19 février 2010

De la génération spontanée de l'argent (2)


Un des risques engendrés par la démonétisation de l'argent, c'est à dire par son découplage d'avec les métaux précieux, c'est de lui faire perdre, par négligence ou excès de spéculation, toute valeur.
Tant que l'argent était échangeable contre de l'or (et à plus forte raison s'il était constitué de pièces d'or), il ne pouvait comme l'a démontré Jean-Baptiste Say, tomber en dessous de la valeur intrinsèque du métal. Même en cas de crise de confiance, il restait possible d'échanger ce dernier contre des biens de consommation.
En revanche, le papier dont sont faits les billets de banque n'a aucune valeur en soi, et la monnaie totalement dématérialisée, dite « scripturale » pas davantage. Leur valeur est fondée sur la confiance qu'on a de pouvoir les échanger contre des biens. Si cette confiance vient à s'altérer, la valeur peut donc s'amoindrir jusqu'à devenir nulle.
Un retour vers le passé montre que ce genre de mésaventure n'est pas qu'un risque théorique, et l'histoire fabuleuse de John Law de Lauriston (1671-1729) est de ce point de vue édifiante.
Cet aventurier d'origine écossaise, homme d'affaires audacieux, communicant génial et spéculateur inspiré, débarqua en France au début du XVIIIè siècle, alors qu'il fuyait son pays où il avait été condamné à mort pour avoir tué un rival amoureux en duel.
A la fin du règne de Louis XIV, l'économie était quasi exsangue, cumulant les tares en tous genres :
délabrement des finances publiques et du change, rendement des impôts réduit de près du tiers, taux d’intérêt élevé, pénurie de monnaie, arrêt des activités, misère... La dette publique s’élevait fin 1715 à 2 milliards de livres. La seule charge annuelle de remboursement de la dette atteignait 165 millions de livres alors que les recettes fiscales ordinaires ne dépassaient pas 69 millions de livres !
C'est dans ce contexte climatérique, qu'il parvint à s'introduire dans l'entourage du Régent Philippe d'Orléans et à gagner sa confiance, avant de lui proposer une idée de réforme monétaire qui lui tenait à cœur depuis plusieurs années.
Le plan se déroula en deux étapes.
Law obtint dès 1716, dans le but de relancer le commerce, l'autorisation de créer une banque privée dont l'originalité était à partir d'un capital au départ assez modeste, de fabriquer des actions et du papier monnaie. Les billets de la banque étaient gagés par de l'or qu'elle s'engageait à restituer rubis sur l'ongle à tout moment aux déposants, ainsi qu'il était stipulé noir sur blanc :
« La banque promet de payer au porteur à vue livres, en monnaie DE MÊME POIDS ET AU MÊME TITRE que la monnaie de ce jour, valeur reçue, à Paris, etc.»
Le succès de l'entreprise fut immédiat, la confiance s'établit facilement, d'autant plus que les billets étaient acceptés pour l'acquittement des impôts, et les échanges commerciaux s'enflammèrent promptement. Soutenue par la spéculation sur les ressources d'Amérique que promettait de mettre en valeur la Compagnie du Mississippi rachetée par Law, la reprise économique fut bientôt réelle, et l'Etat put commencer à remplir à nouveau ses caisses.
Law fut bientôt nommé Contrôleur puis Surintendant Général des Finances, et tout se passait merveilleusement bien jusqu'au moment où le Régent ordonna la création d'une Banque d'Etat en 1719. Parallèlement plusieurs compagnies faisant commerce avec les colonies et l'étranger (Sénégal, Chine, Indes orientales) fusionnèrent pour devenir la fameuse Compagnie des Indes. La souveraineté que cette dernière avait acquise sur le port de Lorient en fit une place économique de premier plan.
Mais la nouvelle banque avait toutefois introduit un changement assez fondamental, quoique d'apparence anodin, dans sa manière de procéder. Les billets n'étaient plus échangeables contre de l'or dont le titre était garanti mais contre une autre espèce, de valeur beaucoup plus aléatoire. C'étaient encore des livres mais on ne savait pas de quoi elles seraient faites. Les billets « de confiance » portaient de fait la mention :
« La banque promet de payer au porteur à vue... livres, EN ESPÈCES D'ARGENT, valeur reçue, à Paris, etc. »
Law s'opposa semble-t-il énergiquement mais en vain, à ce changement. Il avait probablement pressenti ce qui allait arriver. Plus aucune limite ne s'opposait en effet à la fabrication de monnaie. La banque avait le monopole de l’émission des billets, et finançait l’État. Jusqu’à fin octobre 1720, Law émit près de 2,8 milliards de livres de billets, surtout des grosses coupures supérieures à 1000 livres.
A partir de 1719, les prix se mirent à flamber jusqu'à doubler et même à tripler. Law, fit dans un premier temps l’éloge de l’inflation. Mais preuve qu'il n'était pas dupe, il essaya de limiter la masse monétaire, et parvint à retirer de la circulation environ 1,5 milliards de livres.
Le cours des évènements était devenu hélas irréversible. Le doute se répandit rapidement, puis la confiance s'altéra. Ceux qui avaient le plus spéculé furent aussi les premiers à vouloir retirer leurs billes du jeu, provoquant une panique en chaine. Le 17 juillet 1720, ce fut le jour de la banqueroute définitive : après une semaine d’émeutes, et des morts, la banque avait renoncé à payer ses billets à ses guichets.
Au total, cette réforme monétaire fondée sur une monnaie d'utilisation aisée, eut le mérite initial, de relancer l'économie. Tant qu'elle resta inscrite dans des règles du bon sens et de la pondération, tout se passa bien. Malheureusement l'ivresse de l'argent facile qui avait gagné les mentalités jusqu'au sommet de l'État, le goût du lucre et de la spéculation, la firent déraper et franchir les garde-fous.
En définitive elle fut comme un feu de paille, spectaculaire mais très éphémère, faute d'avoir été assuré dans la durée par des bûches plus consistantes. Elle fut une amorce ou un catalyseur mais pas plus...
Si elle permit malgré tout d'éponger une partie de la dette d'État, ce fut en la transférant sur des intérêts privés et en ruinant de nombreux épargnants.
Et elle fit perdre durablement la confiance dans le papier-monnaie et dans l'État.
L'expérience pourtant ne servit pas de vaccination. La même erreur se renouvela au moment de la Révolution avec l'épisode désastreux des assignats. Il est donc décidément impossible de créer de l'argent à partir de rien...
Une fois encore, la morale de l'histoire peut être fournie par Jean-Baptiste Say : « Le vice de la monnaie de papier n'est pas dans la matière dont elle est faite ; car la monnaie ne nous servant pas en vertu de ses qualités physiques, mais en vertu d'une qualité morale qui est sa valeur, elle peut être indifféremment composée de toute espèce de matière, pourvu qu'on réussisse à lui donner de la valeur. Si cette valeur s'altère promptement, c'est à cause de l'abus qu'il est facile de faire d'une marchandise qui ne coûte presque point de frais de production, et qu'on peut en conséquence multiplier au point de l'avilir complètement. »

17 février 2010

De la génération spontanée de l'argent (1)


