17 janvier 2017

What Now ?

Quoiqu’on en pense, Donald Trump est un sacré bonhomme ! Un sacré dur à cuire assurément.


On a dit tant de choses sur lui, on l’a tant agoni d’injures depuis qu'il a fait irruption dans le champ politique que pas grand monde n’aurait parié sur son avenir dans le domaine.
Mais c’était méconnaître son extraordinaire charisme et son étonnante capacité à rebondir et à tirer profit de tout ce qui se présente à lui.


Au moment où il s’apprête à investir la Maison Blanche, il n’est pas sans intérêt de tenter d’aller au delà de ce qu’on connaît de lui par les raccourcis simplistes diffusés avec délectation par les médias réunis. Il suffit pour cela par exemple de se pencher sans trop d’a priori sur ses écrits, et notamment sa profession de foi pré-électorale. Parue en 2015 sous le titre Crippled America (L’Amérique Paralysée*) elle ne cache pas grand chose de ses motivations et de ses intentions.

Au risque de sortir une fois encore des rails de la Correction Politique, je l’ai fait ! Le moins qu’on puisse dire est que je n’ai pas été déçu du voyage !


Certes le personnage ne manque pas d’air pour vanter ses mérites personnels, et rien que cela peut en énerver plus d’un... En tant que bâtisseur, son métier de base, il estime en toute modestie “qu’il a accompli des choses que personne d’autre n’a accomplies.../… et son nom, qui est sa marque, est selon lui, “un des grands symboles de qualité et d’excellence dans le monde.”

De lui-même, il affirme en toute simplicité qu’il est “un mec gentil”, mais qui a “la mauvaise habitude que les politiciens professionnels n’ont pas, celle de dire la vérité, et de ne pas avoir peur de dire exactement ce qu’il pense…”

Son franc-parler et même son goût de la provocation sont ainsi parfaitement assumés, et probablement même exacerbés par le mépris que l’on manifeste à son égard. Il prétend, non sans quelques raisons, qu’il est “l’homme que les médias adorent détester depuis un bout de temps.” Son comportement ne serait que la conséquence de cette exécration : “Je n’hésite jamais à faire parler de moi en étant polémique ou en contre attaquant.../… Il m’arrive de faire des commentaires choquants, leur donnant ainsi ce qu’ils attendent…./…. Ils savent ce que j’ai dit, ils savent ce que j’ai voulu dire, mais ils en font des citations tronquées ou bien les interprètent de manière à en donner un sens différent.../… J’ai toujours attiré une foule de journalistes qui attendaient comme des requins que je fasse couler le sang… J’essaie d’honorer cette attente !”


Lorsqu’il décida sérieusement d’entrer en politique, il avait déjà prévu l’accueil qu’on lui ferait : ”je savais que tous les défaitistes impitoyables et incompétents, apôtres du statu quo, paniqueraient et se dresseraient contre moi…”

L’idée de départ était pourtant simple : “ faire en sorte que notre pays retrouve sa fierté et riposte.” “Make America Great Again” comme dit le slogan officiel.

Pas plus bête après tout que le “Yes We Can” d’Obama, mais qui ne suffit pas à prouver qu’il fera mieux que le lamentable pschiiit, du président sortant…


Son programme, Donald Trump est capable de le résumer en une seule phrase : “Nous devons renforcer notre armée, aider nos anciens combattants, nous confronter à nos ennemis, dissuader l’immigration illégale, reconstruire nos infrastructures, réorganiser notre code fiscal et notre système éducatif, et nous débarrasser des mesures stupides du passé, y compris l’Obamacare et l’accord sur le nucléaire iranien.”


Au long des quelques 230 pages de l’ouvrage il détaille ces grand axes, sans donner certes toujours des réponses précises aux problématiques qu’il entend solutionner, mais sans annoncer non plus la révolution ni les terrifiantes mesures dans lesquelles certains voient déjà se profiler le spectre du fascisme.


Premier sujet d’importance, celui de politique internationale. A ce propos, il n’y a aucun doute pour lui : “traiter avec la Chine, aussi bien qu’avec la Russie, va constituer le plus grand défi à long terme.”

Sans désigner quiconque comme ennemi, il plaide pour aborder les négociations à venir en position de force. Et pour pouvoir peser, rien ne remplace à ses yeux la puissance militaire : “nous avons besoin d’une armée si forte que nous n’aurions pas besoin de nous en servir”.
Il ne fait là que reprendre le bon vieux précepte des anciens “si vis pacem para bellum”, ce qui lui permet d’égratigner au passage Obama “qui essaie de jouer les gros bras et fixe des limites, mais lorsque la ligne rouge est franchie, il n’a pas de réaction…”

Pour Trump, c’est la doctrine de Théodore Roosevelt qui prévaut : “user de douceur et brandir un gros bâton...” et d’une manière générale, “le camp qui a le plus besoin de négocier doit repartir avec le moins...”


En matière de politique intérieure, les questions sociétales font l’objet de développements fournis. L’éducation notamment constitue une de ses préoccupations essentielles. Il déplore la baisse régulière du niveau des collèges et écoles primaires et souhaite faire évoluer les choses vers un système qui “laisse jouer la concurrence entre les écoles pour attirer les enfants.../… car le problème avec les écoles publiques est que pour nombre d’entre elles, il n’est pas possible d’évaluer ce qu’elles font. Si une école privée sous contrat ne fait pas son boulot, elle ferme…”

S’agissant de l’enseignement supérieur, ce n’est en revanche pas la qualité qui le soucie, puisque selon lui, les Etats-Unis dispensent le meilleur enseignement supérieur du monde, mais le coût croissant des études. S’il ne propose hélas guère de solution concrète, il évoque "le programme fédéral de prêts étudiants, qui a fait un profit de 41,3 milliards de dollars en 2013….”

M. Trump pour finir, insiste sur le rôle primordial de la famille. A son avis, “la plupart des problèmes de discipline commencent à la maison. Tous les parents devraient se demander : quel genre d’exemple est-ce que je donne ?”


Pour le système de soins, il espère la mise en oeuvre d’un système raisonnable et responsable, dans le cadre d’un marché compétitif, mais il peine à proposer des solutions précises en dehors de l’abrogation de l’obamacare et le rejet de la bureaucratie qui a est devenue selon lui envahissante.

S’agissant de l’avenir des retraites, il le voit inscrit dans un programme fondé en partie sur la Sécurité Sociale, mais également sur l’économie de marché, "qui fonctionne". Il rappelle à ce sujet “que les fonds spéculatifs et les gestionnaires de fonds sont importants pour les fonds de pension et pour l’épargne retraite par capitalisation.”


