16 septembre 2008

Jeff et Benoît sont en bateau...


Qu'on me pardonne l'insoutenable légèreté de ce titre. Jeff ici c'est Koons, l'artiste au homard pendu à Versailles, et Benoît n'est évidemment personne d'autre que le seizième du nom dans la papauté catholique !
Pourquoi les mettre ainsi face à face dans une improbable embarcation ?

Sans doute un peu parce que leurs noms à tous deux font couler pas mal de salive et d'encre ces derniers temps. « Tout le monde en parle » comme disait l'autre...
Surtout parce qu'ils incarnent à l'instant présent deux des plus indicibles passions qui animent l'être humain : L'Art et Dieu. Et parce que ces deux passions semblent parfois en passe de s'abîmer dans le néant.

En effet, malgré la fameuse assertion de Malraux sur le caractère "spirituel" du XXIè siècle, c'est pour l'heure ce qui paraît lui manquer le plus. Dieu et l'au-delà ne suscitent que fanatisme ou indifférence, et quant à l'art, il erre entre banalisation et délires commerciaux. D'une manière générale, une bonne part de ce qui faisait "l'esprit", se trouve réduit à l'état de vestiges.
Pas si grave diront certains.
Il est vrai que Malherbe constatait autrefois qu'un poète « n'était pas plus utile à l'Etat qu'un bon joueur de quilles ». Et Marx évoquait à propos de la religion, « l'opium du peuple »...
Pourtant l'analyse du passé, même récent, enseigne qu'en règle, les sociétés sans Dieu furent les pires de toutes. Et c'est le plus évident bon sens qui veut qu'on mesure le degré de civilisation à l'aune de la production artistique. Les deux allant souvent de pair, faut-il le préciser.

Il n'est pas étonnant que l'Art, dont la vertu première est de parler à l'âme, subisse de plein fouet les effets néfastes du matérialisme qui ronge notre monde. Privé de but, dénué de substance intrinsèque et "d'élévation" comme dirait Baudelaire, il est livré aux marchands et aux "exhibitionnistes".
Ce dernier terme convient particulièrement bien aux productions de Jeff Koons, comme il pourrait aussi bien qualifier Damien Hirst, autre figure emblématique de la culture instantanée. L'un reproduit en grand, grâce à des procédés industriels, des objets d'essence totalement insipide. L'autre amuse la galerie des gogos fortunés en découpant en tranches, de malheureuses vaches formolées, qu'il présente dans de grands écrins vitrés, ou bien colle avec un ineffable mauvais goût des multitudes de diamants sur un crâne humain.
Le spectacle des matières clinquantes mais vaines de Jeff Koons au sein des dorures compassées de Versailles inspire à peu près les mêmes émotions que les rayons savamment présentés d'un grand magasin parisien au moment de Noël, ou les images sur papier glacé d'un magazine de mode... Celles de Hirst relèvent de la curiosité morbide. Pacotille et vanité.


Et tout à coup, face à ce tumulte dérisoire, face aux croyances archaïques et aux a priori sectaires qui se multiplient, cherchant à tourner tout ce qui est inspiré en ridicule, tout ce qui est beau en grotesque, le pape se pose de manière inattendue, en interprète olympien du mystère universel.
Comme libéré de tous les excès et paroxysmes qui émaillèrent depuis la nuit des temps, la relation complexe de l'homme avec l'au delà, il semble avoir pleinement fait siens les conseils du vénérable Kant : "La religion, sans la conscience morale n'est qu'un culte superstitieux. On croit servir Dieu lorsque, par exemple, on le loue ou célèbre sa puissance, sa sagesse, sans penser à la manière d'obéir aux lois divines, sans même connaître et étudier cette sagesse et cette puissance. Pour certaines gens, les cantiques sont un opium pour la conscience et un oreiller sur lequel on peut tranquillement dormir."

Benoît XVI parle de « Dieu le grand inconnu » avec des mots pris au dictionnaire de la raison et tente avec bonhomie et humilité, pour redonner un peu d'âme au monde, de réconcilier religion et culture : « ce qui a fondé la culture de l'Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L'écouter, demeure aujourd'hui encore le fondement de toute culture véritable ».
Même en étant agnostique, comment ne pas prêter une oreille attentive à ce discours, qui associe sans crainte l'idée de Dieu à l'humanisme, à l'art, à la musique, à la culture ?

Une fois n'est pas coutume, en tombant par hasard sur des réflexions émanant de Philippe Sollers à propos du pape, datant de mai 2007, je suis touché. Rappelant le rôle éminent de Jean-Paul II dans l'histoire de la fin du XXè siècle, et décrivant la succession des Benoît qui précédèrent le pontife actuel, leurs liens spirituels avec Dante ou Voltaire, il évoque la « continuité invisible entre les papes », « autrement décisive que cette fixation des médias sur les questions sexuelles » qui confine à l'obsession et à la caricature (oserais-je dire la mauvaise foi ?).
Plus encore, il parle de l'inclination de Benoît XVI pour la musique et trouve une jolie formule. Plutôt que de me rabattre à propos du bateau, sur l'Arche de Noé ou quelque chose du genre, je trouve plaisant de terminer ce billet en lui laissant la parole : « Un pape qui joue une sonate de Mozart, voilà qui atteste, de mon point de vue, que Dieu existe... »

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