A l'occasion de la crise économique actuelle, on prend conscience tout à coup de la profondeur de l'endettement des Etats.
Étrangement, rares sont ceux qui leur en font le reproche. Nombre de gens y voient au contraire l'effet pervers du « capitalisme » et de « l'absence de régulations ». Ils préfèrent accuser en bloc « le Monde de la Finance » d'avoir causé cet état de fait.
Des économistes très en vue, tel Jean-Paul Fitoussi minimisent le phénomène en le qualifiant de normal en période de crise : il s'agirait d'un « stabilisateur automatique »...
Il n'hésite pas à affirmer par exemple , «
qu'en soi le problème grec n'est pas très grave".
D'autres, plus téméraires, nient carrément la dette et voudraient que l'Etat ignore tout simplement ses créanciers, et surtout les banques, réputées par nature malfaisantes. In fine, ils réclament même le droit pour le Gouvernement d'être son propre banquier et de pouvoir «
créer l'argent », en fonction de ses besoins.
Lumineuse idée ! Du coup, évidemment plus besoin d'emprunter et donc plus de dette ! On se demande comment on n'y avait pas pensé plus tôt.
Ce qui est sidérant avec nombre de ces théories, échafaudées en dépit du bon sens le plus élémentaire, et comme pour transformer les désirs en réalité, c'est la facilité avec laquelle elles se propagent, et l'enthousiasme avec lequel elles sont souvent accueillies. Probablement parce qu'on voudrait tous croire qu'il existe quelque part une corne d'abondance sur laquelle il suffirait de tirer pour résoudre tous les problèmes. De là à affirmer qu'on puisse effacer les dettes, fussent-elles d'Etat, comme par enchantement, il y a un abime...
Aujourd'hui, sur la théorie de l'argent, on peut dire tout et son contraire. Et les faits parfois semblent donner raison à cette déraison. Par quelle magie par exemple, l'Etat, endetté jusqu'au cou est-il parvenu à prêter de l'argent, précisément... aux banques, qui détiennent une partie de sa créance ? Mystère...
A tous ceux qui s'y perdent, on ne saurait trop conseiller le retour aux grands classiques. Par un paradoxe troublant, la France a engendré quelques uns des plus brillants économistes. Et tandis que le monde nous les envie, nous méconnaissons et méprisons opiniâtrement leur enseignement.
Il en est ainsi de
Jean-Baptiste Say (1767-1832).
On trouve dans son Traité d'Economie, quantité de règles simples, toujours valables, même en système mondialisé. Il y expose notamment « la manière dont se forment se distribuent et se consomment les richesses », et c'est aussi évident que les démonstrations d'Archimède ou de Newton.
En premier lieu, il pose que l'argent n'a pas de valeur en soi, et n'est qu'un instrument destiné à faciliter les échanges : "la quantité de monnaie dont un pays a besoin est déterminée par la somme des échanges que les richesses de ce pays et l'activité de son industrie entraînent nécessairement."
En d'autres termes, si personne n'a de richesses à échanger ou si personne ne ressent le besoin d'en faire l'échange contre d'autres, l'argent est inutile.

"Ce n'est donc pas la somme des monnaies qui détermine le nombre et l'importance
des échanges ; c'est le nombre et l'importance des échanges qui déterminent la somme de monnaie dont on a besoin.
De cette nature des choses il résulte que
la valeur de la monnaie décline d'autant plus qu'on en verse davantage dans la circulation..."
S'il est toutefois naturel que l'Etat contrôle la production de l'argent et qu'il en garantisse par son sceau l'authenticité, il est en revanche, incapable de lui conférer la moindre valeur. Le tenterait-il qu'il ne ferait que détruire les fondements même du système : "Les droits de fabrication, les droits de seigneuriage, dont on a tant discouru, sont absolument illusoires, et les gouvernements ne peuvent, avec des ordonnances, déterminer le bénéfice qu'ils feront sur les monnaies.../...
Du droit attribué au gouvernement seul de fabriquer la monnaie, on a fait dériver
le droit d'en déterminer la valeur. Nous avons vu combien est vaine une semblable prétention, la valeur de l'unité monétaire étant déterminée uniquement par l'achat et la vente, qui sont nécessairement libres.../...
Ainsi, quand Philippe 1er, roi de France, mêla un tiers d'alliage dans la livre d'argent de Charlemagne, qui pesait 12 onces d'argent, et qu'il appela du même nom de livre un poids de 8 onces d'argent fin seulement, il crut que sa livre valait autant que celle de ses prédécesseurs. Elle ne valut cependant que les deux tiers de la livre de Charlemagne. Pour une livre de monnaie, on ne trouva plus à acheter que les deux tiers de la quantité de marchandise que l'on avait auparavant pour une livre. Les créanciers du roi et ceux des particuliers ne retirèrent plus de leurs créances que les deux tiers de ce qu'ils devaient en retirer ; les loyers ne rendirent plus aux propriétaires que les deux tiers de leur précédent revenu, jusqu'à ce
que de nouveaux contrats remissent les choses sur un pied plus équitable. On commit et l'on autorisa, comme on voit, bien des injustices ; mais on ne fit pas valoir une livre de 8 onces d'argent pour autant qu'une livre de 12 onces.../...
L'argent, de quelque matière qu'il soit composé, n'est qu'une
marchandise dont la valeur est variable, comme celle de toutes les marchandises, et se règle à chaque marché qu'on fait, par un accord entre le vendeur et l'acheteur."
Enfin, l'Etat en tant que producteur et acheteur de biens peut se trouver en déficit, accumuler des dettes et même se trouver en cessation de paiement : "Une entreprise industrielle quelconque donne de la perte, lorsque les valeurs consommées pour la production excèdent la valeur des produits. Que ce soient les particuliers ou bien le gouvernement qui fasse cette perte, elle n'en est pas moins réelle pour la nation ; c'est une valeur qui se trouve de moins dans le pays."
Autrement dit la gratuité des services publics est un leurre. Tout doit se payer, à son juste prix. Les impôts et les taxes sont là pour répartir de manière équitable sur le peuple les dépenses relatives au bien commun. Ils ne peuvent avoir pour vocation de combler les trous causés par l'irresponsabilité ou la négligence, ni même prétendre à redistribuer les richesses. Lorsque la moitié de la richesse nationale est engloutie par l'impôt et les taxes, il est temps de s'alarmer. Et si l'Etat s'empruntait à lui-même, il ne ferait qu'emprunter à la Nation, qui aurait les mêmes exigences que n'importe quelle banque...
Le rôle du gouvernement est donc avant tout de veiller au grain. Il garantit la qualité de l'argent et contrôle le respect des règles de son bon usage. C'est ainsi qu'il permet à la confiance de s'installer et de perdurer : "De tous les moyens qu'ont les gouvernements de favoriser la production, le plus puissant, c'est de pourvoir à la sûreté des personnes et des propriétés, surtout quand ils les garantissent même des atteintes du pouvoir arbitraire. Cette seule protection est plus favorable à la prospérité générale que toutes les entraves inventées jusqu'à ce jour ne lui ont été contraires. Les entraves compriment l'essor de la production ; le défaut de sûreté la supprime tout à fait."
En définitive, l'Etat ne peut se soustraire aux règles dont il est le garant, et ne peut ni créer de l'argent, ni en fixer la valeur, et pas davantage déterminer les prix des biens.

08 février 2010

Tea Party


Ce que j'aime par dessus tout dans la Démocratie américaine, c'est sa capacité extraordinaire à se renouveler, à se régénérer, à entretenir sur elle-même un débat permanent, tout en restant fidèle aux principes qui l'ont fondée.
Depuis maintenant plus de deux siècles, le régime est assis sur une seule et même Constitution. Quelques amendements ont certes été nécessaires mais la base reste absolument intacte, aussi pure et brillante qu'un diamant.
Le poète Walt Whitman pensait qu'elle était faite pour durer au moins mille ans. En dépit des oiseaux de mauvais augure qui ne cessent de prophétiser « le déclin américain », « la fin de l'empire », elle tient vaillamment le coup, en même temps qu'elle diffuse sur le monde le bel idéal de la Liberté et de la poursuite du bonheur (life, liberty, and the pursuit of happiness).
L'élection de Barack Obama fut une nouvelle preuve de l'audace de cette Nation, de sa détermination à s'affranchir des tabous dans lesquels d'autres pays notamment européens, restent envers et contre tout englués.
Mais ce peuple étonnant n'a pas donné pour autant quitus au nouveau président, pour défaire l'édifice construit avec une infinie sagesse par les Pères Fondateurs. Pas plus qu'il ne pourrait tolérer qu'on en corrompit l'esprit.
Or depuis cette élection, et même un peu avant il faut le reconnaître, un certain nombre d'Américains s'inquiètent de la montée en puissance de l'Etat Fédéral, au détriment des instances régionales et locales. Ils sont effarés par l'ampleur croissante des déficits et par la centralisation bureaucratique qui gagne du terrain dans le monde des entreprises aussi bien qu'au sein de l'Etat.
Il faut dire que la démocratie qui s'est construite de bas en haut, a depuis ses débuts, habitué les individus à se gouverner eux-mêmes, sans attendre comme chez nous, tout du Gouvernement. Depuis longtemps bien sûr, ils sont acquis à la nécessité d'avoir un Etat qui rassemble leurs intérêts sous un seul étendard, mais ils ne veulent pas qu'il outrepasse les prérogatives qu'ils ont bien voulu lui conférer.
Dès les premières années de l'histoire des Etats-Unis, des débats acharnés firent rage entre les partisans d'un Etat fort, rangés derrière la bannière d'Alexander Hamilton, et ceux prônant au contraire un pouvoir décentralisé, à la tête desquels se trouvait Thomas Jefferson.
L'intelligence et l'honnêteté intellectuelle dont surent faire preuve ces deux hommes exceptionnels contribuèrent grandement à proposer en définitive, une répartition équilibrée. Et Hamilton qui n'était pas rancunier soutint même son rival lors de l'élection présidentielle de 1801.
C'est grâce à des hommes pareils qu'aux Etats-Unis, plus que nulle part ailleurs, est en vigueur le principe souverain d'une vraie démocratie, qui s'inscrit dans la belle formule de Karl Popper : « Nous avons besoin de liberté pour empêcher l’Etat d’abuser de son pouvoir et nous avons besoin de l’Etat pour empêcher l’abus de liberté »
Aujourd'hui, des groupes de pression d'un nouveau genre naissent un peu partout sur le territoire américain animés par un mécontentement commun vis à vis de l'emprise excessive de l'Etat Fédéral. Ils n'obéissent pour l'heure à aucun mot d'ordre national et recrutent dans les deux principaux camps politiques, républicain et démocrate (les premiers étant toutefois à ce jour plus nombreux).
Ils se reconnaissent sous le nom de Tea Party Groups, en mémoire de l'insurrection de 1773, contre les abus de pouvoir du gouvernement britannique. Cette rébellion qui consista pour les insurgés déguisés en Indiens, à jeter à la mer des cargaisons de thé fraichement arrivées dans le port de Boston, fut le coup d'envoi historique de la guerre d'indépendance.
Par une troublante coïncidence la manifestation la plus récente du mouvement actuel vient de conduire plus ou moins directement le parti du Président Obama à perdre le siège de sénateur du Massachusetts, dont la capitale est précisément Boston !
S'agit-il d'une vague de fond ? S'agit-il d'un puissant retour aux sources ? Ou bien comme certains le prétendent d'un simple mouvement populiste sans lendemain ?
Toujours est-il que ces gens paraissent bien décidés à faire reculer le Gouvernement dans ses projets pharaoniques de prise de contrôle, d'aide massive et de relance tous azimuts, motivés par « l'urgence de la crise ». Ils semblent également déterminés à le faire plier dans sa tentative d'étatiser davantage le système de santé et d'alourdir le poids de l'impôt et des taxes.
Tout ça est peut-être sans lendemain ou bien sera récupéré un jour ou l'autre par les partis classiques. Certains politiciens essayent déjà de surfer sur cette vague, telle Sarah Palin. D'autres soutiennent depuis quelques années déjà, des initiatives assez proches comme Newt Gingrich et ses
American Solutions. Même Obama lui-même semble avoir pris conscience du phénomène, et paraît vouloir infléchir quelque peu sa politique, notamment au sujet des banques...
L'avenir dira ce qu'il en est réellement mais nul doute qu'une fois encore l'Amérique saura montrer ce qu'elle a dans le ventre, et surtout qu'elle sait défendre ses convictions essentielles.