En matière économique, Donald Trump exprime une conception libérale pragmatique, c’est à dire qu’il ne se gêne pas pour enfreindre certains dogmes, par exemple celui du libre échange. Mais il s’agit à l'évidence davantage de promouvoir une stratégie du donnant-donnant que de se faire le chantre du protectionnisme.

Sur la fiscalité, c’est une diminution tous azimuts qu’il préconise. Il souhaite la suppression des niches fiscales et la simplification d’un code fiscal, lourd de 74608 pages. En contrepartie, ne persisteraient que 4 tranches d’imposition : 0-10-20-25% et pas de taxation supérieure à 15% pour les entreprises. Les droits de succession seraient quant à eux purement et simplement supprimés…

Fidèle à sa ligne anti-système, il en profite pour dénoncer l’incurie des politiciens : “nous ne devrions pas recevoir de conseils en fiscalité de la part de membres du Congrès, incapables de présenter un budget, ni attendre d’eux qu’ils tiennent leurs promesses de créer des emplois…”

Il défend enfin ardemment un vaste programme national de relance, sous réserve qu’il passe avant tout par la rénovation des infrastructures publiques qu’il juge en état de quasi délabrement : selon lui les routes sont surchargées, semées de nids de poules, les voies ferrées ne sont plus fiables et un pont sur neuf serait structurellement défaillant.


Beaucoup d’autres problématiques passent au tamis de sa réflexion décapante, et bien sûr les thèmes par lesquels il a provoqué le scandale.

A propos de son attitude envers les femmes, il tente de convaincre que sa prétendue misogynie n’est qu’une accusation non fondée : “Aucun de ceux qui se lamentent sur la manière dont je parle des femmes ne mentionne le fait que j’ai travaillé à promouvoir la parité des sexes dans une industrie dominée par les hommes. Et de rappeler que pour le projet de Trump Tower à New York, il est fier d’avoir confié, dès 1983, la responsabilité à une femme de 33 ans.”

S’agissant de l’immigration, qui fut l’objet de tant de controverses, il s’explique sans détour : “On a entendu dire que Trump affirmait que tous les immigrés étaient des criminels. Ce n’était pas du tout ce que j’avais dit mais cela faisait un meilleur sujet pour les médias.../… J’éprouve un grand respect pour les Hispaniques mais ce n’est pas ce dont les médias ont rendu compte.../… Je ne m’oppose pas à l’immigration. J’aime l’immigration. ce que je ne peux pas tolérer c’est l’idée même de l’immigration clandestine.../… même si je sais bien que la vaste majorité des immigrés clandestins sont honnêtes, très travailleurs et qu’ils sont venus ici pour améliorer leur vie et celle de leurs enfants.”

Il déplore en définitive que “les lois actuelles soient faites à l’envers : qu’elles rendent la vie difficile aux gens dont nous avons besoin et la vie facile aux gens dont nous ne voulons pas…”

Parmi les mesures qu’il propose, figure la remise en question du droit du sol qui fait de toute personne née aux Etats-Unis un citoyen de droit de ce pays. Toujours enclin aux formules lapidaires, il résume sa position en disant “non aux anchor babies”. S’agissant du fameux mur entre les USA et le Mexique, dont il confirme qu’il souhaite sa prolongation et son renforcement, il résume sa position avec un adage : “Les bons murs font les bons voisins…”


Le climat : “Je ne crois tout simplement pas que le changement climatique soit causé par l’homme…” Considérant que les sources d’énergies renouvelables ne sont pas suffisantes, onéreuses (solaire) ou dégradantes pour l’environnement (éoliennes), il préconise de continuer faute de mieux, à exploiter les formidables réserves de carburant fossile (ne différant pas dans les actes d’Obama, qui derrière ses belles paroles, laissa libre cours à l’exploitation du gaz de schiste).


Au sujet du port des armes, il cite un Pères Fondateurs de la république américaine, James Madison considérant qu’il s’agit “d’un avantage dont jouissent les Américains par rapport à presque tous les autres pays, où les gouvernements ont peur de faire confiance à un peuple avec des armes…”

En bref, il “n’est pas besoin d’interdire aux citoyens honnêtes l’accès aux armes à feu, mais de sévir contre les criminels professionnels…./…. Quelle pratique ridicule et inutile que celle des médias qui associe systématiquement un crime à une arme à feu plutôt qu’à un criminel…”


Enfin, alors qu’on aurait pu le croire à mille lieues de préoccupations spirituelles, il exprime un intérêt inattendu vis à vis de la religion. Sans prendre partie pour l’une plutôt qu’une autre, il célèbre “la foi inébranlable qui a rendu ce pays si grand, et ces croyances issues des enseignements de la bible [qui] ont beaucoup à voir avec notre développement et notre succès.”


Au total, il s’agit d’une profession de foi volontariste, qu’on peut certes trouver un peu simpliste, mais qui n’est pas sans rappeler le programme défendu autrefois par Ronald Reagan (qui fut critiqué par l’intelligentisia de l’époque, à peine moins sévèrement que Trump). Derrière la provocation, il y a donc surtout le bon sens et beaucoup d’esprit pratique, dont on imagine qu’il usa pour faire prospérer ses affaires. C’est donc sur sa capacité à mettre en oeuvre ce projet qu’il faudra le juger.
Pour conforter la légitimité controversée que les urnes lui ont donnée, il lui faudra sans doute également modérer ses ambitions et son auto-satisfaction, tout en faisant preuve de mansuétude face au mouvement anti-démocratique très médiatisé, qui conteste haineusement son élection.
On ne pourra en tout cas pas lui retirer une passion sincère pour son pays, qu’il exprime à plusieurs reprises et qui trouve son point d’orgue dans ce cri du cœur (il en aurait donc un…) : “Je sais à quel point j’ai de la chance. le jour où je suis né, j’avais déjà gagné à la plus grande loterie de la planète : je suis né aux Etats-Unis !


A suivre : L'effet Trump...
*L'Amérique Paralysée. Donald Trump. Editions du Rocher 2016

06 janvier 2017

Nuit de Janvier


D'étoile et de neige, la nuit
Se joue de la brume élégiaque
Emplissant le silence opaque
D'un indéfinissable ennui

A la fin tout ici bas nuit
Que cela vienne du zodiaque
Ou bien d'un fatum démoniaque
D'hier, demain ou d'aujourd'hui

Plus rien ne reste et tout s'estompe
Au sein d'un monde évanoui
Qu'aucune effusion ne détrompe

Seul erre le sens inouï
D'une évidence qui dérange
Cette pénombre très étrange...

28 décembre 2016

La couleur des rêves

On dit d’Odilon Redon (1840-1916) qu’il fut un peintre symboliste.

