêts réalisés pour acquérir une résidence principale (rien de bien original en soi, puisque tout cela existait jusqu'en 1995, date à laquelle le duo Chirac-Juppé crut bon de l'abolir). Le Conseil Constitutionnel sollicité par le Parti Socialiste – qui n'a décidément pas grand chose à proposer – a rejeté une partie du dispositif, applicable aux emprunts souscrits avant le 6 mai. Du coup le ministre planche sur une solution de contournement qui s'apparentera probablement à une nouvelle usine à gaz...
Sur le fond, pas grand changement. Avec la rentrée en fanfare du gouvernement, se profilent à nouveau le projet de « TVA sociale » et de plus en plus précisément les franchises médicales. La météo, quant à elle reste désespérément maussade. La France a connu paraît-il son été le plus froid depuis 50 ans ! A quelque chose malheur est bon : on oublie pour un temps le réchauffement climatique et le « plan canicule »....

14 août 2007

Nuages


Les nuages forment des îles
Posées sur des océans bleus,
Qui dansent au fond de mes yeux,
Au gré de cadences graciles.

Ils déchirent gaiement l’azur
De leurs contours fantomatiques,
Et sillonnent énigmatiques,
L’infini profond d’un pas sûr.

**
Trouée par des rais de lumière
Leur substance en se déchirant
Laisse se déployer en grand
De longs bras de jeune matière.

Et de ces doux enroulements,
Surgit la carte d’Italie,
Ou bien quand le sort les relie,
De bizarres animaux blancs

**
Je songe à des apothéoses
Au bout de ces trajets vainqueurs
Mais les perspectives grandioses
Ne sont rien pour ces voyageurs

Insoucieux du vent qui les mène
Ils glissent dans l’air, simplement
Comme une longue et douce haleine,
Défilant indéfiniment...

12 août 2007

L'été en pente douce


Avec l'été revient l'envie de s'évader. De se libérer des turpitudes d'un quotidien trop routinier. De se mettre en quelque sorte entre parenthèses, comme protégé des tracas de la vie. Même s'ils ne s'effacent pas totalement, même si la tragique certitude du destin reste la toile de fond plus ou moins lointaine de cet intervalle de temps suspendu, le sentiment de liberté prend le dessus et l'on se grise de la touffeur des jours et des brûlantes caresses du soleil. La nature entière s'abandonne avec délice à cette exquise langueur. Les fleurs sont comme ses pores aromatiques, par lesquelles elle semble prendre une douce et profonde respiration. Le feuillage des arbres en se balançant donne un rythme à cette tranquille pulsation.
En descendant vers le Sud, à la recherche de la chaleur et de la lumière, j'ai découvert Lodève, au pied des Grands Causses. Cette petite ville d'à peine 7000 habitants, située à une cinquantaine de kilomètres de Montpellier est arrosée par deux rivières paisibles : Lergue et Soulondre qui se rejoignent pour grossir un peu plus bas les eaux de l'Hérault. Les berges caillouteuses hébergent une humble floraison. Je ne reconnais pas tout mais je distingue des mauves sylvestres, des épilobes aux longues tiges velues, des salicaires, du fenouil et des carottes sauvages (avec une petite fleur noire au centre de l'ombellifère blanche).
Ce village est comme on dit « dans son jus ». Les ruelles étroites sont humbles, les maisons un peu décaties. Mais il est aussi de beaux corps de bâtiments aux façades cossues témoignant d'un passé plus prospère. L'ancien palais épiscopal, parfaitement rénové sert d'Hôtel de Ville. Il jouxte l'ancienne et noble cathédrale Saint-Fulcran.
Lodève est riche enfin d'un intéressant musée des Beaux-Arts. Il offre durant tout l'été une exposition de peintres impressionnistes et apparentés : la collection Oscar Ghez. Nul doute que cette région, encore préservée du tourisme, se développe prochainement.
Un peu au nord, le viaduc de Millau sera probablement une voie d'accès facile pour de futures invasions...
Nous avons dormi à l'Hôtel de la Paix. Ancien relais de poste en cours de rénovation, il donne sur la rivière. Nous avons apprécié tout particulièrement son adorable patio qui permet aux convives de dîner autour de la piscine, dans une ambiance quasi mauresque : fraîcheur de l'élément aquatique, tomettes et tons colorés, mélange d'ocre et de fuchsia. Découverte d'un vin de pays très dense et parfumé à base de Marselan, un cépage original réalisé à partir de Grenache et de Cabernet.
Le soir, l'esprit rassasié de sensations heureuses, j'en ai profité pour me replonger avec délectation dans l'oeuvre maîtresse de Lawrence Durrell, le Quatuor d'Alexandrie. Elle m'accompagnera durant plusieurs semaines. La grâce aérienne de son style, son univers très méditerranéen, syncrétisme lumineux de l'Orient et de l'Occident, en font un écrivain idéal pour une lecture estivale... Lawrence Durrell a passé les dernières années de sa vie non loin d'ici dans le Gard. Sauf erreur de ma part, il repose à Sommières...

