30 juin 2014

Ernst Jünger, une destinée séculaire 2

Si dans les années qui suivent la défaite allemande, Jünger s’enflamme pour les thèses nationalistes, il ne perd pas pour autant l’imperturbable sang-froid qu’il manifesta pendant la guerre. Il saura ainsi garder ses distances avec le mouvement national-socialiste et ses dirigeants qui manifestent pourtant pour lui plus que de la sympathie. Eprouvant très tôt une répulsion pour leur comportement qu'il jugeait quelque peu caricatural si ce n'est brutal, il fera en sorte de n'être jamais compromis avec l’un d’entre eux, et la seule occasion où il eut pu rencontrer Hitler fut heureusement pour lui annulée pour des aléas d'agenda...

Impossible toutefois de ne pas reconnaître que l’ouvrage intitulé "le Travailleur", qu’il fait paraître en 1932 conserve une proximité certaine avec l’idéologie montante. Il y développe une violente satire du rationalisme issu des Lumières, et une critique de la société démocratique d’inspiration bourgeoise qui en aurait selon lui découlé. Il vante en revanche un modèle social rigide, centré sur un État fort et sur l’armée, et fait de la figure du Travailleur un archétype évoquant quelque peu le surhomme nietzschéen. Il y fait également une véritable apologie du planisme, qui fit dire au philosophe Oswald Spengler qu’il s’agissait en définitive d’un ouvrage national-bolchévique…

Assurément, ce pavé un peu confus et daté ne constitue pas un sommet dans l’oeuvre jungérienne. Il reviendra pourtant plusieurs fois par la suite à ce genre littéraire, maniant le symbole, la métaphore et l’imaginaire, au service de fresques romanesques grandioses mais souvent sibyllines. Ce faisant, il infléchit progressivement son discours. Parti d’une position radicale, il évolue dans un premier temps, notamment avec "Sur Les Falaises de Marbre" paru en 1939, vers une critique des régimes dictatoriaux et de la barbarie qu'ils engendrent. Même si le personnage du Grand Forestier relève de la chimère, on peut déceler à travers lui une charge contre Hitler, ce qui dédouane l’auteur de toute collusion avec ce dernier.

Avec Heliopolis en 1949, Abeilles de verre en 1957 puis Eumeswil en 1977, il dessine les contours d’un Etat Universel dont il juge l’avènement inexorable, et autour de lui d’une société inquiétante, dominée par la technique, désincarnée, déspiritualisée, voire robotisée. Cela l’amène peu à peu à adopter une posture fataliste, quelque peu détachée, ni tout à fait rebelle, ni révolutionnaire, ni progressiste, mais tout à la fois. Sous les traits de l’Anarque, il se drape dans une attitude teintée de dédain pour le monde dans lequel il vit, ce qui lui vaudra en retour pas mal d’incompréhension voire de réticence de la part des ses contemporains. Certains ne le trouvent pas assez engagé à une époque où c’est devenu presque une nécessité pour tout intellectuel. D’autres ne pourront s’empêcher de lui coller jusqu’à la fin de sa vie, l’étiquette de réactionnaire eu égard à ses écrits de jeunesse.
Beaucoup passeront assez largement à côté de la dimension humaniste de l’homme…

Car Ernst Jünger est avant tout un infatigable voyageur, un curieux insatiable, un observateur éclairé d’un siècle à nul autre pareil. Le tumulte idéologique et les catastrophes qui s’ensuivent expliquent largement son apparent retrait du monde. En réalité, il est attentif à tout.
A commencer bien sûr par l’univers des insectes pour lequel il manifeste une passion dévorante. La poursuite des phasmes, carabes et autres cicindèles, qu’il nomme “chasses subtiles”, lui fait parcourir la planète et lui suggère quantité de réflexions. Son oeuvre littéraire est avant tout un journal continu, qu’il tiendra quasi jusqu’à la mort. Il le dit lui-même, il n’est pas jour où il n’écrive.

Au gré de ses innombrables annotations, on peut se faire une idée plus précise et surtout plus attachante de cet homme étonnant. Bien qu’il ne soit pas à proprement parler libéral, on serait parfois tenté de le situer à mi-chemin entre Tocqueville et Thoreau, tant il paraît proche de l’idée du self-governement et tant il met d’ardeur à fuir les villes pour gagner la campagne et les forêts.
On comprend mieux sa grande indépendance d’esprit. C’est simple, pour lui, “la liberté a un prix et celui qui veut en jouir gratuitement ne la mérite pas.”
On comprend mieux que ce qu’il cherche avant tout c’est l’indépendance d’esprit, la liberté intérieure. Il gardera toute sa vie une répugnance pour la démocratie de masse. A Frédéric Towarnicki, il confie sa "crainte qu’un jour le type d’hommes peuplant le monde soit une sorte d’insecte intelligent, progressivement privé d’esprit critique…"

On ne sait trop si l’Etat Universel qu’il évoque à maintes reprises relève pour lui plus de la fatalité que de l’espérance. C’est un fait, il ne semble pas vraiment partager l’aspiration kantienne à “une fédération de fédérations”, mais penche pour une entité centrale nébuleuse, autour de laquelle graviterait un cortège de nations dont la définition n’est guère plus évidente. A certain moment il évoque des régions plutôt que des pays, mais l’instant d’après, il révèle qu’il préfère aussi les empires aux nations… Cela ne l’empêche pas d’oeuvre à sa manière pour une Europe unie, en participant notamment à la célébration de la réconciliation franco-allemande avec Helmut Kohl et François Mitterrand.

Parmi les multiples sujets aiguisant sa curiosité, figurent les drogues auxquelles il consacre l’essai “Approches drogues et ivresses.” Durant sa vie, il les a presque tout essayées, notamment le LSD qu’il expérimente avec son inventeur le professeur Albert Hofmann. Il s’essaie même à l’écriture sous influence de la mescaline avec le petit récit initiatique “Visite à Godenholm.”
Ce n’est pas tant les sensations qu’il recherche, que la maîtrise du temps qui l’obsède. Il voudrait en quelque sorte le diluer, l’étirer pour mieux profiter des aventures spirituelles. Le sablier qui représente si bien cette sensation de recommencement perpétuel que donne le temps est pour lui un objet fétiche, dont il fait collection.

Au plan philosophique Jünger n’a pas de chapelle si l’on peut dire. Il vénère Nietszche qui décrit si bien selon lui le nihilisme de l’homme moderne et son éloignement progressif de Dieu. Paraphrasant ce dernier, il a cette formule dans “Le Mur Du temps” : “Dieu se retire…”
Il aime le fatalisme sarcastique de Schopenhauer, l’idéalisme de Platon, et les théories existentielles de Martin Heidegger qui est son ami, et qu’il considère comme “un des grands piliers de la pensée occidentale, allant même jusqu’à affirmer que “Depuis les Grecs rien ne lui est comparable !”
En matière de religion, Jünger est tout aussi circonspect. De culture protestante, il se comporte toute sa vie en agnostique, mais il éprouvera curieusement le besoin de se convertir officiellement au catholicisme deux ans avant sa disparition !

A la vérité le personnage a tant de facettes qu’il serait illusoire de tenter de le cerner de manière trop univoque. On peut reprocher au portrait qu’en fait Julien Hervier, d’être un peu technique, mais il donne envie de mieux connaître l’écrivain, car il aborde sans tabou les multiples facettes de cette personnalité complexe.
S’il n’occulte rien de certains errements de jeunesse, il livre également des révélations inattendues. Par exemple celle-ci, intéressante à méditer, à propos de Pierre Laval, président du conseil des ministres du gouvernement de Vichy : “Laval a rendu de grands services aux Français. Sans lui Hitler se serait déchainé sur votre pays avec une extrême cruauté.”

Une certitude, lui qui n'écrivit guère de poèmes, fut un vrai poète, hypersensible à la magie de la nature et en quête de spiritualité. La poésie s’exclama-t-il, “fait partie de la nature de l’homme.” De cette nature comme de la poésie il fut un vrai amoureux et défenseur des plus sincères, mais en bisbille avec les "Verts" qu’il trouvait trop “politiques”, trop “idéologues”. 

A Gnoli et Volpi qui l’interrogeaient en 1997, alors qu’il avait passé le cap des cent ans, lui qui eut une vie si remplie, si éprouvante, il livra cette réflexion simple, apaisée : “Parfois, les jours de soleil, je m’amuse à faire des bulles de savon que le vent pousse entre les plantes et les fleurs. C’est pour moi une image symbolique de la fugacité, de son insaisissable beauté…”

29 juin 2014

Ernst Jünger, une destinée séculaire 1

La publication récente d’une bibliographie qui lui est consacrée*, est l’occasion de s’arrêter un peu sur l’extraordinaire destin de l’écrivain allemand Ernst Jünger. Né en 1895, il ne quittera ce monde que 103 ans après, ayant couvert la quasi totalité du XXè siècle, un des plus terribles qui fut.
Il eut ainsi le privilège de voir passer à deux reprises la comète de Halley qui ne nous rend visite que tous les 76 ans ! Et pour sa seconde rencontre avec l’astre en 1986, il n’hésita pas, à 91 ans, à faire le déplacement à Singapour et Sumatra…

Il aura connu également les deux guerres mondiales dont il vécut les horreurs comme soldat, sous l’uniforme de son pays.
Après un bref passage dans la Légion Etrangère, qui resta pour lui une erreur de jeunesse due à un tempérament aventurier, il est mobilisé en 1914 à l’âge de19 ans. Comme pour beaucoup de ses contemporains, la perspective de combattre n’était pas effrayante, bien au contraire. Comme il l’écrira plus tard, “La guerre nous avait saisi comme une ivresse. C’est sous une pluie de fleurs que nous étions partis, grisés de roses et de sang.”