Sans doute est-ce vrai, mais alors c’est au sens où Baudelaire l’entendait dans ses fameuses Fleurs du Mal, lorsqu’il évoquait le mystère du Monde, et la place de l’homme entre rêve et réalité :
“La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.”


Dans la vision que le peintre en propose, ce monde est en effet peuplé de mille choses et créatures imaginaires, qui entrent en symbiose avec lui. De toute évidence, la réalité sensible est aussi importante à ses yeux que le royaume de la pensée.
Le spectacle est parfois inquiétant, par exemple lorsque l’on rencontre des araignées à tête humaine ou bien des démons grimaçants surgis d’une noirceur d’encre. Mais à d’autres moments, il est parfaitement rassurant, quand la lumière inonde la toile et que des myriades de couleurs se répandent en prenant des formes ailées, vaporeuses ou florissantes.


Pour notre plus grand bonheur, Odilon Redon qui commença sa carrière sur le mode quasi exclusif du clair-obscur, dont il nommait lui-même les productions des “noirs”, fit un beau jour, le choix de la lumière et de la couleur. Comme s’en est réjoui le critique et ami du peintre Marius-Ary Leblond en 1907, il “se lassa de cette sorte d’enfer spiralant et noir où il s’était enfermé.../... il éprouva le besoin de la lumière et monta vers la couleur comme vers un paradis.”


De fait, au travers de cette nouvelle optique, se dégage une sérénité rayonnante où le rêve se confond avec la réalité et où le jour apparaît aussi resplendissant que la nuit. C’est ainsi qu’on peut les découvrir sous forme de deux larges fresques exposées dans la bibliothèque enchantée de l’abbaye de Fontfroide. Tels de vastes horizons lumineux, ces panoramas sont tous deux propices à l’évasion spirituelle, même si la clarté a l’incandescence de l’or dans l’une, et la profondeur aquatique de tourmalines dans l’autre.
Il souffle dans ces compositions un grand vent de liberté, mais si calme, si émouvant, qu’on ne peut que se laisser emporter par ses volutes apaisantes.



En s’élevant au dessus de la brutalité de la matière, Redon tend vers l’abstraction pure même s’il reste parfaitement figuratif.

La figure humaine emplit d’ailleurs une bonne partie de ses tableaux.

Elle est souvent empreinte d’une gravité hiératique. Yeux mi-clos, expression songeuse, voire énigmatique, elle interroge le monde et participe de son mystère poétique. Qu’il s’agisse d’un doux visage féminin ou d’une silhouette d’inspiration religieuse, c’est à la sagesse que ces êtres nous invitent avec une sollicitude infinie.




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Et c’est avec un émerveillement sans cesse renouvelé que l’on admire ces fantasmagories aériennes multicolores où la grâce côtoie la beauté. On peut ainsi s’imaginer échapper au monde sensible, sans pour autant s’égarer dans de vaines divagations.

Quoi de mieux pour passer sans appréhension et le coeur léger, d'une année dans l’autre ?


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27 décembre 2016

Sleep and Poetry

Il y a un peu plus d'un mois, disparaissait Leonard Cohen (1934-2016).


Avec quelques dernières chansons à la beauté plus grave et ténébreuse que jamais, il s’éteignait comme une bougie, dans une ambiance sépulcrale, où se mêlaient confusément la nostalgie amoureuse, la tristesse du départ et l’espérance secrète d’une indicible éternité.

Me reviennent alors quelques mots, écrits à l’occasion d’un précédent album, Ten New Songs, sorti au tout début des années 2000 et qui marquait presque joyeusement son retour, après un silence prolongé dans le confinement extatique d’une retraite bouddhique.
Jamais je n’avais apprécié le chant de cet homme autant qu’à travers ces mélopées chaudes et sourdes, qui parlent de tout et de rien, avec un art ineffable de donner l’impression, comme un funambule sur son fil, de progresser sur une seule note, bleue bien sûr...



Avant d'écouter Leonard Cohen, il est impératif de se mettre en condition. Il faut faire le calme en soi, ne rien attendre de précis, se dépouiller de toute les turbulences du quotidien, et se laisser glisser sans retenue dans une sorte de mol abandon.

Alors et seulement alors, peut se produire un petit miracle : la montée lente et majestueuse d'une extase languide, faite de quiétude et de détachement, qui vous envahit délicieusement et vous entraîne dans une subtile lévitation intellectuelle. Avec ce nouvel album, des plus intimistes et dépouillés, plus que jamais l'effet est au rendez-vous, à condition de vouloir le saisir.

"In my secret life" constitue une introduction idéale à ce monde étrange. Une humble mélodie sous tendue par une rythmique veloutée, au dessus de laquelle comme un murmure, une voix s'élève et vient planer avec une chaude gravité. Elle vous dit des choses douces, intemporelles, totalement dénuées de passion et de vanité.

Et lorsque l'allumage a eu lieu, le temps se met à défiler avec une exquise régularité, comme les grains de sable au travers d'un sablier. Ça paraît indéfini, sans heurt aucun, sans stress, et empreint de plénitude. Beau et parfait comme un minuscule jardin japonais...

A la fin, lorsque les dernières notes du magnifique Land of Plenty se dissipent dans l'air immobile, on se sent un peu engourdi, comme émergeant du sommeil ou bien comme si un court instant, on avait transcendé la réalité... 

Adieu, doux poète….

NB : Sleep and poetry est le titre d'un poème de John Keats

24 décembre 2016

Jeux de langues

La langue est ce qu’on a trouvé de mieux pour exprimer la pensée. Mais cette dernière est si foisonnante et si insondable que la première se révèle pour la tâche, un outil bien rudimentaire. Celui qui sait manier plusieurs langues a sans doute un avantage. Non pas tant de savoir traduire des phrases d’un idiome à l’autre, mais surtout de pouvoir mieux mesurer à partir de plusieurs points de vues, la richesse de l’expression humaine.
C’est en quelque sorte à cette expérience que l’écrivain Michael Edwards tente de nous initier dans ses dialogues singuliers sur la langue française.
Il faut préciser tout de suite qu’élevé à Cambridge, il est tombé sous le charme de la France et du français qu’il maîtrise au moins aussi bien que sa langue maternelle. Preuve en est qu’il siège depuis quelques années à l’Académie Française !

