Le
mélange de dévotion et de répulsion avec lequel les politiciens
tournicotent autour de la figure emblématique de Jules Ferry
(1832-1893) a quelque chose de pathétique. Les simagrées et
contorsions auxquelles ils se livrent pour tenter de séparer le bon
grain de l'ivraie, au sein de l'héritage intellectuel du grand
homme, est un signe des temps.
C'est
en effet devenu un poncif que de distinguer, à l'instar de la fable
évoquant le Dr Jekyll & Mr Hyde, deux hommes bien différents en
un seul. L'un serait admirable, l'autre méprisable. Le premier
s'élève aux cieux pour avoir paraît-il inventé le concept
d'« école gratuite, laïque et obligatoire ». Le second
doit être voué aux gémonies pour avoir exhorté « les races
supérieures » à « civiliser les races inférieures »
et chanté les mérites de la colonisation.
Faut-il
que la pensée contemporaine soit formolée pour ne pas voir qu'il
s'agit des deux facettes d'un même idéal, boursouflé de prétention
et de paternalisme ! D'une sorte de don-quichottisme
républicain, dont l'intrépidité centralisatrice n'a d'égale que
l'inconséquence normative.
Avec
ses grotesques favoris en forme d'aubergine, appendus à ses tempes
molles de hobereau condescendant, Jules Ferry incarne trop bien la
suffisance des grands principes et la calamité des certitudes
idéologiques. Quelque soit le côté par lequel on aborde le
personnage et son action, le même constat s'impose. Et si le zèle
colonisateur est vilipendé par les Bouvard et Pécuchet du
conformisme angélique contemporain, l'ambition éducative ne vaut
guère mieux. Car les deux sont puisés à la même source.
Et
dans les deux cas, les bonnes intentions se révèlent désastreuses : si la pitoyable déconfiture de l'aventure coloniale française
relève de nos jours de l'évidence, la lente déroute de l'Education
Nationale n'en est pas moins édifiante, et irrémédiable. Sans
doute, parce qu'à l'instar de la colonisation, elle est fondée sur
une série de leurres.
Elle n'a de gratuite que le nom, puisqu'elle coûte chaque année plus de 4,2% du PIB (soit en moyenne 8150€ par élève), et affiche, sauf pour ceux qui ne veulent
pas le voir, un rapport coût/efficacité des plus médiocres.
Sa
prétendue laïcité n'est qu'un vain mot dont on se gargarise en
France, au mépris de réalités criantes. Fondée initialement sur
un anticléricalisme rétrograde et borné, elle s'avère incapable
d'enrayer la montée des communautarismes qui gangrènent la société.
Enfin,
son caractère obligatoire n'empêche en rien la dégradation
régulière du niveau général des élèves, faute de souplesse, de
pragmatisme, et à force de cultiver l'indépendance vis à vis du
monde du travail, voire un mépris absurde pour celui des
entreprises.
Le
plus grave est l'instauration, au nom de l'égalité, de programmes
nationaux d'origine gouvernementale, qui exposent par nature, au
risque d'endoctrinement et rentrent en contradiction flagrante avec
le souci de toute démocratie de développer l'émulation
intellectuelle et l'esprit critique. Le morne consensus gauchisant et
anti-libéral qui règne dans notre pays, l'attrait de la jeunesse
pour la condition de fonctionnaire, tout cela s'explique probablement
en grande partie par cet abêtissement généralisé, d'inspiration
étatique.
La
profession de foi du nouveau président de la république, qui avec
onction et componction a inscrit d'emblée son action dans ce moule
foireux, en invoquant la « réussite éducative » comme
d'autres la méthode Coué, n'augure évidemment rien de bon...
Illustration : Jules Ferry par Georges Lafosse