Il déchantera toutefois vite et racontera dans un de ses ouvrages les plus célèbres, “Orages d’aciers”, la terrifiante expérience qu’il fit alors.
Peu d’ouvrages ont décrit de manière aussi saisissante l'atrocité et parfois l’absurdité des combats qui durèrent 4 longues années. La seule bataille de la Somme, commencée en juin 1916 fit plus d’un million de morts parmi les combattants (420.000 anglais, 200.000 Français, 450.000 Allemands) ! Soixante mille Britanniques tombèrent dès le premier jour et 1,5 million d’obus furent tirés sur un rectangle de 25 km sur 2 ! On dit qu’il s’agit d’une des batailles les plus meurtrières de tous les temps, marquée notamment par un usage intensif des gaz, une des premières armes de destruction massive.

Pendant tout le conflit, le jeune Ernst, qui fut blessé quatorze fois, garde
pourtant un moral inoxydable, dénué d’état d’âme, tant il a chevillés au corps le caractère intangible de son devoir et la fierté d’être allemand. Les horreurs ne semblent pas l’émouvoir. Ni cruauté, ni sentimentalisme n’affectent la volonté du jeune homme qui n’a qu’un objectif, remplir au mieux sa mission, et qui se forge au feu des balles, des grenades et des bombes, l’idée que la guerre est une fatalité consubstantielle à la nature humaine ("La guerre, notre mère" ira-t-il jusqu'à écrire).
La dureté de cette épreuve et l’humiliation subie par son pays vaincu, expliquent sans doute le fort sentiment nationaliste qui s’empare de lui, une fois la paix revenue. Ce qui devient rapidement une véritable exaltation, va s’accompagner d’une haine croissante pour la démocratie, représentée par la molle république de Weimar, dans laquelle il voit se déliter les derniers restes de l’honneur de la nation allemande.

Alors qu’il n'avait jamais manifesté d'opinion politique, que les causes même du conflit semblaient l'indifférer, il s’essaie au journalisme, et son propos devient brutalement polémique, appelant même sans détour à une révolution violente. En 1925, il écrit ainsi que : “le jour où l’Etat parlementaire s’effondrera sous notre impulsion et où nous proclamerons la dictature nationale sera notre plus beau jour de fête.”
Nul doute qu’à l’époque, ainsi que le relève son biographe Julien Hervier, il a quelque sympathie pour le national-socialisme en train de prendre forme. Il revendique même la croix gammée comme bannière de cette aspiration nouvelle, populaire, "qui remplacera la parole par l'acte, l'encre par le sang, le verbiage par le sacrifice, la plume par l'épée..."
Doit-on lui tenir rigueur définitivement comme certains le firent, pour cet engagement aussi fougueux que fugace ? A chacun de juger. En tout cas, il mérite au moins des circonstances atténuantes car il s'inscrivait dans une conjoncture si troublée que beaucoup perdirent bien plus que lui la raison. Surtout, et se garda sagement de tout enrôlement
dans les légions hitlériennes, vis à vis desquelles il déchanta d'ailleurs très vite. Jamais d'ailleurs durant sa vie, il ne fut inféodé à quelque parti ou à quelque idéologie. Avec son oeuvre littéraire monumentale, et sa culture éclectique, c'est précisément ce qui fait l'intérêt du personnage...
A suivre sous ce lien : Ernst Jünger, une destinée séculaire 2

* Ernst Jünger, dans les tempêtes du siècle. Julien Hervier. Fayard 2014

28 juin 2014

Retours de flammes

C’est toujours un grand sujet d’étonnement que de voir l’émergence d’avis radicalement opposés au sujet d’une même réalité. Entendre ou lire tout et son contraire témoigne de la subjectivité des raisonnements, et laisse parfois rêveur tant chacun est persuadé d’avoir raison et tant les divergences sont parfois tranchées.
La situation actuelle inquiétante en Irak et par extension au Proche Orient, est une illustration édifiante de ces contradictions.

L’état de ce pays est en train de se dégrader brutalement sous la pression croissante de hordes furieuses détruisant tout sur leur passage, notamment les libertés, au nom d’Allah. Personne ne nie la réalité de cette évolution dramatique, mais l’interprétation qu’on en fait est pour le moins contrastée !
L’opinion qui semble la plus répandue, notamment en France, reprend comme par réflexe conditionnel, la rhétorique manichéenne de 2003, faisant de l’intervention pilotée par les Etats-Unis pour renverser Saddam Hussein, la cause de cette explosion de violence. Figure de proue emblématique de ce courant de pensée, Dominique de Villepin s’est empressé de livrer un article au Figaro, rappelant que les Etats-Unis ont échoué en Irak, et voyant dans les évènements actuels la preuve qu’on ne peut imposer par les armes la démocratie. Au passage et implicitement, il s’envoie quelques lauriers pour avoir été si visionnaire à l’époque en prônant l’inaction…

Le choix qu’il fit n’était certes pas sans fondement même s’il était permis de ne pas le partager. Qu’importe, plus de dix ans ont passé, le contexte a changé, et aujourd’hui, il convient d’en tenir compte. M. Villepin semble oublier que l’Irak avait acquis, certes fragilement, le statut d’une démocratie, avec des élections libres. Il occulte également le désengagement américain, et par voie de conséquence international, voulu par le président Obama, qui a laissé l’Irak en position vulnérable, eu égard aux tensions alentour. Il ne fait d’ailleurs des révolutions qui agitent les pays voisins depuis quelques années qu’une analyse très sommaire et fait preuve d’une certaine légèreté en laissant entendre que si Saddam Hussein était resté en place, de tels troubles n’auraient pu éclater en Irak… Au surplus, considérer comme il le fait que ce dernier représentait un facteur de stabilité dans la région est plus qu’abusif quand on songe aux exactions, aux violences, aux crimes et aux guerres, dont il fut responsable et qui firent au bas mot 2 millions de mort en quelques 25 ans de pouvoir socialiste autocratique.
Enfin et surtout, M. Villepin s’exonère un peu facilement de sa propre resonsabilité et des efforts qu’il fit en 2003 et après, pour faire obstacle à l’intervention américaine, pour la décrédibiliser aux yeux du monde (on se souvient de son discours à l’ONU), et in fine pour la faire échouer...

Il est évidemment légitime de s’interroger sur la stratégie qui prévalut lors de la réorganisation du pays, qui a abouti à faire table rase de toutes les infrastructures de l’ancien régime baassiste sitôt l’intervention militaire achevée. Il est non moins logique de se poser des questions sur ce que la Communauté Internationale aurait du ou pu faire pour éviter que certains pays voisins ne sombrent dans la guerre civile ouvrant la voie à l’avènement d’un horrible obscurantisme religieux.
Avec Myriam Benraad qui en fit une description terrifiante (C dans l’Air du 17/06/14), on peut s’inquiéter de la progression d’un arc islamiste aux portes de l’Europe, au sein duquel émergent des factions de plus en plus radicales dont le déjà tristement célèbre EIIL.
On peut s’inquiéter de l’absence de toute stratégie occidentale notamment européenne, face à cette nouvelle montée des périls. Car l’incapacité de la Communauté Internationale en Syrie, en Lybie et à nouveau en Irak n’augure rien de bon.
On risque de payer très cher ces atermoiements. Jusqu’au 11 Septembre 2001, on a gravement sous estimé l’emprise des Talibans en Afghanistan dont les camps d’entraînement et les actes barbares étaient pourtant connus du monde entier. Il a fallu des années de négligence pour que se constitue cette machine infernale qui a conduit aux attentats du WTC.

C’est pourquoi le refrain lénifiant répété par ceux qui prétendent que ces troubles ne nous concernent pas, et qu’il n’existe de menace que dans les esprits, ce refrain relève de la politique de l’autruche. Et c’est pourquoi on ne peut balayer du revers de la main les dénégations et les avertissements récents de Tony Blair. L’ancien premier ministre britannique, assure “qu’il n’essaie de persuader personne sur les décisions prises en 2003”, mais rejette fermement l’assimilation qui est faite entre celles-ci et la montée en puissance des islamistes. Il maintient qu’il est impossible de s’abstraire de ces désordres et qu’aujourd’hui comme hier, “ne pas intervenir est aussi une décision qui a des conséquences”.
En dépit de la pondération de ses arguments, certains n’hésitent pourtant pas à le traiter de fou, comme le maire de Londres Boris Johnson : est-ce bien raisonnable ?

17 juin 2014

La fête de l'insignifiance

Pour son dernier ouvrage Milan Kundera s’est assurément fendu d’un joli titre. Il est vrai qu'il est orfèvre en la matière, son oeuvre en est parsemée. Mais derrière cet art consommé de l’accroche, y a-t-il matière à penser ?
Sur le sujet, l’époque est évidemment un terreau fertile. Sans doute est-ce le cas de toutes, mais la nôtre a ceci de particulier qu'elle a fait de l’insignifiance un art de vivre. Le règne des médias, le formidable essor des moyens de communication n’y ont pas peu contribué, car ils sont bien plus propices à véhiculer des fadaises que des idées. On objectera certes, que les idées sont hélas parfois mortifères. Mieux vaut en somme ne pas en avoir que de se mettre en devoir d’imposer celles qu’on croit bonnes aux autres...