02 février 2010

A l'Histoire de juger...


Quoi de commun entre Dominique de Villepin et Tony Blair ?

Ils sont tous les deux nés la même année 1953, et ont tous les deux embrassé la carrière politique, qu'ils ont menée très haut, avant de la quitter sans gloire, pratiquement au même moment en 2007.
Par le fait du hasard, l'actualité rapproche à nouveau leurs destins.
ils sont tous les deux contraints de se justifier publiquement pour leur rôle dans des évènements assez anciens et quasi contemporains, quoique très différents : la ténébreuse affaire Clearstream pour Villepin, et la décision d'intervenir aux côtés des Etats-Unis en Irak pour Blair.

Et c'est là qu'éclatent toutes les différences caractérisant leurs manières respectives de concevoir l'exercice du pouvoir et surtout des responsabilités.
Dans l'affaire Clearstream, Villepin est suspecté d'avoir joué un rôle occulte visant à déstabiliser voire à évincer du jeu politicien son rival Nicolas Sarkozy. Non seulement il a nié, mais il a laissé entendre que le dindon de la farce n'était pas ce dernier mais... lui-même. Plus fort il a prétendu que sa présence sur le banc des accusés résultait de « l'acharnement » et de « la volonté d'un homme » à savoir le président en personne ! De l'art de retourner les situations...
Le procès a pourtant confirmé clairement qu'il y eut bel et bien une manipulation. Il aboutit d'ailleurs à condamner sévèrement plusieurs personnes impliquées, mais à relaxer curieusement le principal intéressé. Celui précisément à qui le complot eut le plus profité s'il avait réussi, et qui était le mieux placé pour le téléguider et l'organiser... Comme si selon la bonne vieille tradition, on se contentait de faire payer les lampistes.
Dès l'annonce du verdict, Villepin tout fringant, afficha sa satisfaction devant une forêt de micros opportunément tendus, allant jusqu'à féliciter de manière indécente le Juge pour son indépendance...
Las, deux jours à peine s'étaient écoulés qu'on apprenait que le Parquet décidait de faire appel de la décision de justice, remettant ainsi tout en cause !
Villepin, parcourant alors les plateaux télés, fort de sa verve bravache qui est sa marque, fulmina, mais toujours sans l'ombre d'une preuve, qu'une décision si hostile ne pouvait venir que de l'Elysée !
Voilà l'homme. Tout en aplomb et en infatuation, et tout en mépris hautain pour ceux qui se trouvent en travers de son chemin empanaché.
En la circonstance, ce qu'on peut lui reprocher, ce n'est pas tant sa position, qui consiste à plaider son innocence, assez naturelle en somme. Ce qui est inacceptable, c'est sa façon de porter des accusations gratuites et de les envelopper dans une emphase lyrique de mauvais goût, dès qu'il est mis en cause.
C'est avec la même outrecuidance qu'il trouva très inspiré de ridiculiser à l'ONU le gouvernement américain, qui demandait la mise sur pied d'une coalition internationale pour intervenir en Irak en 2003. Il ne lui suffisait pas alors, de donner la position de son pays (alors minoritaire au sein de l'Europe). Il fallait aussi que cela fut l'occasion de briller, en faisant étalage de sa rhétorique prétentieuse, arrogante, démagogue, et finalement très munichoise.
Il y a peu de chance qu'on lui reproche avant longtemps, d'avoir adopté cette attitude qui sans doute a compliqué la tâche de la coalition, et donné plus qu'un début d'encouragement au terrorisme et à la violence anti-occidentale...
Tony Blair est à l'opposé de ce parcours et de cette posture.
Il fut certes tentant d'attribuer son ascension rapide, avant tout à un charisme, non dénué de populisme. Mais lorsqu'il occupa le poste de premier ministre, ce fut un véritable homme d'état qui se révéla.
Avec une rare force de persuasion, il parvint tout d'abord à débarrasser l'image du parti auquel il appartenait, de toute la poussière idéologique accumulée depuis des décennies. Aucun homme politique n'avait depuis longtemps effectué un tel revirement, non pas dicté par les circonstances ou des intérêts personnels, mais par une vraie prise de conscience et des convictions sincères et pragmatiques.
Il est possible naturellement de contester le bien fondé de certains de ses choix et même de sa politique d'inspiration résolument libérale. Mais il est difficile de nier son sang froid, son courage, sa détermination et notamment sa capacité à résister à la pression populaire, lorsqu'une décision s'imposait à lui au nom du bien commun (I did what I thought was right...).
Son choix le plus controversé fut celui de soutenir la position américaine lors de l'affaire irakienne, et de s'associer pleinement à l'intervention militaire. A l'inverse des dirigeants français, il préféra rester fidèle à ses alliés naturels dans la tourmente. Il n'eut sans doute pas trop à contrarier sa nature. Sa conviction, qu'il fallait empêcher Saddam Hussein de nuire davantage, était à l'évidence chevillée en lui au moins autant qu'en George W. Bush. Et c'était bien son droit après tout.
Aujourd'hui, il doit à nouveau se justifier pour ce choix, pourtant fait en toute transparence et qui permit qu'on le veuille ou non, de donner la liberté à un peuple qui en était douloureusement privé.
Tony Blair affronte donc à nouveau ses juges, mais à l'inverse de Villepin, sans le moindre écart de langage, sans la moindre insinuation quant à leur légitimité. Il s'efforce avec patience de défaire l'argumentation de ses adversaires arc-boutés depuis 7 ans, sur le prétendu mensonge des armes de destruction massive.
Il ne se défend pourtant pas dans une sordide affaire de tripatouillage politicien, mais pour des choix stratégiques qui relevaient de son autorité et dont l'objectif n'avait vraiment rien de honteux.
Il peut donc s'interroger en son for intérieur sur la raison de ce débat interminable, remis sur le tapis alors que l'Irak devenu démocratique semble enfin sortir de la nuit dans laquelle il était plongé depuis un bon quart de siècle. Sur l'acharnement à ergoter au sujet des moyens mis en oeuvre par l'ancien dictateur pour massacrer durant des décennies des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants. Sur la mauvaise foi qui consiste à occulter les déclarations répétées à maintes reprises du même dictateur, affirmant haut et fort qu'il possédait ces fameuses armes de destruction massive, et que son intention était de s'en servir. Sur le fait même que tous les gens sensés reconnaissaient à l'époque que Saddam était maléfique et dangereux, même si rares étaient ceux qui étaient prêts à en tirer les conséquences.
Peu importe après tout. Tony Blair dans ce vrai procès en sorcellerie, reste égal à lui-même : digne et droit, sans effet de manche, sans fioriture inutile ; il plaide non pas pour sa personne mais pour l'Histoire, qui en définitive sera seule à pouvoir montrer s'il fit une erreur ou non.
Pour conclure, les deux hommes possèdent à part égale l'éloquence qui leur permet de donner du lustre à l'expression de leurs idées.
Quant à la forme je préfère évidemment au style boursouflé et nébuleux de Villepin, les phrases courtes incisives, directes et précises de Blair.
Mais sur le fond je n'ai aucun doute : c'est Tartarin contre Churchill... Dommage que l'un soit français et l'autre anglais !

