26 décembre 2020

N'entre pas sans violence dans cette bonne nuit

Face à une poésie écrite dans une autre langue que la sienne, l’esprit vacille. S’il est sensible à la prosodie, voire enchanté par les sonorités suggestives, il se trouve toujours ennuyé lorsqu'il s'agit de la traduire en mots. La laisser chanter telle quelle est sans doute la meilleure solution pour conserver ce qui est intraduisible mais laisse dans les limbes quantité de nuances, voire le sens même du propos. Autant écouter de la musique…

Depuis des lustres je suis hanté par la poésie de Dylan Thomas (1914-1953), tout particulièrement par ce vers qui donne le titre à un recueil acquis il y a bien longtemps.
En cette fin d’année tourmentée, il prend un sens inattendu.
Il est possible d’y voir avant tout l’expression de l’angoisse devant la mort, particulièrement celle d’un être cher, ici le père. Mais c’est aussi l’opposition lumière obscurité, qui s'impose comme une irréfragable évidence, conditionnant l’être et imprimant son rythme et son impérative antinomie sur nos vies...
La nuit est-elle celle, transfigurée et pleine d’espérance de Noël, celle illuminée que célébrait Novalis, ou bien celle profonde du temps, dans lequel on progresse à tâtons à la lueur vacillante de nos fragiles illusions ? Est-elle cette nuit qui pèse sur nos jours et qu’on tente de conjurer à minuit par mille vœux au seuil de chaque nouvelle année ?
Dans une époque en proie au doute, plus encline que jamais aux rumeurs et aux croyances, craignant de plus en plus de s’appuyer sur ses repères ancestraux, tremblante d’une peur névrotique face à l’avenir et au progrès technique, sans foi, sans philosophie, sans élévation, ces vers sont comme une exhortation, un appel, une révolte:
Do not go gentle into that good night
Rage, rage against the dying of the light...

18 décembre 2020

Une église à sous-pape


Alors que l’islam monte en puissance un peu partout, affichant ses dogmes de manière de plus en plus impérative et que les manifestations de l’intégrisme, pour ne pas dire du radicalisme, se font chaque jour un peu plus présentes, la chrétienté, tout particulièrement semble s’enfoncer dans une crise existentielle majeure.

Menée depuis 2013 par le Pape François, premier du nom, l'Église Catholique se trouve en perte de repères, de conviction et pour tout dire de foi. Prétendre que le Saint-Père soit fautif de la désaffection croissante des fidèles serait excessif car l’affadissement de la religion chrétienne semble avoir commencé bien avant son pontificat.
Mais si on ne saurait lui faire porter un chapeau trop grand, le moins qu’on puisse dire est qu’il manque singulièrement de charisme et pire, que ses prises de positions conduisent à séculariser si ce n’est à désacraliser la mission dont il a la charge, tant elles relèvent davantage de l’idéologie partisane que de l’esprit saint…

Il avait pourtant commencé son règne sous les louanges. La plupart des observateurs ne cachaient pas leur sympathie pour ce pape qu’ils voyaient comme quelqu’un de plus ouvert et éclairé que son prédécesseur Benoit XVI, souvent considéré comme rétrograde, rigide pour ne pas dire plus…
La première encyclique de François, Lumen Fidei (la lumière de la foi) portait une magnifique espérance, selon laquelle il est possible d'élever son âme sans renier le progrès technique ni le confort matériel que la modernité a apportés. Il y était même affirmé que ces derniers, en allégeant nombre de charges pesant sur la chair, représentaient une vraie opportunité de consacrer un peu plus de temps à la spiritualité. Ce texte, faut-il le préciser, avait été largement préparé par Benoit XVI, mais on pouvait y trouver l'empreinte de François, notamment dans le discours appelant à une fraternité universelle et répétant notamment que la prospérité et l’utilité n'étaient pas des fins en soi.