Son domaine de prédilection, c’est la poésie qui est selon lui “le lieu où l’on devine tout le possible de la langue, tout ce qui demeure inexploré dans les échanges habituels.”
A partir son expérience personnelle, il propose ici une réflexion en forme de dialogue, qu’il mène tout seul, en se dédoublant pour la circonstance. Sa partie francophone est “moi”, sa partie anglophone est “me”. On pourrait trouver le procédé un tantinet artificiel et le fait est que certaines digressions semblent parfois se perdre en conjectures, agréables mais un peu exégétiques.
On trouve toutefois dans ces pages où l’érudition le dispute à l’esthétisme des considérations intéressantes. La comparaison du français avec l’anglais tout d’abord qui donne l’occasion de décrire le premier comme “une langue rangée, surveillée, où l’on se plaît à multiplier les difficultés.../… une langue mieux ordonnée que la réalité qu’elle tient  délicatement à distance”, tandis que l’anglais manifeste “une capacité à créer un sens complet et souvent complexe avec une grande économie de moyens.”
Evoquant les études linguistiques d’un certain Charles Bally, Michael Edwards, rappelle toutefois que “la construction française est restée souple voire capricieuse, rebelle aux règles inflexibles, accueillante pour les exceptions et les variétés susceptibles de rendre  les nuances délicates de la pensée…”
En un mot, plutôt flatteur, si l’anglais est “la langue universelle dans le sens grossier du mot (on la parle partout), le français est universel de manière bien plus noble. Affranchi des conjonctures, il domine dans l’ordre de l’idée, de l’esprit…”

Selon Michael Edwards, maîtriser une langue c’est voir à travers : “La langue disparaît comme intermédiaire. C’est écrit quand on ne voit plus la langue, seulement la chose dans toute sa netteté…”
Pourtant à force d’être précise la langue française frise parfois l’absurdité, notamment comme le fait remarquer Michael Edwards, lorsqu’elle entend faire “le partage de tous les objets du monde et de la pensée entre les genres masculin et féminin.” Cela tourne même à la manie lorsqu’on applique au langage les stupidités de l’idéologie égalitaire, en féminisant de manière affreuse tous les mots qui ne connaissaient qu’un genre qu’on aurait pu qualifier de “neutre” (professeure, auteure, sapeuse-pompière). L’Académie Française s’est d’ailleurs élevée contre cette mode, déniant même au gouvernement « le pouvoir de modifier de sa seule autorité le vocabulaire et la grammaire du français. »

Si la langue maternelle, qu’on imagine aussi naturelle que l’air qu’on respire, contribue à rendre familier tout ce qui nous entoure, l’acquisition d’un nouveau mode d’expression est comme un débarquement en terre inconnue. Cette sensation inspire à Michael Edwards une belle réflexion aux prolongements philosophiques : “Par le français, je suis entré avec bonheur dans l’étranger, mais aussi avec appréhension.../… C’est d’abord le vocabulaire qui bascule, les mots qui disparaissent pour être remplacés, alors qu’ils semblaient contenir toute la réalité ou presque.”
Lorsque la réalité perd son caractère intangible, c’est l’être lui-même qui vacille. Ainsi la langue nouvelle insinue l’étrangeté dans le moi :”Si l’on change en plongeant dans les eaux d’une autre langue, le moi n’est pas stable, on peut se demander qui l’on est.../… Nous habitons une planète qui ne parle pas notre langue. il suffit d’un changement d’optique pour que tout bascule.../…”

Méditer sur la langue mène très loin. Jusqu’à Dieu pourquoi pas, si l’on se réfère à l’évangile selon Saint-Jean qui stipule “qu’au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu.”
D’où cette conclusion en forme de questionnement panthéiste, attachant aussi bien le langage à l’homme que l’homme à Dieu, de manière pourrait-on dire consubstantielle :
  • “Quand Dieu créa l’univers, le ciel et la terre, la création se trouvait-elle en dehors de lui ?
  • Je nage complètement , ou plutôt je me noie dans ce qui me dépasse tout à fait, mais je présume que Dieu projeta  l’univers hors de lui.
  • Mais si Dieu est omniprésent, comment peut-il exister quelque chose en dehors de lui ? Où trouver un endroit qui soit hors de Dieu ?”

19 décembre 2016

Game Over

Les Historiens se pencheront sans doute objectivement sur les faits et actions marquant le double mandat de Barack Obama, qui fut à la tête des Etats-Unis de 2008 à 2016.

Porté par un élan confinant parfois à l’extase mystique, le “premier président noir” a-t-il été à la hauteur de ce que les foules enthousiastes attendaient de lui ?

Le moins que l’on puisse dire est que cette épopée annoncée un peu trop emphatiquement, s’achève en fiasco.

Le dernier discours du Président, révèle que même dans les mots, il n’est plus très efficace, lui qui savait si bien manier le verbe pour émouvoir le bon peuple.
Les médias pourtant si indulgents à son égard ont surtout retenu ses vaines piques vengeresses adressées à la Russie. Pourquoi donc, alors qu’il s’apprête à quitter la Maison Blanche, se lance-t-il ainsi dans une charge nécessairement dérisoire et potentiellement désastreuse à l’encontre d’un pays avec lequel son successeur aura la délicate tâche de composer ?


Sans doute est-il déçu de n’avoir pas réussi à faire triompher son ex-rivale et coreligionnaire Hillary Clinton; sans doute est-il quelque peu humilié par l’influence grandissante de Wladimir Poutine sur la scène internationale.
Mais y a-t-il encore un admirateur assez béat pour prendre au sérieux les accusations de piratage informatique, responsables paraît-il de la déstabilisation de la candidate démocrate au profit de Donald Trump ?

Si c’était vrai, ce serait la preuve d’une inquiétante faiblesse de l’Amérique, et d’une tragique impuissance des services de contre-espionnage. La CIA et la NSA seraient donc tombées si bas, qu’elles ne parviendraient même pas à contrer de bien banales cyber-attaques ?


Les menaces qu’aurait adressées Obama à Poutine, pour le contraindre à faire cesser ces agressions, relèvent de la tartarinade : « Je lui ai dit qu'il y aurait des conséquences sérieuses s'il ne le faisait pas... »
Hélas, le futur ancien président américain a beau monter sur ses grands chevaux virtuels, il ne convainc personne, et ses admonestations tournent à l’infantilisme, notamment lorsqu’il traite la Russie de « petit pays qui ne produit que du pétrole, du gaz et des armes... »

Une aussi stupide provocation ne peut que le couvrir de ridicule, à l’heure où l’Amérique fait si pâle figure face à la Russie, notamment en Syrie. Il est bien loin le temps où l’on qualifiait l’Amérique de George W. Bush d’hyperpuissance (Hubert Védrine).


Par son inaction, Barack Obama a laissé en toute connaissance de cause s’opérer d’épouvantables massacres. A côté de l’horrible guerre civile dont la tragédie d’Alep est le point d’orgue, on a vu proliférer un peu partout au Proche-Orient la gangrène du terrorisme islamique, étouffant les grandes espérances de liberté qu’avaient fait naître les printemps arabes.

