20 juin 2007

Les fantômes de la Liberté


Les grands scrutins nationaux de ce printemps 2007 sont à peine clos qu'une question s'impose, brûlante : La France a-t-elle vraiment choisi la manière avec laquelle elle souhaite aborder les cinq prochaines années ? Elle s'est dotée d'un président bien élu et lui a donné une majorité confortable à l'Assemblée Nationale, pourtant des doutes subsistent. Dimanche soir la victoire avait pour la plupart des observateurs, des airs de trop peu.
Que s'est-il passé pour que tout à coup, l'élan semble ainsi freiné ? Les électeurs ont-ils cru bon de lancer un avertissement au nouveau gouvernement comme certains en sont persuadés ? La Gauche se redresse-t-elle comme par magie, grâce à quelque trouvaille de génie ?
Tout cela est peu probable dans des délais si courts. En tout cas rien n'accrédite de telles suppositions.
Bien sûr on avait sans doute exagéré l'ampleur prévisible de la fameuse « vague bleue ». Peut-être même était-on parvenu en agitant ce spectre, à dissuader quelques personnes d'aller voter, ou au contraire à encourager d'autres à le faire pour opposer un rempart à la déferlante annoncée.
Mais il y a de toute évidence autre chose.
Peut-être une sorte de pressentiment sur la tournure à venir des évènements.
Sur la TVA sociale par exemple. Cette idée, évoquée par Nicolas Sarkozy bien avant son élection n'est pourtant pas d'une originalité fracassante. Elle n'a même rien de bien révolutionnaire et encore moins de libéral. On se souvient qu'elle faisait partie du vivier d'idées « nouvelles » de François Bayrou, et qu'elle avait également cours sous d'autres noms dans les cercles de réflexion socialistes.
Peut-être après tout est-ce justement ce qui effraie...
Car en dépit d'une appellation rassurante, ça fleure avant tout l'impôt nouveau. Et ça rappelle diablement, parmi d'autres hausses, l'augmentation de 2 points de la TVA dès l'accession de Jacques Chirac au pouvoir en 1995...
On a beau nous dire qu'elle permettra de diminuer les charges sociales pesant sur les entreprises, on a beau nous assurer qu'elle ne conduira à aucune augmentation des prix, il y a de quoi être sceptique. Comment croire les gens qui affirment que pour baisser les impôts, il faille avant tout les augmenter ?
Alors qu'on invoque le pouvoir intransigeant de la Commission de Bruxelles pour faire mariner depuis des années les restaurateurs qui espèrent un allègement de la leur, voilà qu'on annonce sans rire une augmentation de cinq points de la TVA générale !
Mais le pire si je puis dire est qu'il faille aux gouvernants une « mission d'experts » pour garantir que cette invention ne jouera aucun rôle néfaste sur le pouvoir d'achat ! Les Français ont sûrement fait leurs comptes à l'aide de leur simple bon sens. S'agissant de tous les produits importés, dont quantité concernent les activités de loisir, l'augmentation des prix ne fait aucun doute.
Pour les autres cela dépendra de la bonne volonté des entreprises, à supposer qu'elles soient satisfaites des baisses de charges consenties par le gouvernement. A supposer aussi que ces baisses soient durables dans le temps, car nul doute que la TVA elle, restera accrochée pour longtemps aux sommets...
Quant aux effets bénéfiques sur les délocalisations, il faut être bien confiant pour y croire. Même si elle y parvenait, cette mesure qui n'est en somme qu'un artifice protectionniste, pourrait pénaliser tôt ou tard nos exportations, ne serait-ce qu'en provoquant de la part des partenaires commerciaux des actions de rétorsion.
Tout ça n'est franchement pas très sérieux. Le problème n'est pas de savoir comment répartir différemment la charge écrasante des prélèvements, mais plutôt de parvenir à les faire enfin vraiment diminuer.
Il y a des analogies entre ce pis-aller pseudo-social et les franchises en matière de remboursement de soins, qui sont envisagées pour tenter de contenir le dérapage des dépenses de santé, tout en préservant notre sacro-saint modèle de protection sociale.
Il est temps sans aucun doute d'engager la responsabilité de chacun, mais ici encore la méthode choisie est-elle la plus opportune ?
Le procédé semble hélas devoir une fois de plus s'intégrer dans la politique suivie depuis de nombreuses années, consistant à augmenter continuellement les prélèvements et les cotisations tandis qu'on diminue parallèlement les prestations servies aux assurés sociaux.
