26 novembre 2019

Pansements et cataplasmes

C’est donc le troisième plan de sauvetage de l’hôpital en un an ! Mais rien n’y fait. Le compte n’y est toujours pas. Personne n’est content sauf les zélateurs du Président de la République, ça va de soi...

En septembre 2018 c’était l’annonce emphatique du programme “Ma Santé 2022”, selon un rite désormais bien établi. A chaque changement de gouvernement, on y va de sa réforme “refondatrice”. Hélas, pas plus que dans ceux qui l’avaient précédé, il n'y avait quoi que ce soit de révolutionnaire ni même de réellement novateur. Quelques aménagements de circonstance tout au plus, mais la ligne directrice restait malheureusement la même, cadrée par les grands principes, quelque peu galvaudés, de notre république. Résultat, hormis les vœux pieux auxquels personne ne peut s’opposer, l’ensemble des propositions restait inscrit dans le vieux moule centralisateur et bureaucratique.

En dépit de l’accueil plutôt favorable, force est de constater que cette énième réforme a fait un flop. Avant même le début de l’esquisse du commencement de son application, il fallut sortir en catastrophe de nouvelles mesures pour apaiser la colère venant du terrain. En septembre 2019, à l’occasion du “pacte de refondation des urgences”, 750 millions d’euros furent lâchés en primes et dispositions diverses, bien intentionnées mais peu convaincantes, à l’image de cette nouvelle plateforme téléphonique pompeusement intitulée Système d’Accès aux Soins (SAS). Elle apparaît en effet non seulement redondante avec le centre 15, mais pourrait aggraver en le facilitant, le recours aux urgences, tout comme le renforcement des consultations médicales sans rendez-vous, ou l’instauration du tiers payant pour les médecins libéraux...

Moins de 3 mois après, le problème reste entier. Face à l’ampleur croissante du mécontentement remontant des hôpitaux, le gouvernement cette fois ouvre largement son portefeuille. Peu importe qu’il soit vide, l’oseille en sort comme par magie. Avec le "plan d'urgence pour l'hôpital" on promet d’éponger un tiers de la dette des hôpitaux, à hauteur de 10 milliards d’euros, et de lâcher la bride à l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) en le relevant d’un milliard et demi d’euros sur 3 ans. Parallèlement de nouvelles primes sont annoncées, mais réservées exclusivement aux personnels de la région parisienne.

Qu’attendre de cette gabegie ? Pas grand chose malheureusement. On déverse une pluie de nouvelles ressources financières pour tenter d'éteindre l’incendie mais les perspectives sont de plus en plus nébuleuses. L’État étant plus que jamais criblé de dettes, ses largesses s’apparentent à un simple jeu d’écriture, permettant le transfert des déficits. On avait déjà vu basculer, par la sous-évaluation des tarifs, une partie du fameux trou de la sécu vers les établissements de santé. Cette fois c’est l’État qui creuse un peu plus l'abîme gestionnaire de la nation en donnant en quelque sorte une récompense aux mauvais élèves. Nul doute que l’effacement de la dette s’adressera en priorité aux hôpitaux impécunieux, c’est à dire les grosses et très grosses structures, terriblement dispendieuses. Bel encouragement pour elles à dépenser de plus belle… Quant au projet de réforme du financement, supposé abolir plus ou moins la tarification à l’activité, il n'était pas très clair, mais il part cette fois en quenouille ! Détail croustillant, on promet une augmentation des tarifs, mais de 0,2%, ce qui se situe nettement en deçà de l'inflation, et qui revient donc à contraindre les budgets au moment même où l'on encourage les investissements...

Parallèlement, le gouvernement use et abuse des primes, véritables rustines destinées à colmater la fuite des personnels du public vers le privé. Cette amélioration homéopathique des rémunérations complique toujours plus le système en multipliant les cas particuliers et induit des effets pervers, notamment sur le sujet très sensible des retraites…

Une nouvelle fois, par faiblesse et/ou démagogie, l’État passe donc à côté du problème. Il renonce totalement à réorganiser de manière pragmatique le système de santé et à la vraie urgence qu'il y aurait d'alléger le carcan administratif qui entrave son fonctionnement. Les agences régionales de santé (ARS) dont on connaît le coût et l’inefficacité, perdurent. Rien n’apparaît susceptible d’endiguer la prolifération hallucinante des normes, réglementations, et injonctions, souvent contradictoires, auxquelles les hôpitaux sont tenus de se conformer. Rien n’est fait concrètement pour donner un peu plus d’autonomie aux établissements, ou pour assouplir le cadre ubuesque des “groupements hospitaliers de territoires” (GHT). Rien n’est envisagé pour responsabiliser davantage les “usagers” du système, bien au contraire. Quant à la “Sécu”, elle reste le trou noir, en pleine expansion, de la galaxie administrative. A l’heure où l’on privatise avec le succès qu’on connaît la Française Des Jeux, l’Assurance Maladie continuera son petit bonhomme de chemin de monopole étatique “à la française”...

Mais le pire est sans doute cette petite phrase du premier ministre, qui a benoîtement annoncé vouloir examiner « comment fonctionne le système hospitalier public », et chargé le professeur Olivier Claris d’une mission de réflexion sur ce sujet, dont les conclusions sont attendues à la fin du premier trimestre 2020. C’est le pompon si l’on peut dire. Après le déluge d’audits, de diagnostics, d’enquêtes et de réformes en tous genres, réalisés depuis plusieurs décennies, le gouvernement en est donc toujours à ce degré d’ignorance. C’est vraiment à désespérer...

19 novembre 2019

Lisbonne, ville ouverte

Au dessus de l’embouchure du Tage, Lisbonne s’ouvre en majesté sur l’océan. Elle surplombe fièrement le fleuve du haut de ses miradouros et s’impose au Sud comme le fer de lance occidental du continent européen.
Je n’y suis allé que deux fois mais à chaque fois j’ai ressenti d’étranges sentiments, mélange d’étonnement et d’émerveillement.
Étonnement tout d'abord pour la langue portugaise, un tantinet rebutante pour le béotien. Elle n’a pas l’accent chantant des régions méridionales et l’idiome est austère et complexe, formant un vrai barrage pour l’étranger.
La ville elle-même est déroutante. Sans doute un peu à cause de ses sept collines qui font du dédale de ses rues un imbroglio de montagnes russes pavées et chaotiques, mettant à rude épreuve le cœur et les articulations. Mais aussi par le caractère hétéroclite de son architecture dû aux drames qui ont jalonné son histoire. Le terrible séisme de 1755 détruisit une bonne partie de la cité, et lorsqu’il s’est agi de la reconstruire, sous l’impulsion du Marquis de Pombal (1699-1782), on entreprit de tailler à travers les décombres, de larges perspectives rectilignes. C’est ainsi qu’à côté des quartiers historiques pittoresques mais encaissés et bondés, comme le fourmillant Alfama, on trouve de longues et amples avenues (Avenida da Liberdade), de vastes places (Praça do Comércio) et de grands jardins (Parque Eduardo VII) à l’aspect moderne et classieux mais un peu froid et altier.

Lisbonne n’en est pas moins accueillante et enchanteresse.
Lorsqu’on arrive de l’aéroport, il est aisé de rejoindre directement le centre ville grâce à l’excellent réseau de métro, en l’occurrence la ligne vermelha qui amène le voyageur à San Sebastião, à deux pas de la fondation Calouste Gulbenkian. Celle-ci porte le nom d’un homme d’affaires d’origine turque et amateur d’art, qui souhaita rassembler ses collections dans ce musée, sis au sein d’un élégant parc. On y trouve naturellement de nombreux azulejos, des pièces d’origine arabe ou ottomane, des objets antiques, des porcelaines d’extrême-orient et beaucoup de chefs-d’œuvre du classicisme européen, notamment un splendide portrait de vieillard par Rembrandt, plusieurs très beaux tableaux de Guardi et de Corot. Les salles consacrées à l’art moderne sont d’un intérêt plus discutable, hormis la superbe collection de verreries, et de bijoux signés Lalique.

De cet endroit, on peut rejoindre à pied le cœur de ville (a baixa) en passant par le majestueux Parque Eduardo VII, puis par le rond-point géant dédié au marquis de Pombal, statufié en compagnie d’un lion, et enfin par l’avenue de la liberté. Plus large et presque aussi longue que les Champs-Elysées de Paris, elle n’en a pas le faste mais dégage un charme beaucoup plus tranquille, grâce à son terre-plein central ombragé par d'épaisses rangées arbres. Les grandes enseignes du luxe y sont présentes quoique discrètes.
Avant d’arriver à la Praça dos Restauradores on repère le funiculaire de la Gloria qui monte vers le Miradouro de São Pedro de Alcântara. Antique machine toujours en service, mais affreusement peinturlurée de tags criards. Hélas, Lisbonne est également la ville du street art et nombre de belles façades, et de murs aux couleurs vives ont été défigurés par cette forme d’expression aussi laide qu’arrogante.

