15 janvier 2007

Morituri te salutant


Plusieurs évènements récents amènent à se pencher une fois encore sur la légitimité de la peine de mort, en essayant d'éviter de tomber dans les lieux communs de la sensiblerie ou dans des a priori par trop idéologiques :
- Saddam Hussein au terme d'un long procès a fini sa vie au bout d'une corde.
- Aussi incroyable que cela paraisse, dans notre bonne ville de Rouen, un détenu après avoir tué son voisin de cellule s'est livré sur lui à des actes de cannibalisme !
- Enfin, le président de la République s'est donné parmi ses dernières missions régaliennes, celle d'inscrire dans le marbre de la constitution française l'abolition « définitive » de la peine capitale.
La France est bien vertueuse. Certaine de détenir la vérité intangible en la matière, elle se répand en leçons à qui veut les entendre. Peut-être est-elle d'autant plus arrogante qu'elle a beaucoup à se faire pardonner.
N'est-ce pas elle qui scella il y a deux siècles à peine, avec le « sang impur » de gens trop bien nés, les fondations de sa grotesque première république ?
N'est-ce pas elle qui en 1793, fit de la terreur un système de gouvernement, et qui en abandonna la responsabilité à une bande d'abrutis « barbouilleurs de lois » avides avant tout d'ordonner « l'interruption de vie » de tous les malheureux dont le seul crime était de penser différemment d'eux. Les colonnes infernales de Vendée, les ignobles mariages républicains de Carrier à Nantes, les tribunaux expéditifs de Fouquier-Tainville, la folie purificatrice des Robespierre, Saint-Just et autres Marat, tout cela n'est pas si loin.
Pour paraphraser l'infortunée madame Rolland, combien de crimes l'Etat a-t-il commis au nom de la Liberté chérie ?
Il n'y a guère plus de 50 ans, après la libération du pays de l'occupation nazie, n'est-ce pas en France encore qu'on vit, suite à des accusations non vérifiées, ou à des ragots inspirés par le plus vil des désirs de vengeance, des femmes humiliées, violées, tondues, des exécutions sommaires, et le retour de sinistres tribunaux d'exception assassinant « légalement » à tour de bras des gens au motif le plus souvent douteux « d'intelligence avec l'ennemi » et des écrivains pour simple délit d'opinion : Paul Chack par exemple fusillé parce qu'il était anti-bolchévique, ou encore Robert Brasillach, condamné à mort pour quelques phrases insensées, le jour même de l'ouverture de son procès, après une délibération de vingt minutes !
Très indulgente avec son passé, la France condamne aujourd'hui avec la plus ferme intransigeance les Etats-Unis qui avaient pourtant aboli la peine de mort depuis beaucoup plus longtemps qu'elle (dès 1840 pour le Michigan !) et qui de toute manière en avaient toujours fait un usage plus parcimonieux que l'ensemble des pays européens.
L'Amérique a cru bon de rétablir ce châtiment en 1976. Encore faut-il préciser que l'application de cette décision résulte d'un processus parfaitement démocratique, qu'elle ne concerne que 38 états et qu'elle est toujours susceptible d'être revue en fonction des circonstances. Ce qui fait en effet la particularité des Etats-Unis, c'est qu'ils évitent d'ériger en loi de simples préjugés, et surtout qu'ils respectent autant que faire se peut, la volonté populaire.

L'arrogance de nos dirigeants actuels apparaît bien éloignée de l'humilité de ceux qui envoyèrent Tocqueville en Amérique en 1830 pour analyser sans a priori son système pénitentiaire et qui virent revenir un sage, heureux d'avoir découvert... la Démocratie !

Chacun sait qu'en France la peine de mort a été abolie contre l'opinion majoritaire des Français.