Toujours est-il qu’on peut vraiment s’interroger sur le sens de certaines manifestations de l’esprit contemporain.
Je tombais récemment sur un article d’un grand quotidien relatant la performance d'une prétendue artiste qui n’avait rien trouvé de mieux, le jour de l’Ascension, que de s’asseoir tranquillement par terre après avoir relevé sa robe, pour poser nue, cuisses écartées devant le fameux tableautin de Courbet "l’Origine du Monde”, exposé lui même en toute impudeur au Musée d’Orsay.
De fil en aiguille et de Charybde en Scylla, je découvrais qu’une autre “performeuse” avait choisi Pâques et le parvis du Musée de Cologne, pour réaliser la sienne, qui consistait à s’introduire en public, et dans le vagin, des oeufs remplis de peinture, qu’elle accouchait, juchée sur deux échelles, afin qu’ils s’éclatassent en se mélangeant sur une toile judicieusement disposée par terre (elle appelle ça un "plopEgg")…

Ces deux prestations aurait pu relever du dérangement mental, ou bien de l’outrage aux bonnes moeurs s’il ne s’était agi parait-il d’art ! Dans ce cas, tout est quasi permis, et les médias accourent pour faire naître le buzz dont ils espèrent tirer quelque avantage.
J’y ai vu pour ma part l’expression de cette envie d’exister par tous les moyens qui caractérise notre époque un peu déboussolée. Et sans doute également une stratégie non dénuée d'arrière pensée lucrative : pas si folle, la guêpe : la fille aux oeufs fait payer la version intégrale, non censurée, de la vidéo de sa prestation sur son site web

Le monde artistique dans ses dérives pitoyables n'est pas le seul à mettre en scène le spectacle de ses vanités. Où qu'on porte ses regards, on assiste aux mêmes gesticulations oiseuses :
Les exhibitions hystériques des femen, décapitant rageusement la statue de cire de Poutine installée dans l’inoffensif Musée Grévin,
Les combats de coqs auxquels se livrent les petits chefs de l'UMP sur les ruines fumantes de leur parti,
Les travers de langage énormes du père fouettard Le Pen, toujours savamment dosés pour faire prendre immédiatement la mayonnaise moralisatrice des Dames Patronesses du Prêt à Penser politiquement correct.
Les veules objurgations du gouvernement adressées à l’Administration Obama pour tenter d'entraver le cours de la justice américaine dans l'obscure affaire de la BNP, à l’instar des us et coutumes d'une République bananière...

Bref, mille occasions se présentent à celui qui veut les voir au sein de la mascarade contemporaine ! Et face à ces misérables loufoqueries, le livre de Kundera semble bien fade, voire même un peu à côté de la plaque.
A quoi s’attaque-t-il vraiment lorsqu’il relate une lourde blague de Staline, commentée par ses apparatchiks dans les pissotières… A l’horreur trop humaine du socialisme ? A l’insoutenable légèreté avec laquelle il est convenu de considérer le plus grand assassin de tous les temps ? Que nenni ! Il nous alerte sur le fait que personne ne sait plus ce que c’est qu’une blague...
A quelles réflexions nous invite-t-il en évoquant la mode du nombril à l’air ? A celles tournant autour de l’auto-célébration du moi, ou bien au narcissisme des enfants gâtés et irresponsables du progrès ? Non. Il conclut juste qu’il s’agit d’une nouvelle expression de l’érotisme, entre celle portant sur les seins, propre à sanctifier la femme, et celle qui s’attache aux fesses, “qui prend le chemin le plus court vers le but; but d’autant plus excitant qu’il est double…”

Dans cette bizarre chimère en forme de petit roman, tout est faux. Les rapports humains sont faux : on ment sur sa santé, on ment sur son métier et on se parle un langage incompréhensible, tel cet acteur raté qui se fait passer pour un serveur pakistanais, ou encore Staline qui fait des blagues…
Mais dans l’art du cul par dessus tête, et si plus rien n’a de sens, rien ne vaut le bon vieux Bunuel et son fantôme de la liberté...
La fête de l'insignifiance. Milan Kundera. Gallimard 2014.

31 mai 2014

Guerres picrocholines

En somme l'affaire Bygmalion, ce n'est rien ou presque...
Un parti politique, l'UMP, est amené à soutenir son candidat à l'élection présidentielle. Qu'y a-t-il là de choquant ?
Rien dans un pays normal....
Mais voilà nous sommes en France et c'est sans compter avec ses lois sublimes qui réglementent le financement des campagnes électorales. Dans un souci d'égalité parait-il, elles imposent aux contribuables, via l'impôt, la charge d'une bonne partie des dépenses des candidats et plafonnent le reste, à savoir les dons, selon des normes qu'Ubu même, n'aurait pas désavouées. Plus les lois sont nombreuses et compliquées, plus le risque de les enfreindre grandit...
Dans l'élan des dernières illusions accompagnant l'équipe de Nicolas Sarkozy en 2012, l'UMP se laissa aller à quelques largesses par l'intermédiaire de l'obscure société Bygmalion.
Résultat, le plafond fatidique fut dépassé, et le pesant engrenage juridique se mit en marche, pour aboutir, deux ans plus tard, à un scandale en forme de psychodrame lilliputien dont notre pays raffole.
Les médias pointant leur gros oeil idiot et myope sur ce champ de bataille microscopique, se plaisent à monter en épingle les guerres picrocholines auxquelles se livrent des gnomes sans inspiration, animés uniquement par des considérations bassement  égoïstes ou partisanes.
Une des contributions les plus révélatrices fut celle d'une ancienne ministre dudit Sarkozy, candidat malheureux à sa succession. Reconvertie dans la retape télévisuelle au sein d'un talk show à deux balles, elle croit utile de feindre la venue des larmes en évoquant les prétendues malversations de son propre camp dans lesquelles elle s'ébrouait sans trop de scrupules, il y a peu.
Elle ne doit pas avoir plus de mémoire qu'un poisson rouge pour oublier qu'elle fut quant à elle la jeteuse d'argent public par les fenêtres à l'occasion du scandale de la grippe H1N1. Elle ne se souvient plus non plus qu'elle acheva la soviétisation de la santé avec sa funeste loi HPST. Peu lui importe sans doute le pays pourvu qu'elle puisse pérorer à son aise.
Quand on est c... on est c... chantait si bien Brassens...

27 mai 2014

Chronique d'une catastrophe annoncée

Au sein du cours changeant de l’actualité, si quelque chose pouvait être anticipé, c’est bien le résultat des élections européennes de ce 25 mai. 
Il fallait voir pourtant les mines affligées des dirigeants des partis politiques auto-prétendus “Républicains”, invités à faire leurs commentaires dès 20 heures ce même dimanche ! 
Sur les visages défaits, le gris des désillusions se mariait au vert d’une rage difficilement contenue. Surréalistes étaient les plateaux télévisés, où les représentants des partis traditionnels, assommés par le coup de massue envoyé par les électeurs, n’avaient vraiment plus grand chose à dire. Dans une ambiance sépulcrale, les déclarations s’apparentaient à des borborygmes confus, et plus rien ne distinguait ces adjudants loqueteux d’armées taillées en pièces.
Tandis que les leaders du Front National paradaient allègrement, avec l’assurance insolente des conquérants, les vieilles troupes humiliées pouvaient ruminer l’échec de plus de trente ans d’une stratégie calamiteuse, s’étalant au grand jour ! Jusqu’au bout, ils avaient cru intelligent de diaboliser celui qu'ils avaient désigné comme l’ennemi absolu et de faire comme s’il n’existait pas en l’excluant par principe du débat. Aujourd’hui, il est en passe d’en devenir l’arbitre ! Belle réussite... 
Ont-ils enfin honte d’avoir mené le pays dans ce bourbier infâme, c’est bien peu probable...
Ces gens ont perverti le jeu démocratique, en poussant à la radicalisation une partie croissante de l’opinion, à force de lâcheté, d’obscurs calculs politiciens, ou bien d’aveuglement devant les réalités. Ils ont par leur incurie et leurs croyances idéologiques bornées, mené la France à un état permanent de quasi faillite, et ils sont même parvenus par leur arrogance à la rendre méprisable ! Elle patauge, à genoux sous le regard dédaigneux du Monde, englué dans les miasmes d’un pseudo modèle social boursouflé de prétention, de démagogie et d’irresponsabilité. 
Le peuple, tant de fois berné, devenu lui-même sans foi ni loi, exprime comme il peut son désarroi. Personne ne saurait prévoir vers quelles extrémités il est capable de se laisser aller. Il risque d’entraîner dans sa navrante errance une Europe de plus en plus mal en point. Si elle s’étiole, c’en sera fini du beau rêve fédéral, seul porteur d’avenir pour les sociétés occidentales menacées par le déclin.
Dans son allocution misérable, débitée d’une voix blanche, sans conviction, François Hollande avoue que “l’Europe est illisible”. Il est temps de s’en apercevoir ! Plutôt que d’avouer ses erreurs, son impuissance, et d’en tirer de vraies conséquences, il se livre à ses habituelles incantations à la croissance, à la simplification et à une France forte ! Grotesque…
Avant lui, le premier ministre Valls, n’avait guère fait mieux en prenant des airs de tragédien aux mimiques ridicules et au phrasé caricatural, pour décrire le fiasco, et annoncer qu’il continuerait envers et contre tout... la même politique ! 
Non sans avoir dans un nouveau mensonge, tenté de racoler les classes populaires perdues avec des promesses en trompe-l’oeil de baisses d’impôts… 
Décidément, ils sont donc incorrigibles !

18 mai 2014

Tout va très bien

Donc, la France semble presque prendre plaisir à s’enfoncer en douceur mais toujours davantage, dans la faillite et la bureaucratie !
Globalement, les Français semblent s’en moquer comme de l’an quarante et leurs dirigeants, qui gambadent avec légèreté dans l'insouciance, sont à leur image. Il n’y a rien à dire en somme. Les citoyens sont bien représentés...

