Si la crise
économique ronge de manière inquiétante les fondations matérielles
de notre société, la crise morale et dialectique qui sévit dans
les esprits paraît pire encore.
A lire ou à entendre
les médiocres argumentaires développés dans les tribunes
contemporaines, et répercutés ad libitum par l'écho médiatique,
il est difficile de réprimer l'écœurement. Le dégoût côtoie
l'abattement face à un tel déclin intellectuel et un aussi tragique
appauvrissement de la pensée.
Alors que l'esprit
français était autrefois synonyme d'élégance et d'invention,
qu'on se piquait d'avoir du goût et de la mesure, qu'on se faisait
un devoir de respecter ses adversaires, et qu'on pensait
indispensable de relever toute bonne conversation d'un zeste
d'humour, force est de constater qu'aujourd'hui, ces préoccupations
font partie d'un passé évanoui.
Le consensus, le
rassemblement, l'unité sont pourtant devenus des poncifs auxquels il
est de bon ton de se référer. Mais ces mielleuses intentions sont comme
un couvercle étouffant posé sur le chaudron des idées. En dessous,
dans l'infâme court-bouillon, tout se déforme, se racornit, et
finit en résidus sans saveur ni substance. Le débat politique est
devenu quasi insignifiant à force de s'attacher à des détails
microscopiques ou a d'exaspérants lieux-communs. Curieusement,
l'outrance croît à mesure que s'atrophient les perspectives, tandis
que l'humour quant à lui, patauge dans le rabâchage et la dérision, avec
de grosses semelles de plomb.
Ainsi durant cinq années, l'intelligentsia verrouillant les médias, s'acharna à réduire le mandat de l'actuel président de la République à sa soirée post-électorale au Fouquet's, à un bref moment de détente sur le yacht d'un ami, à une apostrophe triviale jetée à un importun. Cette même intelligentsia en gants blancs prit un plaisir morbide à résumer toutes les réformes à une inepte mais bien anodine mesure de bouclier fiscal.
Même si la critique
est légitime et nécessaire, c'est faire insulte à sa propre intelligence que de
ne trouver rien d'autre de plus intéressant à dire...
Surtout lorsqu'on n'a
pas mieux à proposer qu'un programme erratique et contradictoire ,
où pour sortir de la crise, on se fait fort de doper la production
de richesses, tout en affichant une détestation obsessionnelle « des
riches », ou bien qu'on promet l'alternance démocratique et le
retour à un état impartial en annonçant par avance en cas de
victoire, l'éviction de tous les hauts-fonctionnaires suspects d'être
proches du camp opposé. Qui peut, dans un tel contexte, être assez
niais pour espérer des jours meilleurs ?
Dans ce marasme les débats restent incroyablement manichéens derrière le décorum de la correction politique. L'argumentation se résume quasi systématiquement à l'invective ou au rejet primaire de l'autre.
Au sommet de cette
minable escalade, il y a le fameux point Godwin, qui est devenu
l'alpha et l'omega de toute discussion. Impossible d'échapper à la
reductio ad hitlerum qu'il sous-tend de manière diabolique.
Un récent exemple de
cette perversion de la dialectique fut donné par le député
socialiste Letchimy qui le 7 février dernier en pleine Assemblée
Nationale, fit du ministre de l'intérieur Claude Guéant un suppôt
de l'idéologie nazie au motif qu'il s'était permis d'affirmer que
« toutes les civilisations ne se valent pas » !
Ce dernier s'offusqua
à juste titre de l'énormité de l'injure, mais par une consternante
inconséquence, se livra peu ou prou au même exercice quelques jours
plus tard, en considérant que le Front National était un parti
« nationaliste » et « socialiste » !
Si l'on ne brûle
plus les hérétiques comme on le fit pour Jeanne d'Arc ou Giordano
Bruno, force est de constater que les procès en diabolisation sont
légions par les temps qui courent et que les émules de Cauchon
pullulent dans les nouveaux tribunaux de la pensée.
Comment expliquer la
montée de cette rhétorique absurde ? S'agit-il des restes d'une
vieille rancœur née dans le tumulte revanchard des révolutions,
des vestiges haineux d'une lutte des classes déconfite, ou bien
peut-être des pestilences qui continuent de suinter des plaies
jamais cicatrisées du drame de l'an quarante ?
C'est peu de dire que
ces incessantes saillies ramenant à un passé honni sont usantes.
Elles sont absolument indignes d'une démocratie évoluée, et tout
citoyen raisonnable ne peut qu'avoir honte de ce qu'elles montrent de
son pays. Au surplus, non seulement elles sont stériles, mais elles
altèrent l'essence même de la liberté d'expression.
Hélas, si le pire
n'est jamais certain, l'avenir a de quoi préoccuper.
Le zèle paradoxal du
législateur pour réglementer toujours plus la liberté d'expression
est une source supplémentaire d'inquiétude. Certes le dernier
et absurde projet de loi sur le génocide arménien a été temporairement
repoussée par le Conseil Constitutionnel, mais l'horizon reste en ce
domaine très sombre. Alors qu'on se jette quotidiennement à la
figure des injures faisant odieusement référence aux pires moments
du passé, on voudrait dans le même temps, « normaliser »
l'interprétation de ce même passé...
abyssus abyssum
invocat...
j'adore vous lire ! merci d'exister !
RépondreSupprimerSi vous saviez combien un petit témoignage comme le vôtre réchauffe l'âme...
RépondreSupprimerMerci
Bonne chronique comme toujours..
RépondreSupprimerEt dire qu'il faut aller voter dans 1 mois et demi, quelle misère...
PS : Merci à vous de passer régulièrement sur mon blog.