Après ce premier acte, les choses prirent un tour bien différent. Tout se passa comme si le pape, du haut de son nouveau magistère, voulut donner raison à ceux qui lui reprochaient son passé militant et très engagé politiquement.
A l’occasion de l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium, publiée dès la fin de l’année 2013, il se livra notamment à une assez violente charge contre le libéralisme, dont ce blog s’est fait l’écho.
En 2015, avec l’encyclique Laudato Si, il se fit le chantre de l’écologie, et, quittant le domaine des cieux et des mystères divins, il crut bon, avec une naïveté confondante, d’enfourcher les lieux communs les plus éculés et les lapalissades les plus ronflantes sur le climat et la protection de l'environnement. Deux cents pages pour asséner qu’il fallait absolument sauvegarder notre “Maison commune”, qui est pour nous pauvres humains, “comme une sœur, avec laquelle nous partageons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts.”
A cette occasion, il se fit accusateur, affirmant que l'homme était “le principal responsable” de ce qui est présenté comme une catastrophe. Il prôna “une certaine décroissance dans quelques parties du monde pour permettre une saine croissance en d’autres parties”. Il exhorta les pays riches à “cesser de faire porter aux plus pauvres les conséquences de leur mode de vie consumériste et de leur gaspillage.” Enfin, il condamna sans appel, selon la bonne vieille et inusable dialectique anti-libérale “la soumission de la politique à la technologie et aux finances, qui se révèle dans l’échec des sommets mondiaux sur l’environnement.”

Mais ces sermons, salués par toute l'intelligentsia gaucho-alter-écolo-bobo - qui n’a pourtant rien à faire du pape en tant qu’autorité spirituelle - n’ont pas dû paraître suffisants au souverain pontife qui vient de se délester coup sur coup d’une nouvelle encyclique et d’un livre ressassant les mêmes thématiques. Dans la première, intitulée Fratelli Tutti, il s’attaque, au nom de la fraternité, aux murs, murailles et frontières séparant les nations, qu’il entreprend de détruire avec des mots remplis d’emphase séraphique quand ils ne s'apparentent pas à de viles critiques ad hominem. Selon le pape, il convient d’accueillir bras ouverts et sans condition tous les migrants quelque soit leur origine, leur ethnie, leur religion et leurs motifs.
Il y va une fois encore de sa rengaine contre l’individualisme par essence “radical”, qu’il qualifie de “virus le plus difficile à vaincre”, et contre le libéralisme déconsidéré comme “pensée pauvre et répétitive qui poursuit comme objectif principal le gain facile [et] continue à faire des ravages.”
Il manifeste enfin bien peu de charité chrétienne envers les dirigeants des “pays riches” qui, contrairement à lui, ont les mains dans le cambouis pour améliorer le quotidien de leurs concitoyens. Il déchaîne ses foudres contre le pauvre Donald Trump en citant presque nommément le président américain, alors en pleine campagne électorale, au détour d’un anathème féroce : “un homme qui ne pense qu’à construire des murs, où qu’ils soient, et non à bâtir des ponts, cet homme-là n’est pas chrétien, car il n’applique pas l’Évangile.”

Il entre en définitive de moins en moins de théologie dans les propos de François, et de moins en moins de référence à Dieu et à la défense de l’église qu’il est supposé représenter et qui est bien malmenée. 
Le discours est bien intentionné mais verbeux, et derrière les exhortations faciles à la bonté universelle, le pape ne manifeste guère de compassion pour les chrétiens qui tombent sous les coups de nouveaux barbares exécutant leurs victimes au nom de Dieu. Son silence est assourdissant devant les attaques quotidiennes dont les églises sont l’objet à travers le monde. Et le moins qu’on puisse dire est qu’il ne paraît pas très préoccupé par l’érosion dramatique du christianisme au génie duquel il ne contribue guère.
La meilleure preuve qu’il fait fausse route réside dans les éloges que fait de lui le rouge Mélenchon, indécrottable nostalgique du sang des révolutions. Lorsqu’il s’exclame « Ses mots ressemblent assez aux miens pour que j'en sois ému », on comprend hélas que la place la plus opportune pour
Jorge Mario Bergoglio dit "François" n’est sans doute pas celle qu’il occupe présentement et on se prend à penser que son chapeau est décidément trop grand pour lui.
En épousant les lubies les plus irresponsables de l’époque, en adoptant les crédos utopistes les plus niais, en pataugeant dans les contresens et les contradictions, le pape actuel illustre de manière édifiante le fameux mot de Bossuet : “Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets de ce dont ils chérissent les causes…”