D'ailleurs, scrutin après scrutin, le verdict des urnes en témoigne : défaites en cascades pour les partis au pouvoir, déni de démocratie causé par l'exclusion systématique du Front National, triangulaires ineptes empêchant l'expression d'une majorité, et pour finir, la mascarade européenne, qui devrait être un temps fort, et qui va selon toute probabilité, consacrer par le biais d'une abstention record, le parti le plus anti-européen qui soit...

Alors que tout s’effondre autour de lui dans un bruit mou de chute d’edredons, le Président de la République, avec ses sourires béats, sa bedaine bourgeoise et son humour de garçon de bain, frétille des bajoues en prédisant des lendemains qui chantent, “l'inversion imminente de la courbe du chômage”, et un “retournement économique” miraculeux.
Lorsqu'on s'ébroue dans la nullité, tout est permis, et l'air de la marquise convient fort bien à cet homme désinvolte, affectant une indifférence hilare à tout ce qui l'entoure.
Sans doute est-ce communicatif car ses affidés sont à l'unisson.
La croissance qui devait redémarrer stagne désespérément à 0 depuis le début de l’année. Mais qu’importe, le bien nommé ministre de l’économie Sapin assure que “ce n’est pas grave”... Le nombre de demandeurs d’emplois ne cesse de croître, mais selon François Rebsamen, ministre du travail et de l’emploi, “la tendance est baissière”.

Pendant ce temps, à l’inverse du “choc de simplification” annoncé en grande pompe par le chef de l’Etat, chaque jour apporte son lot de lois ineptes asphyxiant un peu plus le pays dans des contraintes ubuesques. L’indécision le dispute à l’inefficacité. Code du travail, éducation, santé, sécurité, justice, écotaxe, tout se termine en inaction ou en contradictions.
Avec une opiniâtreté d’insecte bousier, le gouvernement s’échine à faire grossir la boule déjà monstrueuse des réglementations inutiles quand elles ne sont pas désastreuses.
Prenant de grands airs de Redresseur de Production, M. Montebourg mouline la farine et farde son incurie derrière des tombereaux de vaines admonestations, et des pelletées de nouvelles ukases étatiques. Accoutré d'une marinière de moussaillon, il se prend pour un amiral. Mais c’est un naufrageur. Les uns après les autres les vaisseaux-entreprises qu’il se targue de manoeuvrer coulent corps et biens sous le poids de ses bonnes intentions. Il met même un surcroît de zèle à saborder ceux qui cherchent à s'en sortir par eux-mêmes ! Mourir franchouillard c’est tout le panache qui s’attache à sa gestuelle de Don Quichotte...

Seul à faire mine de garder son sérieux, le nouveau premier ministre déclame à la manière d'une oraison funèbre ses calculs savants sur le désendettement du pays. Mais il s'emmêle les pinceaux dans les additions et les soustractions. Il est tellement convaincu d'avoir trouvé 50 milliards d'économies par l'opération du Saint-Esprit, qu'il se paie le luxe de les dépenser par anticipation, comme Ubu tirant avec jubilation les leviers de sa chimérique pompe à phynances.

Et dans ce beau pays, comme tout finit en chansons, tandis qu'on voit la ministre de la justice assimiler l'hymne national à un "karaoké d'estrade", d'autres reprennent en choeur l'ineffable niaiserie d'un chanteur de variétés, en agitant comme les fameuses serviettes de Patrick Sébastien, le " chiffon rouge " d'une improbable révolution, aux relents écoeurants des massacres d'antan...

10 mai 2014

Turgot, lumineux (5)

Les quelques textes laissés par Turgot suffisent à mesurer la profondeur de sa pensée, qui à la jonction entre deux mondes, l’ancien et le moderne, s’attache à décrire sans tabou idéologique, mais avec beaucoup de clairvoyance, les lois naturelles qui régissent l’économie, en faisant de cette dernière le ressort indispensable du progrès et de la richesse des nations.

A ce titre, quelques grandes idées mériteraient d’être inscrites dans cette science, au titre d’axiomes :
- La valeur des choses n’a rien d'un a priori, et même n'a rien de stable. Elle dépend du besoin, de la rareté, et de la quantité d’énergie, c’est à dire de travail, qu’on fournit pour les produire.

- Le libre-échange dope le commerce, augmente la production globale de richesses, et garantit que les échanges se fassent au juste prix, réglé par l’offre et la demande, et à la meilleure qualité grâce à la concurrence. En toute circonstance, le commerce libre privilégie les solutions les moins onéreuses et les plus simples. Toute intervention extérieure, notamment gouvernementale, pour tenter de restreindre par principe la liberté, s’avère néfaste et dispendieuse. Elle suggère parfois de manière illusoire une plus grande justice, une meilleure répartition des biens et une maîtrise des prix, mais elle entraîne une foule de conséquences indésirables, et un enchaînement de complications, de réglementations et d’obstacles difficiles à inverser, aboutissant en règle, à l’inverse de l’effet recherché.

- La monnaie est le langage du commerce. Elle constitue une échelle efficace de mesure et de comparaison des valeurs, facilite les échanges et assure la circulation des biens, aussi indispensable à la société que celle du sang l’est pour un animal.

- La constitution de capitaux est essentielle au développement des entreprises. Elle permet de faire les avances indispensables à toute activité, avant que celle-ci ne devienne rentable. Il est normal que celui qui investit ses capitaux dans une entreprise en tire un profit, fonction du risque qu’il prend. A cet égard, la rémunération de l’investissement doit être supérieure à celle du placement, laquelle doit être supérieure à la rente locative.

- Le gouvernement n’a aucune légitimité naturelle pour se mettre à la place des entreprises. Par nature il sera toujours moins compétent, moins réactif, moins responsable, moins économe que l’entrepreneur. Au surplus, il ne peut alléguer aucune supériorité a priori en terme d’honnêteté, et son intervention fausse le libre jeu de la concurrence en créant des situations de monopole.

- L’inégalité est naturelle. Loin d’être un fléau, elle peut être source d’émulation, d’amélioration et elle stimule les échanges qui n’auraient aucune raison d’être dans un monde uniforme, fait d’êtres totalement égaux. A ce propos, rien ne prouve que l’enrichissement même massif de certains, entraîne nécessairement l’appauvrissement des autres…


Turgot peut être considéré comme le premier économiste de l’époque moderne. Il devance chronologiquement Adam Smith et de l’aveu de Schumpeter le dépasse largement en pertinence et en originalité. Ses prédictions éclairantes auraient pu éviter pour un peuple sensé, les sanglants égarements de la Révolution, et réduire à néant la bouillie nauséabonde du marxisme. La justesse de ses propositions a été vérifiée en maints endroits du monde et en de nombreuses occasions. Comme les lois physiques expliquées par Newton, jamais elles n’ont été démenties. L’essor fabuleux des Etats-Unis en est une illustration éloquente et l’explosion économique actuelle de la Chine ou de l’Inde apportent de nouvelles confirmations à ces théories.
On sait hélas, que le proverbe “nul n’est prophète en son pays”, s’applique parfaitement à Turgot dont les conseils n’ont guère été suivis... qu’à l’étranger !

Ses diagnostics et ses recommandations gardent une fraîcheur incroyable. Ils pourraient sans peine être transposés à l’époque actuelle. Hélas, les barbouilleurs de lois qui prétendent gouverner la France sont bien loin d’en mesurer le potentiel. Ils restent englués dans des principes d’un autre âge, et quoiqu’ils en voient l’échec patent, ils continuent de s’inspirer d’une idéologie désastreuse.


Certes la France a du se résoudre à laisser entrer un peu de capitalisme dans son système économique, et le socialisme arrogant sous la pression de la réalité, est contraint de rabattre sans cesse ses prétentions, mais c’est avec une telle réticence, et en pérennisant tant de contraintes, tant de réglementations, tant d’étatisme, qu’on ne peut que louer les entrepreneurs qui malgré tous ces boulets, réussissent encore à faire de notre pays une nation développée !
Comment peut-on avoir dans notre pays, un peu plus de 2 siècles après les écrits lumineux de Turgot, une conception toujours aussi bornée, aussi rétrograde des mécanismes de l’économie, c’est un bien grand mystère, si ce n’est un vrai scandale, car seule une ignorance coupable peut expliquer cela….

08 mai 2014

Turgot lumineux (4)

Dans le court essai sobrement qualifié de projet d'article, intitulé Valeurs et monnaies, daté de 1769, Turgot peaufine les principaux concepts qu'il a précédemment forgés. L'épure est d'autant plus convaincante, qu’elle est dénuée de toute rhétorique ou d’effet de style. Seul le raisonnement se déploie, étape par étape et d’évidence en évidence pourrait-on dire, tellement il paraît limpide, jusqu’à atteindre une portée universelle, intemporelle.

Turgot s’emploie tout d’abord à montrer combien est essentielle la détermination de la valeur des choses, qui conditionne pour ainsi dire notre vie. Il montre qu'il s'agit d’une notion éminemment fluctuante, qui s’apprécie en fonction des circonstances et des besoins, et bien souvent par comparaison. Il n’y a en l’occurrence pas de valeur absolue.
Ainsi un sauvage esseulé sur une île déserte fera plus de cas s'il a faim, "d’un morceau de gibier que de la meilleure peau d’ours, mais que sa faim soit satisfaite et qu’il ait froid, ce sera la peau d’ours qui lui deviendra précieuse…”

Quoique le prix qu'on accorde à une chose dépende donc largement du besoin qu'on en éprouve, il est encore plus lié à la difficulté qu'on rencontre à se la procurer. Par exemple, “l’eau malgré sa nécessité et la multitude d’agréments qu’elle procure à l’homme n’est point regardée comme précieuse dans les pays bien arrosés.”
La rareté est donc un autre déterminant de la valeur des choses, tout comme le travail nécessaire à leur production.