On aborde dès lors la vieille ville : le quartier du Chiado, le fameux Rossio, avec ses deux fontaines jumelles de bronze verdi et de pierre marmoréenne encadrant la colonne où trône Dom Pedro IV, 28è roi du Portugal et premier empereur du Brésil. A ses pieds le sol est pavé d’ondulations gracieuses, quasi psychédéliques. C’est en tanguant qu’on se dirige alors vers les quais en empruntant un des nombreux axes parallèles qui y mènent, par exemple la Rua Augusta et son arc de triomphe débouchant emphatiquement sur la gigantesque place carrée du Commerce. Au centre, la statue équestre du roi Joseph 1er, contemporain de Pombal. Au delà c’est la mer, qui vient lécher le Terreiro do Paço, et se lover en ce jour estival autour des colonnes de la Cais das Colunas, suggérant des rêves de départs et d’horizons lointains. Au loin, le Ponte 25 de Abril a un petit air de Golden Gate…

Il y a mille détours à faire dans Lisbonne, chacun réservant un point de vue original sur ce “paradis clair et triste” évoqué par Saint-Exupéry. Le plus époustouflant est sans doute celui qui s’offre au sommet de la tour du centre commercial Armoreiras. Pour cinq euros, on monte au ciel et on peut embrasser du regard toute la cité et plus encore. La butte la plus haute, sur laquelle est posé le Castelo de São Jorge, paraît presque dérisoire dans le panorama. Au loin, au pied des montagnes, on distingue l’aéroport, et de l’autre côté l’embouchure du Tage, magnifique et léthargique delta, traversé par le pont suspendu vers Almada, sur l’autre rive.
Retour sur terre, vers la vieille ville. A chaque carrefour on découvre ces beaux immeubles carrelés qui ravissent le regard et charment l’esprit.

Les trams circulent infatigablement, brinquebalant dans leurs wagons burlesques les foules de touristes paresseux. Certains préfèrent prendre l’elevador San Justa qui dresse vers les cieux son obscure et frêle silhouette de ferraille. Les autres se résignent à crapahuter au sein de ce désordre plein de noblesse, à la fois gai et nostalgique, évoquant si bien la saudade, terme difficile à traduire en français. Le fado incarne également à merveille cet état d’âme indicible, à mi chemin entre le blues et l'euphorie. Il arrive parfois qu’en entrant pour dîner dans un restaurant de Lisbonne, on assiste à un concert impromptu donné en toute simplicité par des amateurs. Alors, on se prend à aimer passionnément ce Portugal qui s’ouvre tout à coup, libérant ses ensorcelants sortilèges et sa généreuse hospitalité. Et l’on fait une place de choix dans sa mémoire à cette ville qui s’éveille et se couche plus tard que les autres. Et à l’instar de Fernando Pessoa, on imprime profondément en soi ce “Tage onctueux ancestral et muet, Humble vérité où le ciel se reflète !”
J’aurai l’occasion de revenir sur cet écrivain hors norme qui incarna si bien la nature taciturne et grandiose de sa patrie. Personnage excentrique, humble mais “intranquille”, il déclina son identité sous de multiples hétéronymes, à l’image de la ville aux nombreuses facettes.
Laissons lui pour clore ce billet, par nature inachevé, le dernier mot:
“Je passe parfois des heures sur le Terreiro do Paço, au bord du fleuve à méditer en vain.../...
Je sentirai toujours comme les grands maudits, qu’il vaut mieux penser que vivre…”

09 novembre 2019

Aux pieds des murs

Avec l’ouverture du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, sous les coups de boutoirs d’une foule en liesse, c’était  le plus effroyable totalitarisme de tous les temps qui mordait enfin la poussière. Aux pieds des joyeux insurgés, le sinistre drapeau rouge s'abîmait dans la fange et les gravats. Qui l’eut cru ne serait-ce que quelques années auparavant ?
Qui aurait oser imaginer que l’Union Soviétique, totalement vermoulue, allait imploser deux ans plus tard ?
Grâce soit rendue à Mikhaïl Gorbatchev par lequel cet événement historique était devenu réalité. Peut-être était-ce inévitable mais ce fut lui et pas un autre, avec la glasnost et la perestroïka, qui avait lancé le compte à rebours et entamé la procédure irréversible de sabordage d’un régime auquel il devait pourtant tout. Il fallait être courageux, clairvoyant, déterminé et quelque peu résigné. De fait, sa carrière s'acheva en douceur et on n'entendit bientôt plus parler de lui. Mais il avait réussi à faire la seule chose envisageable: terrasser le monstre de l'intérieur !
Lors de l'édification de cette ignoble barrière en 1961, le président Kennedy avait exprimé avec justesse l'indignation du monde libre : "les démocraties sont imparfaites mais jamais elles n'ont eu besoin de construire des murs pour empêcher les gens de s'en échapper". Ces mêmes démocraties se révélèrent toutefois impuissantes pour empêcher le rideau de fer d'enfermer des millions de malheureux dans l'enfer socialiste. Le pont aérien mis en place pour sauver l’enclave de Berlin-Ouest fut la seule initiative concrète, symbolique mais bien dérisoire…

Hélas, le communisme n’est à ce jour pas encore tout à fait mort. Certains illuminés ont encore l'indécence de se réclamer de lui et la France, à sa grande honte, est un des derniers pays à héberger encore un parti affichant encore cette appellation infâme. Sous couvert d'écologie ou d'insoumission au capitalisme, on trouve encore beaucoup de défenseurs des théories marxistes qui donnèrent naissance à cette monstruosité.  On trouve encore des gens tel Eric Zemmour, qui affirma tout récemment être nostalgique du temps où l'Allemagne était divisée en deux et qui décidément très mal inspiré, asséna sans rire que la réunification ne fut que l'annexion de la RDA par la RFA (Paris Première le 6/11/19)…

Aujourd'hui que le Mur n'est plus qu'un sinistre souvenir, d’autres barrières s’élèvent, principalement dans les esprits.
Rarement la liberté d'expression n’a été aussi encadrée, réglementée, surveillée, que de nos jours. Chaque écart de langage par rapport à la norme bien-pensante est sanctionné. Le débat d'opinions se trouve de plus en plus cloisonné par les murs de la correction politique et les contrevenants, comme la malheureuse Julie Graziani, sont priés de faire publiquement leurs excuses et leur autocritique comme au temps de l’URSS...
On se souvient également comment le journaliste Clément Weill-Raynal, qui avait révélé l'inanité partisane du "mur des cons" fut évincé de ses fonctions, lâché par sa confrérie, et cloué au pilori médiatique...

D'un autre côté, le mur de la stupidité est trop souvent impunément franchi, même par d'éminentes personnalités. Il en est ainsi d'Emmanuel Macron qui s'exclame que L'O.T.A.N, à laquelle l'Europe doit sa tranquillité, se trouve “en état de mort cérébrale”. Magnifique cuistrerie envoyée à tous nos alliés et belle inconséquence de la bouche d’un dirigeant qui, hormis quelques voeux pieux, se révèle incapable de formuler une proposition alternative.
Pire, M. Macron révélait quelques jours auparavant, dans sa fameuse interview au magazine Valeurs Actuelles, qu’il préfèrait les immigrés d’origine guinéenne et ivoirienne aux travailleurs détachés de Bulgarie. Intéressant message adressé à des membres de l’Union européenne, qu’ils ont moyennement apprécié. Tout comme son sermon invitant à s’affranchir de la règle limitant à 3% le déficit budgétaire. Comment peut-il espérer être pris au sérieux avec un tel discours par des partenaires qui sont parvenus, à force de réformes courageuses et d’économies, à assainir leur gestion jusqu’à devenir excédentaires ?

En définitive, les temps changent mais les murs sont toujours là, même s’ils font heureusement moins de morts...

06 novembre 2019

Born To Be Blue


Bleu comme un infini splendide qui dans ses profondeurs, vire au noir. Bleu comme une blessure inguérissable qui étreint le cœur. Bleu comme la couleur d’un chant qui s’élève entre l’eau et le ciel, sublimant la tristesse en larmes brûlantes.
Il est des destinées fragiles et magiques comme ce bleu incandescent aussi cassant que le verre. Il est des vies qui se fracassent sur la dureté de l’existence.
Deux artistes se rejoignent dans ce magnifique et déroutant fatum. Quoique bien différents, ils ont un point commun: ils sont nés pour le bleu.

Chet Baker (1929-1988) fut une incarnation de ce mystère entêtant. Il vint au monde sous une bonne étoile qui lui conféra le talent et la beauté, mais il consuma ses dons dans un feu désastreux. Il en surgit des étincelles éblouissantes mais la fin semblait inscrite dans cet incendie dévorant.
Le film Born to be blue exalte cette carrière chaotique à partir d’une tranche de vie brève mais révélatrice. Sévèrement accroché aux paradis artificiels que l’opium et ses dérivés font entrevoir au détour de leurs dangereux sortilèges, il se trouva trop souvent entre up and down, et dans les pires moments fit de bien mauvaises rencontres. Il se retrouva ainsi la mâchoire et les dents fracturées après avoir contrarié quelque sinistre dealer. Quelle chute ce fut pour celui qui s’exprimait quasi exclusivement par la trompette !
Après des mois de lutte héroïque, s'il n'était plus physiquement qu'un ange déchu, il avait retrouvé toute son agilité technique et en profita même pour parfaire les aptitudes de sa voix et livrer quantité de blues inspirés. Hélas, cette mécanique qui atteignait à certains moments la perfection en matière de suavité et de volupté, se détraquait à d’autres, bien trop fréquents.
Il n’avait que 58 ans lorsque la chute fatale survint, dans la nuit d’Amsterdam. Il nous reste dans un clair obscur idéal, le souvenir de sa silhouette efflanquée, juchée sur un haut tabouret, nonchalamment courbée sur son instrument. Et des titres enchanteurs : my Funny Valentine, Summertime, Tenderly, All The Things You Are, Let’s get Lost…