08 août 2007

Raisons d'Etat


Un obscur agent des services secrets américains, est partagé entre les exigences de son pays et celles de sa famille. Ambiance de complot permanent, scènes en clair-obscur, dialogues à mots couverts, sentiments en demi-teintes et secrets d'alcôve. Robert de Niro crée une atmosphère. Mais hélas celle-ci s'étire interminablement, épuisant le spectateur en incessants flashbacks, et en intrigues confuses. Matt Damon est plus inexpressif que jamais et autour de lui, pas un personnage ne se détache de la triste grisaille dans laquelle se noue un drame un peu dérisoire. La reconstitution des années de plomb de la guerre froide est très soignée, mais il y a au moins une heure de trop dans cette satire pesante des méthodes de la CIA. D'autant qu'elle n'apprend pas grand chose sur le fonctionnement de ce type d'administration et compte beaucoup de clichés et d'invraisemblances.

03 août 2007

Profession cinéaste


Avec la disparition de Michelangelo Antonioni (1912-2007), c'est à mon sens un des trois piliers du cinéma italien de l'après-guerre qui s'écroule. Les deux autres, hélas déjà tombés, étaient Fellini (1920-1993) et Visconti (1906-1976). Tous trois, quasi contemporains, ont exploré des voies très différentes, mais complémentaires.
Visconti, a mis en scène la sublime et douloureuse décomposition de la beauté et le naufrage grandiose des hautes aspirations. Comme on tire le Sauternes capiteux et magnifique de la pourriture noble du raisin, il magnifia en esthète la déchéance tragique de la vie.
Fellini obsédé par la laideur et les excès du monde transcenda ces masques grimaçants pour en extraire la quintessence de l'être humain. Ses spectacles sardoniques et truculents n'étaient en quelque sorte que la transmutation comique du désespoir.
Quant à Antonioni, ce furent l'absurdité de l'existence, l'infini de la solitude, et le mystère de la disparition qu'il entreprit de décortiquer au moyen de sa caméra inquiète. On cite souvent la scène finale de Profession Reporter. Elle constitue une tentative originale pour exprimer l'inexprimable. Un sentiment d'étrangeté tranquille. La vie est là tout autour qui bruisse dans l'encadrement de la fenêtre. Mais elle s'inscrit dans une indicible absence. Celle que nous portons tous au fond de nous et à laquelle nous préférons le plus souvent ne pas penser...