De ce feu contagieux la Russie de Poutine est en train peu à peu de tirer les marrons, sans qu’on puisse dire où tout cela va mener. Pour l’heure, son influence grandit chaque jour tandis que celle des Etats-Unis s’étiole. Il y a lieu de s’inquiéter de cette évolution. Si les desseins de Poutine restent assez impénétrables, le fait est que sa politique n’a guère d’états d’âmes.

M. Obama tente de se défausser sur d’autres de ses propres erreurs et ses lâchetés et invoque des périls imaginaires. Il tente un peu naïvement de se construire une posture, mais elle fait de plus en plus penser à celle de Don Quichotte qui combattait les moulins à vent...

02 décembre 2016

Cul-de-sac

Les évènements se précipitent. Les échéances se succèdent. Et le grand nettoyage politique est à l’oeuvre.
Aujourd’hui François Hollande prend enfin une sage décision. Il renonce à se représenter à l’élection présidentielle !
Un soupir de soulagement parcourt le microcosme politique. Comme titre Le Figaro : “Le retrait de Hollande est unanimement salué !”

On ne voyait pas bien ce qu’il pouvait faire d’autre, au vu de la conjoncture, mais que d’atermoiements, pour en arriver là ! Que de longueurs dans ce feuilleton en forme de glauque soap-opera.

C’est évidemment un terrible aveu d’échec. Le Chef de l’Etat a beau d’une voix blanche, égrener les soi-disant réussites de son mandat et affirmer n’avoir qu’un seul regret (le débat en eau de boudin sur la déchéance de nationalité), c’est évidemment l’impression d’un monumental ratage qui s’impose.
Victime d’une impopularité précoce, profonde et durable, il n’a jamais réussi à incarner un vrai projet, donnant l’impression de mener le “pédalo” gouvernemental au jour le jour, sans but, sans boussole, avec le seul espoir de pouvoir à un moment ou un autre, profiter d’une bénéfique vague porteuse. Tout ça pour échouer lamentablement sur le banc de sable de la Primaire de la Gauche...

Au risque de passer pour partisan, on peut avant tout évoquer l’inanité de cette politique, errant entre socialisme à l’eau de rose et tiède social-démocratie. On peut considérer comme normal, que rien de bien ne soit sorti d’une telle accumulation de voeux pieux, de mesures à la Dubout, et d’a priori idéologiques surannés. Le Socialisme, ça ne marche décidément pas, comme le disait Giscard dans un éclair de lucidité.
En plus d’un défaut d’ambition politique, le personnage manque singulièrement de charisme et de panache. Il apparaît plus que jamais évident que son accession aux plus hautes marches du pouvoir ne fut que la conséquence d’un concours de circonstances. Divine surprise pour les uns, erreur de casting pour les autres
Sa lente décrépitude qui s’achève aujourd’hui n’a pas grand chose à voir avec le départ choisi et assumé du général De Gaulle, qui avait lié son sort au résultat d’un référendum. Hélas, François Hollande n’a pas l’occasion de partir avec dignité. C’est sur la foi de sondages désastreux et dans une ambiance pestilentielle qu’il est contraint de s’effacer piteusement.
Après son retrait, qui finit de le décrédibiliser, il persiste néanmoins à vouloir végéter encore cinq long mois, sans plus de légitimité qu'un acte notarial, dans le lugubre cul-de-sac dans lequel il s’est lui-même fourvoyé, et le pays avec. Triste fin...

Cela dit, s’il laisse un Parti Socialiste dévasté, cela n’empêchera pas ses coreligionnaires éparpillés “façon puzzle”, de tenter de nous resservir les mêmes plats, soit en rajoutant un peu de vinaigre de gauche, soit au contraire une pincée d’épices libérales.
Les Français auront-ils enfin un peu plus d’exigences; vont-ils montrer leur dégoût pour ces mixtures dégoulinant d’huile démagogique c’est là toute la question...

30 novembre 2016

En marche ?

La primaire de la Droite et du Centre a donc rebattu les cartes du jeu politique, qu’on croyait déjà distribuées…


Ce scrutin très ouvert, qui a passionné le pays s’est déroulé dans une ambiance un peu étrange mais somme toute très démocratique et rassurante pour l’avenir. Le pire n’est donc pas certain et c’est le grand mérite des organisateurs de cette confrontation, d’avoir relevé le défi. Thierry Solère en fut un des principaux artisans. Ses manières simples, sans emphase ni artifice, cachent évidemment une belle détermination. Elles révèlent également une nouvelle approche politique, marquée par le souci de dire les choses telles qu’elles sont et non telles qu’on voudrait que le peuple croie qu’elles soient.

François Fillon
a été désigné comme le nouveau porteur des espérances de celles et ceux qui se sont exprimés avec enthousiasme. Ils ne représentent qu’une partie du pays, mais n’en doutons pas, le succès de l’opération révèle une aspiration profonde. L’essai ne demande désormais qu’à être transformé.

La personne même de François Fillon semble taillée pour les épreuves à venir. Il a le calme et le sang froid des vieilles troupes. Il a une expérience trempée au feu de l’action, nul ne peut le contester, et il paraît savoir où il veut emmener le pays, ce qui n’est pas la moindre des qualités, en ces temps de trouble et de confusion.


S’agissant de son programme, il a de quoi séduire tout amoureux de la liberté. On entend évidemment déjà les voix de ceux qui crient à l’ultra-libéralisme, qui s’effarouchent par avance de la “casse sociale” qu’il serait susceptible de provoquer. La rengaine est si caricaturale, si éculée qu’elle devrait faire honte à ceux qui osent encore l'entonner.
Ces gens ont-ils donc de la m…. dans les yeux pour ne pas voir le lent dépérissement de la nation, pour être aveugle au malheur de toutes les personnes sans emploi ou qui végètent dans une misère entretenue par un Etat Providence déresponsabilisant ? Sont-ils donc pétris de mauvaise foi pour occulter les déchirements qui traversent notre société, pour réclamer toujours plus de bureaucratie, qui asphyxie les initiatives ?


Dans quel monde est-on lorsqu’on refuse aux gens la liberté de travailler comme bon leur semble ? Lorsqu’on ne voit d’autre perspective au problème de l’emploi que celle de la Fonction Publique ? Lorsqu’on n’imagine d’autre horizon pour l’éducation des enfants que celui de l’Etat ? Lorsqu’on ne parvient à penser l’assurance maladie autrement qu’à travers le dogme monolitihique de la Sécurité Sociale ? Lorsqu’on considère la famille comme une référence relevant du fascisme ?