De Nick Drake (1948-1974), il ne reste qu’une trentaine de chansons au bord de l’éternité. Et un parcours de moins de trente ans, comme celui des grands poètes romantiques anglais. On pense en effet à Keats ou à Shelley en écoutant les tendres mélopées en forme de rêveries qu’il chanta dans la solitude de sa chambre.
D’une nature timide il répugnait à se produire en public et fuyait tout ce qui ressemble à la gloire. Au point de s’enfermer dans une incurable mélancolie qui devait le mener à écourter plus ou moins volontairement son passage terrestre.
Il se dégage pourtant pour celui qui écoute ses chansons une impression indélébile, une sorte de subtile rémanence qui pénètre en douceur en soi et qui fait qu’on y revient toujours avec joie. Pink Moon reste le titre le plus accrocheur. Ritournelle primesautière et enjôleuse, elle ouvre dans l’album éponyme, une série de ballades recelant la pureté des blues les plus authentiques, âpres dialogues entre la voix et la guitare.
Ce dernier legs du chanteur fut précédé de deux albums non moins prégnants : Five leaves Left et Bryter Layter. Dans le premier, doux comme un velours, Drake distille avec sérénité l’émotion et la nostalgie, dans le second, il donna toute la mesure de son talent, entourant le phrasé frêle mais fluide de son chant d’une instrumentation plus riche et parfois de charmantes enluminures flûtées.
Malheureusement, après ces trois galettes enchantées, le charme s’est évanoui. Trop tôt sans doute mais il n’en fallait peut-être pas davantage pour creuser un sillon durable dans la postérité. Un merveilleux sillon bleu. D’un bleu si profond qu’on s’y noie sans crainte mais avec une délectation sans cesse renouvelée. N’est-ce pas là l’essentiel ?

28 octobre 2019

Des trains pas comme les autres

Ironie de l’actualité, au moment où la France s’est trouvée paralysée par un mouvement soudain “de retrait” des agents SNCF, qui à l’occasion d’un récent accident, réclamaient illico davantage de moyens et notamment une présence renforcée dans les trains express régionaux (TER), sortait un Rapport de la Cour des Comptes épinglant les dépenses extravagantes de ladite SNCF, particulièrement sur son réseau TER.
Le budget affecté à ces lignes est en effet de 8,5 milliards d’euros, financés à 88% par les subventions publiques donc par les contribuables. La vente des tickets ne couvre quant à elle que les 12% restant. Le TER est ainsi le moyen de transport le plus cher au km. Dans certaines régions, comme la Creuse, le coût supporté par l’Etat peut aller jusqu’à 8€/km et par passager, dépassant ainsi largement celui du taxi qui tourne autour de 1,8€/km ! Interrogé à ce sujet par TF1, le Président de la Nouvelle Aquitaine Alain Rousset, invoque le service public des transports, qui comme celui de la santé ou de l’école “est l’honneur de la France”. Ainsi dans l’esprit de ceux qui gèrent nos impôts, peu importe ce que cela coûte et que cela ne serve à rien, seule compte la beauté de la dépense...

En l’occurrence, les raisons d’une telle gabegie sont nombreuses, à commencer par la désaffection de ce mode de transport. On apprend par exemple que 285 gares accueillent moins de 3 voyageurs par jour !
Est-ce le prix des billets qui s’avère dissuasif pour les "usagers" lorsqu’on le compare à celui des cars ou bien du covoiturage ? Sont-ce les horaires inadaptés dont ils se plaignent lorsqu’on les interroge ? Sont-ce les retards auxquels ils sont confrontés de manière récurrente (jusqu’à 27,2% des trains dans le Sud) ? Un peu de tout cela probablement…

Hélas, à cette raréfaction des passagers s’ajoutent d’autres problèmes, plus structurels. Parmi ceux-ci la Cour des Comptes pointe une organisation peu efficace des ressources humaines, une faible polyvalence des agents et des augmentations “trop” automatique des salaires.
Parallèlement les voies ferrées ne cessent de se dégrader faute d’un entretien suffisant et force est de constater que les trains se comportent de manière très peu respectueuse de l’environnement. Nombre de rames font encore appel aux hydrocarbures pour se propulser et même les TER hybrides continuent souvent de rouler au diesel lorsqu’ils passent sur une voie électrifiée, faute paraît-il d’une signalisation adéquate…

Compte tenu de toutes ces tares accumulées, une question se pose : est-il envisageable qu’un jour la SNCF parvienne à l’auto-financement tout en offrant un service efficace, même sur les petites lignes (par un paradoxe étonnant, ces dernières, qui représentent 5% du chiffre d’affaires de la SNCF seraient très rentables puisque ce sont les régions qui paient…)?
On peut en douter surtout lorsqu’on entend les syndicats réclamer selon leur bonne vieille habitude toujours plus de moyens. Comme dirait Jacline Mouraud, fugace égérie des Gilets Jaunes, “mais que font-ils donc de tout ce pognon ?”


Illustration: dessin de Chappate. https://www.chappatte.com/

27 octobre 2019

Complément d'enquête à charge

En attendant la mise en place des cataplasmes de madame Buzyn sur la plaie béante des urgences, les critiques continuent de pleuvoir sur le système de santé et notamment sur le monde hospitalier. Hélas, pas toujours fondées...
Dans l’émission “Complément d’enquête” diffusée le 24 octobre dernier sur France 2, on a pu assister une nouvelle fois au procès de la tarification à l’activité (T2A) qui régit la gestion des établissements de santé court séjour depuis 2008. On a pu entendre de la bouche même de médecins, qui “balancent”, quelques énormités, traduisant soit une méconnaissance du système, soit un soupçon de mauvaise foi. Ainsi, pour le docteur Sophie Crozier, neurologue affectée au groupe hospitalier la Pitié-Salpétrière la T2A, c’est la course à la rentabilité et “c’est bingo pour l’hôpital”, notamment lorsqu’elle valorise les complications survenant lors des soins. Par exemple la présence d’escarres, qui permet d’ajouter chaque jour quelques centaines d’euros supplémentaires au tarif du séjour.
Derrière l’apparent paradoxe, il n’y a pourtant rien d’anormal. D’ailleurs, que dirait-elle si ces complications ne faisaient pas l’objet d’une augmentation du tarif des séjours ? Sans doute comme on l’entend parfois, que les hôpitaux seraient pénalisés par rapport aux établissements privés, sachant que ces derniers ne soignent par hypothèse que des patients “simples” tandis que le secteur public hérite des cas les plus lourds et les plus compliqués.
Madame Crozier affirme naturellement qu’elle fait tout pour éviter les complications à ses patients, mais le fait est qu’elle insinue que d’autres auraient intérêt à les laisser survenir, voire à les déclarer de manière abusive. Parallèlement elle affirme de manière péremptoire (comme la ministre au demeurant), que le système pousse à multiplier les actes superflus, voire inutiles.

Il n’est évidemment pas souhaitable pour un patient d’être victime de complications surajoutées (en termes techniques, on appelle ça des comorbidités associées). Lorsque surviennent des escarres, on peut évidemment s’interroger sur la qualité de la prise en charge préventive. Mais une fois là, il est évident qu’elles alourdissent significativement la prise en charge, contrairement à l’affirmation entendue dans le reportage selon laquelle elles ne nécessiteraient que “peu de moyens et peu de personnel”. Non seulement elles révèlent habituellement un état précaire, voire une grabatisation du patient, mais encore faut-il préciser qu’elles exigent de la part des soignants beaucoup de patience et de temps. Or le temps c’est de l’argent…

Il paraît donc vain d’accuser la tarification à l’activité de tous les maux ou quasi, dont souffrent les hôpitaux. Curieusement dans le même temps où l’on s’insurge contre le jackpot engendré par les morbidités, on déplore le manque de moyens. Allez comprendre...
La T2A n’est certes pas parfaite. Elle affecte les ressources financières au séjour et non à la journée d’hospitalisation comme on le laisse entendre dans le reportage. De ce point de vue elle est vertueuse puisqu’elle n’incite pas à prolonger les séjours pour des raisons économiques. Elle est certes inflationniste en termes de soins dans la mesure où elle valorise l’activité, mais sa nature forfaitaire limite cette tendance et elle fait l’objet de contrôles réguliers de l’Assurance Maladie et de sanctions en cas de manquement aux règles.
Il faut enfin préciser que “ce qui rapporte” n’est pas forcément source de profit comme on le suggère trop souvent, notamment dans cette enquête. Tout dépend des dépenses mises en face des recettes. L’objet de la T2A est de procurer aux établissements de santé des ressources financières en adéquation avec les soins qu’ils réalisent. Il importe donc de veiller à fournir une description la plus exacte possible de ces soins et dans cette perspective, la rentabilité n’est que l’expression de l’équilibre entre les dépenses et les recettes.
En dépit de ses imperfections, la T2A est un système plus équitable, moins pervers et plus motivant que ceux qui l’ont précédée, à savoir les prix de journées et le budget global.
Malheureusement le gouvernement, égaré sans doute par la pression médiatique et les tabous idéologiques relatifs à la prétendue “marchandisation de la santé” semble prêt à faire machine arrière.
Lors du débat qui suivit le reportage, Olivier Véran qui défendait la politique du gouvernement, en l’absence courageuse de madame Buzyn et de M. Hirsch, annonça la suppression de la T2A et son remplacement par un nébuleux financement au parcours de soins fondé sur des “responsabilités populationnelles”. Plutôt que d’améliorer un système en vigueur depuis à peine plus d’une dizaine d’années, on nous promet donc une usine à gaz qui ajoutera de nouvelles strates au mille feuilles administratif. Il y a fort à parier que le malaise des hôpitaux perdure encore un bout de temps...