29 janvier 2010

Choses vues...


Dans le tumulte de l'actualité :
On reparle des colonnes de Buren.
Alerté par les cris d'orfraie de celui qui en est l'auteur et qui exige qu'on apporte à ses œuvres le même soin qu'à celles de Michel Ange, le ministre de la Culture vient d'ordonner leur restauration intégrale. Près de 6 millions d'euros seront donc nécessaires pour ravaler ces appendices douteux, érigés prétentieusement sur 3000 m2, dans la cour d'honneur du Palais Royal. Un vrai scandale, et une nouvelle offense au bon goût commise avec l'argent des contribuables, par les satrapes de l'Etat. Qui est choqué par ces gabegies financières ?
Dans le brillant mais vain salon médiatique animé par Laurent Ruquier le samedi soir sur France 2 (23/01/10), la ministre des universités, madame Pécresse est interrogée au sujet des méfaits de la pollution. Après avoir révélé que son fils avait été victime d'une bronchiolite qu'elle rapporte sans l'ombre d'un doute aux pestilences urbaines, elle déclare tout de go, que « parfois elle a envie de crever les pneus des 4x4 » ! Bel exemple d'irresponsabilité, pourtant impensable à ce niveau. Comment faire comprendre le sens civique au peuple lorsque les ministres eux-mêmes étalent avec délectation leurs propres fantasmes délictueux. Les propriétaires de véhicules à transmission intégrale ont dû apprécier. Non seulement ils n'enfreignent aucune loi, non seulement leur responsabilité dans la survenue de bronchiolites est plus qu'aléatoire, mais quand bien même le seraient-ils, qu'ils pourraient quand même être estomaqués d'entendre un ministre songer publiquement à se faire justice soi-même...
Lundi 25 janvier, Nicolas Sarkozy sur le plateau de TF1, fait face à un panel d'une dizaine de personnes « représentatives de la société française » (11 exactement). Ou plutôt devrait-on dire des malheurs de la société française. Le Président de la République s'en sort plutôt bien. Sans doute parce qu'il a préparé minutieusement son intervention, sans doute aussi grâce à sa grande habileté à déjouer les pièges de cette prestation d'un genre nouveau. Il fait profil bas, exprime la vigueur et la sincérité de ses convictions, en même temps que son empathie pour les infortunes de ses interlocuteurs, qu'il appelle presque affectueusement par leur prénom.
Pourtant, un fait demeure : même si cette discussion à bâtons rompus passe sans véritable heurt, même si elle a le mérite de s'attaquer aux problèmes quotidiens de nombre de Français, elle n'apporte pas grand chose qu'on ne sache déjà. Surtout elle reste sur le fond très classique; à savoir, un catalogue de lamentations et de récriminations tous azimuts, auxquelles le Chef de l'Etat est tenu d'apporter à chaque fois une réponse précise et définitive. Comme s'il avait le pouvoir d'un coup de baguette, de rendre à tous ces gens le sourire, la joie de vivre et l'espérance, qui semble si tragiquement leur manquer. Autrefois, le Roi pouvait guérir les écrouelles d'une simple imposition de mains. La République moderne a renouvelé le genre mais pas l'esprit. Le Roi avait en lui une parcelle du pouvoir divin, le Président est supposé incarner le pouvoir « absolu, détaillé, régulier prévoyant et doux » de l'Etat-Providence...

26 janvier 2010

Too Big To Fail

Est-ce un revirement dans la stratégie de Barack Obama, face à la crise économique ? Est-ce un vent nouveau, qui annonce une tendance à la déconcentration des entreprises ? Est-ce la fin annoncée de la folle course au gigantisme, qu'on croit parfois mais à tort, inhérente au capitalisme voire au libéralisme (ou pire encore... au capitalisme ultra-libéral) ?
Il est un peu tôt pour le dire mais la dernière proposition du président américain consistant à tenter de réduire la taille des banques, semble une bonne nouvelle pour tout Libéral soucieux d'empêcher les abus de position dominante, et souhaitant préserver une vraie émulation en matière d'économie de marché.
En affirmant « qu'il y a trop de risques concentrés dans de trop grandes banques », et que « Plus jamais les contribuables américains ne doivent être pris en otage par des banques devenues trop grosses pour faire faillite », Obama rejoint en quelque sorte le sénateur John Sherman. Celui-ci fut l'auteur à la fin du XIXè siècle de la première grande loi anti-trust, qui conduisit le président Théodore Roosevelt à casser en 1906 le quasi monopole de la Standard Oil, fondée par Rockefeller.
Il pourrait s'agir d'une petite révolution, après tant d'années pendant lesquelles nombre de gouvernements assistèrent impuissants aux fusions d'entreprises, quand ils ne les encouragèrent pas, au nom de la religion productiviste.

En matière bancaire, non seulement la démesure nuit à la saine concurrence, mais elle a tendance à en compliquer et surtout à en déresponsabiliser la gestion. Les sociétés deviennent si grosses en effet, qu'elles se croient intouchables, et que l'Etat se fait un devoir de les secourir en cas de difficulté, par crainte que leurs déboires n'entraînent en cascade, l'effondrement du système tout entier. Le magazine The Economist pointait dans un récent numéro le fait qu'à ce jour, les quatre plus grandes banques américaines détiennent plus de la moitié des actifs de l'industrie (22/01). Qui peut prétendre rationnellement qu'il s'agisse d'une situation souhaitable ?
Jusqu'à ce jour malheureusement, le credo des Pouvoirs Publics, notamment en France, est pourtant de pousser à la concentration, au nom de l'harmonisation, de l'optimisation des coûts. Le gouvernement a récemment encouragé la fusion de la Caisse d'Epargne avec les Banques Populaires. Il y a quelques années, il avait pesé de tout son poids pour favoriser le rapprochement de la Société Générale avec BNP-Paribas.
Tout récemment, éclatait la polémique au sujet du double salaire et du cumul de fonctions de monsieur Proglio. Or derrière cette affaire, se profile l'alliance étrange des colosses EDF et VEOLIA, qui avait jusqu'à ces tout derniers jours la bénédiction du Président de la République et du ministre de l'Economie.
Banque ou pas, l'adage too big to fail s'applique à tous ces mastodontes. On a vu aux USA, comment les difficultés de General Motors ont contraint le gouvernement fédéral à s'impliquer directement dans le management du géant de l'industrie automobile. En réalité, les exemples sont légions et concernent tous les gouvernements quelque soit leur sensibilité politique. Au surplus, la tendance est identique, s'agissant d'entreprises étatisées. La fusion des hôpitaux ordonnée par la Loi HPST, la chasse aux prétendus « doublons d'activité » et la concentration du pouvoir décisionnel dans de monstrueuses Agences Régionales de Santé, relèvent du même état d'esprit.
La récente initiative de Barack Obama pourrait apporter un peu d'air frais à un univers qui semble en voie de s'asphyxier dans la pléthore et l'inertie. Elle pourrait même, à condition de faire preuve d'optimisme, être de nature à replacer l'Etat dans ses fonctions naturelles de garant des règles du jeu, et non d'entité providentielle chargée de subvenir à tous les aléas de la vie de chaque citoyen. Cela pourrait signifier, non pas le renforcement de l'interventionnisme, mais la simple promulgation de règles de bon sens, permettant précisément d'éviter l'ingérence incessante du gouvernement dans le libre jeu du marché, et l'assistance au fonctionnement du moindre des rouages de la société.
Ce n'est pour l'heure qu'une annonce. Rien ne dit qu'elle sera suivie d'effets. Rien ne dit non plus qu'elle se traduira par une mise en œuvre pragmatique, le risque étant comme d'habitude, d'en faire trop.
On dit ainsi que le président américain souhaite dans la foulée, imposer des contraintes fonctionnelles aux organismes bancaires, leur interdire notamment toute activité de spéculation sur les marchés. Il voudrait également alourdir la charge fiscale, en créant une curieuse «
taxe de responsabilité dans la crise financière ».
Il convient donc de se garder de tout enthousiasme prématuré. Mais l'espoir est quand même permis...