30 juillet 2007

Le dernier roi d'Ecosse

Forest Whitaker fait une composition époustouflante dans ce film de Kevin McDonald, qui retrace l'accession au pouvoir d'Idi Amin Dada en Ouganda. La présence et le charisme de l'acteur parviennent même à rendre parfois sympathique ce tyran à la cervelle d'enfant. Car ce géant est une brute infâme, mais il est capable d'une chaleur et d'une candeur touchantes. Il constitue l'archétype de ces chefs d'état immatures et sans scrupule qui promettent à leur peuple un rêve magnifique, et le leur font vivre sous forme d'un épouvantable cauchemar. L'originalité du récit consiste à prendre pour témoin de ce drame, un jeune coopérant écossais en quête d'aventures, devenu par un cocasse enchaînement de circonstances, le médecin personnel du Néron d'ébène. A travers lui c'est tout l'angélisme occidental qui s'exprime. D'abord séduit, impressionné par l'animal il devient vite dubitatif quoique indulgent, puis réprobateur, et pour finir mais un peu tard (300.000 morts sur une population d'à peine 10 millions d'habitants...), franchement écoeuré.
La réalisation est impeccable, trépidante, et hormis deux scènes, évite le voyeurisme trop gore, pour privilégier l'analyse en profondeur d'un phénomène dépassant l'entendement.

Au moment de terminer cette série d'annotations filmographiques, un mot pour les deux éminents représentants du monde du cinéma qui viennent de disparaître quasi simultanément :
Michel Serrault tout d'abord, qui virevoltait avec grâce sur ce microcosme depuis des décennies. Un inimitable sens de la dérision et un humour décapant mâtiné d'un brin de cabotinage, resteront la marque de cet acteur de génie. Le détachement avec lequel il semblait considérer son métier et d'une manière générale la vie, était probablement une façade derrière laquelle il cachait ses secrets, ses questionnements, sa foi. Mais, à force d'avoir joué de pirouettes, à force d'avoir voulu être là ou on ne l'attendait pas, il risque peut-être de laisser le souvenir d'un dilettante. Bah, après tout cela n'était qu'un jeu...

Ingmar Bergman, c'était tout le contraire. La stature austère d'un chirurgien de l'âme, torturé par le mystère de l'existence, par la solitude, par l'incommunicabilité des émotions. Probablement un artiste gigantesque. Mais qui regarde encore des films aussi obscurs et mutiques que le Septième sceau, Le Silence, La Source, L'Oeil du Diable, ou Cris et Chuchotements ? Qui s'intéresse encore à ses peintures existentialistes de la vie conjugale ? Le monde, emporté dans un quotidien de plus en plus matérialiste n'a plus grand chose en commun avec cette lenteur introspective. Avec la disparition d'Ingmar Bergman c'est une porte sur l'âme humaine qui se ferme...

Love the hard way

Une impossible histoire sentimentale dans les bas fonds de New York, sur fond de délinquance à la petite semaine. Le sujet n'est pas nouveau. Les décors sordides, les malfrats minables, plus déjantés que dépourvus de morale; les lofts crasseux et les bagnoles déglinguées. Tout ça a déjà été vu et revu. Bien que la réalisation de Peter Sehr soit très honorable, cette tragique odyssée amoureuse dans la fange vaut surtout par son casting. Adrien Brody fait une composition originale de voyou triste, dont le coeur oscille entre la poésie de Jack Kerouac et le vide nihiliste. Son visage émacié, ébouriffé, long comme un jour sans pain, fait contraste avec le gentil minois de Charlotte Ayanna illuminé par deux yeux bleu transparent. L'ensemble fait un bon film, assez éprouvant tout de même à force de masochisme et d'abjection.

Mauvaise foi

En dépit des invraisemblances d'un scénario un peu à l'eau de rose, on adhère sans peine à cette bluette optimiste qui cherche à marier des opposés a priori inconciliables. Roschdy Zem démontre une certaine maîtrise dans la mise en scène, et réussit bien notamment à donner un peu d'épaisseur psychologique aux personnages secondaires ce qui est suffisament rare pour être mentionné. Il se donne évidemment le beau rôle, qu'il interprète avec brio, mais c'est incontestablement Cécile de France qui, avec sa fraîcheur et sa candeur délicieuse, donne la petite touche qui fait sortir ce film de l'ordinaire.