24 octobre 2019

Démocraties en crise

L’interminable valse-hésitation du Parlement anglais face au brexit donne une bien médiocre image de la démocratie. Non seulement cette institution, qu’on croyait vénérable, donne l’impression de vouloir repousser sans fin les conséquences du référendum du 23 juin 2016, mais elle semble au surplus se faire une joie de contrarier systématiquement le Premier Ministre. Après la démission de David Cameron, l’échec de Theresa May, c’est Boris Johnson qui est malmené par des élus qu’on dirait aussi irresponsables que des collégiens. Le pays paraît crispé depuis plus de trois ans, quasi bloqué par cette pierre d’achoppement qui cristallise toute l’attention jusqu’à l’épuisement. Lors d’une récente interview, l’ancien Beatle Paul McCartney a bien résumé la situation: “Je pense que c’est un vrai bordel et je serai heureux quand ce sera fini…”
Malheureusement, ces mésaventures ne sont pas isolées dans le monde démocratique. Pour tout dire, c’est d’une véritable épidémie qu’il s’agit. Tergiversations, indécision, compromissions, incohérence, contradictions, rébellion, tout semble se conjuguer pour miner les bases même d’un modèle en voie de dépérissement.
En Italie, après le marché de dupes qui porta au pouvoir l’attelage hétéroclite de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles, c’est l’alliance de la carpe et du lapin qui gouverne dans le seul but d’éloigner Matteo Salvini du pouvoir. Pour combien de temps ? Nul ne sait mais une chose est certaine: ce n’est vraiment pas sérieux.
L’Espagne n’est guère mieux lotie. Après la chute de la maison Rajoy pour cause de corruption, le pays est en proie au chaos politique. Les partis traditionnels se sont effondrés, tandis que le bipartisme se morcelait en une myriade de nouveaux mouvements (Ciudadanos, Podemos, Vox…). Résultat, le pays est pour l’heure quasi ingouvernable, la rébellion indépendantiste fait rage en Catalogne et le pays rouvre même ses cicatrices avec la procédure sordide d’exhumation de Franco…
En France, on sait que le jeu démocratique est faussé par la montée en puissance régulière depuis quelques décennies du Rassemblement National, ostracisé, pestiféré, pour tout dire exclu du jeu politique. Il suffit de se retrouver en lice contre un représentant ce parti pour être sûr d’être élu, ce qui fait dire à certains que dans un tel cas de figure, même une chèvre pourrait faire l’affaire… L’irruption spectaculaire d’Emmanuel Macron dans le paysage politique et sa consécration rapide furent liées en grande partie à un effet de conjoncture, ce qui explique sans doute la violence déraisonnable et anti-démocratique de ses opposants dans la rue. Même peu nombreux, ils sont la cause de dégradations majeures et entretiennent durablement un climat de défiance qui contrarie la marche du gouvernement.
Même l’Allemagne semble déstabilisée par des scrutins de plus en plus incertains, obligeant à mettre sur pied des coalitions floues ou improbables. Quant à l’Europe, elle continue de dériver sans vrai but, sans âme et sans unité. L’impuissance de la Communauté lors de la récente opération militaire Turque en Syrie en apporte une nouvelle preuve...

Si l’on sort de l’Europe, ce n’est guère mieux. Aux Etats-Unis c’est le Président qui depuis son investiture se trouve sous le feu d’une opposition aussi peu inspirée que revancharde, qui n’a pas digéré le résultat de son élection. Pas un jour sans que ses moindres faits et gestes ne soient critiqués de manière primaire, quasi pavlovienne par ses adversaires littéralement enragés. Désormais, au motif d’un douteux coup de téléphone avec le président ukrainien, c’est la procédure d’impeachment qui est brandie par les soi-disant Démocrates. Pourtant, Trump depuis le début de son mandat ne fait qu’appliquer les mesures de son programme de campagne et il continue de jouir d’un solide soutien populaire...
On pourrait pareillement évoquer le sort d’Israël, confronté à un scrutin sans majorité, celui du Chili dont les dirigeants élus il y a deux ans à peine, sont contestés avec une extrême violence par une insurrection, motivée par une augmentation de quelques centimes du ticket de métro.

En définitive, quand ce n’est pas le peuple qui remet en cause de manière factieuse le verdict des urnes, ou qui manifeste son indécision dans le choix de ses gouvernants, ce sont les élus qui se comportent de manière anti-démocratique, en faisant fi de la volonté populaire, en protégeant avec un jusqu’au-boutisme consternant ses prérogatives, ou bien en se discréditant à l’occasion de querelles pricocholines...
Dans cette cacophonie assourdissante, le cas de Hong Kong est sensiblement différent, voire opposé. Le peuple, dans la relative indifférence du monde dit libre, ne se mobilise pas contre les règles du jeu démocratique ni contre le libéralisme, mais pour obtenir la garantie de leur maintien !
D’un côté des enfants gâtés, qui ne savent plus apprécier les mérites de leur situation privilégiée et la prospérité inégalée de leurs pays de cocagne, de l’autre ceux qui craignent avec raison les périls qui menacent leur destinée et le modèle de société auquel ils sont attachés. Décidément, cela devrait peut-être poser question, et des plus sérieuses...

19 octobre 2019

L'erreur et l'orgueil

En émergeant du foisonnement de références et de concepts passés au tamis de la critique par Roger Scruton, dans son ouvrage intitulé l’Erreur et l’Orgueil, je suis quelque peu abasourdi.
Cette plongée dans la jungle de la Gauche Moderne a de quoi déconcerter et l’on peut à certains moments s’y égarer.
La thématique principale, qui est l’infiltration depuis 1945 de toutes les strates culturelles de nos sociétés par la pensée de gauche, n’est pourtant pour ma part pas vraiment une révélation. C’est d’ailleurs une telle évidence qu’il faudrait être bien mal-voyant pour qu’elle vous échappe. A moins de vérifier l’adage qui dit qu’il n’y a pas plus aveugle que ceux qui ne veulent pas voir…

Le premier chapitre est en forme d’interrogation : Qu’est-ce que la gauche ?
A l’origine, une appellation des plus triviales pour qualifier en France le Tiers État, installé à la gauche du Roi lors des États Généraux de 1789 (la Noblesse se trouvant placée à droite).
Depuis cette date, des révolutions ont éclaté, des têtes sont tombées, beaucoup de sang a été versé au nom de l’idéologie, et beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Mais une question reste, fascinante pour l’auteur : “Comment expliquer qu’après un siècle de catastrophes socialistes, et avec un héritage intellectuel qui a volé en éclats à maintes reprises, la position de la gauche demeure, comme toujours, la position par défaut autour de laquelle gravitent automatiquement les intellectuels quand on leur réclame une philosophie globale ?”

C’est donc l’objet de l’ouvrage, de montrer comment ce mode de pensée est parvenu à s’imposer si durablement et si profondément dans les esprits. Pour cela, l’auteur s’attache à démonter méthodiquement les discours et les thèses propagés par les intellectuels peu ou prou liés "à la cause" à travers un engagement qui a une fâcheuse tendance à s’arroger “le monopole du cœur”. Ce travail est également l’occasion de mettre à jour la plupart des subterfuges de raisonnement et de langage sur lesquels s’appuie leur dialectique et donc l’idéologie.

La gauche est championne en matière de récupération et fonde une bonne partie de son apparente légitimité sur le ressenti victimaire. Les malheureux dont il fallait originellement prendre la défense étaient principalement les pauvres. Mais le concept s’est peu à peu relativisé à mesure que le progrès matériel et la prospérité s’étendaient et de moins en moins de gens croient encore objectivement au Grand Soir des riches pour améliorer leur situation. Toutefois, comme le fait remarquer Scruton, ”l’émancipation des victimes est un puits sans fond”, et de nouvelles thématiques de luttes surgissent continuellement à l’horizon: “libération des femmes de l’oppression masculine, des animaux de la maltraitance, des homosexuels et des transsexuels de l’homophobie, même des musulmans de l’islamophobie…”
Tous ces combats dressant les uns contre les autres, auxquels il faut ajouter celui de l’écologie, qui se targue de protéger la planète des prétendus méfaits du capitalisme ont été intégrés aux derniers programmes de la gauche, qui n’a pas pour autant abandonné ses objectifs chimériques de réduire toujours plus les inégalités et de faire régner une fois pour toutes ce qu’elle appelle avec de gras sanglots de bonne conscience, la “justice sociale”.
Scruton à cette occasion souligne les contradictions profondes dans lesquelles pataugent la gauche et tous ses thuriféraires. Si l’égalité et la liberté prônées par la révolution française s’opposent clairement, l’émancipation est tout aussi incompatible avec le concept de justice sociale. En effet, "si l’émancipation implique la libération du potentiel individuel, comment empêcher les ambitieux, les dynamiques, les intelligents, les beaux et les forts d’avancer, et quel degré de contrainte devons nous nous permettre d’exercer sur eux ?"
Ces contradictions expliquent selon Scruton la spirale croissante de violence inéluctable qui accompagne les transitions révolutionnaires entreprises au nom de la gauche, et qui conduit invariablement à l’échec : “il faut une force infinie pour mettre en œuvre l’impossible…”

Tout l’art des penseurs de gauche est de faire disparaître ces contradictions derrière la révolte, la rébellion ou l’insoumission face aux hiérarchies, aux institutions traditionnelles, à l’ordre bourgeois… C’est précisément l’objectif de la plupart des intellectuels dont la rhétorique artificieuse et répétitive est disséquée dans cet ouvrage.