Pour l’heure François Fillon veut échapper à cette gangue conservatrice confinant au gâtisme. Il veut avancer en éradiquant un à un les tabous idéologiques qui forment autant de mirages trompeurs sur le chemin du progrès.
On ne saurait toutefois se réjouir trop vite ayant tant été échaudés par le passé.
Il reste en effet à savoir dans quelle mesure il appliquera tout ce qu’il propose, et comment il fera passer la pilule amère à des Français drogués aux promesses et aux illusions...

22 novembre 2016

Le combat de trop

Ainsi s’achève donc la trajectoire politique de Nicolas Sarkozy...


Même s’il ne faut jamais jurer de rien en matière de politique, cette fois le destin national de l’ancien Président de la République paraît scellé pour un moment, si ce n’est pour toujours.
Ce parcours incandescent, brisé une première fois en 2012, s’achève donc abruptement ce 20 novembre 2016, à l’issue d’une primaire organisée par son propre parti, et dont il fut bon gré mal gré l’artisan ! Ce parti qu’il avait conquis, fasciné, mené à la victoire, puis sévèrement déçu, avant finalement de le sauver de l'auto-destruction, à l’occasion d’un improbable et risqué retour.
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Si cette reconquête étonnante mais illusoire n’était pas sans rappeler les fameux cent-jours de Napoléon, le résultat du scrutin de cette “Primaire de la Droite et du Centre”, c’est en quelque sorte Waterloo et l’exil à Saint-Hélène...

L
es électeurs ont écarté leur champion d’un nouveau challenge présidentiel, et ce, sans ambiguïté ni ménagement.

Il faut croire que l’Histoire repasse rarement les plats. La chance qui a souri à Nicolas Sarkozy ce soir de mai 2007, où vainqueur de l’élection présidentielle il exultait sa joie, s’exclamant “Je ne vous trahirai pas”, “Je ne vous décevrai pas”, cette chance s’est obstinément refusée à lui pour une nouvelle aventure.


Derrière la meute des ennemis jurés, ni plus ni moins nombreux depuis 10 ans, l’ancien chef de l’Etat n’a pas vu celles et ceux qui se sont sentis trompés et trahis durant ce quinquennat trépidant mais désordonné, plein de fougue mais sans vraie ligne directrice, marqué par tant de renoncements, de contradictions et tant d’erreurs grossières de communication ! Il n’a pas vu que s’est imposée peu à peu dans beaucoup d’esprits, l’idée que chez lui, l’énergie et la volonté masquaient un manque quasi total de convictions.


Certes il y eut cette haine irrépressible, inextinguible, épidermique, inexplicable tant elle est irrationnelle, qui l’a poursuivi sans répit durant tout son quinquennat, et ce quoiqu’il fasse ou qu’il dise. Cette haine qui s’est accrochée à ses basques dès le début du marathon un peu fou qu'il avait entrepris pour tenter de revenir au premier plan.

Tout y passa, des insultes les plus viles aux accusations les plus extravagantes pour tenter de le discréditer. Le “Hollande bashing” contre lequel quelques chochottes enfarinées de la Gauche bobo font mine de s’émouvoir et qui fait gémir les Saintes-Nitouches “people” de la Socialie, n’est rien en comparaison de celui qui s’abattit sans discontinuer depuis de nombreuses années sur Sarko.
Il perdura jusqu’à ces derniers temps, où nombre de revanchards hystériques se déclaraient prêts à tout ou presque pour barrer la route au candidat républicain, y compris piétiner leur prétendu engagement idéologique, en allant voter pour le quelque peu rassis Juppé. Six-cent mille personnes ont cru bon d’accomplir cet obscur dessein, à ce qu’il paraît.


Le parti des Republicains peut dire merci à ces idiots utiles qui ont un peu renfloué ses caisses en même temps qu’ils ont précipité ce qui était devenu inéluctable !

Même si Sarkozy était encore capable de déployer une énergie admirable, même s’il émanait toujours de sa personne un charisme puissant, les ressorts étaient usés. La ligne stratégique était devenue franchement erratique, tellement difficile à comprendre que plus grand monde ne parvenait à la suivre.


Pourtant, les événements ne se sont pas vraiment déroulés comme prévu. La Gauche vindicative et le Centre équivoque ont eu la peau de Sarko mais, faisant involontairement d’une pierre deux coups, ils ont blackboulé par la même occasion celui qu’ils avaient désigné comme l’exécuteur de leurs basses oeuvres !

Mu par une intuition contagieuse et déjouant tous les pronostics, le “peuple de droite” a en effet anticipé la chute annoncée de son héros et s’est reporté massivement sur François Fillon, prenant à contrepied la stratégie machiavélique, un peu cousue de fil blanc. Résultat : Sarkozy entraîne dans sa chute Alain Juppé qui se croyait déjà en haut de l'affiche, et toute sa suite de courtisans, parfois de la dernière heure, alléchés par les juteuses prébendes qui se profilaient à l’horizon.


Mauvais perdant, mal conseillé, et obstiné jusqu’à l’absurde, Juppé “a décidé de continuer le combat” au nom du “rassemblement”. Largement distancé, il avait une belle occasion de faire cesser au contraire les hostilités inutiles, et de s’associer à cette nouvelle dynamique porteuse d’espoir pour son parti. Il préfère courir le risque d’ouvrir de nouvelles divisions dans lesquelles pourront s’engouffrer les adversaires de tout poil. Il prend également celui d’une défaite cuisante en deux temps, qui ne serait en définitive que justice face à tant de mesquinerie.


Quant à Nicolas, il s’est esquivé sur la pointe des pieds, rendant les armes avec panache et humilité, au terme d’une brève et touchante allocution. Ce dernier combat fut sans doute celui de trop, mais il lui donne l’occasion de prouver que derrière des manières parfois histrioniques, il y a un coeur sensible et une âme noble. Respect lui soit rendu...

12 novembre 2016

Réactionnite

Sans doute vaut-il mieux rire de ce concert de réactions pour le moins cocasses si ce n’est parfois franchement stupides qui font suite à l’élection de Donald Trump.
Dans ce feu d’artifice tous azimuts, on voit de tout...

