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Le Monde devient de plus en plus complexe. Cette antienne tient du cliché tant elle est répétée un peu partout, dans les cénacles de réflexion et de décision.
Il est vrai que le progrès y est sans doute pour quelque chose. La Science nous donne en effet des outils dont la sophistication ne cesse de croître.
On ne fait pas les routes de la même manière pour des charrettes en bois ou pour des millions d'automobiles modernes. On ne conçoit pas les ports pour quelques thoniers ou terre-neuvas comme on les fait pour accueillir des paquebots ou des supertankers. On n'imagine pas les hôpitaux pareillement s'ils doivent servir d'hospices ou bien de plateaux techniques pour des interventions chirurgicales de haute voltige.
Le fonctionnement de ces inventions s'apparente le plus souvent à une énigme pour le vulgus pecum. Qui peut expliquer clairement comment fonctionne une centrale nucléaire ou bien la navette spatiale ?
Pour autant ce qu'on perçoit aisément c'est ce à quoi elles servent. Tout comme on perçoit de manière aiguë un dysfonctionnement lorsque par malheur il survient.
Car en matière scientifique, tout est pesé à l'aune du pragmatisme et de l'efficacité. En dépit d'une inévitable complexité de conception, les experts sont unanimes : pour obtenir une machine robuste, la règle est de privilégier les solutions les plus simples. Au XVè siècle, un moine philosophe postula sagement que "les entités ne devaient pas être multipliées sans nécessité(1)." Ce principe, connu depuis sous le nom de rasoir d'Ockham, a été repris par nombre de savants, le dernier en date étant Einstein : "On devrait tout rendre aussi simple que possible, mais pas plus."
Hélas hors des mathématiques, de la physique ou de la chimie, ces conseils sont trop souvent oubliés. Pour organiser la société, on voit fleurir les constructions pédantes, prétentieuses ou tarabiscotées, sans utilité ni nécessité évidentes. Faute d'être assujetti à des règles immanentes, l'homme se croit en effet investi de la mission de les créer. Et dans le domaine, l'extravagance est vite atteinte. Les pires inepties ont été érigées en dogmes et des légions de malheureux ont perdu jusqu'à la vie à cause de l'arrogance des prêtres obtus du Temple de la Légalité.
On objectera que de nos jours, les « bourreaux barbouilleurs de lois» comme les appelait l'infortuné André Chénier, ont cédé la place à d'inoffensifs technocrates qui n’envoient plus à l’échafaud que des fantômes et des idées.
N'empêche, si le mal ne tue plus, il sévit encore, tout particulièrement en France. A la manière d'une intarissable diarrhée....
Le Conseil d'Etat dans son rapport annuel rendu public le 15 mars 2006(2) constate "qu'il y a trop de lois, des lois trop complexes, des lois qui changent tout le temps !"
De fait, l'inflation législative en France s'accélère dangereusement. En 1973, le Parlement produisait 430 pages de lois. Dix ans après, plus de 1000. Aujourd'hui, presque 4000. C'est fou ! Les textes sont plus nombreux, mais surtout, ils sont plus longs et plus compliqués. Selon le journal Le Monde(3), le Bulletin des lois est passé de 912 grammes en 1970 à 3,266 kilogrammes en 2004. Il comportait 380 pages en 1964, 620 en 1970, 1055 en 1990 et 2566 en 2004. La loi sur les communications électroniques du 9 juillet 2004 comprend 101 pages, celle sur la santé publique du 9 août 2004 218 et la loi sur les responsabilités locales du 13 août de la même année 231 ! Pour quelle efficacité ?
Le Conseil d'Etat n'est pas le seul à se lamenter. Il y a quelques jours on apprenait la démission du directeur de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Nantes, Claude Frémont. Interrogé sur les raisons de sa décision, il évoquait entre autres le nouveau parcours de soins coordonnés(4) : « C'est une véritable usine à gaz. Tous les jours notre plate-forme téléphonique reçoit des appels de patients demandant des explications sur les tarifs. Chaque matin je reçois des dizaines et des dizaine de pages de directives et d'instructions. On en est presque à nous dire comment travailler au quotidien ».
De son côté, l'Ordre des Médecins critique dans son Bulletin National la complexité de ce même parcours(5) (qu'il avait pourtant accueilli favorablement) : "Non seulement les réserves formulées n'ont pas été levées mais depuis, elles se sont aggravées." Pêle-mêle il déplore les "difficultés de mise en oeuvre de la CCAM", "les Imprimés ALD inutilement complexes", "la surcharge administrative", "la relation de confiance médecin-malade entamée", "la surveillance tatillonne des caisses" et constate une "exaspération croissante face aux rigidités d'un système mal expliqué", qui pousse "les plus jeunes à s'interroger sur l'opportunité de s'installer et les plus âgés sur celle d'anticiper leur retraite"...