Dès son origine, le mouvement socialo-communiste a en effet mené le combat du langage, élaborant avec opiniâtreté une novlangue habile mais sournoise, qui lui a permis entre autres falsifications de faire passer le marxisme pour une science et de parer la révolution de romantisme.

C’est en Grande-Bretagne que Scruton trouve les premiers idéologues qu’il accroche à son tableau de chasse, à savoir Eric Hobsbawm et E.P. Thompson. Assez oubliés aujourd’hui, ils étaient les compagnons de route du parti communiste britannique. Si le second s’en désolidarisa en 1956 lors de l’invasion de la Hongrie par les Soviétiques, le premier resta fidèle à sa ligne officielle même après qu’il fut dissous en 1990, et il continua jusqu’à sa mort en 2012 à approuver toutes les atrocités commises au nom du socialisme. Ce faisant il prétendait avoir “le cœur lourd” ce qui témoigne d’une hypocrisie monstrueuse et qui objective "jusqu’où il est possible d’aller dans la complicité lorsque le crime est l’œuvre de la gauche.” Au passage, Scruton démontre combien l’ouvrage “historique” que Hobsbawn consacra à la révolution russe est un chef d’œuvre de désinformation partisane.

Il est assez jubilatoire de suivre l’analyse scrupuleuse que l’auteur fait ensuite de nombre de penseurs ou d’intellectuels ayant peu ou prou servi les idéaux de gauche. Il y a les américains Galbraith et Dworkin que nous connaissons peu en France mais qui ont contribué à accréditer au cœur même du pays du capitalisme l’idée que ce dernier était aussi oppressif que le communisme et à faire croire que la liberté à l’anglo-saxonne n’était qu’un asservissement aux diktats de l’industrie et des lobbies. Il y aurait beaucoup à dire également sur la vision du système judiciaire proposée par Dworkin, proche parfois de celle du “libéral” John Rawls, qui tente d’infléchir le droit fondé sur la jurisprudence et le pragmatisme vers une conception privilégiant l’objectif “globalisant” de justice sociale.

Il y a de nombreux Français dans la série de portraits qui suit. De Sartre à Badiou, ils sont légions à avoir propagé la critique de l’ordre bourgeois, du capitalisme, et du libéralisme (dans sa définition française derrière laquelle on trouve tout ce qui fonde le système démocratique américain).
Tous n’ont pas revendiqué leur adhésion au modèle protéiforme du socialisme, mais tous penchent peu ou prou à gauche, et ont souscrit à un moment ou à un autre de leur existence à l’engagement intellectuel dit "de gauche".
A la vérité, selon Scruton, "deux accusations se sont glissées dans la tête des intellectuels étudiés dans ce livre: la première veut que la société capitaliste soit fondée sur le pouvoir et la domination; la seconde qu’il signifie la marchandisation processus par lequel les individus seraient réduits à l’état de choses, et la fétichisation des choses en tant qu’agents."
En fin de compte, par un délirant paradoxe, tous souhaitent "une société débarrassée de tout ce qui rend une société possible: le droit, la propriété, la coutume, la hiérarchie, la famille, la négociation, le gouvernement, les institutions…"
Il en est ainsi des philosophes, mais également des sociologues, et de ceux qui ont gravité autour de la sphère psychiatrique, des psychologues aux psychanalystes: Althusser, Foucault, Deleuze, Lacan, Derrida, Baudrillard, Guattari
Tantôt leur discours se pare d’arguties d’allure scientifique (les mathèmes de Lacan repris et enjolivés par Badiou, les rhizomes de Deleuze…), tantôt il esthétise la révolution ce qui permet d’occulter les souffrances des peuples qui la subissent, tantôt il noie l’attention dans une forêt de concepts plus inintelligibles les uns que les autres (la “machine à non sens” comme l’appelle Scruton).
En Europe dans la pléiade d’auteurs qui ont relayé ces divagations, aussi emphatiques que nébuleuses, Scruton s’emploie à décortiquer la rhétorique de gens comme Adorno, Lukacs, Habermas, Zizek. Retenons entre bien d'autres exemples, cette réflexion d'Adorno selon lequel, la seule alternative au capitalisme serait l’utopie. Autant dire qu’il n’y a pas d’alternative !

Tout au long de son ouvrage, Roger Scruton, qui revendique la position de conservateur, secoue donc vigoureusement le cocotier de la Révolution. Son analyse est aussi profonde que décapante, et parfois féroce. il traite Sartre de marxiste rétrograde, Lacan de charlatan fou, Foucault de mythomane paranoïaque, Althusser de vacuité fondamentale, Habermas d’écrivain confus et bureaucratique dont la plupart des pages ne mérite que la corbeille à papier...
On comprend dès lors que pour certains, ce soit de la pure provocation, pour ne pas dire du blasphème, et l’auteur dut affronter une belle levée de boucliers parmi les notables acquis à l’idéologie maltraitée. Il prétend que ce livre dont la première publication remonte à 1985 fut préjudiciable à sa carrière. On veut bien le croire lorsqu’on voit l’ostracisation qui frappe quiconque s’oppose au mainstream qu’est devenue la bien-pensance de gauche.
On peut craindre hélas qu’un tel pavé dans la mare reste longtemps sans conséquence positive. Il est si facile et reposant de se laisser porter par le courant, voire d’en rajouter pour se donner l’illusion d’avancer plus vite sur la voie du progrès...
* Roger Scruton L'erreur et l'orgueil. L'Artilleur 2019

03 octobre 2019

So Lonely...

Le cheveu en bataille et l’œil morose du fauve lassé par tant de chasses vaines, il continue envers et contre tout de ferrailler sans repos.
Il y a peu de temps, il fut porté triomphalement au pouvoir par ses amis. Aujourd’hui, il ne compte plus les trahisons ni les obstacles qu’on met en travers de sa course. Celle-ci paraît insensée, mais au fond qu’en est-il ?
Il est à la tête d’un pays que les contradictions et l’indécision ont mené dans une impasse. Dans la nasse tout le monde s’agite, ça crie à hue et à dia mais ça n’avance plus d’un iota. Au dessus de la mêlée, Boris Johnson règne, mais la tunique dont on l’a revêtu est celle de Nessus. Comment faire pour s’en défaire et sortir de ce guêpier ?

Il souhaitait sans doute que le royaume restât dans le giron européen, mais le peuple en a décidé autrement. David Cameron, l’homme par qui le drame est arrivé s’en est allé, fort démocratiquement certes, mais la queue entre les jambes quand même. Il fallait bien prendre la relève. Theresa May y a usé son énergie et sa foi dans les institutions. C’est à lui désormais qu’il revient de trouver la solution…
A ses yeux, elle est simple. Il s’agit de mettre en pratique au plus vite la volonté du peuple. Trois ans que la comédie dure, c’est sans doute un peu pour ça que l’écheveau est devenu aussi inextricable.

Il a décidé de geler transitoirement le parlement, pour faire taire les parlottes inutiles. Il faut dire que ce dernier s’obstinait depuis des mois à réclamer qu’on parvienne à une sortie à l’amiable, tout en refusant avec la même opiniâtreté toutes les propositions allant dans ce sens !
Excédé, il a exhorté le dit parlement à accepter des élections anticipées, avec l’espoir qu’elles brisent ce nœud gordien et qu’elles confortent sa position.

Pour l’heure, il a tout perdu. Les parlementaires offusqués, accrochés sans doute à leurs prébendes plus qu’à tout, ont refusé qu’elles soient remises en jeu par le fait du Prince. Pire, ils ont obtenu de la Cour Suprême le droit de siéger à nouveau. Ils pérorent donc de plus belle à l’image de leur clownesque aboyeur John Bercow, et réclament du premier ministre qu’il trouve avant un mois les termes de l’impossible accord. De l’autre côté de la Manche on dit haut et fort qu’il n’est plus question de négocier...
Malgré les revers quasi quotidiens, Boris tient bon. Il vient encore de proposer un nouveau “compromis juste et raisonnable”, qu’il veut irrévocable et définitif, et déjà contesté. Mais le temps passe, qui use toute chose. Qui craquera le premier ? Sera-ce l’homme gagné par la fatigue ou bien le système perclus de vermoulure ? Dans le premier cas, il ne restera plus qu’à se raccrocher à l’adage qui dit qu’il n’est pas de problème que l’absence de solution ne finisse par résoudre...

27 septembre 2019

Sans la Liberté

La publication toute récente d’un petit essai au titre provocateur*, que je reprends en tête de ce billet, vient d’attirer mon attention.
Signé par l’avocat François Sureau, il s’attache à démontrer tout en le déplorant, que notre époque est en train de perdre le goût et pire encore, le désir de liberté.
N’étant pas loin de penser la même chose, je ne pouvais qu’aborder avec intérêt un tel ouvrage, rapide à lire puisqu’il ne compte qu’une soixantaine de pages, venant d’un fin connaisseur du monde législatif, et qui au surplus serait lié d’amitié avec le Président de la République. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’épargne guère la gestion du gouvernement actuel, même si ses reproches concernent au moins deux décennies...

