12 décembre 2019

Vices publics, vertus privées

En France, les grèves on connaît.
Aussi fréquentes si ce n’est plus, que les aléas climatiques, elles sont susceptibles de survenir à tout moment, pour un oui pour un non. Toute occasion est bonne à saisir pour ceux qui les déclenchent. Et rarement ailleurs que chez nous, on en vit poussé si loin le raffinement organisationnel : avec un minimum de grévistes on parvient à empoisonner la vie d’un maximum de gens.

Ce système épatant est actionné par des syndicats qui représentent à peine 10% des salariés et qui faute d'adhérents, bouclent sans le moindre scrupule leurs budgets grâce aux subventions de l’État. Il est à peine exagéré de dire que ce dernier les finance pour qu’ils puissent mieux lui mettre des bâtons dans les roues. Le comble est que ces gens clament haut et fort qu’ils agissent au nom du Service Public dont ils se gargarisent du haut de leur citadelle inexpugnable. Il faut dire que dans notre beau pays de cocagne, les syndicats sont des vaches sacrées, et le droit de grève est intouchable et quasi illimité. Il peut même s’exercer en dehors de toute revendication statutaire, à la moindre contrariété susceptible de représenter “objectivement” un danger pour les salariés ou pour les usagers. On appelle alors cela “le droit de retrait”.
Dans les transports publics où le fléau sévit tout particulièrement, contrairement à l’Allemagne où la grève est tout simplement interdite et à beaucoup d’autres pays où les grévistes sont réquisitionnables, il n’y a en France que l’imputation éventuelle des jours d’arrêt de travail sur les salaires, qui puisse représenter un frein. Pourquoi donc se gêner ? C’est un vrai pousse-au-crime si l’on peut dire. De fait, la grève se moque de toute morale, et de tout esprit civique.

Outre le fait que ces débrayages incessants soient anti-démocratiques et épuisants pour la vie économique du pays, ils s’inscrivent habituellement en toute impunité contre les principes écologiques élémentaires. Passons sur les dégradations du bien public, les menaces de pollution volontaire, et les feux et incendies en tous genres, souvent déclenchés par les manifestants les plus enragés. Ces tout derniers jours en Ile de France, en l’absence de tout train, et de tout métro, on a dépassé les 600 km de bouchons cumulés ! Bonjour les émissions de CO2...
Mais il y a pire. Le coût astronomique de fonctionnement de la SNCF, lié en grande partie aux nombreuses interruptions de services, et à quantité de juteux avantages et autres dispositions “républicaines”, altère gravement la rentabilité de l’entreprise. Résultat, le réseau ferroviaire est sous-utilisé, en dépit de toutes les vaines promesses des ministres écologistes qui se sont succédés au gouvernement. Le transport de fret par chemin de fer a baissé de moitié en 25 ans. A ce jour, il ne représente plus que 10% des volumes, contre 88% par voie routière (et 2% par voie fluviale). C’est un pur scandale, largement ignoré par les contempteurs du réchauffement climatique et autres anti-capitalistes.
Détail croustillant, lorsque les écologistes viennent apporter de l’eau au moulin des “opposants à la réforme”, ils oublient leur combat pour l’environnement au profit de l’insurrection bassement partisane. Le mouvement Extinction Rébellion par exemple, était tout fier d’annoncer qu’il avait saboté 3600 trottinettes à Paris, non parce qu’elles polluent (largement moins que les autos), mais tout simplement parce qu’elles ont été accusées d’être des “briseuses de grève” !

Tous ces excès sont le fait quasi exclusif du service public qui n’a jamais porté aussi mal son nom. Par démagogie, les gouvernants présents mais surtout passés portent également une large part de responsabilité. Il est tellement facile de concocter une loi fixant l’âge de la retraite à 60 ans comme le fit François Mitterrand, ou de réduire inconsidérément la durée de temps de travail hebdomadaire à 35 heures comme s’en vante Martine Aubry, pour ne prendre que deux exemples de ce qu’il est convenu d’appeler “acquis sociaux”. Il est si tentant d’acheter la paix sociale en cédant régulièrement du terrain républicain face aux folles exigences et aux revendications irréalistes de minorités agissantes…
Le gouvernement actuel est pris à son tour dans ce piège infernal. Pourra-t-il s’en sortir sans abandonner l’essentiel de ce qui fait sa fragile légitimité et le cœur du programme pour lequel il a été élu ? Entre l'épreuve de force et le déshonneur, que choisira-t-il sachant que s’il opte pour le second, il devra nécessairement faire face un autre jour et plus durement encore, à la première…

Pendant ce temps, les employés du secteur privé rongent leur frein. Ils prennent dans la figure toutes les conséquences de la grève, qui par la force des choses les empêchent peu ou prou de se rendre à leur travail, de faire leur job, et un fine de satisfaire leur clientèle. Il faut dire que cette dernière n’est pas assujettie comme le sont les usagers du service public. Le client est roi, ça change tout…
S'agissant des retraites, le système à points n’est pas une nouveauté pour eux. C’est la règle pour la plupart des organismes dont ils relèvent. Quant à "l'âge pivot", mieux vaut sans doute pour eux en sourire. Ils savent bien qu’il leur faudra bon gré mal gré se résigner à cesser leur vie professionnelle un peu plus tard. Aujourd'hui, la barre des 63 ans est déjà franchie. Ils peuvent donc à la manière des Beatles, chanter en attendant des jours meilleurs, “When I’m Sixty-Four...” 


Illustration: Hercule entre le Vice et la Vertu, par Carracci

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