Publié au début des années soixante, alors que les théories keynésiennes étaient en vogue, ce livre détonant passa pratiquement inaperçu. Il n'eut droit à aucune couverture médiatique, hormis un article de la revue anglaise The Economist. Ça n'empêcha pas son auteur Milton Friedman (1912-2006), d'obtenir le prix Nobel d'économie en 1976...
Il est réédité en 2010, au moment où reviennent de plus belle, les récriminations de ceux qui veulent toujours plus de régulations et qui souhaitent accroitre le rôle de l'Etat, garant selon eux de la justice sociale. Nul doute qu'il sera jugé avec la même intolérance, en dépit des évidences qu'il continue envers et contre tout d'objectiver.
Milton Friedman souvent classé comme libertarien ou ultra-libéral, revendique tout simplement l'étiquette de libéral. Ça paraît évident, mais il faut savoir qu'aux Etats-Unis cette appellation est quasi synonyme de socialiste ! C'est pour lui la conséquence d'un abus de langage, assez coutumier aux gens de gauche, qui consiste à s'arroger les vertus qu'on n'a pas. En Amérique, ils se disent libéraux, en Europe ils se prétendent progressistes...
Comme le titre de l'ouvrage l'indique clairement, le propos est de montrer pourquoi le capitalisme, tout bien considéré, s'avère de tous les systèmes existants, le moins mauvais pour préserver la liberté, dans une société humaine responsable, soucieuse par ailleurs d'équité et de respect mutuel.
La démonstration s'appuie sur deux principes que l'auteur juge consubstantiels à toute démocratie éclairée :
-Dispersion et caractère ascendant du Pouvoir
-Limitation des prérogatives du Gouvernement
S'agissant du pouvoir, Friedman estime qu'il faut avant tout veiller à en éviter la concentration et la centralisation. Pouvoir et contre-pouvoirs doivent s'équilibrer, comme le prévoit d'ailleurs avec une robuste harmonie, la Constitution Américaine (exécutif, législatif, judiciaire).
En matière de dispersion, à l'instar de ce que préconisait Montesquieu, mieux vaut partir du bas que du haut. L'échelon local étant celui qui conditionne la vie de tous les jours, c'est à ce niveau que l'essentiel des réglementations et des lois doivent être conçues et s'exercer en premier lieu. Ce qui, entre autres avantages, laisse à chacun la possibilité de changer de ville ou de région si les règles en vigueur ne lui conviennent pas ! Aux Etats-Unis, ce qui ne peut relever du Comté dépend de l'Etat, et ce qui ne peut relever de l'Etat dépend du Gouvernement Fédéral...
En matière de dispersion, à l'instar de ce que préconisait Montesquieu, mieux vaut partir du bas que du haut. L'échelon local étant celui qui conditionne la vie de tous les jours, c'est à ce niveau que l'essentiel des réglementations et des lois doivent être conçues et s'exercer en premier lieu. Ce qui, entre autres avantages, laisse à chacun la possibilité de changer de ville ou de région si les règles en vigueur ne lui conviennent pas ! Aux Etats-Unis, ce qui ne peut relever du Comté dépend de l'Etat, et ce qui ne peut relever de l'Etat dépend du Gouvernement Fédéral...
En somme, à part l'organisation et le financement de la défense nationale, « le rôle fondamental du gouvernement est de nous fournir des règles en même temps qu'un moyen de les modifier, d'aplanir entre nous les différends sur la signification de ces règles, et de veiller à ce qu'elles soient observées... »
Tout le reste n'est que littérature, ou presque...
Pour Milton Friedman, le gros défaut de la conception socialiste de l'Etat, est de « forcer les gens à agir contre leurs propres intérêts afin de favoriser un intérêt général supposé». L'Etat omnipotent prétend représenter cet intérêt général, mais c'est présomptueux et ça relève même de la pure folie, car la liberté est fragile, et « le pouvoir concentré n'est pas moins dangereux parce que ceux qui le détiennent ont de bonnes intentions. »
A l'inverse, l'économie libre donne aux gens ce qu'ils veulent et non pas ce qu'une instance tierce estime qu'ils devraient vouloir. En réalité, « ce qui se cache derrière la plupart des arguments contre le marché libre, c'est le manque de foi dans la liberté elle-même... »
En somme, Friedman plaide pour le self-government et la responsabilité individuelle. Il s'inscrit ainsi dans la droite ligne de Tocqueville, rejetant notamment « le pouvoir absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux » de l'Etat-Providence.
S'il fallait faire un reproche à l'ouvrage, il faudrait dire, bien qu'il contienne nombre de réflexions très pertinentes, qu'il reste au plan de la vulgarisation, n'atteignant ni la profondeur impressionnante de vues de Hayek, ni la clarté étincelante de Tocqueville. La traduction, trop littérale et un peu lourde, étant probablement pour quelque chose.