Selon l’auteur, la situation est grave, car “nous nous sommes déjà habitués à vivre sans la liberté”, ce qui nous amène de facto à “remplacer le blanc de notre drapeau par le gris préfectoral...”
En cause, les lois promulguées depuis quelques années, bien intentionnées sans nul doute, mais liberticides en diable.

Par exemple, la “loi anti-casseurs” d’avril 2019, qui revient selon lui à confier au Parquet la faculté de trier les bons et les mauvais manifestants, et donc in fine d'interdire à certains d’exprimer leur opposition à la politique de l’Etat.
Dans la même veine, il évoque également le récent texte réprimant les fake news en période électorale, qui risque en plus d’être inefficace, de se révéler nuisible. Qu’est-ce qu’une fake news ? Voilà la question à laquelle devra répondre le juge des référés à la place des citoyens, considérés comme trop bêtes pour le faire eux-mêmes. Il est probable qu’il lui sera souvent difficile de démêler le vrai du faux,  ce qui pourra conduire, avec le sceau de l'Etat, à faire prendre pour vraie une fausse nouvelle, à moins que cela ne soit l’inverse...
Enfin, la petite dernière, datant de 2 mois à peine, s'attachant à réprimer les discours de haine sur internet. Pour M. Sureau la notion sera là aussi sujette à controverse, la république elle-même ne fonde-t-elle pas ses origines sur "la haine des tyrans”? Pire, en faisant planer la menace de sanctions sur les gestionnaires des fameux “réseaux sociaux”, elle risque de devenir “un puissant encouragement à la censure.”

Parallèlement, force est de constater que les mesures visant à garantir la sécurité et la quiétude des citoyens relèvent de plus en plus d'une logique militaire. Ainsi, on peut selon l’auteur s’effrayer de voir que pour encadrer une manifestation d’à peine quelque centaines de personnes, il faille des effectifs de police aussi nombreux si ce n’est plus, armés et harnachés comme des soldats engagés au Kosovo, en Afghanistan ou en Irak.
Très justement, l’auteur souligne qu’une telle démonstration de force est “aussi insultante qu’absurde, surtout pour qui se souvient de l’incapacité, faute d’ordres donnés en ce sens, pour les forces en question, de répliquer de manière appropriée…”

La liberté est donc menacée, grignotée, étouffée, par le législateur c’est certain. Quant aux mesures sécuritaires, légitimes face au terrorisme bien réel, elles sont trop souvent dévoyées, aboutissant au même résultat. Il n’est que de voir la législation de l’état d’urgence, supposée combattre le terrorisme, qui “a servi pour assigner à résidence des écologistes...”


Même s’il sonne juste, on peut juger le constat fait par M. Sureau un tantinet excessif. Les entorses à la liberté restent pour l’heure vénielles par rapport à ce qu’on a pu connaître en France par le passé, pas forcément très lointain, ou présentement dans certains pays. Le plus grave est sans doute ce qu’elles révèlent de la santé de notre société démocratique “avancée”, pour reprendre la terminologie utilisée jadis par Valéry Giscard d’Estaing.
Sur le sujet, M. Sureau n’est guère optimiste puisqu’il estime que “Nous avons réussi le prodige d’asservir le citoyen en diminuant dans le même temps l’efficacité de l’État.” En cause selon lui, la multitude de bonnes raisons que nous nous donnons pour méconnaître les droits de l’homme, et la prolifération d’une administration bienveillante mais omniprésente, à la manière de ce pouvoir “absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux” qu’avait prédit Tocqueville.

Malheureusement, faute de place peut-être vu le format de l’ouvrage, M. Sureau ne s’étend pas trop sur cette thématique. On peut le regretter car l’érosion de la liberté n’est qu’un symptôme auquel il semble vain de s’opposer si l’on ne s’attaque pas aux racines du mal.
Or ce mal est profond et insidieux.
Comment redonner du sens à notre modèle de société afin qu’il ne sombre pas dans le désastre exquis de l’Etat-Providence, dont la tutelle croissante et indéfinie transforme peu à peu l’âme citoyenne en ersatz sans substance ?
Cette interrogation sous-tend d’autres questions qu’il sera bien difficile d’affronter collectivement vu l’état actuel des mentalités, corrompu par des décennies de démagogie et de chimères:
Il s’agit de savoir avant tout si nous sommes encore prêts à payer le prix de la liberté, ce qui suppose d’accepter d’être responsable de ses actes et en partie de son destin, et qui peut aller en certaines circonstances, jusqu’au sacrifice de la vie.
Il s’agit d’accepter la primauté de la liberté sur toute autre valeur, y compris l’illusoire égalité, notamment des conditions.
Il s’agit d’être capable de distinguer la liberté de ses trompeurs avatars dont la permissivité, source de laisser-aller et d’avilissement.
Il en découle l’impérieuse nécessité pour une société libre de savoir sanctionner à bon escient et de manière efficace les crimes et délits plutôt que de se perdre en réglementations et législations préventives. Comme le souligne M. Sureau, “Une chose est de sanctionner a posteriori un exercice incivil de la liberté; autre chose est de remettre à un tiers public, la définition a priori des formes acceptables qu’elle peut prendre.”

Au total, pour reprendre les termes de l’auteur de cette intéressante réflexion sur une des problématiques majeures de notre monde, la liberté est avant tout “une manière d’être”. Il faut espérer qu’il soit encore possible de lui redonner vigueur. “Il n’y faut après tout que du souffle et de la patience. Les inconvénients de la liberté, même chèrement payés, ne l’emporteront jamais sur ses avantages, puisque c’est elle et elle seule qui soutient la vocation de l’homme.”


* Sans la liberté, de François Sureau, « Tracts », Gallimard n° 8

24 septembre 2019

Patrimoine et Passion de la Liberté

Les journées du patrimoine permettent de s'offrir à peu de frais de sympathiques surprises. Un récent passage à Bordeaux fut ainsi l’occasion d'une visite au musée des Beaux-Arts.
En dépit de la noblesse des deux ailes cernant un joli jardin, il n’est certes pas immense. On peut également regretter le manque d’éclairage sur certains tableaux, notamment une intéressante collection de Hollandais du XVIIè siècle. Quelques beaux paysages signés Ruysdael pâtissent ainsi de la quasi pénombre dans laquelle ils sont plongés.
J’ai apprécié en revanche particulièrement le mur consacré à Odilon Redon, natif de la cité girondine. Une vue du Pont de Pierre et une autre d’une rue de Saint-Georges de Didonne traitées avec la grâce aérienne qui caractérise le peintre ont retenu mon attention. Une apparition céleste du char d'Apollon, mélange de pastel et d’huile, témoigne du symbolisme ardent qui fit son originalité et sa renommée.
Albert Marquet dont j’aime la technique épurée et la sûreté du trait et des couleurs est également à l’honneur, avec une bonne demi-douzaine de paysages.

On peut remarquer egalement la présence de quelques vues maritimes intéressantes d'Eugène Boudin.
Enfin j’ai découvert Alfred Smith (1854-1936), artiste bordelais au style impressionniste très maîtrisé, proche de Monet. Une splendide perspective des quais sous la pluie, attire l’attention, avec l’antique tram et les majestueuses colonnes rostrales de la place des Quinconces, tout en dégradés et ombres chinoises.
A quelques enjambées du musée proprement dit, se trouve la Galerie des Beaux Arts où se déroule jusqu’au 13 octobre une exposition intitulée La Passion de la Liberté: des Lumières au romantisme.
Impossible bien évidemment de louper ça.
Organisée en lien avec le Louvre, elle propose une intéressante rétrospective, peuplée de tableaux, de sculptures, de porcelaines, de tapisseries et d’objets divers. La Grèce sur les ruines de Missolonghi par Delacroix rappelle la lutte désespérée pour recouvrer en 1826 l’indépendance de la nation hellène soumise à l’empire ottoman. C’est aussi l’occasion de se souvenir de l’engagement de Lord Byron à cette cause, qu’il paya de sa vie après avoir contracté une mauvaise fièvre dans la ville martyre.
L’expo rappelle le rôle majeur des Intellectuels français dans l’essor des idées de liberté, c'est à dire du libéralisme. On trouve ainsi un volume de la fameuse encyclopédie de Diderot et l’édition originale de l’Esprit des Lois par Montesquieu. Un portrait de Germaine de Staël souligne l’importance de cette dernière dans le combat pour la liberté et notamment pour l’émancipation des femmes.
On perçoit un peu moins ce que signifie ici la composition sinistre de David, représentant Marat, gisant assassiné dans sa baignoire, avec la légende troublante: “N’ayant pu me corrompre, ils m’ont assassiné”. On veut comprendre que le destin funeste de ce tyran en puissance ouvrait l’espoir de recouvrer la Liberté, après les excès la Terreur dont il fut un des plus zélés artisans, dût-ce être payé du sacrifice de Charlotte Corday.

L’exposition invite par ailleurs le spectateur à la réflexion sur plusieurs thématiques. La liberté est déclinée sous tous ses aspects: aussi léger que le libertinage, qualifié de liberté des sens, aussi illusoire que l’utopie, en tant que liberté d’imaginer, ou plus sérieux lorsqu’il s’agit de voir dans la liberté, l’irremplaçable moteur de la création en matière de commerce, d’art, de science, et plus généralement la source de la raison, du progrès et de la responsabilité...