19 janvier 2010

Détresse et fatalité


A chaque fois que se produit un tremblement de terre quelque part sur la planète, me reviennent en mémoire les vers de Voltaire, composés après la survenue de celui de Lisbonne, en 1755.
A l'époque, ce qui insupportait l'écrivain, c'était qu'on puisse voir dans ces catastrophes, la main de Dieu. Soit pour signer une mortelle vengeance, du genre de celle qui ravagea Sodome et Gomorrhe. Soit qu'elle œuvra pour le bien et l'harmonie du monde, tout ici bas devant être périodiquement détruit et reconstruit.
On sait de nos jours qu'en fait de main, elle n'obéit à aucune volonté divine, et ne connaît ni le bien ni le mal. C'est une simple fatalité physique absolument inévitable, celle erratique des plaques tectoniques situées dans les profondeurs de la croûte terrestre. La seule chose qu'on puisse espérer est d'en mieux connaître la mécanique afin de prévoir les séismes.
Pourtant, après les ouragans, après la pauvreté, après les vicissitudes de régimes corrompus, les terribles secousses qui viennent de ravager la région de Port au Prince ne peuvent qu'interpeller, sur la raison des nombreuses infortunes endurées par le peuple haïtien. Établi dans la région idyllique des Antilles, sur la grande île d'Hispaniola, qu'il partage avec le paradis touristique de Saint-Domingue, on dirait vraiment qu'il est poursuivi par une étrange malédiction. Comment un si petit pays peut-il en effet réunir par le seul fait du hasard, autant de calamités ?
Pour l'heure, le monde est saisi de stupeur, et l'émotion est très vive. Mais au delà du nouveau drame qui vient de se jouer, comment embrasser dans une même compassion, la somme de malheurs qui s'abattent régulièrement sur cette terre ? Comment apporter une aide plus durable que celle qui consiste à panser les plaies à vif ? Comment, après avoir aidé à réparer le plus gros des dégâts, réussir enfin à en anticiper la survenue pour les minimiser autant que possible ?
Aujourd'hui on assiste à une surenchère dans la générosité. Les stars du showbiz se pressent pour donner dans un grand tintamarre doré, qui un million de dollars, qui un clip musical pour faire sortir de chacun "un euro symbolique", qui un nouveau téléthon pour amplifier la vague des dons. Pour un peu, on se sentirait tous Haïtiens...
Mais demain ? Tout sera oublié. Haïti retombera dans l'indifférence polie et sera de nouveau livrée à ses vieux démons.
L'impuissance de la communauté internationale est hélas flagrante. L'histoire de l'ex président Aristide est de ce point de vue édifiante. Cette crapule qui se réclamait de Dieu et de la «Théorie de la Libération» (mais fut exclu par le Vatican de la congrégation salésienne en 1988) affirmait en arrivant au pouvoir en 1991, vouloir tirer un trait sur le sombre passé dictatorial des Duvalier, et apporter le bonheur à « la plus ancienne république noire » du monde.
Résultat, il contribua au moins aussi largement que ses prédécesseurs au maintien de son peuple dans le dénuement, la corruption, la violence et la désorganisation.
La France et les Etats-Unis croyant bien faire, s'étaient pourtant impliqués sans ménagement et de concert, pour le soutenir, et notamment le remettre au Pouvoir en 1994 après un premier coup d'Etat, qui l'avait contraint à l'exil quelques mois à peine après sa prise de fonctions.
Après un second mandat aussi calamiteux que le premier, ils durent organiser sa fuite vers l'Afrique du Sud en 2004, alors que le pays était au bord d'un bain de sang.
Non seulement Aristide ne sut pas exploiter les soutiens qui lui furent apportés à plusieurs reprises, mais il accusa les pays Occidentaux d'avoir fomenté les coups d'état et provoqué la misère économique de son pays. Il accusa carrément les Etats-Unis de l'avoir enlevé en 2004 ! Aujourd'hui, il verse des larmes de crocodile sur son pays et annonce son intention de rentrer au pays "pour venir en aide aux victimes". Sinistre comédie...
Depuis 2004, une mission permanente de l'ONU, la MINUSTAH, et nombre d'ONG œuvrent sur place. Pourtant aucun pays, aucun organisme international n'est parvenu à sortir les Haïtiens de leur détresse et à les aider à mettre en place un gouvernement digne de ce nom.
Les palais écroulés témoignent affreusement de la vaine boursouflure du Pouvoir dans un pays où rien ne fonctionne véritablement, et où les calamités naturelles prennent chaque fois des allures de désastres. En 2006, la Banque Mondiale déplorait «l'extrême vulnérabilité face à ces événements, résultant de niveaux de pauvreté élevés, d’une infrastructure inadaptée, d’un environnement dégradé et d’une série de gouvernements inefficaces confrontés à de graves problèmes fiscaux»..
Le constat fait par Bernard Kouchner en mars 2003, rapporté par le site Haïti-Info, était encore plus édifiant : «Haïti, ce fut la première des missions que nous avons menées avec Médecins sans frontières. Déjà, à l’époque, sous Duvalier, c’était dur, très dur. On nous a accusés de n’importe quoi. Des collègues ont été emprisonnés. C’était la belle époque des «tontons macoutes». Je dis belle époque presque sans ironie, par rapport à ce qui se passe maintenant avec le président Aristide. Ce noble ecclésiastique, ancien «curé des pauvres», que, comme tout le monde, j’ai soutenu fortement et que j e connais bien, nous a obligés à avaler tellement d’horreurs en quelques années! Haïti, à ma grande honte, c’est le contre-exemple vivant du droit d’ingérence. Nous y sommes intervenus militairement, en 1994, avec le soutien de l’armée américaine et au nom de l’Onu. Pour la première fois dans l’Histoire, nous avons rétabli un président civil légalement élu dans ses droits, alors qu’il avait été chassé du pouvoir par une junte militaire. Le rêve a tourné au cauchemar, puisque, aujourd’hui, c’est encore pire qu’avant. Si l’on ne se souvient pas de cela, on ne peut pas aider Haïti - et encore moins résoudre le problème de ses enfants esclaves , parce que les Haïtiens sont aujourd’hui dégoûtés de tout. Les tontons macoutes, ces bandes de tueurs à la solde du pouvoir des Duvalier, c’était finalement un peu comme la mafia: on peut composer avec, on sait qui l’on a en face de soi. Mais, désormais, on ne peut plus circuler de l’aéroport de Port-au-Prince à son hôtel sans une garde blindée. Les immigrés n’osent plus revenir et investir parce qu’ils savent qu’ils vont être dévalisés. Par qui? Par tout le monde, y compris par le gouvernement d’Aristide. Haïti détient, avec le Burkina Faso, le record du monde du nombre d’ONG travaillant sur son sol. On y a dépensé beaucoup d’argent. Pour rien. C’est pire qu’avant. Économiquement et, surtout, moralement.»
A cause, en grande partie, de cette incurie chronique, la moindre tempête tropicale fait des centaines de morts et des dizaines de milliers de sans-abri. Le tremblement de terre du 12 janvier, qui dans une ville préparée, devrait ne faire qu'un nombre limité de victimes, risque d'en causer plusieurs centaine de milliers...
Si au moins cette catastrophe pouvait conduire la communauté internationale à offrir une vraie tutelle à ce pays dévasté, si au moins les nations développées pouvaient prendre conscience de l'importance qu'il y a de l'accompagner durablement, et avec détermination pour l'amener sur la voie du vrai progrès. Et pour faire mentir le terrible constat fait récemment par l'économiste d'origine zambienne Dambisa Moyo, pointant sévèrement les lacunes de l'aide internationale et l'accusant in fine de faire plus de mal que de bien.
Mesurant l'ampleur de la tâche, les Etats-Unis semblent décidés à s'installer pour coordonner d'une main ferme cette reconstruction, mais déjà on entend les voix s'élever contre l'impérialisme, contre une nouvelle « occupation »... La misère est-elle donc une fatalité ? Ou bien l'enfer serait-il donc comme on le dit, pavé de bonnes intentions ?
*****
O malheureux mortels! ô terre déplorable!
O de tous les mortels assemblage effroyable!
D'inutiles douleurs éternel entretien!
Philosophes trompés qui criez: "Tout est bien"
Accourez, contemplez ces ruines affreuses
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,
Ces femmes, ces enfants l'un sur l'autre entassés,
Sous ces marbres rompus ces membres dispersés;
Cent mille infortunés que la terre dévore,
Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,
Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours
Dans l'horreur des tourments leurs lamentables jours!
Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,
Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous: "C'est l'effet des éternelles lois
Qui d'un Dieu libre et bon nécessitent le choix"?
Direz-vous, en voyant cet amas de victimes:
"Dieu s'est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes"?
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et sanglants?
Lisbonne, qui n'est plus, eut-elle plus de vices
Que Londres, que Paris, plongés dans les délices?
Lisbonne est abîmée, et l'on danse à Paris.
Tranquilles spectateurs, intrépides esprits,
De vos frères mourants contemplant les naufrages,
Vous recherchez en paix les causes des orages:
Mais du sort ennemi quand vous sentez les coups,
Devenus plus humains, vous pleurez comme nous.