Ces préliminaires posés, la vision peut s'élargir. Si dans la même île déserte, deux êtres viennent à se rencontrer, et s'ils ne trouvent pas l'occasion de se battre, ils comprendront sans doute assez vite tout l’intérêt des échanges.
Plutôt que de s’enquérir chacun de son côté des mêmes biens : chasser ou pêcher pour se nourrir, faire des vêtements pour s’habiller, chercher du bois pour se chauffer, il leur apparaîtra tôt ou tard plus efficace de s’échanger ce que chacun aura acquis, en plus du nécessaire. En se spécialisant, ils ne peuvent en effet que s'apercevoir qu’ils gèrent mieux leur temps, mais aussi qu'ils acquièrent de l’habileté, sont mieux à même de développer des compétences ou des techniques, et finalement produisent
plus de biens en se répartissant les tâches, que si chacun devait les accomplir toutes successivement.
Autrement dit, “l’introduction de l’échange entre les deux hommes augmente la richesse de l’un et de l’autre, c’est à dire leur donne une plus grande quantité de jouissances avec les mêmes facultés.”
A l'inverse, si chacun avait exactement de quoi satisfaire ses besoins, il n’y aurait plus ni échange, ni commerce, ni émulation et donc pas de progrès. Ce serait un monde dont l’uniformité tiendrait plus de l’animalité que de l'humanité.

Avec l’accroissement du nombre des individus, les effets de cette mécanique s'amplifient grâce à la diversité des compétences, et surtout de la concurrence qui s'installe entre les individus pour optimiser les échanges et améliorer leur qualité.…
Turgot souligne cependant qu’une des puissantes incitations poussant à échanger des denrées réside dans “la supériorité de la valeur estimative attribuée par l’acquéreur à la chose acquise sur la chose cédée.” En d'autres termes, il faut ressentir davantage de nécessité pour le bien qu'on acquiert que pour celui qu'on cède.
Le plein épanouissement de ce système passe par l'invention de la monnaie, qui facilite l’évaluation des biens et décuple la portée des échanges. Ainsi naît le commerce dont la monnaie est en quelque sorte l’expression naturelle. Celle-ci "a cela de commun avec toutes les espèces de mesures, qu’elle est une sorte de langage qui diffère, chez les différents peuples, en tout ce qui est arbitraire et de convention, mais qui se rapproche et s’identifie, à quelques égards, par ses rapports, à un terme ou étalon commun.”

*****

On ne saurait évoquer le legs intellectuel laissé par Turgot sans citer les lettres sur le commerce des grains qu'il écrivit à celui qui le précéda immédiatement dans la fonction de Contrôleur Général des Finances, l’Abbé Terray.
Ecrites en 1770, elles attestent du génie visionnaire de leur auteur qui préfigura étonnamment l’avènement du capitalisme industriel, en en faisant une description résolument optimiste, aussi solide que les démonstrations éclatantes de Newton en physique. Seulement trois des 7 lettres sont parvenues jusqu’à nous, mais quelle leçon !

Il faut préciser qu'à la fin du règne de louis XV, le pays se trouvait en quasi faillite tant l'Etat était endetté, tant il y avait de pauvreté, et tant le système économique était asphyxié sous une chape de réglementations plus archaïques les unes que les autres. Face à cette misère proliférante, un certain nombre d'idées reçues circulaient, dont l’abbé Terray était un des partisans, qui faisaient de la liberté du commerce une des causes du désordre, car “elle n’était favorable qu’au plus petit nombre des citoyens, indifférent aux cultivateurs et très préjudiciable à l’incomparablement plus grand nombre des sujets du Roi.”
Les mêmes imaginaient qu’il était donc opportun de rogner les revenus des propriétaires terriens par tous les moyens, dont l’augmentation des charges et des impôts. On prônait également l’alourdissement des taxes sur le commerce avec l’étranger.

Complètement à contre courant de la pensée dominante de l'époque,Turgot démontre dans ces missives inspirées que ce genre de politique est non seulement inopérant, mais qu’il ne peut très probablement qu’aggraver la situation.
Il lui paraît absurde notamment de penser qu'en appauvrissant systématiquement les riches, on puisse améliorer le sort des pauvres, et en défendant l'idée inverse, il invente tout simplement le capitalisme moderne.
“L'accroissement de richesses pour la classe des fermiers cultivateurs", écrit-il, "est un avantage immense pour eux et pour l’Etat. Si l’on suppose que l’augmentation réelle du produit des terres soit le sixième du prix des fermages.../... ce sixième accumulé pendant six ans au profit des cultivateurs fait pour eux un capital égal à la somme du revenu des terres affermées. Je dis capital, car le profit des cultivateurs n’est pas dissipé en dépenses de luxe. Si l’on pouvait supposer qu’ils le plaçassent à constitution pour en tirer l’intérêt, ce serait certainement un profit net pour eux, et l’on ne peut nier qu’ils en fussent plus riches ; mais ils ne sont pas si dupes, et ils ont un emploi bien plus lucratif à faire de leur fonds; cet emploi est de le reverser dans leur entreprise de culture, d’en grossir la masse de leurs avances, d’acheter des bestiaux, des instruments aratoires, de forcer les fumiers et les engrais de toute espèce, de planter, de marner les terres, s’ils peuvent obtenir de leurs propriétaires un second bail à cette condition…”

La facilité pour les entrepreneurs d'accumuler des capitaux, loin d'être nuisible à la société, dynamise donc l'industrie et le commerce, conduit à l'augmentation du nombre des marchands, et ce faisant, contribue non pas à augmenter les prix mais à les diminuer.
A contrario, ni les taxes, ni les règlements contraignants "ne produiront un grain de plus", mais ils ne peuvent que brider le marché et empêcher que le grain, surabondant dans un lieu, ne soit porté dans des lieux où il est plus rare.

In fine, il apparaît évident que les intérêts du propriétaire, du cultivateur et du consommateur sont liés et qu'il n’y a donc aucune raison pour que la liberté du commerce profite ou nuise plus aux uns qu’aux autres, ce qui fait s’interroger Turgot : “Qu’imagine-t-on gagner en gênant la liberté ?"

Turgot s'oppose également avec force à la sur-taxation du commerce extérieur ainsi qu'à toute mesure protectionniste.
En premier lieu, il souligne l’importance pour un pays d’avoir une balance commerciale équilibrée car “sans cette égalité de balance, la nation qui ne ferait qu’acheter sans vendre serait bientôt épuisée, et le commerce cesserait.”
Ainsi tombe l'unique argument plaidant pour le protectionnisme, car “Ce n’est que sur l’excès dont l’exportation surpasse l’importation, qu’on peut imaginer de faire porter la portion de l’impôt qu’on voudrait faire payer aux étranger." Dans tous les autres cas, "les propriétaires nationaux resteront toujours chargés de la totalité de l’impôt."
Ainsi, l'idée "de faire contribuer les étrangers aux revenus de l’Etat et de détourner le poids d’une portion des impôts de dessus la tête des propriétaires nationaux.../... n'est qu'une pure illusion", et “tous les efforts que l’ignorance a fait faire aux différentes nations pour rejeter les unes sur les autres une partie du fardeau n’ont-ils abouti qu’à diminuer, au préjudice de toutes, l’étendue générale du commerce, la masse des productions et des jouissances et la somme des revenus de chaque nation.”

Non seulement la vision de Turgot s'inscrit dans une modernité étonnante, mais elle pressent le caractère néfaste de l'étatisation et des nationalisations.
Il commence sa démonstration par une observation de bon sens : "Quand le gouvernement [par ses réglementations et ses impôts et taxes] a détruit le commerce qui l’aurait fait vivre, il faut que le gouvernement s’en charge.../…
Mais lorsque ce dernier se met à la place des entrepreneurs, cela génère de l'inertie, sans pour autant prémunir contre le risque de malversations, "parce qu’il emploie des agents subalternes aussi avides au moins que les négociants, et dont l’avidité n’est pas, comme celle de ces derniers réprimée par la concurrence." Au surplus, "ses achats, ses transports se feront sans économie.../... il ne commencera d’agir qu’au moment du besoin."
A cet égard, il met en garde contre le projet proposé par plusieurs experts, de “former une compagnie qui, au moyen du privilège exclusif d’acheter et de vendre, se serait chargée d’acheter toujours le grain au même prix, et de le donner toujours au peuple au même prix”. Ce système revient à instituer un double monopole : “Monopole à l’achat contre le laboureur, monopole à la vente contre le consommateur.”
En outre et surtout, même en n’employant que des gens dotés d’une “probité angélique” et d’une “intelligence plus qu’angélique” on ne parviendrait qu’à mettre sur pied une machinerie complexe et inefficace: comment garantir un prix constant si plusieurs années de disette se succèdent, et si “par la mauvaise régie, par les fautes et les négligences, par les friponneries de toute espèce attachées à la régie de toute entreprise trop grande et conduite par un nombre trop grand d’hommes, que deviendra la fourniture qu’elle s’est engagée à faire ?.” “Daignez envisager”, s’exclame Turgot, “l’effet qui résulterait de la banqueroute d’une pareille compagnie.”
Par cet avertissement dont l’écho se prolonge jusqu’à l'époque contemporaine, pour ceux qui veulent bien l’entendre, Turgot tente de prévenir l’émergence de trusts publics ou privés, si énormes, que la perspective de leur défaillance peut faire vaciller le système entier. Cette idée est parfaitement résumée par le fameux “too big to fail” anglo-saxon...