Hélas on pourrait ajouter à ces exemples funestes quantité d'autres aussi mal foutus, aussi nébuleux, aussi superfétatoires : T2A, Evaluation des Pratiques Professionnelles, SROS, T2A, Objectifs Quantifiés, Nouvelle Gouvernance, normes par ci, contrats de bonne pratique par là. Pas un mois sans un nouveau texte. Le béton gris des certitudes légales en arrive même à encadrer les moments les plus indicibles de l'existence humaine, ceux où le doigt de l'homme effleure celui de Dieu, le début et la fin de la vie.
Einstein, pour revenir à lui ,disait qu'il ne faut jamais rien faire contre sa conscience même si c'est l'Etat qui le demande. Jusqu'où acceptera-t-on donc ces tombereaux d'insanités ?
Dans un pays troublé par tant de récriminations stériles et d'exigences contradictoires, faut-il que le monde de la santé soit pusillanime, docile ou bien complètement anesthésié pour marcher comme un seul homme dans toutes ces combines foireuses. Quelques récriminations se font jour de ci de là mais on assiste surtout au spectacle navrant de gens très bien, déployant un zèle déraisonnable pour tenter de se conformer à des oukazes diaboliques, se lancer dans des comptabilités de Monopoly, ou s'échiner à dessiner les contours de carnavalesques Pôles d'activité. Lorsqu'on les interroge sur la signification ou sur l'utilité de ce qu'ils font, ils sont la plupart du temps incapables de répondre en termes intelligibles. Au mieux, laissent-ils échapper en soupirant : " On n'y peut rien, c'est la loi"....
Qui arrêtera donc cette machine infernale ?
Références :
Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires : Montesquieu
1 Pluralitas non est ponenda sine necessitate : Guillaume d'Ockham XVè siècle
2 Rapport du Conseil d'état, le mercredi 15 mars 2006
3 Le MONDE 3/12/05
4 Claude Frémont: (Impact Médecine 155 du 30/3/06)
5 Ordre National des Médecins Bulletin no3 Mars 2006
Publié dans DH Magazine Mai 2006
Le Monde devient de plus en plus complexe. Cette antienne tient du cliché tant elle est répétée un peu partout, dans les cénacles de réflexion et de décision.
Il est vrai que le progrès y est sans doute pour quelque chose. La Science nous donne en effet des outils dont la sophistication ne cesse de croître.
On ne fait pas les routes de la même manière pour des charrettes en bois ou pour des millions d'automobiles modernes. On ne conçoit pas les ports pour quelques thoniers ou terre-neuvas comme on les fait pour accueillir des paquebots ou des supertankers. On n'imagine pas les hôpitaux pareillement s'ils doivent servir d'hospices ou bien de plateaux techniques pour des interventions chirurgicales de haute voltige.
Le fonctionnement de ces inventions s'apparente le plus souvent à une énigme pour le vulgus pecum. Qui peut expliquer clairement comment fonctionne une centrale nucléaire ou bien la navette spatiale ?
Pour autant ce qu'on perçoit aisément c'est ce à quoi elles servent. Tout comme on perçoit de manière aiguë un dysfonctionnement lorsque par malheur il survient.
Car en matière scientifique, tout est pesé à l'aune du pragmatisme et de l'efficacité. En dépit d'une inévitable complexité de conception, les experts sont unanimes : pour obtenir une machine robuste, la règle est de privilégier les solutions les plus simples. Au XVè siècle, un moine philosophe postula sagement que "les entités ne devaient pas être multipliées sans nécessité(1)." Ce principe, connu depuis sous le nom de rasoir d'Ockham, a été repris par nombre de savants, le dernier en date étant Einstein : "On devrait tout rendre aussi simple que possible, mais pas plus."
Hélas hors des mathématiques, de la physique ou de la chimie, ces conseils sont trop souvent oubliés. Pour organiser la société, on voit fleurir les constructions pédantes, prétentieuses ou tarabiscotées, sans utilité ni nécessité évidentes. Faute d'être assujetti à des règles immanentes, l'homme se croit en effet investi de la mission de les créer. Et dans le domaine, l'extravagance est vite atteinte. Les pires inepties ont été érigées en dogmes et des légions de malheureux ont perdu jusqu'à la vie à cause de l'arrogance des prêtres obtus du Temple de la Légalité.
On objectera que de nos jours, les « bourreaux barbouilleurs de lois» comme les appelait l'infortuné André Chénier, ont cédé la place à d'inoffensifs technocrates qui n’envoient plus à l’échafaud que des fantômes et des idées.