16 janvier 2010

La Connaissance Inutile


« La première de toutes les forces qui mènent le monde est le mensonge. »
C'est ainsi que débute l'un des essais les plus décapants de Jean-François Revel : La Connaissance Inutile. Écrit en 1988, il s'attaque au paradoxe moderne très étonnant, qui voit se multiplier les sources d'informations, et s'en généraliser l'accès, tandis que persiste et semble même s'amplifier, la tendance aux rumeurs, aux interprétations, et à la méconnaissance générale des réalités tangibles.
Lorsque les faits sont exposés au grand jour, que la pluralité des médias permet de croiser les informations pour en vérifier la véracité, et qu'ils restent malgré tout méconnus voire niés, peut-on encore parler d'ignorance ? Ne s'agit-il pas de négligence à s'informer, voire de mauvaise foi ? Il n'est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, dit-on...
« Nul n'est méchant volontairement », prétendait de son côté Socrate, ajoutant «qu'on ne commet de faute que par ignorance ». Mais si cette dernière est devenue quasi impossible à plaider dans une démocratie moderne, la notion de mal reprend alors toute sa signification... Et c'est vers le concept de mal radical kantien qu'il faudrait alors se tourner, pour restaurer un certain Bien, fondé sur la morale et la responsabilité.
Si le propos du livre concerne essentiellement la seconde moitié du XXè siècle, force est de constater que les faits récents semblent confirmer de manière éclatante l'analyse. Un seul exemple: la polémique sur les attentats du 11 septembre 2001. Ces tragiques évènements ont fait l'objet d'une médiatisation extrême. Tout ou presque a été décortiqué, filmé, et rendu public. Des Commissions d'Enquête multipartites ont été formées pour analyser et reconstituer l'enchainement des faits. Leurs conclusions sont aisément disponibles pour tout un chacun. Pourtant, c'est peu de dire que le doute quant aux évènements et plus encore à leurs causes reste solidement installé dans une frange importante de la population.
Dans cette faillite de l'esprit critique, les citoyens sont en l'occurrence naturellement visés par Revel : « Chacun de nous doit savoir qu'il possède en lui cette capacité redoutable de construire un système explicatif du monde et en même temps une machine à rejeter tout effet contraire à ce système », et « Chaque homme incline à penser que sa cause, politique, religieuse ou idéologique, justifie moralement toutes les tromperies. »
Au surplus, c'est le public qui conditionne peu ou prou la qualité de l'information, par l'usage qu'il en fait. C'est par exemple « en chacun de nous, qu'il faut chercher la cause de la suprématie des journalistes peu compétents peu scrupuleux. L'offre s'explique par la demande. »
Cela dit, les Intellectuels, les Enseignants, les Journalistes, les Politiciens sont évidemment les plus sévèrement tancés. Schématiquement, ils devraient mieux assumer la responsabilité morale qui leur incombe (on dit aujourd'hui « l'éthique ») et s'astreindre au devoir d'objectivité. Revel détaille ainsi un certain nombre des missions qui s'imposent à eux et qu'ils remplissent pour l'heure très insuffisamment, voire pas du tout.
En premier lieu, faire en sorte de pérenniser la démocratie.
« La démocratie ne peut pas vivre sans la vérité, le totalitarisme ne peut pas vivre sans le mensonge ; la démocratie se suicide si elle se laisse envahir par le mensonge, le totalitarisme s'il se laisse envahir par la vérité. »
L'essayiste fustige ici tout particulièrement la tendance marquée à la complaisance vis à vis de régimes abjects et plus généralement vis à vis de gens exprimant en paroles ou bien en actes, une haine profonde de la démocratie. Force est de reconnaitre que l'indulgence est particulièrement marquée pour des régimes soi disant "progressistes", revendiquant leur orientation politique à gauche. L'auteur émaille son analyse de nombreuses illustrations, mais une des plus percutantes et des plus actuelles concerne la crédulité opiniâtre manifestée vis à vis de certains dictateurs accusant le monde occidental de tous les maux tout en appelant sans vergogne à sa générosité. Les grandes famines des années passées en Afrique, donnent lieu à une diatribe virulente démontant la mécanique perverse qui trop souvent les sous-tend : « Vous attendez que se mette en route une bonne famine, ce qui, par l'effet stérilisant de votre propre politique agricole, ne saurait manquer de se produire, pour peu que le ciel vous vienne en aide en retenant la pluie. Trois quarts de socialisme et un cas de sécheresse feront l'affaire. Quand la famine est bien installée, vous commencez par la dissimuler un an ou deux au reste du monde, ce qui vous est d'autant plus facile que vous contrôlez tous les déplacements des étrangers sur votre territoire. Vous la laissez se développer, grandir, exploser jusqu'à ce qu'elle atteigne à l'ampleur et à l'horreur qui commotionneront l'opinion internationale. À ce moment-là, vous frappez le grand coup : vous accordez un scoop à une équipe de télévision étrangère. Elle filme un lot de ces enfants décharnés que vous avez savamment multipliés. Diffusée à une heure de grande écoute par une BBC ou une CBS quelconque, le reportage plonge les téléspectateurs capitalistes dans l'épouvante et la compassion. En 48 heures, il fait le tour des écrans de la planète. Simultanément et c'est un élément essentiel de la préparation, vous accusez avec véhémence les gouvernements capitalistes d'avoir intentionnellement refusé ou retardé les secours, parce qu'il ne voulaient pas aider un pays progressiste. Ce réquisitoire est aussitôt repris et orchestré par les organisations de gauche dans les pays démocratiques et par les églises. Les gouvernements occidentaux se retrouvent, en un clin d'oeil, mués en vrais responsables de la famine que vous avez provoquée. L'argent et les dons, publics et privés, affluent du monde entier. »
En réalité Revel pointe ici l'exploitation de la mauvaise conscience de l'Occident. A l'occasion du prétendu réchauffement climatique, sur le dos duquel certains profitent pour mettre pas mal de leur propre incurie et négligence, on peut assister à la mise en branle d'une mécanique somme toute assez proche.
L'intoxication partisane et l'asservissement à l'Idéologie
Revel s'attaque principalement à la sympathie injustifiée dont continue de jouir le Socialisme, et à la tendance durable à occulter les méfaits de cette idéologie et les forfaits des régimes dont il se réclame. Selon son appréciation, il fut un temps ou la malhonnêteté intellectuelle s'exprimait plutôt à droite ou, du moins, était équitablement répartie. « Depuis 1945, cet élément essentiel du bonheur humain est égoïstement monopolisé par la gauche.../.. Quel marxiste songe à constater qu'au long du XXe siècle les injustices sociales se réduisent dans les sociétés capitalistes et s'aggrave dans les sociétés socialistes ? »
Probablement, l'idéal révolutionnaire auquel le socialisme est parvenu à attacher ses étendards explique la mansuétude avec laquelle on le considère généralement, en dépit des horreurs commises en son nom : « les circonstances dans lesquelles s'installe un régime révolutionnaire sont toujours exceptionnelles et défavorables, ce qui interdit de le juger sur ses actes, tout en justifiant ceux-ci. »
Même un authentique rénovateur, tel que Gorbatchev, reconnaissant implicitement par son action, l'échec du régime soviétique, croit bon de le dédouaner quand même, de ses responsabilités écrasantes : « Ce n'est pas au Socialisme que l'on doit imputer les difficultés rencontrées dans leur développement par les pays socialistes » écrivait-il dans son livre publié en 1987, « Perestroïka ». Autant dire que ce n'est pas à l'excès d'eau qu'on doit les inondations...
En définitive, à travers l'histoire du Socialisme, c'est l'assujettissement à l'idéologie que Revel condamne sévèrement : "Qu'est-ce qu'une idéologie ? C'est une triple dispense : dispense intellectuelle, dispense pratique et dispense morale."
"La première consiste à retenir les seuls faits favorables à la thèse que l'on soutient, voire à en inventer de toutes pièces, et annihiler les autres, à les omettre, à les oublier, à empêcher qu'ils soient connus."
"La dispense pratique supprime le critère de l'efficacité, ôte toute valeur de réfutation aux échecs."
"La dispense morale enfin, abolit toute notion de bien et de mal pour les acteurs idéologiques ; ou plutôt, chez eux c'est le service de l'idéologie qui tient lieu de morale."
Il rejoint ainsi la thèse de Camus, développée dans L'Homme Révolté.
Parmi les transgressions de la vérité, Revel flétrit également la manière qu'ont certains d'exploiter une cause juste mais en la dévoyant, jusqu'à attiser les haines et in fine aggraver les choses. Il prend ainsi l'exemple du mouvement SOS Racisme, créé à des fins stratégiques douteuses, et qui a « souvent mené des campagnes dont le message principal était moins l'obligation morale de la compréhension mutuelle entre Français et Africains que l'excommunication des Français en tant qu'infâmes racistes tout juste bons à s'inscrire aux sections d'assaut hitlériennes. »