L'argumentation quant à elle, qui embrasse parfois des problématiques complexes, use de raccourcis un peu elliptiques (sur la théorie monétaire par exemple, ici survolée). Sur certains sujets elle paraît un peu réductrice et datée (« si le travailleur japonais a un plus bas niveau de vie que le travailleur américain, c'est parce qu'il est en moyenne moins productif »). Sur d'autres, elle n'est pas dénuée de contradictions. Par exemple Friedman affirme à propos de la démarche de certification industrielle, que c'est « quelque chose que le marché privé peut généralement faire lui-même », puis après un raisonnement alambiqué finit par conclure : « qu'une façon de tourner le problème.../... est de recourir à la certification gouvernementale ».
De même sur l'école publique dont il critique la tendance à l'uniformisation en même temps qu'il lui reconnaît la fonction importante d'avoir « imposé l'anglais comme langue de tous... »
Sur quantité de sujets il expose toutefois avec brio ce qui fait l'essence de l'esprit du libéralisme moderne. Il insiste évidement sur la nécessité de la concurrence, égratignant au passage la conception qu'en ont souvent les Européens : « Aux USA, la libre entreprise signifie que chacun est libre de fonder une entreprise mais qu'il n'a pas le droit d'interdire la concurrence, ni de se trouver en situation de monopole.../... En Europe, cela signifie que les entreprises ont le droit de créer des monopoles, ou bien de s'entendre, de se partager les marché, ce qui affaiblit la concurrence... »
Bien qu'il juge légitime la défense des salariés par les syndicats et le contrôle de certaines professions, il met en garde, à propos des dérives corporatistes. En plaidant pour des hausses de salaires non fondées, les syndicats contribuent à détruire l'emploi. Et inversement en défendant par principe, le maintien d'emplois inutiles, ils contraignent à plafonner les salaires. Dans le même ordre d'idées, il critique les politiques de soutien aux prix agricoles, qu'il estime seulement capables de maintenir artificiellement plus de gens que nécessaire à la terre.
D'une manière générale, Milton Friedman dit tout le mal qu'il pense du contrôle des prix, et s'insurge notamment sur les mesures gouvernementales prises sur l'or en 1933-34, qu'il considère comme une nationalisation du métal jaune : « Il n'y a pas de différence de principe entre cette nationalisation de l'or à un prix artificiellement bas, et la nationalisation par Fidel Castro de la terre et des usines à un prix artificiellement bas. »
Il défend en revanche avec la dernière énergie le principe du libre échange et condamne « l'attitude incohérente consistant à subventionner certains états étrangers (et donc à cette époque à favoriser le socialisme), tout en imposant des restrictions à l'importation des biens qu'ils arrivent à produire. »
En matière de justice sociale, il souligne avec beaucoup de clairvoyance les effets pervers des lois anti-discrimination, du salaire minimum, de certains programmes de logements sociaux (public housing), du principe de la carte scolaire.
Enfin, il s'attaque au mythe délétère de la redistribution : « on prend aux uns pour donner aux autres, non par souci d'efficacité mais au nom de la justice. » Il juge ainsi particulièrement inefficace le principe de l'impôt progressif, qui favorise l'évaporation des richesses et conduit fatalement à mettre en œuvre quantité de "niches", qui compliquent et dénaturent le dispositif fiscal. Au lieu de cela, on connait sa suggestion d'une Flat Tax, d'assiette large mais modérée (autour de 20%), pondérée le cas échéant d'un impôt négatif et d'aides ciblées et personnalisées (chèque éducation).
Au total, Milton Friedman reste avant tout l'adversaire très convaincant du modèle économique keynésien. Il montre notamment, chiffres à l'appui, qu'en fait « d'amorcer la pompe » les grands programmes de dépenses gouvernementales, aggravent les tendances inflationnistes et le chômage, et surtout, qu'ils s'avèrent quasi irréversibles, créant à long terme de la dette structurelle, difficile à résorber, et une dépendance grandissante à l'Etat.
Un de ses apports les plus éclatants reste d'avoir montré que la liberté apportait la prospérité (la liberté économique étant pour lui évidemment indissociable de la liberté d'expression). Le libéralisme n'exclut pas la survenue de crises, qui doivent être surmontées avec pragmatisme et non à coup de diktats idéologiques. A moins d'être aveuglé par ces derniers, chacun peut constater facilement que l'association liberté et prospérité s'avère durable et reproductible comme tout ce qui est vrai...
Salut,
RépondreSupprimerMerci pour cette recension : le livre a l'air formidable et on y retrouve effectivement toute l'architecture philosophique des libéraux dits "classiques". Des libéraux, quoi !
à bientôt