Célibataires

Cette comédie « sociétale » a bien du mal à décoller. Les trois quarts du film se traînent péniblement. Le scénario est inutilement alambiqué, glauque, vulgaire, et décousu. Les personnages sont franchement antipathiques. Heureusement une embellie finit par surgir dans ce cloaque désespérant et la fin, classique mais bienvenue, laissera aux spectateurs qui auront le courage d'aller jusqu'au bout un souvenir pas trop mauvais.

Bobby

Malgré un casting impressionnant, le réalisateur Emilio Estevez ne parvient à faire de ce prétentieux long métrage, qu'un pâle et inodore navet. Censé mettre en scène le dernier jour de la vie du sénateur Robert Kennedy, il s'éparpille durant près de 2 heures, en vains conciliabules au sein des habitants de l'hôtel où le candidat à la primaire démocrate, doit tenir une réunion politique le soir même. Aucun personnage n'accroche l'attention, et leurs minuscules problèmes n'éveillent pas le moindre intérêt. Quant à Kennedy lui-même, on ne fait que l'entrevoir par instants, à partir de scènes de foules filmées à l'époque. On l'entend également, débiter quelques phrases plutôt creuses et démagogiques, notamment sur la guerre du Vietnam, que son frère avait entreprise quelques années auparavant... Bref, ce tragique jour de juin 1968 s'enlise dans les sermons bien pensants et la guimauve « progressiste ». Il n'y a aucune analyse de ces évènements, aucun recul sur leur signification. Et c'est dans cette ambiance molle et alanguie, que le meurtre surgit comme une gifle, ramenant brutalement ce microcosme nombriliste à la réalité du monde.

Le voile des illusions

D'après Somerset Maugham, la douloureuse histoire d'une relation amoureuse impossible dans la Chine des années vingt au siècle dernier. Les tensions sont partout. La montée du nationalisme face àaux ingérences étrangères, les ravages du choléra dans un pays voué au culte des esprits plus qu'à celui de l'hygiène, et surtout les déchirements dramatiques d'un jeune couple de la gentry britannique formé trop vite, sans passion ni vraie affection. Contre toute attente, dans cet univers hostile peuplé de paysages sublimes mais où chaque jour apporte de nouveaux périls, l'homme distant et ombrageux et la femme volage et infidèle vont finir pas se trouver vraiment.

Il faut une certaine patience pour suivre cet éprouvante et mélodramatique rédemption tant elle est bridée par une froide pudeur et tant elle charrie de préjugés masochistes. Mais le jeu très sobre et subtil des acteurs, l'impeccable reconstitution historique, en font un spectacle digne de cet effort.

Le parfum

Au spectacle de ce diabolique parfumeur qui s'échine à extraire l'essence des femmes pour en distiller le parfum absolu, on songe évidemment au docteur Frankenstein qui voulut bâtir l'Homme idéal à partir d'un chimérique assemblage de cadavres. Dans les deux cas le rêve fou se transforme en descente aux enfers et c'est la tristesse et la désolation qui s'imposent en lieu et place de l'amour et de la beauté.

Les aventures de Jean-Baptiste Grenouille, issues de l'imagination tordue du romancier Süsskind, paraissent toutefois sordides face au désespoir prométhéen de Frankenstein, et ses bricolages monstrueux tiennent davantage de la lubie d'un serial killer sans état d'âme que d'un grand dessein romantique.

Même si la réalisation léchée du film peut opérer une certaine séduction, il est impossible d'adhérer à cette sorte de macabre passion. En fait de divine fragrance, on perçoit surtout les pestilentiels remugles qui émanent de l'univers miasmatique dans lequel évoluent des personnages falots et antipathiques. L'histoire très statique, traîne en longueur. Et lorsqu'elle s'achève, dans une grotesque transe orgiaque, on ressent avant tout un immense écoeurement.