D’abord, les mauvais perdants qui se font un devoir d’opposer à grands cris leur refus du verdict démocratique. A l’image de ces jeunes bécasses endoctrinées sur lesquelles le site web du journal Le Monde s’ouvrait, 3 jours après les résultats du scrutin !
“Not my president”, c’est le slogan qu’elles affichent sur leur front à la manière des peintures guerrières abêtissant les supporters de foot à l’entrée des stades. Les pauvresses, elles n’ont pas compris que le match était fini…

Et Le Monde de qualifier ces “quelques centaines de personnes” manifestant au pied de la Trump Tower, de “jeunesse libérale” ! Cela donne envie d’ironiser sur le mouvement de fond que ces groupuscules d’enragés représentent, et de s’interroger sur l’intérêt qu’il y a, alors que nous nous trouvons paraît-il en pleine panade démocratique, de leur donner un telle importance (qui fait passer au second plan tout le reste de l’actualité, dont la mort du chanteur Leonard Cohen). Cela fait naître aussi une certaine perplexité quant au sens du mot libéral utilisé en la circonstance. On imagine mal qu’il s’agisse de fans du fameux libéralisme si décrié en France, et dont M. Trump ferait plutôt figure d’incarnation diabolique…

Sans doute faut-il donc prendre le terme au sens anglo-saxon, ce qui signifierait plutôt gauchiste, c’est à dire ennemi de tout ce que la liberté suppose…


Passons sur ces peccadilles. Il y a plus grave. La France est une nouvelle fois en émoi.

En témoigne le sondage qui atteste (si tant est qu’un sondage puisse attester une réalité) que 83% des Français auraient une mauvaise opinion de Trump ! Belle unanimité qui démontre une fois encore que l’esprit critique a hélas déserté notre pays au profit d’un morne conformisme. Y a-t-il encore des repères dans ce marasme consensuel, dans lequel les gens ont perdu l'habitude de penser par eux-mêmes ? 

Plus trop manifestement lorsqu’on songe qu’avec 4% d’opinions favorables, François Hollande se croit toujours en position d’incarner le meilleur candidat de gauche à la présidentielle. De crise démocratique il est donc bien question…

Passons également sur le mélange de mauvaise foi chauvine et de méconnaissance crasse du système américain, qui fait dire tranquillement sur un plateau télé, à madame Royal, qu’en France Hillary Clinton serait élue, car elle totalise plus de voix populaires que son adversaire !

Passons sur la réaction incroyable de notre ambassadeur aux Etats-Unis, tweetant ses états d’âme au sujet de l’élection de Donald Trump, dans laquelle il voit "un monde [qui] s'effondre devant nos yeux" ! Sans doute imagine-t-il que cette contribution puisse améliorer les relations diplomatiques entre les 2 pays. A moins qu’il n’ait décidé comme nombre d’artistes et de prétendus intellectuels d’abandonner courageusement ses fonctions et de quitter les Etats-Unis...

Passons enfin sur les annonces catastrophistes au petit matin du 9 Novembre : “la chute des marchés boursiers s'accélère sur des craintes de victoire de Trump” (Figaro), vite démenties par le rebond “historique” de Wall Street…


Terminons donc sur les tentatives plus ou moins convaincantes de récupération du résultat de la présidentielle américaine par nos politiciens. Celle du front National bien sûr, qui n’a pas trop à se fatiguer puisque les enquêtes d'opinions affirment qu’il serait le principal bénéficiaire de “l’effet Trump”. Il y a pourtant fort à parier que contrairement aux idées reçues, les actions du futur dirigeant américain n’auront pas grand chose à voir avec celles préconisées par l’extrême droite française.

Et surtout celle, délicieuse d’opportunisme, de Nicolas Sarkozy. On se souvient en effet que l’ancien chef de l’Etat ne faisait pas mystère de sa préférence : "Il se trouve que moi, je suis l'ami d'Hillary Clinton. Qu'est-ce que j'ai à voir avec monsieur Trump ?" clamait-il haut et fort. Il affichait même un vrai mépris pour ce dernier qu’il jugeait “populiste et vulgaire”, allant jusqu’à affirmer : “ce monsieur ne mérite pas tant d'intérêt que cela, je trouve effrayant que 30% des Américains puissent se reconnaître là-dedans…”


Le voici qui salue maintenant la victoire de Trump dans laquelle il voit “le refus de la pensée unique” !

En disant tout et son contraire, M. Sarkozy a parfois raison. Mais en l’occurrence, c’était lorsqu’il affirmait qu’il n’y avait pas grand chose de commun entre lui M. Trump. A part le charisme, tout les oppose en effet. Le futur hôte de la Maison Blanche est vraiment neuf en politique et jusqu’à ce jour, on peut dire qu’il s’oppose vraiment à la pensée unique. Cela lui a donné des arguments que Nicolas Sarkozy n’a plus quant à lui pour convaincre...

10 novembre 2016

La nuit américaine

Encore une fois l’Amérique a réservé au Monde une surprise dont elle a le secret, lors de cette folle nuit d’élections ! Donald Trump, le vilain canard, honni des médias qui croient faire l’opinion, a donc été élu ! Sans bavure. Sans appel...
L’improbable est donc devenu certitude devant les yeux médusés des légions de commentateurs et de sondeurs prétendus avisés, qui la veille encore, jouaient à prendre leurs désirs pour des réalités.

Avant même de s’intéresser à la personne du nouveau Président, comment ne pas évoquer le monumental échec de cette hallucinante orchestration destinée à le discréditer ? Comment ne pas parler de la claque magistrale donnée à tous les donneurs de leçons, ligues de vertu, artistes “engagés”, qui depuis de longs mois maudissaient le candidat portant les couleurs du parti républicain ? A tous ceux qui dénonçaient son mauvais goût, ses discours sans filtre et ses excès, et qui ne se rendaient même pas compte de leurs propres outrances et de leur sectarisme...

Hillary Clinton se plaisait à évoquer en ricanant le train des insultes proférées par Donald Trump, mais combien faudrait-il de wagons pour contenir tous les gens qui n’ont cessé de vomir leurs invectives sur lui ?
Le Peuple en a eu manifestement assez de ces petits dictateurs de la pensée et de leurs vociférations. Il a manifesté son ras le bol par cet ouragan démocratique. Tant mieux après tout, si tant est que la démocratie ait encore un sens... 
Qui peut soutenir qu'en démocratie, il soit normal que l'écrasante majorité des centaines d'organes de presse, aient choisi sans nuance de tirer à boulets rouges sur Trump, quand ils ne prenaient pas carrément position pour madame Clinton ? Qui peut voir sans s'interroger, la quasi totalité des plus de 300 récents sondages proclamer par avance la victoire d'Hillary Clinton ? Cet incroyable aveuglement à sens unique n'est hélas pas nouveau. On se souvient de 2004 lorsque cette folie moutonnière s'est abattue, pour des raisons à peine différentes, sur George W. Bush. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, cela n'empêcha nullement sa réelection....