En définitive, Turgot s’interroge sur les raisons qui poussent certains à vouloir “s’échiner à produire par les moyens les plus compliqués, les plus dispendieux, les plus susceptibles d’abus de toutes espèce, et les plus exposés à manquer tout à coup.../… ce que le commerce laissé à lui-même doit faire infailliblement, à infiniment moins de frais et sans aucun danger, c’est à dire égaliser autant qu’il est possible les prix du grain dans les bonnes et dans les mauvaises années….”C’est pourquoi il propose à l’abbé Terray, de supprimer tous les droits de minage et de péage existant encore sur les grains, l’abrogation de la maîtrise de boulangers nuisant à une saine concurrence, et en revanche, de promouvoir toute mesure destinée à encourager les meuniers à produire de la bonne mouture et de bonnes farines…

30 avril 2014

Turgot, lumineux (3)

Le chef-d’œuvre impérissable et vraiment novateur de Turgot fut son étude relative à la Formation et distribution des richesses, datée de 1766.
Dans cet ouvrage d'à peine 70 pages, il se révèle le génial précurseur d'une vision libérale pragmatique novatrice, qui sera développée par Adams Smith quelques dix ans plus tard en Angleterre.
Surtout, avec un siècle d'avance sur Marx, il théorise le capitalisme naissant. Mais à l'inverse de ce dernier qui y voyait une machine infernale destinée par essence, à exploiter et asservir l’homme, Turgot en fait le moteur même de l'économie moderne et un formidable instrument de progrès.

Son analyse est particulièrement visionnaire si l'on pense qu'à son époque, la société était régulée de manière tellement rigide que le destin de chaque être humain était quasi prédéterminé en fonction de la position sociale du berceau familial et du rang de naissance dans la fratrie !


Si Turgot s'éleva contre les privilèges liés à la naissance et les rentes de situations, il ne prôna pas pour autant l'égalité, bien au contraire.
Le primum movens de toute économie est pour Turgot, comme pour les physiocrates, situé dans les ressources tirées de la terre : “Le laboureur peut, absolument parlant, se passer du travail des autres ouvriers, mais aucun ouvrier ne peut travailler si le laboureur ne le fait vivre…”.
Dans le même temps, il affirme qu’une répartition égalitaire des terres est une illusion car force est de reconnaître que celles-ci “ont été cultivées avant d’être partagées.”
De toute manière, même si cela avait été possible, le monde serait désespérément statique puisque tout commerce, tout échange aurait été impossible “dans la supposition d’un partage égal des terres, où chaque homme n’aurait que ce qu’il lui faudrait pour se nourrir.”
Plutôt que de tenter de reconstruire un monde idéal, mais théorique, Turgot se fonde sur la réalité des faits et constate que dans l’histoire de l’humanité, les sources d’inégalités furent nombreuses à se faire jour et sont en définitive consubstantielles au monde. La première relève de l’évidence : “Les premiers propriétaires occupèrent autant de terrain que leurs forces leur permettaient d’en cultiver : plus ils étaient forts ou dotés d’une nombreuse famille plus leur domaine était étendu.” Mais il y a bien d’autres raisons aux inégalités : “Tous les terrains n’avaient pas la même fertilité”, “Les successions remodelèrent les domaines en les agrandissant ou en les divisant”, enfin “L’intelligence, l’aptitude à l’action le courage furent la quatrième source d’inégalité.”

Partant de la mise en valeur de la terre et du commerce de ses produits, Turgot définit les principales classes dont la société est naturellement amenée à se doter.
“En premier lieu quand un cultivateur devient suffisamment riche, il peut cesser de travailler la terre pour se consacrer à la gestion et à d’autres tâches.” Il représente la classe des propriétaires ou encore "classe disponible". Initialement c’est la seule classe détentrice de capitaux et susceptible de rentabiliser une entreprise.
Les propriétaires, grâce au rapport de leurs biens peuvent rémunérer des ouvriers pour travailler, des artisans pour fournir des outils ou d’autres prestations, ces derniers incarnant la classe salariée ou, pour reprendre les termes de Turgot, “stipendiée.” De cette manière, la classe stipendiée, industrieuse, est amenée à se subdiviser en entrepreneurs, capitalistes, artisans et simples ouvriers. Dès lors, le moteur du capitalisme est lancé, rebattant en permanence les cartes du jeu économique dans lequel chacun peut, en fonction de ses aptitudes, de son travail, et d’un peu de chance, créer ou perdre des fortunes.
Turgot fut ainsi le premier économiste à énoncer cet axiome toujours pertinent : "Ce sont les capitaux seuls qui forment et soutiennent les grandes entreprises [d’agriculture]."

Dans le cours de l’histoire, la rémunération accordée par les propriétaires aux stipendiés, prit toutefois des formes variées, pas toujours honorables. Turgot en décrit cinq.
La plus ancienne fut la “culture par des salariés” dans laquelle le propriétaire prenait toute la récolte mais fournissait aux ouvriers les moyens de travailler (outils, semences) et un salaire. La rentabilité n’était pas optimale puisque les ouvriers n’avaient aucun intérêt à produire, et le propriétaire était incité à exercer une tutelle souvent très contraignante. Paradoxalement cette technique ancestrale est resté le substratum de l’économie étatisée nivelée, caractérisant les régimes socialistes...
La seconde technique fut plus calamiteuse encore. Ce fut, selon les propres mots de Turgot, “cette abominable coutume de l’esclavage.”
Alors que la pénurie de main d’oeuvre locale pouvait se faire sentir, tandis que par le biais de la colonisation des populations entières étaient asservies, “des hommes violents ont alors imaginé de contraindre d’autres hommes à travailler pour eux. Ils ont eu des esclaves dont le seul salaire était le gîte et la nourriture.” Inutile de s’appesantir sur le caractère infamant de cette méthode, vouée à disparaître dans toute société de liberté.
Elle laissa la place heureusement, à d’autres systèmes, moins inhumains. La culture par métayage par exemple dans laquelle le métayer gagne une partie de la production, en général la moitié (on disait alors “colon à moitié fruits”). Enfin, la culture par fermage ou louage des terres, lorsque le propriétaire abandonne la totalité des récoltes moyennant rétribution par une rente ou un loyer. C’est en définitive le système qui s’imposa, quoiqu’il ne soit réellement adapté qu’au monde agricole.

Dans la conception économique développée par Turgot, la notion d’échange est fondamentale. Tout ce qui lui fait entrave s'avère anti-naturel et néfaste.
L’échange se réduit en règle au commerce “qui donne à chaque marchandise une valeur courante relativement à chaque autre marchandise.” "Toute marchandise est donc monnaie puisqu’elle mesure et représente toute valeur. Réciproquement toute monnaie est marchandise."
Dans cette logique limpide, les métaux précieux, or et argent, on l’avantage d’avoir une valeur facile à apprécier par leur poids et leur titre, d’être inaltérables et d’être facilement divisible. Grâce à ces qualités, et bien qu’ils n’aient pas d’utilité fondamentale, ils ont toujours eu une valeur intrinsèque.
Il n’y a rien d’étonnant donc à constater que “dès que les hommes ont pu tirer de leurs terres un revenu plus que suffisant pour satisfaire à tous leurs besoins, ils éprouvèrent la nécessité, par prudence ou inquiétude de l’avenir, de convertir ces surplus en matières le moins périssables possible”, d’abord en recourant aux valeurs mobiliaires (meubles, vaisselle, bijoux, maisons, terres, outils, bestiaux…) puis aux métaux-monnaie, devenant capital en soi.

C’est une des grandes forces de Turgot d’avoir compris et décrit comme nul autre, les règles naturelles du commerce. De ce point de vue, certaines de ses remarques conservent une fraîcheur étonnante si ce n’est prémonitoire de nombre de problématiques de la société contemporaine :
“Le détaillant apprend par expérience, par le succès d’essais bornés faits avec précaution, quelle est à peu près la quantité des besoins des consommateurs qu’il est porté à fournir.”
“Le négociant envoie des marchandises du lieu où elles sont à bas prix dans ceux où elles se vendent plus cher.”
“Toutes les branches du commerce roulent sur une masse de capitaux .../… qui ayant été d’abord avancés par les entrepreneurs .../… doivent leur rentrer chaque année avec un profit constant. C’est cette avance et cette rentrée continuelle des capitaux qui constituent ce qu’on doit appeler la circulation de l’argent. Aussi vitale à la vie économique que la circulation du sang pour la vie d’un animal…”
“Si les entrepreneurs cessent de retirer leurs avances avec le profit qu’ils sont en droit d’attendre, il est évident qu’ils seront obligés de diminuer leurs entreprises, que la somme du travail, celle des consommations des fruits de la terre, celle des productions et du revenu, seront d’autant diminuées, que la pauvreté prendra la place de la richesse, et que les simples ouvriers, cessant de trouver de l’emploi, tomberont dans la plus profonde misère.”