26 juillet 2007

Like a rolling stone

Cet été la chaîne intello Arte a décidé de remonter le temps. Elle revient quarante années en arrière et plonge les téléspectateurs au coeur palpitant des années soixante. Dans un flot de vapeurs psychédéliques, ressurgissent les souvenirs éblouis d'une époque magique. On se remémore tout à coup les délices épicuriens qui accompagnèrent la vague sans précédent de plénitude et de croissance marquant l'après-guerre. Un étonnant foisonnement artistique tous azimuts. Oh bien sûr tout ne fut pas génial. Au cinéma Le Lauréat valait surtout par la prestation décalée d'un nouveau comédien prometteur, Dustin Hoffman et plus encore par la musique aérienne de Simon et Garfunkel. Même chose pour Je t'aime, moi non plus dont le slow lascif gainsbourgien allait s'insinuer dans les oreilles comme une irrésistible invitation à céder au Power of Love.
Cette ère fut avant tout musicale. Les comédies du même nom devinrent à la mode chez les hippies. Hair fut à la fois un hymne et un symbole. Comme Baudelaire, les nouveaux romantiques en plus des poèmes et des chansons, se mirent à adorer les « toisons moutonnant jusqu'à l'encolure ».
On vit au cours de gigantesques rassemblements estivaux toute une jeunesse hirsute et bigarrée s'abandonner avec insouciance à une extase collective, une sorte de féerique carpe diem semblant ne jamais vouloir finir. « Trois jours d'amour et de musique » promettaient les organisateurs du festival de Woodstock...
Cette année 2007, les vestiges redeviennent pour un moment réalité. L'île de Wight en juin fut le théâtre d'une réédition du mythique concert de 1968. On y vit même devant une foule enchantée quelques revenants : Donovan et les Rolling Stones.
Mais si les papys ont encore du jus, peuvent-ils ranimer la flamme ?
L'Histoire passe rarement deux fois les mêmes plats. Après que l'esprit du temps se soit enfui, il ne reste que son empreinte un peu défraîchie. C'est sympathique mais désuet comme tout ce qui a vécu tout en se vidant de sa substance.
Mais la relève est là. Amy Winehouse, avec son allure déjantée et sa belle voix meurtrie s'empare de la musique soul. Paolo Nutini, âgé d'à peine 20 ans, James Morrison de 2 ans son aîné, réinventent la ballade dans le genre éraillé.
Sauront-ils créer de nouvelles formes d'expression pour s'élever au dessus du statut d'épigones ?
Tout cela ne peut hélas faire oublier les drames, la drogue, les overdoses qui décimèrent une bonne partie des rêveurs des sixties. Comme si la recherche éperdue du bonheur devait se payer de son lot de malheurs.
En 1967 à Monterey éclatait dans toute sa splendeur le génie impétueux de Jimi Hendrix. Malheureusement il fut météorique. Ses frasques, débordant de vitalité, d'exubérance et d'inventivité se consumèrent en quelques années comme un panache incandescent, brûlant jusqu'à son coeur cristallin de comète.
Il périt dans les flammes de la passion comme sa guitare, sacrifiée à la fin du concert. Ce jour là, il avait montré à la fois la vigueur et la richesse de son infaillible sens de l'improvisation, mais aussi révélé qu'une indicible grâce l'habitait. En réinterprétant Like a Rolling Stone de Bob Dylan, il le transcenda littéralement. Quarante ans après, ces instants capturés par la caméra de D.A. Pennebaker n'ont rien perdu de leur force suggestive. Cette seule prestation suffirait à la gloire de l'artiste tant elle est intense, brillante et légère à la fois. A la manière d'un djinn : « de ses doigts en vibrant s'échappe la guitare ». On pourrait ajouter, « et son âme... »

