17 août 2008

Ombres chinoises, poupées russes

A Pékin, les jeux sont quasi faits. Le ballet des protestataires s'est dispersé, pas un athlète ne manque à l'appel et après une cérémonie d'ouverture époustouflante, la quête de médailles occupe désormais entièrement les esprits.
Elles paraissent bien lointaines les vitupérations des anciens maoïstes, comparant les Jeux Olympiques de 2008 à ceux de 1936 en Allemagne.
J'entends encore Daniel Cohn Bendit sur France Inter, la veille de la cérémonie d'ouverture, s'étrangler de rage à propos de ce qu'il considérait comme un scandale inacceptable.
Même s'il refuse à titre personnel, l'étiquette d'ancien « mao », il ne paraissait pas trop gêné de défiler avec eux en 68, le poing tendu, sous le portrait du Grand Timonier... A l'instar de nombre de benêts qui se targuent d'être des consciences éclairées, mais qui encensaient de sinistres dictateurs à une époque où il n'était pas permis d'ignorer leurs méfaits, ils trouvent aujourd'hui que la Chine ne se débarrasse pas assez vite de leurs méthodes infâmes... Autre temps, autres moeurs !
Ces gens, qui n'ont pas tiré grand enseignement de leurs erreurs passées, continuent donc de pérorer leurs leçons, à cheval sur les grands principes.
Reprenant la bonne vieille rhétorique de la reductio ad hitlerum, ils comparent le communisme de 2008, en pleine déconfiture
au national-socialisme de 1936, en pleine ascension. A Berlin, c'était Hitler qui paradait. Aujourd'hui, à Pékin, les dirigeants chinois font plutôt profil bas. Ils n'ont plus d'idéologie à faire valoir et le communisme est à l'état vestigial. La Chine qui a certes encore de grands progrès à faire pour ressembler à une démocratie moderne, n'a fort heureusement plus grand chose à voir avec le pays de Mao. L'immense paquebot que constitue cette nation a changé de cap, mais le mouvement se fait avec lenteur et inertie.
Les sages du Comité Olympique ont pris une lourde responsabilité en accordant à Pékin les Jeux. Mais ils l'ont fait en connaissance de cause et une fois la décision prise, il n'y a plus vraiment lieu de continuer les jérémiades. A bien y regarder, ce n'est d'ailleurs pas Berlin en 1936 qui fut la cause de tant de malheur mais plutôt Munich en 1938.
Mieux vaut agir lorsque cela est raisonnablement envisageable, plutôt que de se répandre en récriminations vertueuses mais inefficaces. S'agissant du Tibet, à l'instar du Dalaï Lama lui-même, il y a lieu de saisir toutes les occasions pour tenter d'infléchir la position des dirigeants chinois, mais il convient d'éviter la politique du chiffon rouge, génératrice de crispation.
A peine, l'affaire des Jeux s'estompe-t-elle qu'une nouvelle arrive, mettant en scène un autre ancien bastion du communisme. La Russie, au mépris de toutes les règles internationales envahit brutalement la Georgie, pays démocratique, sous prétexte que cette dernière réprimait trop durement les velléités d'indépendance d'une de ses composantes sécessionnistes : l'Ossétie du sud.
L'Ossétie et ses quelques 70.000 habitants ne pèse pas lourd sur l'échiquier international et son désir d'indépendance en dit long sur le degré de fragmentation de l'ex-empire soviétique. La Georgie qui compte elle-même moins de 5 millions d'âmes n'est qu'un petit pays. Avant d'accéder à l'indépendance, elle faisait partie intégrante de la Russie dès le début du XIXè siècle. Elle fut la terre natale de Staline... De nos jours encore, malgré la tenue d'élections libres, des allégations font état de comportements douteux de la part des dirigeants : violence, coups bas, corruption... Il faut d'ailleurs convenir que les répressions auxquels ils se sont livrés
en Ossétie, relèvent d'une stratégie plutôt expéditive...
Mais voilà, la Georgie, comme l'Ukraine, et beaucoup d'autres républiques autrefois asservies à l'URSS, aspire désormais à rejoindre le club des démocraties occidentales. Elle n'a d'yeux que pour l'Europe et a demandé en 2007 son intégration à l'OTAN. Depuis des années, elle défie ouvertement sa grande et menaçante voisine.
Derrière ces conflits locaux se profile donc une confrontation bien plus gigantesque, opposant en réalité la Russie à l'Amérique, avec au milieu l'Union Européenne. En d'autres termes, d'un côté l'Est pantelant, humilié, dont les rouages s'éparpillent, mais dont le coeur est encore battant à Moscou, de l'autre l'Ouest triomphant et parfois arrogant ou inconséquent.
En matant la Georgie, la Russie trouve une belle occasion d'affirmer sa volonté de puissance et d'hégémonie sur ses anciens vassaux. Elle veut manifestement continuer de rayonner sur la région et faire contrepoids à l'Alliance Atlantique. Elle ne craint guère en la circonstance l'Europe dont elle connaît derrière les discours, la langueur, et les faiblesses pacifistes. Certes Nicolas Sarkozy en tant que président de l'Union n'a pas ménagé sa peine pour parvenir à une solution négociée, mais dans l'ensemble peu de voix se sont élevées pour réprouver l'intervention russe. Quant aux Etats-Unis, à la veille de l'élection présidentielle, il y a peu de chances qu'ils puissent rétorquer de manière très forte. Au surplus, la Russie a beau jeu de rappeler les interventions en Serbie, en Afghanistan, en Irak. En accourant au secours de l'Ossétie, elle estime répondre en quelque sorte au zèle mis par toutes les nations occidentales à reconnaître l'indépendance du Kosovo, il y a quelques mois.
Le risque est qu'elle s'enhardisse à la suite de cette opération qui s'annonce comme un succès, et qu'elle cherche alors peu à peu à reprendre son emprise sur ses voisins. Sans être aussi pessimiste qu'Yvan Rioufol sur les intentions réelles des dirigeants russes et sur les capacités de réaction des démocraties occidentales, la question angoissante face à l'agression d'un pays dit ami, est tout de même de déterminer où se situe la limite extrême au delà de laquelle il deviendrait incontournable d'envisager une riposte armée, sous peine de voir se reproduire une situation rappelant fâcheusement 1938...

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