Et bien que les choses soient donc en passe d'être entérinées sans retour par un Pouvoir imbu de ses certitudes, il est permis de continuer à s'interroger sur cette problématique qui confine au fait de société.
Le terrain est plutôt miné si je puis dire, tant il contient de pseudo-évidences qui constituent autant de chausses-trappes sur le chemin d'un raisonnement serein.
Soyons clair : il est a peu près aussi facile d'être contre la peine de mort que d'être contre la guerre et aussi difficile de proposer dans les deux cas des solutions de rechange crédibles. Au surplus, que l'on soit pour ou contre, dans tous les cas, l'horreur est souvent au bout du chemin. Le choix n'est donc pas manichéen et personne ne peut en la circonstance s'accorder par avance de brevet de bonne moralité.
Les abolitionnistes les plus résolus sont souvent les mêmes qui jugent barbare l'incarcération à perpétuité, et qui s'élèvent vigoureusement contre la construction de prisons au motif que cela empêcherait celle d'écoles ou d'hôpitaux.
Si l'on adopte ce point de vue, il ne reste plus guère d'alternative pour empêcher les meurtriers de nuire ! Sans compter que c'est avec de tels principes, pour le moins hypocrites, qu'on aboutit au surpeuplement et à la dégradation des conditions de vie en milieu pénitentiaire, dont notre pays affiche la triste réalité.
En matière de justice, il paraît indispensable d'éviter tout argument instinctif et le citoyen, lorsqu'il raisonne sur le sujet, se doit absolument de tenter d'extraire sa problématique personnelle du débat. Bien qu'il soit vain de gommer toute préoccupation morale, le souci primordial est d'ordre pragmatique et se résume à une question simple : comment protéger la société, et notamment les plus faibles de ses membres, des agissements de criminels odieux ?
Tant qu'il est impossible de parvenir à changer le comportement de ces derniers sans pour autant dégrader leur personnalité donc l'essence de leur individu, il faut bien se résoudre à les tenir à l'écart de leurs victimes potentielles. La récidive apparaît en effet comme un échec cuisant pour tout système de justice digne de ce nom.
Et lorsqu'on est convaincu que ce risque est majeur, il ne reste qu'une alternative : soit les emprisonner à vie, soit les condamner à mort.
Vu le caractère aléatoire des expertises psychologiques, et compte tenu des données de l'expérience, la moins mauvaise méthode pour jauger ce risque est de l'évaluer en proportion de l'énormité et du degré de préméditation des crimes commis.
Il découle de ce constat qu'en tout état de cause le champ d'application des châtiments suprêmes ne peut qu'être extrêmement restreint. Il exclut à l'évidence les délits d'opinion, et la plupart des crimes passionnels. Restent toutefois passibles de telles sanctions dans une société de liberté et de responsabilité, les crimes terroristes ou pervers.
Plusieurs objections cruciales sont habituellement faites lorsqu'on aborde le sujet de la peine de mort :
-le risque de condamner à tort un innocent
-la cruauté du châtiment
-La valeur sacrée de la vie
Il est certain que la perspective de l'erreur judiciaire est épouvantable. C'est probablement l'argument principal contre la peine capitale et comme on peut le lire sur le site Wikipedia à propos de cette problématique aux USA: « Le meilleur espoir des abolitionnistes pour espérer faire basculer l'opinion publique en leur faveur demeure la première preuve formelle d'un innocent exécuté par erreur. »
Ce risque est toutefois à mettre en balance avec son opposé, sans doute plus grand, qui consiste à relâcher un criminel, faute d'avoir pu collecter assez de preuves contre lui. Dans les deux cas, il s'agit d'une grave défaillance de la justice. Bizarrement – probablement parce que les effets désastreux sont directement palpables – elle s'avère beaucoup plus troublante dans le premier cas que dans le second. Pourtant la gravité est la même et surtout les conclusions à en tirer sont similaires : ce n'est pas parce qu'on risque de relâcher un assassin qu'il faut garder emprisonnés tous les suspects, et ce n'est pas davantage parce qu'on craint de condamner un innocent qu'il faut cesser de châtier les coupables.
De toute manière, l'abolition de la peine de mort ne prémunit aucunement contre l'erreur judiciaire. On objectera qu'elle a un caractère moins irréversible. Mais sachant la difficulté qu'il y a de remettre en cause un verdict, la perspective d'emprisonner à vie un innocent n'est-elle pas effroyable ? Il suffit d'imaginer le tourment incessant dans la tête du malheureux pour supposer qu'il puisse en venir à souhaiter plutôt mourir...
Ce sont d'ailleurs parfois les détenus qui réclament davantage de courage et de détermination de la part de ceux qui les jugent.
On se souvient de
Gary Gilmore qui en 1976, au moment où la peine de mort était rétablie aux Etats-Unis, refusa tout recours après son jugement et demanda à être exécuté plutôt que de croupir le restant de ses jours en prison.
En France, en janvier 2006, le journal Le Monde publia la pétition de prisonniers condamnés à de longues détentions, qui demandaient le rétablissement de la peine capitale, qualifiant l'emprisonnement de « cruel et hypocrite »...
On pourrait enfin évoquer le choix de
Socrate, qui bien qu'injustement condamné, préféra la mort à l'exil.
Reste la corde sensible de « la valeur sacrée de la vie » que d'aucuns font vibrer avec émotion. Non sans raison car il est vrai qu'il n'est pas dans la nature de la justice d'être cruelle, ni même vengeresse.
Mais en vérité, lorsque la culpabilité ne fait aucun doute, le respect de la vie peut sembler un piètre argument s'il s'agit de celle de brutes inqualifiables qui méprisent généralement jusqu'à la leur, à la manière des kamikazes.
Il paraît d'ailleurs assez incongru dans la bouche d'abolitionnistes qui affirment dans le même temps qu'ils seraient prêts à se faire meurtriers eux-mêmes si on touchait à l'un de leurs enfants... Ou bien lorsqu'ils en font si peu de cas à propos de l'avortement pour convenances personnelles et de l'euthanasie des personnes âgées ou handicapées au motif que ces dernières auraient donné leur accord...
Ces dérives bien intentionnées font froid dans le dos dans une société qui paraît s'enfoncer dans un hédonisme et un matérialisme croissants.
C'est pour toutes ces raisons qu'il paraît un peu vain aujourd'hui de s'apitoyer sur le sort de Saddam Hussein. Certes les conditions de son exécution furent assez déplorables mais sa culpabilité ne faisait aucun doute, son procès fut correct et en définitive le châtiment fut à la mesure des atrocités auxquelles il s'était livré en toute conscience depuis des décennies.
L'affaire du détenu cannibale incite elle à se poser des questions sur les conditions de détention en France. La survenue d'un tel évènement est une honte pour notre système pénitentiaire. Par la même occasion on peut s'interroger sur le devenir d'un monstre capable de tels actes...
En définitive, devant un monde aussi brutal et chaotique, il semble bien téméraire et présomptueux de décréter qu'on puisse définitivement abolir la peine de mort. Il faut sans nul doute tendre vers ce but comme il faut tendre vers la paix perpétuelle, mais il est hélas illusoire d'en faire dès à présent un acquis.

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