07 décembre 2020

La Magie Vermeer


On ne sait quasi rien de Johannes Vermeer (1632-1675). Tout au plus qu’il naquit, vécut et mourut à Delft, cité sans histoire ou presque, dans ces pays qu’on dit bas. Père d’au moins onze enfants, confronté à de fréquentes difficultés financières, et ravi à l'affection des siens à 43 ans  il n’eut sans doute pas grand loisir et connut peu de tranquillité. C’est peut-être un peu pour cela que ses œuvres sont si rares. On estime tout au plus à quarante cinq tableaux sa production totale, dont seuls un peu plus de trente sont parvenus jusqu’à nous. Pas un dessin, pas une esquisse en revanche pour aider à comprendre sa démarche artistique, qui reste une énigme.
Pourtant les siècles n’ont fait que donner plus de splendeur à ses peintures dont l’harmonie picturale saisissante a traversé avec une force croissante le temps.

Il émane de son univers une quiétude sereine, un équilibre quasi parfait des formes et une intense et mystérieuse vibration des couleurs qui font de chaque tableau un inépuisable trésor. Son art est marqué à la fois par un réalisme rigoureux et une idéalisation envoûtante du quotidien. Comme tous les grands artistes, Vermeer transcende ce qu’il voit et ce qu’il transpose sur sa toile. Ses fameuses scènes intérieures accrochent l'oeil et on ne s’arrache à leur magnétisme qu’à grand peine. L‘artiste y opère une extatique synthèse entre le tout et les détails. Le théâtralisme de la mise en scène s’efface complètement devant la sublimation du réel. La même impression domine dans les deux seuls paysages qu’il nous a légués: la fameuse vue de Delft depuis le Schie Canal et la Ruelle aux altières maisons crénelées, faites de briques rouges. On pourrait passer une éternité à compter sans lassitude ces dernières et, comme Bergotte dans La Recherche du Temps Perdu, se pâmer jusqu’à en mourir, à force d’avoir fixé son regard sur le moindre “petit pan de mur jaune”...

Mais l’acmé émotionnelle est encore ailleurs. Peut-être peut-on l’approcher au plus près au spectacle de la Jeune Fille à la Perle. Rarement la technique, aussi minutieuse qu’experte, aura mieux servi l’Art dans son indicible dessein. C’est un absolu de tendresse, d’amour et de beauté qui vous subjugue en regardant cette créature à la grâce inextinguible. L’obscurité de laquelle surgit ce visage à peine sorti de l’enfance, lui confère un relief saisissant. Mais la douceur et la fraîcheur de la carnation tempèrent ce contraste, exprimant de manière poignante la fragilité humaine, face à l'abîme qui effrayait tant Pascal. Le regard a la limpidité de ce qui fait les rêves et l’on s’y perd avec délectation, sans jamais craindre de se noyer. De la bouche à peine entrouverte sourd une sensualité exquise, porteuse de tout ce que l’espérance peut avoir de juvénile, mais aussi d’un mélange de candeur, et d’inquiétude indéfinie. La simplicité des vêtements et de la coiffe est magnifiée par le chatoiement subtil des étoffes et se voit illuminée par le bleu céleste du turban. On peut y voir une puissante évocation de la liberté. Enfin, l’éclat hypnotique de la perle concentre toute la puissance retenue de ce portrait, focalisant l’attention tout en se faisant l’écho minéral étincelant de la suave clarté de la chair et de la lumière vivante émanant des yeux et des lèvres.
Une pure merveille qu’on ne peut cesser d’admirer comme portant la quintessence du génie humain, et qui procure à l’esprit un immense bonheur en même temps qu’elle l’entraîne dans une profondeur tragique...