Cette tactique « va tout à fait à l'encontre du but recherché, si toutefois le but recherché est bien d'améliorer les relations entre groupes d'origines différentes et non de les envenimer pour les exploiter politiquement. »
Comme Julien Benda dans son fameux ouvrage La Trahison des Clercs, Revel ne condamne pas pour autant l'engagement. Ce qu'il demande, c'est que ceux qui s'engagent et qui mettent leur notoriété ou leur influence au service de leurs convictions le fassent avec honnêteté : « Eux surtout, eux avant tout, doivent subordonner l'engagement à la vérité et non la vérité à l'engagement. Ce devoir s'impose encore davantage à l'Enseignant, dont l'auditoire n'a pas le choix entre l'écouter et ne pas l'écouter. Le professeur infidèle à son devoir, ajoute au péché contre l'esprit, celui d'abus de position dominante. »
S'agissant des médias, Revel n'est pas moins clair, mais ce qu'il souhaite, coule de source pour toute personne douée d'un peu de bon sens : « Il serait grand temps que tous les journalistes, et non pas seulement une poignée d'entre eux, se décident à faire enfin pleinement leur seul véritable métier : donner des informations exactes et complètes, et ensuite toutes les opinions, analyses, exhortations et recommandations qu'ils voudront, pourvu qu'elles soient fondées sur ces mêmes informations exactes et complètes. »
Parmi les recommandations, peuvent également s'inscrire les appels à la lucidité et à la capacité d'anticiper. Beaucoup de catastrophes arrivent parce qu'on ne veut pas en voir les signes annonciateurs. Soit par lâcheté, soit par insouciance, combien n'ont pas pu être évitées : « Si la presse américaine des années 30 avait fait mieux connaître à ses lecteurs les textes de Lénine sur l'irréversibilité des conquêtes communistes, les dirigeants occidentaux n'auraient peut-être pas livré aussi facilement à Staline l'Europe centrale et la Corée du Nord, en se contentant de la promesse que l'Union soviétique évacuerait ces territoires après y avoir procédé à des élections libres ou après la signature d'un traité de paix.../... Les mêmes, qui avaient refusé de prendre au pied de la lettre le programme exposé par Hitler avec une grande clarté dans Mein Kampf, se fondaient, pour bâtir l'après-guerre, sur une vision idyllique de l'Union soviétique. »
Enfin, comme pour rappeler de manière obsédante l'incipit de son ouvrage, Revel insiste régulièrement sur l'abomination du mensonge, particulièrement lorsqu'il est inspiré par une attitude partisane et par l'intolérance, ou pire encore, commis au nom du Bien. En matière d'opinion, personne n'est au dessus des autres et « l'intervention de l'intellectuel dans les affaires publiques se déroule sous l'empire de considérations, de pressions, d'intérêts, de passions, de lâchetés, de snobismes, d'arrivismes, de préjugés, d'hypocrisies en tous points semblables à ceux qui meuvent les autres hommes. Les trois vertus nécessaires pour y résister, à savoir la clairvoyance, le courage et l'honnêteté, ne sont ni plus ni moins répandues chez les intellectuels que dans les autres catégories socio-professionnelles. »
« Si par exemple, entre les deux guerres, on retranche les intellectuels qui ont cédé ou bien à la tentation fasciste ou bien à la tentation stalinienne, il ne reste plus grand monde... »
Suivent alors les citations des propos édifiants, issus de nombre de personnes, qui à l'époque faisaient figure de leaders d'opinions bien pensants et ont honteusement abusé des privilèges de leur position pour tenter de tromper le Peuple :
De Gabriel Garcia Marquez, écrivant par exemple, que « les boat people vietnamiens sont de vulgaires trafiquants et se livrent en réalité à l'exportation frauduleuse de capitaux ». Il ne pouvait ignorer que c'était faux. « Sa contrevérité n'est donc pas une erreur de jugement, elle est d'une autre nature. »
Comme l'était « celle de Jean Genet lorsqu'il faisait l'éloge des assassins de la bande à Baader en première page du Monde en 1977. »
De Marguerite Duras, « avertissant dans ces termes le peuple français en 1985 de ce qu'il attend s'ils ne vote pas socialiste en 1986 : « je suis là pour vous le dire : si vous continuez, vous allez vous retrouver devant les épouvantails Gaudin – Pasqua – Lecanuet, et seuls avec eux, et ce sera trop tard. » Ce sera poursuit-elle, l'avènement « d'une société que nous ne voulons plus connaître, plus jamais.../... sans hommes véritablement et profondément intelligents, sans intellectuel, sans auteur, sans poète, sans romancier, sans philosophe, sans vrai croyant, vrai chrétien, sans juif...»
De Berthold Brecht dramaturge adulé par l'intelligentsia, qui à propos des vieux Bolcheviks fusillés au moment des procès de Moscou, n'hésitait pas à déclarer : « ceux là, plus ils sont innocents, plus ils méritent d'être fusillés. »
Des Savants enfin, qui selon Revel n'ont pas de supériorité en dehors du domaine étroit de leur compétence.
De Joliot-Curie par exemple : N'avait-il pas abdiqué toute autonomie intellectuelle, lui qui disait en 1951 : « Placé au centre même des luttes, disposant grâce à ses militants d'une information complète, et armé de la théorie du marxisme, le Parti ne peut manquer de savoir mieux que chacun d'entre nous. »
ACTUALITE
Il est cocasse de trouver dans cet essai datant de plus de 20 ans, des remarques dont l'écho se propage jusqu'à l'actualité la plus récente.
Au sujet des théories portant sur les dérèglements climatiques, Revel faisait notamment allusion aux sornettes décrivant le survenue quasi certaine, vue la dissémination des armes atomiques, d'un hiver nucléaire terrifiant. Il se lamentait sur le fait que seuls de très rares scientifiques osaient remettre en cause ces prévisions hasardeuses. Tout de même, il relevait que : « dans son numéro du 23 janvier 1986, Nature, la première revue scientifique britannique et l'une des premières dans le monde, déplorait le déclin croissant de l'objectivité dans la manipulation des données scientifiques et la désinvolture alarmante de plusieurs chercheurs dans l'affirmation de théories dépourvues de bases solides.../... Nulle part, poursuivait Nature, cette tendance n'est plus éclatante que dans la littérature récente sur l'hiver nucléaire, recherche qui est devenue tristement célèbre pour son manque de probité scientifique. » Aujourd'hui, on sait qu'une bonne partie des experts du GIEC et de l'Université d'East Anglia procèdent de même, au sujet de la théorie du réchauffement climatique...
Ailleurs il brocardait les évidences dignes de monsieur Jourdain, pondues en grande pompe, par soixante-quinze Prix Nobel réunis en 1988 à l'instigation du président de la République François Mitterrand, pour réfléchir sur « Les menaces et les promesses à l'aube du XXIe siècle ». Tirées des 16 conclusions de cette auguste assemblée Revel épinglait quelques savoureuses lapalissades. D'abord, que « toutes les formes de vie doivent être considérées comme un patrimoine essentiel de l'humanité et que nous devons donc protéger l'environnement. » Plus loin, « Que l'espèce humaine est une, et que chaque individu qui la compose à les mêmes droits. », que « La richesse de l'humanité est aussi dans sa diversité. » ou encore que « Les problèmes les plus importants qu'affronte l'humanité aujourd'hui sont à la fois universels et interdépendants.... »
Le plus indulgent commentaire que l'on puisse faire sur cette conférence ironisait Revel, est que, « si elle avait réuni 75 concierges, où 75 coiffeurs, où 75 garçons de café, le résultat aurait probablement été plus original... » Le dictionnaire des idées reçues, des clichés et des pseudo-évidences n'a pas cessé de grossir depuis cette date.
Pour terminer, sur une note presque optimiste, il faut quand même évoquer le paragraphe relatif à la la manière dont fut gérée la crise économique de 1973, « qui montre que les gouvernements des pays les plus développés avaient assimilé en partie les leçons des erreurs commises lors de la crise ouverte en 1929. Ils n'ont pas, comme leurs prédécesseurs, fermé les frontières, relevé les tarifs douaniers, ni joué sans mesure avec les monnaies, toutes fautes qui durant les années 30, avait transformé en cataclysme une simple panne. Voilà donc un exemple où l'expérience acquise a été incorporée à l'action.
Notons cependant que de nombreux dirigeants durant la crise, s'efforcèrent de recourir au keynésianisme dont la science économique avait pourtant dès les années 60 démontré l'inadéquation aux situations nouvelles, et de propager l'hostilité au marché, considéré comme néfaste pour les faibles et les pauvres alors qu'il se révéla seul capable de les sauver de la profonde misère... »
Rien de plus adapté en somme à la situation de ces derniers mois, dont le management par les Grandes Nations et le FMI n'a pas été si mauvais, tandis qu'on assistait à un déluge de réactions véhémentes, largement colportées par les médias, relatives aux méfaits du Mondialisme, du Capitalisme, du Libre-Echange, et exhortant de manière perverse et irresponsable à revenir au protectionnisme et à la centralisation bureaucratique par l'Etat.