Une des contributions essentielles de Turgot à la science économique, fut l’éclairage original qu’il donna à la mécanique du crédit et de l’endettement. Souvent critiqués à son époque, les prêts représentaient selon lui, un mode d’utilisation efficace des capitaux. Dans cette logique écrivait-il, “le prêt à intérêt n’est exactement qu’un commerce dans lequel le prêteur est un homme qui vend l’usage de son argent et l’emprunteur un homme qui l’achète…”
Sa conception libérale s’exprimait à cet égard de manière explicite : “C’est une erreur de croire que l'intérêt de l’argent dans le commerce doive être fixé par les lois des princes. Ce prix est un peu différent suivant le plus ou moins de sûreté qu’a le prêteur de ne pas perdre son capital, mais à sûreté égale, il doit hausser ou baisser à raison de l’abondance et du besoin.../… La Loi ne doit pas plus fixer le taux de l’intérêt de l’argent qu’elle ne doit taxer toutes les autres marchandises qui ont cours dans le commerce.”

Le sujet permet une fois encore de mesurer la profondeur de vue de celui qui n’était alors que l’intendant du Limousin, et qui donna pourtant des clés essentielles pour comprendre les interactions entre épargne et flux monétaires. Pour résumer sa pensée, s’il y a peu d’argent épargné en capital, il y en a plus à circuler et donc sa valeur diminue. En revanche, il y a par voie de conséquence moins d’argent à prêter et sans doute plus d’emprunteurs, donc les taux d’intérêts s’élèvent. 

La proposition inverse est bien entendu tout aussi vraie, ce qui amène à la formule de portée universelle, énonçant que "l’intérêt courant de l’argent est le thermomètre par où l’on peut juger de l’abondance ou de la rareté des capitaux."
Très originale pour son temps, et toujours pleine d’actualité, fut également l'appréciation hiérarchique du risque, en fonction de la nature des investissements de capitaux : “L’argent placé dans des entreprises de culture, de fabrique et de commerce doit rapporter plus que l’intérêt de l’argent prêté, lequel est supérieur à celui de l’argent placé dans l’achats de terres affermées.”

26 avril 2014

Turgot, lumineux (2)

Les Amoureux de la liberté peuvent se consoler de l’injuste discrédit qui frappa Turgot en se plongeant dans les quelques écrits d’une éclatante modernité, qu’il laissa à la postérité.

En premier lieu, le tableau philosophique des progrès successifs de l’esprit humain qu’il proposa sous forme de discours à la Sorbonne en 1750, alors qu’il n’était âgé que de 23 ans.
Il y développe des conceptions pragmatiques empreintes d’humilité assez caractéristiques de la pensée libérale.

Du spectacle de la Nature, il retient cette impression de perpétuel renouvellement, où “le temps ne fait que ramener à chaque instant l’image de ce qu’il a fait disparaître” et par contraste, “la succession des hommes qui offre au contraire, de siècle en siècle, un spectacle toujours varié.”
A l’inverse du credo égalitariste de Rousseau, il fait le constat que “la nature inégale en ses dons a donné à certains esprits une abondance de talents qu’elle a refusée à d’autres…” et y voit la raison profonde de la marche chaotique du monde sur la voie du progrès : “Les circonstances développent les talents ou les laissent enfouis dans l’obscurité; et de la variété infinie de ces circonstances, naît l’inégalité du progrès des nations.”
A contrario, “la barbarie égale tous les hommes”, notamment lorsqu’ils perdent l’ambition de devenir meilleurs, qu’ils ne manifestent plus l’envie de corriger leurs erreurs, ou qu’ils s’abandonnent à leurs vieux démons : “Quel spectacle présente la succession des hommes ! J’y cherche les progrès de l’esprit humain et je n’y vois presque autre chose que l’histoire de ses erreurs. Pourquoi sa marche si sûre dès les premiers pas dans l’étude des mathématiques, est-elle dans tout le reste si chancelante, si sujette à d’égarer ?”
Pire que tout cependant, est l’inclination aux croyances non fondées : “Ce penchant presque invincible à juger de ce qu’on ignore par ce qu’on connaît.../… Ces analogies trompeuses auxquelles la grossièreté des premiers hommes s’abandonnait avec tant d’inconsidération.../… Les égarements monstrueux de l’idolâtrie…”

Au total, une vision réaliste, qui fait de l’être humain l’artisan principal de son destin et le porteur de ses propres espérances, ce qui suppose une aptitude à se remettre en cause et à ne pas préjuger de ses capacités : “parce que l’orgueil se nourrit de l’ignorance, par ce que moins on sait, moins on doute; moins on a découvert moins on voit ce qui reste à découvrir…”

Dans une lettre à Hume datée de 1767, Turgot aborde certains problèmes économiques. Il rejoint le philosophe écossais dans sa définition du prix courant des marchandises, basée selon eux uniquement sur la loi de l'offre et de la demande. Turgot nuance un peu ce point de vue en définissant la notion de “prix fondamental” qui pour une marchandise, est ce que la chose coûte à l'ouvrier, et qui augmente dès que des impôts ou des taxes s’interposent. Ce constat l’amène à déplorer “les inconvénients de l’impôt sur les consommateurs, dont la perception est une atteinte perpétuelle à la liberté des citoyens.” Non sans humour, il détaille ainsi les multiples contraintes et effets pervers engendrés par le fisc : “il faut fouiller aux douanes, entrer dans les maisons pour les droits d’aides et d’excises, sans parler des horreurs de la contrebande, et de la vie des hommes sacrifiés à l’intérêt pécuniaire du fisc : voilà un beau sermon que la législation fait aux voleurs de grand chemin…

21 avril 2014

Turgot, lumineux (1)

Moins de deux ans, c’est ce que notre pays accorda au libéralisme pour faire ses preuves !  C'est vraiment peu pour une nation qui a inscrit la Liberté au fronton de tous ses édifices publics.
Au surplus, ces deux petites années ne datent pas d'hier. Elles s'étendent précisément d’août 1774 à mai 1776, période durant laquelle Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781) fut contrôleur général des Finances du Royaume de France. Cette époque aurait pu être bénie, or elle fut maudite...

Elle commençait pourtant bien.
Lorsque Turgot fut promu ministre par la volonté du jeune Louis XVI, celui-ci venait d'accéder au trône, et tous deux avaient en tête une foule d'idées audacieuses. Le pays en avait bien besoin, tant il s'asphyxiait dans des schémas sociétaux archaïques et tant il croulait sous les dettes.
De l’autre côté de l’Atlantique, à l’Ouest, un vent de liberté se levait, irrépressible. Il était porteur de grandes espérances et la France qui ne contribua pas peu à le faire naître, pouvait être le relais sur le vieux continent, de ces aspirations nouvelles.

Etrange pays que le nôtre ! Nombre de philosophes, d’économistes et de penseurs s’y illustrèrent dans la défense des idées libérales, et très peu de politiciens et d’hommes d’état ont tenté de les mettre en application.
Turgot constitue une exception notable. Il fut à la fois penseur brillant et homme d'action intrépide. Il servit un roi doté d’une grande ouverture d’esprit, apte sans aucun doute à mettre en oeuvre la grande révolution intellectuelle portée par les Lumières.
Mais, paradoxe navrant, il fut renvoyé dans ses foyers prématurément sous la pression d’intellectuels jaloux de leurs prérogatives, tandis que le roi fut la victime expiatoire de révolutionnaires obtus, se gargarisant de liberté ! Et si en définitive le ministre déchu n’eut pas un destin aussi funeste que son monarque, ce fut sans doute parce que la maladie le terrassa à 53 ans, quelques huit ans avant la prise de la Bastille !

Son passage aux affaires fut marqué par d’indéniables et rapides succès économiques, permettant notamment la réduction drastique de l’endettement du pays, non par l’accroissement des impôts ou le recours à l’emprunt, mais par une gestion budgétaire rigoureuse, et de substantielles économies. Le principe, décrit
dans la lettre qu’il adressa à Louis XVI suite à sa nomination, était simple : “Si l'économie n'a précédé, aucune réforme n'est possible”.
Tout en assainissant les finances du pays, il amorça toutefois en parallèle d’audacieuses réformes libéralisant le travail et les échanges commerciaux. Il supprima nombre de charges absurdes qui pesaient sur le peuple, dont les corvées royales qui contraignaient les paysans et les roturiers, à fournir à l’Etat des jours de travail non rémunéré, consacré à l’entretien des routes. Il abolit les jurandes, maîtrises et autres dispositifs corporatistes qui bridaient l’accès à nombre de professions et en réservaient les avantages à quelques élus.
Hélas, une cabale de privilégiés, et de très mauvaises récoltes dues aux aléas climatiques tuèrent dans l'oeuf ce vaste programme de modernisation de l’Etat. Louis XVI, bien intentionné mais influençable et manquant de détermination, le révoqua de ses fonctions. Résultat, de concessions en concessions, le pouvoir s’affaiblit et il ne fallut que quelques années pour que le pays bascule dans le grand désordre de la révolution.
Au moment de son éviction, Turgot avait mis en garde Louis XVI de manière prémonitoire : « N'oubliez jamais, Sire, que c'est la faiblesse qui a mis la tête de Charles 1er sur un billot... »

20 avril 2014

Les raboteurs d'acquis sociaux

Au pays dont le satrape en chef s'appelle Hollande, tout est si bas, si vain, que presque plus rien ne semble avoir d'importance. Rien ne bouge dans ce nébuleux « changement » qui plombe doucement l'atmosphère de ses vapeurs méphitiques. A celui qui végète, la morne uniformité tient lieu de tiède raison de vivre.
Dans ce pays, ivre du néant, les débats sont microscopiques et les perspectives totalement vides. Il n'y a pas de chemin puisque qu'il n'y a pas de direction...
Une étrange impression de vacuité s'est emparée de ce monde en déshérence.