Les franchises quant à elles ne sont pas nouvelles. La première d'entre elles en matière d'assurance maladie ne date pas d'hier. Il s'agit bien évidemment du ticket modérateur laissé à la charge de l'assuré après remboursement du prix des soins.
Sitôt créé, il eut pour conséquence de provoquer l'apparition d'un régime d'assurances complémentaires privées, créant de fait une entorse au principe de l'égal accès aux soins pour tous. Pour en atténuer la nature perverse, il fallut inventer la notion d'affection de longue durée bénéficiant d'une prise en charge à 100% par le régime « obligatoire » de la Sécurité Sociale. On créa dans la foulée quantité d'exceptions au ticket modérateur : actes exonérants, supérieurs à K50, aide médicale gratuite, prise en charge intégrale des interruptions volontaires de grossesses, et pour finir la CMU. Mais dans le même temps, les zones de franchise s'étendirent : « déremboursement » progressif des médicaments, forfait journalier, 1 euro non remboursable, seuil incompressible de 18 euros pour les actes exonérants... On alla jusqu'à inventer un diabolique « parcours coordonné de soins » avec des pénalités pour les usagers « déviants »... Et naturellement les cotisations ne furent pas en reste : augmentation des cotisations de base, invention de nouvelles contributions : CSG, RDS, taxes diverses sur les alcools, le tabac...
Résultat, le système à l'instant présent est d'une effroyable complexité, les usagers sont toujours aussi irresponsables, les médecins guère moins, et la Sécurité Sociale continue de s'abîmer dans les déficits et la gabegie, tandis que les politiciens ne cessent de brandir l'idéal usé de la « santé gratuite ».
Un système d'assurance est d'autant plus efficace que les cotisants sont nombreux et que les risques couverts ont une faible probabilité de se réaliser. C'est malheureusement l'inverse qui se passe dans le domaine de la santé. La médicalisation grandissante de la société conduit de plus en plus d'assurés à puiser, pour des soins le plus souvent de confort, dans les fonds d'une banque que les contribuables sont de moins en moins nombreux à alimenter. Il n'est plus possible de faire perdurer un tel système sauf à pérenniser les déficits, ou bien à devoir accepter d'entamer irrémédiablement la solidarité qui doit s'exercer vis à vis des malades atteints d'affections particulièrement douloureuses ou pénibles et à voir s'installer un navrant égalitarisme de la médiocrité.
Il n'est pas possible non plus de demander toujours plus à un nombre décroissant de gens. Si les franchises sont inévitables elles doivent être significatives, s'imposer à tous avec avance réelle de frais, mais s'accompagner en contrepartie d'un allègement non moins significatif des cotisations et prélèvements. En définitive, il faudrait que chacun désormais ait la responsabilité de gérer une partie de son portefeuille de santé. Probablement faudrait-il également que les citoyens puissent librement déterminer le niveau de couverture qu'ils souhaitent et plus encore qu'ils puissent choisir leur assurance. Puisque la Sécurité Sociale s'avère incapable de garantir la prise en charge optimale des soins pour tous, elle doit abandonner ses prérogatives exorbitantes et monopolistiques, acquérir une vraie indépendance vis à vis de l'Etat et se soumettre à la concurrence.
A vrai dire, la partie sera probablement en passe d'être gagnée lorsque les patients, cessant d'exiger toujours plus au motif « qu'ils sont à 100% », demanderont à leurs médecins de les soigner le mieux possible mais au meilleur coût.
Sur ces deux sujets, TVA sociale et franchises médicales les annonces un peu hâtives ont peut-être dores et déjà fait perdre quelques dizaines de sièges de députés au nouveau Pouvoir. S'il devait persister dans cette voie, il est à craindre qu'il accumule une impopularité croissante sans parvenir pour autant à s'émanciper des a priori et des idéologies qui tuent l'efficacité. Et les grandes promesses, les grandes aspirations se décomposeraient une fois encore en fantômes de la Liberté.
Mais le pire serait qu'il marque le pas par crainte de la fronde sociale. L'Opposition hélas n'a rien perdu de ses certitudes arrogantes et archaïques. Elle menace ouvertement et annonce clairement son intention de faire de l'obstruction systématique. Plus que jamais il faut des convictions et du courage.

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