10 janvier 2010

Débat or not débat


Doux plaisir que de voir certains intellectuels émérites, d'obédience anti-libérale, s'insurger tout à coup contre l'omnipotence étatique, à l'occasion du débat sur l'identité nationale !
Par l'intermédiaire, de sa chronique au magazine Le Point, le cher Bernard-Henry Lévy a manifestement décidé de s'inscrire en tête de ce nouveau bataillon de la Liberté. Et comme à son habitude, il met généreusement les pieds dans le plat. L'éléphant BHL dans le magasin de porcelaines libérales ça vaut assurément le détour, mais ça ne trompe guère...
Tout de même, quelle jubilation, que de voir l'ardeur avec laquelle il fustige cette nouvelle immixtion étatique ! A ses yeux le débat peut naitre de partout : des comités d'experts, des forums de citoyens, des partis politiques, mais surtout pas de l'Etat. Ce qui le choque : « que ce dernier se substitue à tous ces acteurs, qu'il se réveille un beau matin pour, avec tous ses réseaux, ses préfets, ses moyens, claironner à l'attention des « forces vives » de la nation : « voici le débat qui s'impose, voici de quoi je décide moi, Etat, qu'il convient dorénavant de débattre; et voilà enfin dans quelles limites, sur quel ton, jusqu'à quand ce débat doit se tenir »
Eh oui ! Lui qui avec tant d'autres, recommandait il y a peu le renforcement des régulations pour lutter contre les débordements du Capitalisme, lui qui réclame toujours plus d'Etat pour plus de justice sociale, plus d'égalité, plus de solidarité et tout le toutim, refuse cette fois ce « débat dirigé, encadré, bordé de tous côtés, contrôlé... »
Aurait-il enfin compris l'essence du libéralisme ? Serait-il acquis aux concepts magnifiés par Tocqueville ?
Bien évidemment non. Cette indignation est circonstancielle, visant clairement certains dirigeants avec lesquels il a des comptes à régler, et non le Pouvoir Central en lui même.
D'ailleurs même piloté par l'Etat, l'ancien Nouveau Philosophe trouve le débat encore trop libre. Comme d'autres, s'il souhaite l'arrêter, c'est parce qu'il se focalise sur l'immigration, sujet tabou s'il en est. Pas question, même si les débatteurs en font une si forte préoccupation, d'y accorder la moindre importance. Et honte à ceux qui seraient tenté de le faire. Il faudrait donc occulter les problématiques jugées gênantes par quelques censeurs de la bonne pensée. On voit bien que l'obsession dirigiste n'est pas bien loin...
Qu'à cela ne tienne. Il est possible, une fois n'est pas coutume, d'être presque d'accord avec lui. Quelles pourraient être en somme, les mesures pragmatiques découlant de ce grand défouloir ? Rien hélas. Les problèmes resteront les mêmes et une fois encore, comme BHL le souligne à bon escient, l'idée européenne est éclipsée par ces gesticulations grotesques dont notre pays et si friand.
Comme dans tant d'autres domaines, l'intervention de l'Etat est vaine en matière de débat. On assiste ici à un remue-méninges assez démagogique dans lequel on dit tout et surtout n'importe quoi et où l'on voit comme d'habitude, se radicaliser les positions, la haine et la bêtise, qui plus est, pas forcément issues des citoyens moyens, mais plutôt des « personnalités » (cf les interventions vindicatives d'Emmanuel Todd,
de Badiou, de Cambadélis...)
Evidemment on pourrait quand même être tenté de demander à ces docteurs qui recommandent que cesse le débat d'Etat, ce qu'il faut faire lorsqu'il n'y a de vraie controverse et de réflexion sans tabou nulle part, notamment pas là où on est en droit de les attendre. Lorsque la Presse, les Intellectuels et les Médias se cantonnent aux lieux communs, où pire encore, qu'ils servent de système d'amplification à toutes les niaiseries du conformisme contemporain. Que faire, lorsqu'en guise de débat on ne voit surgir que des polémiques futiles, fondées sur les bévues récupérées avec délectation des bouches célèbres, ou bien montant en épingle de médiocres faits divers ...

06 janvier 2010

De quatre, un tout

Faire des voeux tous azimuts c'est probablement bien. Prenez donc les miens je vous en prie. Mais commencer l'année tout doucement, avec les quatuors de Beethoven, c'est encore mieux : un plaisir rare, propice à faire naitre une nouvelle vigueur et à rêver de bonheurs modestes mais distingués et pénétrants. C'est celui donné en tout cas par le Alban Berg Quartett (abq) qui a enregistré en public ces oeuvres à Vienne en 1989, et qu'on peut réentendre par DVD interposé.

Rarement l'idéal en musique, n'a semblé si proche. L'interprétation est superbe et s'agissant des oeuvres, elles constituent l'un des sommets, probablement insurpassables, du génie humain tout simplement. Comment décrire ces délicates constructions musicales qui s'insinuent dans l'âme, au gré des subtils glissandos des archets, virevoltant au dessus des cordes ? Comment parler de ces térébrantes mélodies, et que dire sinon qu'elles touchent au sublime ? Ces oeuvres distillent une telle grâce, qu'on voudrait pouvoir entrer en osmose avec elles pour atteindre une intemporelle et chaude béatitude. Hélas, même avec des notes issues d'un moule portant l'empreinte de l'infini, le temps s'écoule inéluctablement et le drame existentiel continue de peser même s'il se joue durant quelques instants, des vanités matérielles. Un fragment tombé du Paradis en quelque sorte...

Les derniers quatuors sont sans doute les plus beaux, les plus profonds, ceux qui vont le plus loin dans l'introspection de l'esprit humain. A leur écoute on est saisi d'une mystérieuse émotion, comme si au fond de soi s'épanchaient les pleurs de la mélancolie qui furent aux dires du compositeur lui-même, la source de la bouleversante cavatine de l'opus 130. Beethoven n'était-il donc comme d'aucuns le prétendent, qu'un paquet de chairs mues par un hasardeux mélange d'automatismes électriques et de protéines hormonales ? Fadaise assurément.

Comment ne pas comprendre qu'ici réside à l'évidence une force surnaturelle, liant le génie de l'Homme à l'Indicible, à l'image du doigt d'Adam effleurant celui de Dieu dans le fameux dessin de Michel-Ange ? Comment rester insensible à la magie suave qui émane du long adagio de l'opus 127 ? Plus de dix-sept minutes d'intenses variations sur un thème, au sein desquelles s'interpénètrent les chants extatiques des violons et violoncelle :

Ces violons sont comme des caresses Qui dans le cours ténébreux du temps Portent un message miroitant, Rempli de larmes et de promesses.

Par dessus les terrestres faiblesses Les chants des cordes en s'imbriquant Répandent un baume coruscant Au parfum des célestes sagesses.

Et qui sait si ces accords parfaits Ne sont pas l'avant-goût de bienfaits Tombant d'une adorable immanence,

Et dans la prison du quotidien, S'ils ne sont pas le signe aérien D'une enchanteresse délivrance ?