19 juillet 2007

Eloge de la promenade

La charmante Evelyne Dhéliat nous annonçait il y a quelques jours qu'on allait enregistrer dans notre pays durant cette période estivale des records de froid. On pourrait même paraît-il faire du ski au dessus de 1800 mètres !
Est-ce une conséquence des gesticulations bruyantes des artistes réunis en Australie à l'initiative d'Al Gore (Live Earth) pour lutter contre le réchauffement climatique ? Est-ce un pied de nez de la Nature au gouvernement qui de son côté vient de mettre la dernière main à son rituel et emblématique « plan canicule » ? A quelque chose malheur est bon, au coeur de cet été qui pour une bonne partie de la France ressemble à l'automne, les gazons et les hortensias n'ont jamais été aussi beaux ! Naturellement, je ne parle pas ici des régions méridionales, notamment du petit croissant azuréen qui accroche si bien le soleil sur les cartes météo.
Bien qu'il faille parfois braver la pluie, c'est un fait qui commence à être connu comme vérité en médecine : la marche à pied est bénéfique pour la santé. Elle conditionne une bonne forme physique, réduit le stress, et procure un meilleur sommeil. Elle préviendrait la survenue de nombreuses maladies dont l'athérome, le diabète et même certains cancers. A coup sûr elle procure davantage de bienfaits que le jogging, et contrairement à ce dernier, elle ne fatigue ni les articulations ni le cœur. Elle permet en outre d'ouvrir les sens à l'environnement et favorise la réflexion et l'imagination.
La plupart des joggeurs semblent pressés. Ils courent sans but ni raison. Ils ne regardent généralement pas le paysage autour d'eux et souvent même isolent leurs oreilles des bruits du monde avec d'horribles casques à musique. Sur le sujet, je rejoins volontiers Alain Finkielkraut lorsqu'il évoque sans indulgence les très médiatisées trépidations sportives du président de la République et du premier ministre. Comme lui je serais presque tenté de préférer encore les promenades de François Mitterrand. Hélas, la nuée de journalistes de badauds et de courtisans entourant l'ascension de la Roche de Solutré en faisait quelque chose ressemblant davantage à une kermesse ou une étape du tour de France qu'à une tranquille déambulation spirituelle...


Celui qui marche fait corps avec la nature. Dans la campagne il salue les gens qu'il rencontre. Il regarde les fleurs et hume leur parfum. Souvent les idées naissent dans sa tête et se mettent à cheminer et à s'ordonner tranquillement au gré de ses pas.
Les exemples illustrant les vertus de la marche sur l'intellect et la réflexion sont nombreux, d'Aristote à Kant, en passant par Rousseau. Les peintres également trouvent souvent l'inspiration au cours de leur pérégrinations sur le motif. On connaît le fameux tableau intitulé « Bonjour Mr Courbet » qui vaut mieux qu'un long discours.
Pour ma part, lorsque je me promène ainsi, le paysage se confond souvent parfois ma tête avec ceux du peintre anglais John Constable.
Ces panoramas tranquilles, sis dans une paisible quiétude, s'apprécient comme de beaux fruits pleins de saveur. « Rondeur des jours », disait Giono...
On peut y sentir l'odeur de la terre et de l'herbe après la pluie. On peut y percevoir les promesses de jours sereins derrière les nuages illuminés. Ou pourrait même tenter d'y déchiffrer quelques uns des mystères de la Nature tant elle semble s'ouvrir à l'entendement sous le pinceau de l'artiste.
Constable voulait faire de l'art une science capable de nous aider à mieux comprendre la nature. Comme Locke en Philosophie, il espérait dans le domaine de l'expression picturale, appliquer la méthode de Newton : « Pourquoi ne pas considérer la peinture des paysages comme une des branches de la physique, dont les expériences ne seraient autres que des tableaux ? »

Bel objectif, d'autant plus louable qu'il ne nuisit absolument pas à l'émotion. Dans l'histoire de l'Art, Constable reste comme un des pères de l'impressionnisme. Et son talent ne se limita pas à la transposition sur la toile de paysages. Il laissa également quelques portraits. Parmi ces derniers, figure celui de sa femme très aimée, Maria Bicknell. Peint de manière spontanée et libre, ce visage révèle tout à la fois une belle intensité et une grande tendresse. Constable le garda toujours près de lui car sa simple vue disait-il, guérissait tous les maux de son âme...