Pour accompagner le cheminement de l’esprit, quelques pièces symboliques à valeur artistique sont proposées, parmi lesquelles on remarque une collection d’amusantes assiettes révolutionnaires, la reproduction du Génie de la Liberté qui orne la colonne de Juillet, place de la Bastille, et qu'on doit au sculpteur Auguste Dumont, et quelques belles tapisseries des Gobelins ou de Beauvais.
Une heureuse initiative en somme à une époque où le terme même de liberté apparaît de plus en plus galvaudé, et où nombre de nos contemporains peinent à mesurer sa valeur. L’occasion également de rappeler qu’elle figure en tête des valeurs cardinales de la République et qu’il y aurait grand péril à cesser de la chérir comme telle...

17 septembre 2019

A Song For Europe

L’été qui semble ne pas vouloir finir porte toujours pour moi dans ses sublimes journées dorées une joie étrange, mélange de quiétude et de nostalgie. Sans doute le temps qui s’écoule malgré tout, dans la torpeur languide des dernières chaleurs estivales, y est-il pour beaucoup.
Sans temporalité, pas de sentiment, pas de sensation, ni regret, ni remords.

Au diable les miasmes, les turpitudes et autres innombrables infortunes qui le peuplent, je vois le monde qui fuit doucement comme un vaisseau fantôme, irrémédiablement entraîné par le courant des jours qui passent. Je vois ma vie, indissociablement liée à ce monde fluctuant, errer sans retour vers je ne sais quelle extrémité… Déchirant mais il faut s’y faire en somme.

Par un curieux hasard une chanson me revient dans les oreilles.
A Song For Europe, interprétée par le groupe Roxy Music et son charismatique et classieux leader Bryan Ferry, m’enchanta lorsque j’étais plus jeune, c’est à dire il y a plus de 45 ans déjà ! Ses accents tragiques étaient empreints d’une puissante déréliction. Que signifie-t-elle, je m’interroge. Histoire d’amour détruite dans la douleur peut-être, térébrante solitude, chagrin d’avoir irrémédiablement perdu quelque chose ou quelqu’un d’important, qui sait ?
Adressée à une femme aussi bien qu’à l’Europe, elle entre en résonance avec les interminables atermoiements, les récurrents sursis et la mortelle indécision dans lesquels le destin de notre continent ne cesse de se perdre. La tragi-comédie à l’anglaise qu’on nous joue sur l’air du Brexit donne évidemment le ton. Mais à bien y regarder, ce n’est que la rémanence de la lente décrépitude d’une belle idée, un signe de plus de l’effondrement des desseins communs, si tant est qu’il y en eut. Il est bien loin le Discours à la Nation Européenne incarné de manière vibrante par Julien Benda en 1933. Depuis cette date, et nombre de fois par le passé, l’Europe s’est suicidée par le feu des guerres. Aujourd’hui elle s’étiole sans énergie, sans conviction, sans espérance. Certains doutent même qu'il faille encore protéger le mode de vie européen, tandis que d'autres paraissent n'avoir qu'une seule ambition : organiser le grand soir fiscal contre les GAFA !
Puisque Bryan Ferry termine son élégiaque scansion en français, je ne saurais faire mieux que transcrire ici ses paroles chargées de sens, et de prémonitions…

"Tous ces moments
Perdus dans l’enchantement
Qui ne reviendront
Jamais
Pas d’aujourd’hui pour nous
Pour nous il n’y a rien
A partager
Sauf le passé..."

04 septembre 2019

Hong Kong entre deux feux

Que se passe-t-il à Hong Kong ? On voit depuis des semaines des manifestants “pro-démocratie” arborant des parapluies, se confronter de plus en plus violemment aux forces de l’ordre.
Jusqu’à présent, pas d’effusion de sang. Mais que penser de ces troubles ? Où cela va-t-il mener ?
Pour essayer de répondre à ces questions, encore faut-il se remémorer l’histoire de ce bastion démocratique “à l'occidentale”, enclavé dans la forteresse communiste chinoise. Il faut tenter de comprendre ce que sous-tend vraiment ce statut de “région administrative spéciale”, obtenu lors du traité de rétrocession de Hong Kong par le Royaume Uni à la République Populaire de Chine en 1997. Le fait est que cette province avait la garantie grâce à cela de conserver une relative autonomie durant cinquante ans, c’est dire jusqu’en 2047.
Il est hélas évident que Pékin se fait chaque jour plus présente et pressante dans les affaires de cet étrange condominium, souhaitant probablement homogénéiser les règles et les institutions avant l’échéance fatidique.

On appelait autrefois Hong Kong le Port aux Parfums, mais pour l’heure c’est une odeur de roussi qui flotte dans l’air et voilà plusieurs années que les habitants inquiets manifestent pour le maintien de la démocratie dans leur cité. Un obscur projet de loi proposant l’extradition de délinquants qui s’y seraient réfugiés, vers le lieu de leur crime, à savoir la Chine continentale mais également Taiwan, ou Macao, a mis cette année le feu aux poudres.
Il n’y avait pourtant rien d’extraordinaire dans une telle mesure judiciaire mais aux yeux de certains elle faisait courir le risque que les citoyens de Hong Kong ne puissent bientôt plus bénéficier de leur propre justice.
Le mouvement pacifique dit “des parapluies” s'est tout à coup transformé en véritable insurrection. Plus d’un million de personnes (un huitième de la population !) défilèrent début juin et les manifestations se succédèrent ensuite quasi quotidiennement, devenant de plus en plus violentes. Le 1er juillet le Parlement fut mis à sac et les images de ce désordre se mirent à ressembler aux turbulences que nous avons connues avec les Gilets Jaunes !
La réponse policière monta en puissance. Gaz lacrymogènes, canons à eau entrèrent en action, faisant craindre une escalade de plus de plus dangereuse. On entendit dire que l’armée populaire de la Chine massait ses troupes à proximité, prêtes à intervenir.

On ne peut rester insensible à ces évènements lorsqu’on est épris de liberté. Hong Kong constitue une illustration brillante de la supériorité du modèle de la démocratie capitaliste sur celui où prévaut le socialisme. C’est la troisième place financière au monde, la qualité de vie y est incomparablement meilleure qu’en Chine populaire, même après que celle-ci se soit entrouverte à la propriété privée, au commerce et au capitalisme grâce à Deng Xiao Ping. La rébellion actuelle de ses ressortissants montre clairement dans quel type de société ils veulent vivre. A l’instar de l’Allemagne et de la Corée, cette région du monde a connu expérimentalement les deux systèmes: capitalisme démocratique et socialisme totalitaire. En termes de résultat, il n’y a pas photo comme disent les commentateurs sportifs. Ce qui est ahurissant, c’est qu’on puisse encore se poser la question…
Hong Kong rayonne sur toute l’Asie et son dynamisme a même profité aux régions proches, encore sous tutelle communiste. Ainsi le développement rapide de Shenzhen lui doit probablement beaucoup et fait espérer que la Chine dite populaire, prenant exemple de cette réussite locale, se laisse peu à peu gagner par l’esprit de liberté. Les progrès réalisés depuis la disparition de l’infâme Mao et la mort de son régime abject qui fit tant régresser cette nation, si riche d’histoire et de culture, laissent entrevoir un espoir. Il y a certainement encore beaucoup à faire, mais on ne gouverne pas un pays d’un milliard quatre-cent-millions d’habitants comme celui qui n’en compte que quelques dizaines de millions. Il ne faudrait donc pas que la sévérité avec laquelle on juge le régime actuel égale ou dépasse en intensité l’indulgence si ce n’est la complaisance coupable avec laquelle on considéra dans nos démocraties dorées l’immonde "timonier" ainsi que tous ses coreligionnaires...
La question qui vient aux lèvres à l'occasion du soulèvement actuel est la suivante: est-il encore permis de penser que Hong Kong demeure l'avant poste de la liberté en Chine, et que cette belle aventure fasse tache d'huile sur le continent ?

31 août 2019

L'arroseur arrosé

La publication du dernier “roman” de Yann Moix* a donné lieu à de virulentes polémiques. Il faut dire que l’ouvrage, en forme d’autobiographie, est plus qu'explicite à l’égard des parents de l’auteur, décrits comme véritables bourreaux d’enfants.
Ce n’est pas la première fois que Yann Moix évoque les maltraitances dont il aurait été victime, mais cette fois il est allé tellement loin que ses progéniteurs ont vivement réagi par presse interposée, contestant formellement les sévices auxquels il fait allusion. Le frère cadet de l’auteur en a rajouté, affirmant que le véritable tortionnaire en l’occurrence c’était Yann en personne, et décrivant les atrocités qu’il lui aurait fait subir par pure jalousie. On ne lave bien son linge sale qu’en famille si l’on en croit le dicton…

Là où l’affaire se corse, c’est lorsqu’on apprend que le dit frère aîné se serait également rendu coupable dans sa jeunesse, de publications à contenu violemment antisémite et négationniste. La cabale sort du champ familial et touche aux tabous sociétaux les plus sensibles. Les faits sont d’autant plus troublants que Yann Moix revendique aujourd’hui une profonde sympathie pour le peuple juif et l'état d'Israël et se veut le contempteur intransigeant de tous ceux qui émettraient la moindre contradiction sur le sujet.
Peu importe dès lors les qualités littéraires supposées de l’ouvrage, peu importe même le fond de la sordide histoire familiale ainsi étalée en public. Ce qui choque le plus, c’est la réaction de “l’écrivain”, dans son rôle d’arroseur arrosé.
D’abord il ment comme un politicien, niant tout en bloc. C’est seulement lorsqu’il est confondu par d’irréfutables pièces à convictions qu’il rend les armes et qu’il avoue ses forfaits, mais en plusieurs fois, au fil des révélations.
Le censeur qui se plaisait à distribuer les bons et les mauvais points lors de ses laborieuses et sentencieuses chroniques télévisées, se trouve brutalement pris en défaut, de la pire manière.