Les Français, définitivement assujettis à l'Etat, se morfondent avec une sorte de délectation morbide, dans la contemplation de sa monstrueuse impuissance, et dans l'ennui sidéral qu'engendrent les discours soporifiques de ses dirigeants.
Le gouvernement n'est plus qu'un théâtre de marionnettes dont les figures sans vie ni âme dansent au dessus du vide en interchangeant leurs rôles dans l'indifférence générale.
Ils chantent sur un ton monocorde les grands principes, mais les dernières « valeurs » auxquelles leur idéologie s'accrochait ont été laminées par les mensonges éhontés de celui qui fut par un malheureux concours de circonstances, élu Président. Sous les plafonds encore dorés des palais de la République, chaque jour apporte son lot de malversations, de manoeuvres, de compromissions, de favoritisme, et d’esprit partisan qui gangrènent les institutions et mine la crédibilité de leurs gardiens.

S'agissant de la gestion du bien commun, personne n'imagine que les succédanés et artifices qu'on tente de faire passer pour une politique soit porteurs d'amélioration, mais personne n'imagine réellement d'autre voie. D’aucuns cherchent encore à bercer le peuple d’illusions, sous tendues par des promesses insensées, mais personne évidemment ne croit plus aux mots dont ils se gargarisent pour pallier l'absence de conviction et l'insignifiance des desseins. Les dernières inventions du génie bureaucratique s’épuisent avant même d’être concrétisées. “Pacte de Responsabilité”, “pacte de solidarité”, “pacte de confiance”, toutes ces fusées conceptuelles lancées en l'air comme armes ultimes par un gouvernement à bout de souffle, font l’effet d’un piteux feu d’artifice dont les flammèches s’éteignent sitôt allumées.
En fin de compte, dans la fameuse “boite à outils” des gouvernants, il ne reste plus que le rabot, pour tenter en désespoir de cause de faire entrer en force le vieux paradigme français bouffi, dans la rigueur salutaire du cadre supra-national, européen. Celui-ci constitue le dernier rempart à l’inconséquence de politiciens aussi démagogues qu’irresponsables, il les oblige enfin à se rapprocher un peu de la réalité.

Cela donne un spectacle tragi-comique où l’on voit les Artaban d’hier, moulineurs de grands principes, les Don Quichotte de l’anti-mondialisation, contraint de rabattre leurs ambitions délirantes et se mettre à dégauchir à la varlope, millimètre après millimètre, les boursouflures du monument “social”, dont il étaient si fiers. Ils l’avaient construit en dépit du bon sens, dépensant à tout-va, et asséchant sans vergogne par l'impôt toutes les sources de richesses du pays. Après en avoir tari l’essentiel, ils n’ont ni l’énergie, ni l’inspiration qui seraient nécessaires à une vraie refondation, sur des bases plus saines.
Jusqu’où iront-ils dans cette humiliante mais peu efficace besogne de rognage et de rafistolage qui les fait renier leurs propres croyances, et ergoter sur tout ce qu’ils considéraient comme des acquis ?
Jusqu’où iront ces chantiers dérisoires avant qu’enfin le souffle rafraîchissant de la liberté balaie ces vains échafaudages, et lève de vraies ambitions en dégageant pour les gens entreprenants, de nouveaux horizons ?

30 mars 2014

Va, petit mousse...

C'était quasi couru d'avance. Après deux années calamiteuses passées à faire semblant de gouverner, le Parti Socialiste et ses alliés ne pouvaient espérer remporter ces élections municipales.
Mais il s'agit d'une débâcle ! Une raclée monumentale. Historique, comme aiment à l'annoncer les journalistes ! Pas moins de 155 villes de plus de 9000 habitants perdues...

Au delà des enjeux locaux, passés à l'évidence au second plan, décidément c'est l'ensemble du débat politique qui est vraiment moribond en France. Depuis des lustres, il semble qu'aucun dirigeant d'aucun parti ne puisse plus faire illusion dans ce pays. Car une fois encore ce n'est à proprement parler une victoire pour personne. Si la gauche est tout simplement KO, les autres n'émergent que par pur effet mécanique. Pas de vague bleue, c'est marée basse.

Ainsi, on serait bien en peine de savoir quels programmes pourraient dorénavant être proposés aux Français. On évoque un remaniement ministériel, mais chacun sait qu'il ne s'agira que d'un cataplasme sur une jambe de bois. Certains exigent avec véhémence un nouveau coup de barre à gauche, d'autres voudraient l'inverse. Mais qu'est-ce donc que l'inverse dans ce foutu pays de contradictions ?
M. Hollande est qualifié d'ultra-libéral ! Vaste plaisanterie... On avait déjà chanté cet air là au sujet de Nicolas Sarkozy, et c'était tout aussi mal venu. Il n'y a pas plus de libéralisme que de beurre en broche. Ce scrutin est donc une nouvelle faillite politique. Une de plus sur cet itinéraire navrant, qui va de Charybde en Scylla. On y croise beaucoup de faux monstres. On fait mine d'y combattre des chimères et des fantasmagories. Et on se fixe un cap fondé sur des illusions.
Va, petit mousse, où le vent te pousse...

27 mars 2014

Défi de démocratie


Élections après élections, scrutins après scrutins, les tares de la démocratie française se font plus évidentes.
C’est même une sorte de désastre chronique auquel on assiste. Rien de plus navrant que ce caractère répétitif de l’échec et des désillusions qui minent le moral et font douter tant de gens de la politique (près de 90% des Français n’ont pas confiance dans leurs dirigeants politiques selon une enquête du CEVIPOF parue en janvier 2014) !

Sans doute pourrait-on avancer qu’en démocratie, on a les élus qu’on mérite, mais est-on encore vraiment en démocratie ?
On peut en douter lorsqu’on constate l’écart quasi constant entre les programmes pré-électoraux et les actions qui s’ensuivent. Soit elles s’avèrent insignifiantes, soit elles contredisent de manière flagrante les ambitions affichées. Manque de conviction ? Pusillanimité ? Inconséquence ? Forfanterie ? Un peu de tout ça sans doute…

A l’origine de ce mélange étrange de mépris et de démagogie, il y a probablement cette fichue tradition, très hexagonale, d’assimiler la mission du politicien à celle d’un haut fonctionnaire. De fait, la plupart le sont, ce qui leur assure un repli confortable en cas de revers électoral.
Les allées du Pouvoir en France sont ainsi peuplées d’élus et de technocrates inusables, renaissant sans cesse de leurs cendres, et on peut les voir évoluer sous les ors des palais de la République, plusieurs décennies durant. Une chose est sûre, cette manière de faire, n'est pas pour rien dans la lassitude manifestée par les citoyens lorsqu’un scrutin leur offre l’occasion de s’exprimer.

Est-ce le sentiment d'occuper des positions inexpugnables qui conduit beaucoup d'hommes politiques à perdre la raison, au point de donner parfois l'impression de nier le principe démocratique ? Cette notion de « Front Républicain » par exemple, qu'on a vu pour la nième fois ressorti à l'occasion des élections municipales a de quoi irriter. Destiné à faire barrage au Front National, il s'avère non seulement détestable, mais surtout totalement contre-productif. La Gauche l'a utilisé dans les années 80 de manière machiavélique pour diaboliser ce parti politique, et en faire un abcès de fixation, empêchant la Droite d'obtenir la majorité. Cette dernière, sous la houlette de Jacques Chirac, est tombée stupidement dans le piège. Alors qu'il lui eut été aisé de balayer les leçons de vertu de gens qui n'avaient pas hésité à s'allier avec les Communistes, elle a contribué par son attitude à exclure du débat public et à radicaliser le parti de Jean-Marie Le Pen, et en faire un vrai problème pour la démocratie.

Aujourd'hui, quoiqu'on pense de ce parti et des idées qu’il porte, il représente durablement près d'un quart de l'électorat, que certains continuent d'ostraciser de manière intolérable.
La France est un pays étonnant où le communisme a toujours pignon sur rue, où l’on entend l'extrême gauche révolutionnaire éructer impunément ses vieilles haines, où l’on peut voir l’insupportable Jean-Luc Mélenchon régulièrement invité dans les salons médiatiques, haranguer les foules avec un odieux discours revanchard, insulter quiconque ose le contredire, et traiter de « vermine » ceux qui se mettent en travers de son chemin.
Dans le même temps, on agonit d’injures un parti en lui faisant un procès en sorcellerie comme Vincent Peillon ou Najat Vallaud-Belkacem, qui osaient encore le soir du premier tour, afficher une intolérance totalitaire avec leur slogan « pas une municipalité pour le FN !»
Tandis qu'ils perdent leur maigre légitimité, obtenue à l'occasion d'une présidentielle gagnée de justesse, et pour de mauvaises raisons, les Socialistes continuent ainsi de faire preuve d’une invraisemblable arrogance. Loin de tirer les leçons de leur défaite, ils dénient aux autres le droit de prendre démocratiquement leur place !
Une nuée d’artistes, plus encartés « qu’engagés » se joignent à eux pour hurler à la mort et se livrer à toutes sortes de menaces ou de chantage. Pendant ce temps, les médias font mousser à plaisir les chiffres, évoquant un séisme dans l’opinion alors qu’il ne s’agit que de l’expression d’un gigantesque dépit.
« Peur sur les villes » titrait le médiocre journal Libération ! Après avoir accusé l’extrême droite d’instrumentaliser les peurs, il fallait oser. De fait, ils ont tous les culots, c’est à ça qu’on les reconnaît…
En définitive, malgré ces remugles écœurants qui traversent le pays, l’attente est toujours forte vis à vis des partis politiques et de ce qu’ils sont censés représenter, à savoir l’Etat. C’est d’ailleurs bien là le problème, et le paradoxe : l’attente est si forte, si immense, qu’elle ne peut qu’être déçue…