20 mars 2016

Dans le coeur des robots

La victoire du robot Alpha Go sur Lee Sedol, un des meilleurs joueurs de Go au monde, ravive la polémique sur les limites et les dangers potentiels de l’intelligence artificielle.

A une époque où l’on a une peur névrotique de tout, et où l’on appréhende, à l’instar de nos ancêtres les Gaulois, que le ciel nous tombe sur la tête, quoi de plus normal en somme ?
On pourrait évidemment s’étonner que l’Homme finisse par craindre jusqu’à ses propres créations, mais au fond, il a bien raison. Toute machine, toute invention fait naître des risques. Du simple marteau avec lequel on peut malencontreusement se taper sur les doigts, jusqu’à la bombe atomique qui constitue une menace pour la planète entière, l’évidence est bien là : toute machine est potentiellement dangereuse.
La fable de l’Apprenti Sorcier a parfaitement décrit ce à quoi nous exposent les tâtonnements de la science lorsqu’elle est aussi prétentieuse qu’approximative. Il y aurait beaucoup à dire sur les abîmes qui se dérobent encore à la connaissance que nous avons de la nature, dans lesquels risquent de se précipiter nos téméraires mais fragiles inventions.


Mais faut-il pour autant oublier que la machine est là avant tout pour nous aider, pour améliorer telle ou telle capacité défaillante de notre nature chétive ?
De ce point de vue, il est surprenant que des gens comme Bill Gates, Stephen Hawking ou Elon Musk agitent frénétiquement un épouvantail à l'édification duquel ils ont consacré leur vie !
La gravité de leur message laisse même pantois. Ainsi Stephen Hawking, qui reconnaît que “les formes primitives d'intelligence artificielle que nous avons déjà, se sont montrées très utiles”, n’hésite pourtant pas à déclarer “qu'une intelligence artificielle complète pourrait mettre fin à la race humaine.
On peut se demander si l’Intelligence Artificielle ne représente pas un nouvel avatar du progrès, contre lequel nombre de grands savants se sont retournés après l’avoir promu…Tout est sans doute possible et la hantise de la fin du monde est un grand classique de science fiction. Mais à l'évidence, aucune machine n’est méchante "en soi". Elle ne fait qu’obéir à son maître et si elle dysfonctionne, c'est à cause de quelque négligence de sa part. L'homme n'est pas Dieu qui peut faire de sa créature un être libre, conscient et responsable.

Pour revenir à des interrogations plus triviales, après l’exploit de l’ordinateur au jeu de Go, la machine a-t-elle eu envie de sabler le champagne ?
Non bien sûr, pas plus qu’elle n’a eu conscience d’avoir participé à un jeu et d’avoir gagné la partie. Fort heureusement, elle n’en tire ni orgueil, ni fierté. Si elle le faisait ce ne serait qu’imitation d’un comportement humain, instillé dans ces circuits par l’entremise malicieuse des informaticiens.
Si la machine n’a rien d’humain, la tentation est grande pour l’être humain de lui donner son apparence, autant physique que comportementale. Rien de plus normal en somme, puisqu’il est amené à communiquer avec elle et qu’elle est en quelque sorte son prolongement.
Mais quelle est étonnante cette faculté que nous avons de se projeter sur tout ce qui nous entoure ! Nous humanisons facilement la nature, les animaux, les choses, même les plus banales, les plus inanimées. On se souvient de Robinson Crusoë et de son compagnon virtuel Vendredi…

Le pire serait toutefois que l'Homme un jour imagine pouvoir conférer à la machine tout ou partie de sa liberté, de sa responsabilité, en un mot de sa conscience.

Ce fut sans doute l’erreur de Turing, de considérer, avec son fameux test, que l’ordinateur serait parvenu à l’intelligence lorsqu’un être humain serait incapable en dialoguant avec lui, de faire la différence entre un congénère et un robot.
La machine peut singer l’homme, mais elle n’a pas d’autre conscience, pas d’autre sentiment que ceux que l’homme lui confère en la programmant. La science fiction se plaît à exploiter le fantasme de la machine sentimentale, mais qu’elle soit bienveillante comme dans le film Her, ou maléfique comme Terminator, il ne s’agit à l’évidence que d’un mimétisme un peu grotesque.
Si l’ordinateur n’a pas de conscience, il porte donc nécessairement celle de son concepteur, et Rabelais rappelait non sans prescience et non sans justesse, que “sans conscience la science n’est que ruine de l’âme…” Il faut sûrement s’en souvenir, aujourd’hui plus qu’hier, et sans doute moins que demain…

Il n’y a pas de Deus Ex Machina, mais pour l’heure l’intelligence artificielle constitue un espoir fabuleux d’amélioration de la condition humaine, à condition de s’en servir à bon escient. Non pas tant pour participer à des jeux de société, que pour rendre service au quotidien.

Dans cette optique, les derniers progrès en matière d’apprentissage (deep learning disent les anglophones), de reconnaissance de formes, d’algorithmique, sont fascinants.
Les performances stupéfiantes du moteur de recherche de Google ont transformé sous une apparence anodine, notre vie de manière très profonde. Cette efficacité pour dénicher des réponses adéquates dans la montagne de connaissances accumulées sur le Net, ce malaxage prodigieusement ordonné fascine. 

Faut-il en avoir peur ?
Sans doute pas, tant qu’il y a une maîtrise humaine derrière, et suffisamment d’esprit critique.

Car il faut peut-être craindre davantage l'abêtissement de l'homme soumis à la machine que l'humanisation des robots libérés de sa tutelle...

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