Tout en reconnaissant à grand peine les faits qui lui sont reprochés, il contre-attaque en traitant son frère de “balance”, agissant par pur esprit de vengeance. Un peu fort de café pour quelqu’un qui déballe avec force détails, sans que personne ne le lui demande, et avec beaucoup de retard, des accusations terribles contre ses parents.
Mais là ne s’arrêtent pas les objections qu’on peut opposer à Yann Moix.
S’il a menti, d’abord par omission, puis par dénégation au sujet de ses peu reluisants écrits de jeunesse, comment savoir s’il dit la vérité au sujet des conditions dans lesquelles il vécut son enfance ?
S’il se dit soulagé d’un poids dont il n’était pas parvenu à se délivrer lui-même, n’ajoute-t-il pas à ses tares la lâcheté ? Il sait bien que faute avouée est à demi pardonnée, surtout lorsque l’aveu est spontané....
Et si après avoir tout avoué il fait acte de contrition, sa repentance est tellement outrée qu’elle n’est guère crédible mais plutôt risible. C’est en effet lui-même à présent qui se qualifie de “raté”, “d’être méprisé et méprisable”. “J’ai le dégoût de moi-même” affirme-t-il.
Trop c’est trop, d’autant plus que ces larmes de crocodiles ne l’empêchent pas d’affirmer comme pour se dédouaner, que s’il a bien commis des dessins et des écrits antisémites, il n’est pas antisémite pour autant. Pire, il se croit autorisé à affirmer selon la bonne vieille méthode des procès en sorcellerie que “ces révélations sont téléguidées par l'extrême droite”. Comprenne qui pourra...
En dernière ligne de défense,  M. Moix invoque sa jeunesse lors des faits: “'l’âge de 20 ans, c'est fait pour se tromper.../… à l’époque avec trois ou quatre cons, on était des types complètement paumés.”
Mais à cet âge, faut-il rappeler qu’on est majeur, qu’on peut voter et même mourir pour la patrie. L’excuse n’est donc pas recevable et fait surtout penser en définitive à Brassens: “Le temps ne fait rien à l'affaire, quand on est con, on est con…”
* Orléans. Yann Moix 2019 Grasset.

30 août 2019

Y a Urgences...

Comme il existe une multitude de couleurs dans l’arc-en-ciel, on pourrait définir quantité d’états différents derrière la notion d’urgence, en matière médicale s’entend.
Un de mes bons maîtres affirmait que le concept était tout simplement inexistant, et qu’il n’y avait en fait que des gens pressés ! Les médias qui vivent dans l’immédiateté nous ont habitués quant à eux à galvauder le terme. Leur dernière trouvaille est celle “d’urgence absolue” dont ils nous rebattent les oreilles à chaque événement traumatique émaillant l’actualité.
A travers le prisme du sensationnalisme, tout devient excessif et par la même, insignifiant. Dans la même logique, pour mieux faire sentir l’effet du chaud ou bien du froid on invente la notion de température “ressentie” qui ne veut objectivement rien dire. Peu importe, l’essentiel est de marquer les esprits !

Revenons à nos moutons. A la porte des hôpitaux se pressent donc tous les patients “urgents”, de celui qui se plaint d’un rhume ou d’un banal bobo à celui qui est victime d‘une vraie détresse vitale, en passant par la noria infernale des problèmes sociaux : alcoolisme et toxicomanie, dépression nerveuse, perte d'autonomie, maltraitance, violences…
Ils sont tous urgents, nécessairement pourrait-on dire, puisque les services destinés à les accueillir portent sur leur fronton, l’appellation emblématique “Urgences” ! A l’instar de la météo, l’urgence est désormais avant tout celle qui est ressentie. Dans l’esprit des “usagers” du système de santé, tout ou presque devant être résolu au plus vite, ils sont toujours plus nombreux à y recourir à toute heure du jour ou de la nuit, s’apparentant de plus en plus à un raz-de-marée, face auquel les malheureuses équipes soignantes et les structures paraissent de plus en plus débordées.

Le problème n’est pas nouveau. On pourrait même dire qu’il est récurrent. Pour avoir travaillé six années dans l’un de ces enfers, il y a déjà un quart de siècle, je me souviens qu’il était déjà plus qu’aigu à l’époque. C’est dire qu’il a peu de chances de trouver sa solution dans les propos lénifiants de madame Buzyn vantant une n-ième réforme, ni dans l’aumône de 100 euros qu’elle accorde en guise de prime aux personnels épuisés, démotivés, brisés parfois...

En caricaturant à peine, on pourrait affirmer que ce désastre a été organisé, voire planifié par les Pouvoirs Publics, à force de contraintes, de normes, de réglementations, de lois en tous genres. C’est tout le système qui s’asphyxie.
Plusieurs facteurs se conjuguent, mais on pourrait en retenir trois principaux :
- La centralisation bureaucratique tout d’abord qui a conduit à discréditer les structures de taille modeste. Faisant fi des progrès de la télémédecine, une vaste campagne d’intoxication intellectuelle fondée sur des principes fumeux a fini par imposer l'idée qu’on ne pouvait se faire bien soigner que dans de grosses usines hospitalières. Des normes de fonctionnement ubuesques, des règles de facturation aussi complexes qu’absurdes, ont accompagné comme à dessein ce procès d’intention et abouti à vider les petits hôpitaux de leur substance, faisant converger en rangs serrés les patients vers les grandes métropoles.
- En parallèle, la médicalisation excessive qui a été promue durant des décennies par l’État a eu pour conséquence une pénurie apparente de médecins. Dans ce contexte, la planification arbitraire de leur nombre par une sélection aride à l’entrée des études, fut une vraie catastrophe. Résultat, la France qui dispose d’un nombre de médecins plutôt plus élevé que la moyenne des pays de l’OCDE, est confrontée au constat affligeant qu’ils ne sont ni dans les bonnes spécialités, ni dans les bons endroits ! Facteur aggravant, dans le même temps, les professionnels para-médicaux, dont les études deviennent également de plus en plus sélectives, longues et ardues, n’ont bénéficié d’aucune délégation de tâches, a contrario de nombre de pays autour de nous. Les médecins “de ville” sont débordés par quantité de contraintes administrative et une bonne partie de leur temps de travail est consacrée à des actes anodins qui pourraient être aussi bien réalisés et à moindre coût par des infirmiers, des kinésithérapeutes, des orthoptistes etc… Les Urgences n’échappent pas à cette lourdeur organisationnelle et à cette surmédicalisation. SAMU, SMUR, services d’Urgences fourmillent de médecins mais souvent jeunes et donc exclus de beaucoup de responsabilités par des ukases légaux irréalistes, tandis que le nombre des plus expérimentés n’est jamais suffisant pour répondre à l’objectif inepte de "seniorisation", face à une demande de soins toujours plus pressante. Quant à leurs confrères installés en ville, ils rechignent de plus en plus à s'occuper des soins urgents. Confrontés au risque croissant de poursuites judiciaires, et revendiquant à juste titre le droit aux 35 heures, ils sont de plus en plus rares à accepter de prendre des gardes et adressent de plus en plus souvent les patients à l'hôpital, à la moindre difficulté. Ces derniers de leur côté, ont tendance à shunter désormais cette étape en s'y rendant directement...
- Enfin nombre de mesures gouvernementales fondées avant tout sur la démagogie, ont provoqué une déresponsabilisation générale. L’utopie de l’égal accès aux soins pour tous dont le tiers payant généralisé est une des clés de voûtes, fait des ravages. Plus personne ne paie directement ses médicaments en pharmacie et dans bien des cas les gens ignorent même totalement le coût des soins. Dans leur immense majorité, ils sont d’ailleurs convaincus, grâce à l’inconséquence de l’État Providence, que la santé est gratuite ! Pourquoi donc se priver ? Non seulement ils en abusent, réclamant les prestations les plus sophistiquées, souvent les plus onéreuses, parfois de manière itérative, et se montrant de plus en plus exigeants en termes de résultats.

Ce n’est donc de toute évidence pas le manque de moyens qui est en cause dans la crise actuelle des Urgences, contrairement à ce qu’on entend de la bouche de syndicalistes peu inspirés. Des moyens, les hôpitaux n’en ont pas manqué assurément. Ni matériels, ni humains. La plupart des établissements français ont fait l’objet de vastes programmes immobiliers et les équipes ont très largement été étoffées depuis un quart de siècle. A tel point d’ailleurs qu’on peine de plus en plus à trouver des candidats pour occuper les postes vacants et qu’il faut souvent aller les chercher à l’étranger. Au surplus, leur temps de travail s’est considérablement allégé, tant pour les médecins que pour les personnels non médicaux. Réduction du temps de travail, repos de sécurité, récupérations, ont assoupli les plannings et diminué le temps de présence au travail.
Pourtant, sur le terrain, les équipes sont de plus en plus mal en point, démotivées, en perte de repères et de sens dans leur métier, soumis à toutes sortes de pressions, de bouleversements, de réorganisations épuisantes, de restructurations douloureuses, et in fine, de frustrations. Qui saura mettre à plat ces problématiques et qui aura assez de courage et d’esprit pratique pour affronter une réalité qui se fait chaque jour plus dure à force de démissions, d’abandons, de laisser-aller ? C’est bien là toute la question...