N'empêche, si le mal ne tue plus, il sévit encore, tout particulièrement en France. A la manière d'une intarissable diarrhée....
Le Conseil d'Etat dans son rapport annuel rendu public le 15 mars 2006(2) constate "qu'il y a trop de lois, des lois trop complexes, des lois qui changent tout le temps !"
De fait, l'inflation législative en France s'accélère dangereusement. En 1973, le Parlement produisait 430 pages de lois. Dix ans après, plus de 1000. Aujourd'hui, presque 4000. C'est fou ! Les textes sont plus nombreux, mais surtout, ils sont plus longs et plus compliqués. Selon le journal Le Monde(3), le Bulletin des lois est passé de 912 grammes en 1970 à 3,266 kilogrammes en 2004. Il comportait 380 pages en 1964, 620 en 1970, 1055 en 1990 et 2566 en 2004. La loi sur les communications électroniques du 9 juillet 2004 comprend 101 pages, celle sur la santé publique du 9 août 2004 218 et la loi sur les responsabilités locales du 13 août de la même année 231 ! Pour quelle efficacité ?
Le Conseil d'Etat n'est pas le seul à se lamenter. Il y a quelques jours on apprenait la démission du directeur de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Nantes, Claude Frémont. Interrogé sur les raisons de sa décision, il évoquait entre autres le nouveau parcours de soins coordonnés(4) : « C'est une véritable usine à gaz. Tous les jours notre plate-forme téléphonique reçoit des appels de patients demandant des explications sur les tarifs. Chaque matin je reçois des dizaines et des dizaine de pages de directives et d'instructions. On en est presque à nous dire comment travailler au quotidien ».
De son côté, l'Ordre des Médecins critique dans son Bulletin National la complexité de ce même parcours(5) (qu'il avait pourtant accueilli favorablement) : "Non seulement les réserves formulées n'ont pas été levées mais depuis, elles se sont aggravées." Pêle-mêle il déplore les "difficultés de mise en oeuvre de la CCAM", "les Imprimés ALD inutilement complexes", "la surcharge administrative", "la relation de confiance médecin-malade entamée", "la surveillance tatillonne des caisses" et constate une "exaspération croissante face aux rigidités d'un système mal expliqué", qui pousse "les plus jeunes à s'interroger sur l'opportunité de s'installer et les plus âgés sur celle d'anticiper leur retraite"...
Hélas on pourrait ajouter à ces exemples funestes quantité d'autres aussi mal foutus, aussi nébuleux, aussi superfétatoires : T2A, Evaluation des Pratiques Professionnelles, SROS, T2A, Objectifs Quantifiés, Nouvelle Gouvernance, normes par ci, contrats de bonne pratique par là. Pas un mois sans un nouveau texte. Le béton gris des certitudes légales en arrive même à encadrer les moments les plus indicibles de l'existence humaine, ceux où le doigt de l'homme effleure celui de Dieu, le début et la fin de la vie.
Einstein, pour revenir à lui ,disait qu'il ne faut jamais rien faire contre sa conscience même si c'est l'Etat qui le demande. Jusqu'où acceptera-t-on donc ces tombereaux d'insanités ?
Dans un pays troublé par tant de récriminations stériles et d'exigences contradictoires, faut-il que le monde de la santé soit pusillanime, docile ou bien complètement anesthésié pour marcher comme un seul homme dans toutes ces combines foireuses. Quelques récriminations se font jour de ci de là mais on assiste surtout au spectacle navrant de gens très bien, déployant un zèle déraisonnable pour tenter de se conformer à des oukazes diaboliques, se lancer dans des comptabilités de Monopoly, ou s'échiner à dessiner les contours de carnavalesques Pôles d'activité. Lorsqu'on les interroge sur la signification ou sur l'utilité de ce qu'ils font, ils sont la plupart du temps incapables de répondre en termes intelligibles. Au mieux, laissent-ils échapper en soupirant : " On n'y peut rien, c'est la loi"....
Qui arrêtera donc cette machine infernale ?
Références :
Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires : Montesquieu
1 Pluralitas non est ponenda sine necessitate : Guillaume d'Ockham XVè siècle
2 Rapport du Conseil d'état, le mercredi 15 mars 2006
3 Le MONDE 3/12/05
4 Claude Frémont: (Impact Médecine 155 du 30/3/06)
5 Ordre National des Médecins Bulletin no3 Mars 2006
Publié dans DH Magazine Mai 2006
ce que je cherchais, merci
RépondreSupprimerhey, nice weblog and good publish
RépondreSupprimerGood Article
RépondreSupprimertres interessant, merci
RépondreSupprimerPretty good post. I just stumbled upon your blog and wanted to say that I have really enjoyed reading your blog posts
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