Maintenant que Donald Trump est élu, il faudrait sans doute pouvoir répondre aux questionnements angoissés qui reviennent sans cesse dans tant de bouches. Trump est-il un clown ? Est-il un fou ? Est-il, tel le réchauffement climatique, dangereux pour la Planète ?
La réponse est évidemment non. D’abord parce que l’Amérique en a vu d’autres et que ses institutions ont fait la preuve de leur robustesse pour pallier l’inefficacité éventuelle ou les dérives de l’Exécutif. D’ailleurs en France n’a-t-on pas toujours considéré les dirigeants américains, à part quelques démagogues gauchisants, comme des crétins finis ? Cela n’a pas empêché les Etats-Unis de continuer leur petit bonhomme de chemin…

Au cours de cette campagne mémorable, il est indéniable que M. Trump usa et abusa de la provocation. Elle fut d’ailleurs parfois tellement énorme qu’on peut légitimement penser qu’il s’agissait d’une forme d’humour. Hélas, les prétendus Intelligents s’y sont manifestement montrés totalement étanches...
Cette pratique de l’hyperbole, de l’exagération systématique répondait sans doute à une stratégie mûrement réfléchie. Il fallait imprimer sa marque dans les esprits. M. Trump était pressé de tracer son sillon dans le champ de la politique, tout neuf pour lui. Avide d’une moisson rapide, il n’a pas hésité à rajouter à l’envi du fumier, du purin et même des excréments dont on connaît le pouvoir fertilisant.

Il ne fit certes pas dans la dentelle, et ça ne sentait pas la rose, mais son pari insensé s’est révélé gagnant.

Envers et contre presque tout, et en un temps record, il a fait main basse sur le Parti Républicain au service duquel il s’était rangé, bousculant au passage les caciques complètement déboussolés. Dans la foulée, au terme d'une campagne époustouflante, paradoxalement très sobre en dollars, il a conquis l’Amérique, les yeux dans les yeux.

Certes, il reste quelques incertitudes quant à la politique qu’il va mener, maintenant qu’il est sur le point d’investir la Maison Blanche. On ne saurait trop s’avancer, mais le passé de M. Trump suggère qu'il est  du genre pragmatique. Il a du charisme, il a le sens des affaires et des négociations, c’est un fait. Gageons qu’il ne sera pas pire qu’un autre en somme… 
Comme tout homme politique, c’est sur son action qu’on le jugera, plus que sur ses promesses. 
Pour l’heure, il a fait un carton plein puisque les Républicains sont majoritaires à la Chambre des Représentants et conservent le Sénat. Mais il n’a que deux ans pour convaincre...

Son premier discours, après les élections est un modèle de sobriété. C’est un des rares qu’on eut le privilège d’entendre en intégralité, contrairement aux extraits croustillants, choisis à dessein, avec lesquels on nous a si souvent bassinés, ou aux propos enregistrés à son insu, montés en épingle par les médias avec une délectation morbide.
Il a félicité sa rivale et rendu hommage à son courage, puis devant une haie étincelante de bannières étoilées a lancé un vibrant appel à l’union, en remerciant longuement celles et ceux qui l’avaient accompagné.
Quant aux autres, qui ne l’ont pas soutenu, “et il y en a...” il leur a tendu la main et les a appellés non sans un brin d’ironie, à l’aide...

09 novembre 2016

Turner en pleine lumière

La grâce artistique prend parfois des détours inattendus ou improbables pour s’exprimer. De la plus épaisse vulgarité naît parfois le talent, et de la trivialité la plus ordinaire s’élève parfois l’inspiration dans ce qu’elle a de plus ineffable.


Ainsi, au travers d’un film du cinéaste Mike Leigh retraçant la vie de Joseph Mallord William Turner (1775-1851), on peut découvrir derrière le fameux peintre britannique un personnage étonnant, fait de rudesse et d’âpre rusticité, peu gâté physiquement par la nature, sans allure, petit, bedonnant, le cou gras, la bouche lippue.
Et bien, c’est cet homme sans panache, d’humeur souvent chafouine, qui fut l’auteur de toiles, aux perspectives vastes et vaporeuses, inondées d’une lumière extatique noyant comme une pluie dorée les horizons évanescents.


Ce bonhomme à la face de gargouille comme il le disait lui-même, cette silhouette de péquenot parcourant infatigablement et par tous les temps, tel un géomètre, les paysages d’Europe, avec sa besace remplie de carnets de dessins, c’est ce bonhomme bien banal qui produisit une oeuvre comptant plus de 20.000 pièces dont on dit qu’elles ont ouvert la porte à toutes les folies impressionnistes, expressionnistes, symbolistes et autres abstractions lyriques qui constituent la peinture moderne !

Le personnage, tel qu’il apparaît au cinéma, n’est pas sans rappeler celui de Mozart vu par Milos Forman dans son film Amadeus, où il invitait le spectateur à se pencher sur le mystère de la création, en montrant un artiste déconcertant de paradoxes, grossier dans ses manières et si inspiré, si élevé dans sa musique.

On ne peut s’empêcher d’éprouver une étrange sympathie pour ces êtres dont le génie paraît par moments si vulgaire et par d’autres si coruscant. Ils vous touchent par leur simplicité, si proche de celle du commun des mortels, et vous fascinent par leur art tellement inaccessible.



Pour illustrer cette mystérieuse aporie, rien ne vaut dans le film sur Mr. Turner, ces scènes montrant les amateurs et éventuels acheteurs, venus rendre visite au peintre, lorsqu’ils passent émerveillés, de l’intérieur plutôt modeste et sombre de sa maison, à la clarté éblouissante de la salle dans laquelle il exposait ses oeuvres, sous une verrière laissant entrer à pleins flots la lumière à travers un dais de tissu tendu. On passe littéralement de la pénombre à la clarté. Tout à coup la misère du quotidien s’illumine, et tout devient subitement incandescent.


Pour comprendre la fulgurance du génie, on ne peut oublier non plus l’épisode de l’exposition à la Royal Academy, lorsque Turner humilia gentiment Constable, dont les hasards de l’exposition avaient placé un tableau à côté du sien. Voyant ce dernier peaufiner un magnifique paysage en rehaussant de touches carminées quelques détails du premier plan, voici Turner qui se met à barbouiller le sien, un marine élégant, en écrasant au beau milieu de la mer une grosse tache de peinture rouge vif.

  Étonnement si ce n’est stupéfaction des visiteurs devant un tel gâchis apparent, puis exclamations d’admiration lorsque après s’être absenté un instant, le peintre revient et transforme habilement avec ses ongles et son mouchoir, la tache en une bouée rouge, donnant un contraste inattendu et saisissant à la scène…



C’est cela Turner, une maîtrise extraordinaire pour donner consistance aux formes, pour suggérer sans avoir besoin de préciser, et pour faire vibrer la lumière comme jamais on ne le fit avant lui.
On dit que ses derniers mots furent pour évoquer le lien par lequel le soleil confine au divin : "The Sun is God." Tout est dit...