08 juillet 2008

A la recherche du Paradis Perdu


Il est paradoxal qu'il faille parfois aller sur la chaine de télévision la plus commerciale qui soit dans notre pays, la plus vilipendée par les gardiens du temple du « Service Public » et de l'Exception Culturelle, pour y trouver les sujets de réflexion les plus excitants. Et les mieux mis en images.
Chaque numéro de l'émission USHUAIA Nature diffusé par TF1 est de ce point de vue un petit chef d'oeuvre. Prises de vues stupéfiantes, paysages extatiques, lumières paradisiaques, un vrai régal pour les yeux et l'esprit. Certes on sent que tout est travaillé et retravaillé, les couleurs et les contrastes savamment magnifiés. N'empêche le résultat est à la hauteur des moyens et procure un superbe spectacle.
Malheureusement les commentaires du présentateur ne s'avèrent pas toujours à la hauteur, Nicolas Hulot se laissant bien souvent aller à une sorte de philosophie angélique et un tantinet nigaude sur la Nature. Par exemple, le dernier épisode (3/07/08) qui raconte l'Amazonie et focalise l'attention sur une tribu d'indiens perdus dans la forêt, est le prétexte à ressortir le vieux mythe opposant le bon sauvage à la société moderne, prétendument corrompue.
Les Zo'és, dont la population excède à peine 250 âmes, et qui coulent une existence paisible dans un microcosme préservé, deviennent sous l'oeil émerveillé du présentateur écologiste, les survivants du Paradis perdu : « Les Zo'és, comme les derniers témoins de l'origine de l'homme, sont aussi les témoins de notre perte d'humanité, de notre avidité et de notre frénésie constructrice particulièrement… destructrice ». Et en voyant ces gentils hommes nus gambader joyeusement dans la jungle, consacrant « la plus grande partie de leur journée au sommeil, aux jeux, à la baignade ou à de précieux moments de discussion, d'échange et de partage » on ne peut selon lui que se lamenter sur notre triste sort et réaliser « combien de liens nous avons sacrifiés à la notion de possession ». On mesure « l'outrance de notre société standardisée, basée sur le pouvoir, la compétition, le rendement ».

Qu'il est doux de se bercer d'illusions séraphiques, donnant l'impression de redécouvrir le sens des vérités premières...
Seul problème : comment diable, décalquer sur le monde, avec sa complexité et sa diversité, une expérience aussi ponctuelle, aussi exceptionnelle ? Même si elle invite à réfléchir sur le mystère de la nature humaine, est-ce à croire qu'il suffise d'avoir été oublié par la civilisation pour être pur et n'avoir d'autre besoin que d'amour et d'eau fraîche ?
Ces gens quoique fort sympathiques, n'ont pas évolué d'un iota au cours des millénaires. Pour un peu, ils feraient mentir Darwin ! Ils n'ont en apparence aucun désir, aucune passion et ignorent la notion même de progrès. Il n'ont jamais cherché à dépasser les limites de la Forêt. A quoi bon ? La Nature généreuse leur procure à portée de main tout ce qu'il faut pour vivre et un climat assez clément pour se passer de tout habillement.
Sont-ils pour autant les derniers hommes libres comme le prétend Nicolas Hulot ? Difficile à dire. Ils se satisfont d'un monde irrémédiablement fermé sur lui-même, semblent n'avoir aucune angoisse existentielle et leur vie est entièrement conditionnée par l'instant. Le ciel et ses mystères paraît les indifférer et leur culture est des plus rudimentaires, se limitant à un artisanat basique et quelques rites animistes. L'écriture leur est inconnue, comme toute forme d'expression élaborée.
A bien y réfléchir, ils constituent sans doute une des innombrables facettes du génie humain. Leur destin est en soi une énigme tout comme celui de chacun d'entre nous et comme toute société, petite ou grande peuplant l'univers ici bas.

Qu'on les protège comme une espèce en voie de disparition est touchant et somme toute louable. Mais c'est aussi les maintenir dans l'ignorance de l'univers qui les entoure et dans une semi-captivité. Par le biais de caméras bien intentionnées, nous les observons avec nostalgie et tendresse, mais combien de temps joueront-ils avec autant de naturel sous nos yeux le rôle de bons sauvages, avant de chercher à passer de l'autre côté de l'écran ? Car en dépit d'espoirs chimériques, ils est peu probable que beaucoup d'entre nous soient un jour tentés de faire le chemin inverse...

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