PS : J'ai créé un lien de votre blog sur le mien, étant donné que je reçois en moyenne 700 visites par jour, cela devrait vous faire de nouveaux visiteurs dans votre espace, très éloigné de mes principaux centres d'intérêt, mais o combien nécessaire de nos jours.
RépondreSupprimerMerci Alexandre, et bravo pour votre blog très attractif, qui rend de vibrants et sincères hommage au 7è art. Je le parcours effectivement régulièrement et suis admiratif de votre enthousiasme, et naturellement des portraits d'actrices que vous savez rendre fascinantes. Intéressé également par vos analyses, par exemple du dernier film d'Angelina Jolie, que j'ai envie de découvrir.
RépondreSupprimerBien amicalement.
Bien sûr PIERRE, mais ne crois tu pas que Sarkozy ramasse ce qu'il a semé ? il adorait ce milieu show-biz et paillettes, son mariage n'en est qu'un simple reflet. Le Fouquets et le reste tout çà on s'en fiche, et la plupart des gens aussi, mais ces pauvres journalistes bobos de gauche, bien lottis avec leurs fiches de paye replettes, et leurs avantages fiscaux, pensent qu'ils font la pluie et le beau temps... Si Sarkozy les avait renvoyés un peu plus dans les cordes il n'en serait pas là. Comment peut on encore donner sa confiance à un tel pantin que l'on a vu à l'oeuvre pendant 5 ans, et dont les principaux faits d'armes passés à la postérité seront outre ces "gags", le sommet "africain", avec tous ces braves despotes non éclairés, qui sont venus "pisser" aux Champs Elysés ?, son incapacité de remettre la SNCF au boulot, la grève des enseignants !!! qui bossent encore trop....,et à qui il veut donner 500 euros !!! et éventuellement Clearstream et sa vengeance personnelle... J'en oublie certainement, son mépris face aux médecins, avec ses deux vedettes, Roselyne et Xavier pitoyables, guignols, et toutes ces taxes routières et autres. Et je ne parle pas de la fronde des "hommes de loi" maitres chez eux et ingérables, de la violence et de la délinquance... Un piètre sire, guère mieux que Tonton ("flingueur"), ou le Grand Jacques... La seule bonne idée vient de Hollande avec sa taxe sur les salaires scandaleux des footeux. Ramone
RépondreSupprimermerci d'avoir exilé Philippe Bilger de votre Blogroll
RépondreSupprimerA Ramone : je suis loin d'avoir une admiration béate pour N . Sarkozy. Mais quand même ! Je trouve le terme « pantin » un peu sévère, ainsi que « guignol » pour ses ministres. Le vrai problème est qu'une partie de la France (celle hélas qu'on entend le plus fort et qu'on voit le plus) se comporte de manière très arriérée, donnant du pays l'impression qu'il s'agit d'un succédané de démocratie. Dans cette France, on cultive le manichéisme le plus primaire qui soit, la manie égalitaire tandis qu'on on y envie sans cesse son voisin. Celui qui réussit est un salaud, celui qui échoue un crétin, c'est vachement constructif. Le mythe des avantages acquis est l'objet d'un culte délirant. Et le conservatisme vis à vis de la forme, et du protocole se situe à mi chemin entre l'hypocrisie et le gâtisme.
RépondreSupprimerNS a donc beaucoup de circonstances atténuantes (en plus de la crise). Il est sans doute le pire des candidats actuels... à l'exclusion de tous les autres !
Qui sait ? Après le déluge nauséabond de saloperies anti-sarkozystes, après les immondes procès en sorcellerie, peut-être qu'une France plus silencieuse va s'exprimer dans les urnes...
A Anonyme : Jolie perspicacité. Cela dit, il n'y a pas vraiment de volonté d'exiler le blog de M. Bilger que je trouve intéressant. Mais je crois qu'il tourne un peu en rond dans sa tour d'ivoire ces derniers temps, et de toute manière il n'a vraiment pas besoin de moi pour servir de rabatteur....
Ah, la "majorité silencieuse", dernier avatar de Mai 68 à conserver coûte que coûte celui-là ! Il est évident que quand on dit "si tu fais grève je te vire", ben... on se tait !
RépondreSupprimerSinon c'est magnifique : sous la grosse couche de crasse, on sent bien l'amour de son prochain et l'humanisme de ces "combattants de la Liberté" (rires) ! Enseignants (50% des américains ne savent pas situer l'Angleterre sur une carte, mais y'a pas besoin, hein, pour bosser 48 heures par semaine dans une multinationale contre une poignée de dollars...), magistrats, SNCF (le réseau ferroviaire anglais, une grande réussite du thatchérisme !), manquent juste à l'appel la Poste et EDF et le tableau était complet. Bon, y'a quand même le couplet sur la "délinquance" et les "bobos". Mais y'a aussi un bon point pour Hollande (un éclair de lucidité ?) : gaffe à la "haine" à l'égard de "ceux qui réussissent" (taper dans un ballon) ! Rien sur les inégalités croissantes (normal, elles sont inhérentes au libéralisme, dixit Madelin), la précarité (normal : c'est la recette miracle des libéraux contre le chômage), les files d'attente à Pôle Emploi et aux Restos du Coeur qui s'allongent (pas grave, on a même réussi à faire croire aux gens que le chômage, c'était de la faute des chômeurs). Beurk ! Allez les p'tits loups, je vous laisse à vos auto-congratulations et vous boirez le champagne le 6 Mai pour fêter le sacre de votre favori et rendez-vous dans 5 ans lorsque le chef-d'oeuvre du paradis libéral sera achevé (comme les States, de grandes mégalopoles avec de la misère tout autour) !